Dans le cadre de la transition énergétique, l’augmentation de la part des énergies renouvelables non pilotables dans la production d’électricité et l’électrification des usages compliquent l’équilibre offre-demande. Toutefois, les prix du marché de l’électricité incitent les sources de flexibilité à effectuer les ajustements nécessaires pour assurer la stabilité du réseau. Plusieurs sources de flexibilité sont cruciales : centrales à gaz, unités de stockage, interconnexions internationales et réponse de la demande, impliquant de plus en plus les consommateurs industriels et résidentiels dans la modulation de leur consommation.
Les marchés de l’électricité sont soumis à des contraintes bien spécifiques, liées à la nature même des systèmes électriques. L’équilibre entre l’offre et la demande doit être maintenu à chaque instant, au risque d’entraîner des pannes partielles ou totales de l’alimentation électrique.
Dans le contexte de la transition énergétique, cette équation devient de plus en plus complexe. Pour réduire l’empreinte carbone de la consommation finale d’énergie, encore assurée par des sources carbonées à hauteur de 49,5 % en France[1], l’expansion des sources renouvelables et l’électrification croissante des usages énergétiques sont nécessaires[2]. Cependant, l’adoption simultanée de ces mesures entraîne des déséquilibres significatifs entre l’offre et la demande d’électricité.
1) Complexité de l’équilibre offre-demande dans la transition
Pour quantifier ces déséquilibres, on utilise la notion de demande résiduelle. Celle-ci est calculée en soustrayant de la consommation totale d’électricité la production des énergies renouvelables non pilotables, comme le solaire et l’éolien. La consommation résiduelle reflète ainsi la quantité d’électricité qui doit être fournie par d’autres moyens de production pilotables ou qui doit être effacée pour rétablir l’équilibre [3].
Comme le montre la Figure 1, l’écart entre la consommation totale et la consommation résiduelle en France a augmenté entre 2014 et 2023 en raison de la croissance des énergies renouvelables, qui répondent à une part croissante de la demande. Durant cette période, la capacité du parc solaire photovoltaïque français a plus que triplé, passant de 6,1 GW à 19,0 GW, tandis que celle du parc éolien a plus que doublé pour atteindre 21,8 GW en 2023 [4].
Figure 1 : Consommation totale (non corrigée des aléas climatiques) et consommation résiduelle au cours des années 2014 et 2023 (Bilan Electrique 2023, RTE)
Cependant, sur la Figure 1, on peut également constater une augmentation de la volatilité de la demande résiduelle entre 2014 et 2023, due à la nature non pilotable des énergies renouvelables et à l’augmentation des pics de consommation liés à l’électrification des chauffages, par exemple. Plus la demande résiduelle est volatile, plus la transition du système électrique doit tenir compte des déséquilibres. Cela pose des défis de stabilité du réseau et nécessite une plus grande flexibilité pour s’adapter efficacement aux fluctuations d’offre et de demande.
2) Marché de l’Electricité : Prix, Ajustements et Flexibilités
Sur le marché de l’électricité, la gestion des écarts entre l’offre et la demande repose sur le mécanisme du prix d’équilibre offre-demande. Si la demande augmente pour un niveau d’offre donné, le prix de l’électricité par MWh augmente, et inversement. De plus, ce système suit un ordre de priorité : les centrales les moins coûteuses, telles que les sources renouvelables, hydrauliques et nucléaires, sont utilisées en premier, suivies par les centrales plus coûteuses, comme celles fonctionnant au gaz ou au fioul, jusqu’à ce que la demande soit satisfaite. Les déséquilibres structurels résultant de la transition énergétique exigent donc une adaptation accrue de la demande à l’offre, car cette dernière est de moins en moins basée sur des centrales fossiles pilotables. Les mécanismes du marché actuel permettent ainsi de rendre ces ajustements de la demande de plus en plus incitatifs.
Un exemple emblématique de cette dynamique se déroule en Californie pendant les mois d’été, où l’abondance d’énergie solaire pose des problèmes pour le système électrique. Lorsque l’offre d’électricité renouvelable excède considérablement la demande, les prix de l’électricité peuvent chuter brusquement, atteignant parfois des valeurs négatives sur le marché[5]. Cette situation soulève des préoccupations quant à la rentabilité des infrastructures d’énergies renouvelables. Toutefois, une abondance d’électricité renouvelable non pilotable peut stimuler une augmentation temporaire de la demande. Cela offre une opportunité unique pour les consommateurs d’être rémunérés pour leur consommation. Par ailleurs, dans le même esprit, la rentabilité du stockage de l’électricité pourrait augmenter si de tels événements de surabondance d’offre se répètent[6].
