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Quels outils prudentiels pour des financements bancaires plus durables (Note)

 

 

 

Résumé :

  • Le modèle économique actuel repose fortement sur les énergies fossiles et demeure très consommateur en ressources, remettant en cause sa viabilité ainsi que les conditions de vie sur Terre.
  • Les banques continuent de jouer un rôle important dans le financement de l’économie, et peuvent dès lors avoir un impact significatif dans la transition vers une économie plus sobre en carbone et durable sur le plan environnemental.
  • Malgré le développement du dispositif réglementaire sur les risques ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) en Europe, ce dernier reste à ce jour incomplet, souffrant notamment d’exigences claires et de défauts d’articulation.
  • Aucune mesure forte n’est prise pour l’instant pour contraindre les établissements bancaires à réduire drastiquement leurs expositions sur les activités ayant un impact environnemental significatif ; l’impact des publications d’informations sur les risques ESG dans le pilier 3 bancaire dépendra surtout de la sensibilité des investisseurs à ces risques.
  • Nous proposons plusieurs mesures complémentaires, allant de l’intégration des facteurs de risques environnementaux (physiques et de transition) dans les modèles internes/de notation et de calcul de la charge en capital des banques jusqu’à une imposition de limites en termes d’exposition sur les activités à plus fort impact environnemental. Le choix de la mesure dépendrait des caractéristiques de chaque établissement (taille, complexité, capacité de développer des modèles etc.).

 

 

Malgré les engagements de différents gouvernements et d’instances de régulation dans la lutte contre le changement climatique, les progrès à ce jour restent insuffisants pour dévier de manière significative la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre et pour converger vers une économie plus sobre, résiliente et à faible impact environnemental. En effet, nos économies continuent d’être fortement consommatrices d’énergies fossiles et d’autres ressources naturelles, ce qui met en péril leur viabilité ainsi que l’ensemble des écosystèmes.

 

Dans la dernière synthèse du rapport du GIEC[1]publiée en mars 2023, il est mis en évidence qu’une diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre (par moitié d’ici 2030) serait indispensable afin de maintenir le réchauffement climatique à 1,5°C comparé à l’ère préindustrielle. Cet objectif est particulièrement ambitieux car il exigerait des changements significatifs et profonds dans nos activités économiques.

 

Malgré le fort développement des marchés financiers depuis les années 1970, le rôle des banques dans le financement de l’économie reste aujourd’hui majoritaire : selon la banque de France, en 2019