Dans cette situation extrême pour le système, les prix du marché jouent un rôle majeur en assurant la flexibilité du système électrique. Cette flexibilité se réfère à la capacité du système à s’adapter rapidement aux variations de l’offre et/ou de la demande. Plus précisément, cela signifie que les prix fluctuent pour inciter les acteurs du marché à ajuster leur comportement, soit en augmentant la production lorsque la demande est élevée et l’offre renouvelable est faible, soit en ajustant la consommation lorsque l’offre renouvelable est excédentaire par rapport à la demande.
3) Leviers de flexibilité pour la stabilité du réseau
Pour maintenir la stabilité du réseau électrique, les sources d’ajustement, ou de flexibilité, deviennent de plus en plus essentielles.
Traditionnellement, les centrales à gaz peuvent ajuster leur production rapidement en réponse aux variations de la demande.
De même, les unités de stockage, telles que les installations hydroélectriques et certaines batteries, fournissent une autre source de flexibilité en stockant l’énergie lorsque l’offre excède la demande et en la libérant lorsque la demande dépasse l’offre.
Le réseau électrique lui-même peut contribuer à cette flexibilité grâce aux interconnexions et échanges entre différents pays.
Enfin, la capacité de la demande à réagir aux fluctuations de l’offre est une quatrième source de flexibilité, notamment via la réponse de la demande. Cette dernière vise à ajuster la consommation d’électricité dans le temps pour équilibrer le réseau, incitant les consommateurs à réduire leur consommation pendant les périodes de forte demande et à la déplacer vers des périodes creuses.
Historiquement, la réponse de la demande a principalement été assurée par de grands consommateurs industriels. En France, le NEBEF (Notification d’Échanges de Blocs d’Effacement) est un exemple de comment ces acteurs peuvent jouer un rôle actif pour l’équilibrage du système, tout en étant rémunérés pour cela. Ce dispositif permet aux utilisateurs du réseau ayant une capacité d’ajustement d’au moins 100 kW de participer activement à la modulation de la demande. A titre de comparaison, un ménage typique a un pic de consommation mensuel moyen de 4,26 kW[7]. Ces grands consommateurs, qui font face à des tarifs d’électricité souvent plus variables, ont également davantage de capacité à ajuster leur consommation en réponse à ces fluctuations de prix, on les qualifie souvent de « consommateurs élastiques ».
Conclusion
Dans le contexte de la transition vers un système électrique de plus en plus basé sur les énergies renouvelables, le maintien de l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité représente un défi majeur. Grâce au fonctionnement du marché de l’électricité, de nouvelles alternatives de flexibilité et de réponse de la demande émergent pour s’adapter à la disponibilité des énergies renouvelables.
Cependant, pour exploiter pleinement le potentiel de ces ajustements, il est essentiel d’impliquer activement tous les consommateurs. Un second article (lien) explore plus en détail le rôle crucial que les consommateurs résidentiels peuvent jouer dans la flexibilité de la demande électrique.
[1] Le pourcentage de 49,5 % de sources carbonées dans la consommation finale d’énergie en France est relativement bas par rapport à d’autres pays européens. Cette différence s’explique par le fait que la France a déjà électrifié un certain nombre d’usages énergétiques, tels que le chauffage, ce qui réduit la part des combustibles fossiles dans la consommation finale. De plus, plus de 40 % de la capacité du parc de production électrique français est nucléaire, une source d’énergie non carbonée mais non renouvelable. (Source : Répartition de la consommation d’énergie primaire par énergie, SDES, Bilan énergétique de la France.)
[2] L’électricité ne représente aujourd’hui qu’un quart de la consommation finale d’énergie et devra représenter 55 % en 2050 (Source : RTE).
[3] Elle est typiquement faible en été à midi lorsqu’il y a beaucoup de production solaire et peu de demande, mais élevée en soirée en hiver lorsqu’il y a peu de vent.
[4] En 2023, 45,4 % des capacités du parc électrique français sont constituées de sources renouvelables. Parmi celles-ci, 28,4 % sont des sources non pilotables, comme l’éolien et le solaire. (Source : Bilan Electrique 2023, RTE.)
[5] Denholm, P., O’Connell, M., Brinkman, G., & Jorgenson, J. (2015). Overgeneration from solar energy in california. a field guide to the duck chart (No. NREL/TP-6A20-65023). National Renewable Energy Lab. (NREL), Golden, CO (United States).
[6] En Europe, les capacités de stockage hydraulique à grande échelle sont déjà pleinement exploitées, tandis que le stockage par batterie, bien que faisant partie des solutions de flexibilisation du système électrique, reste limité à petite échelle en raison de contraintes de capacité et de coûts. Les déséquilibres de grande ampleur et à long terme, parfois de plusieurs gigawatts sur plusieurs jours voire mois, restent un défi pour le stockage par batterie.
[7] Source: Commission for Electricity and Gas Regulation (CREG).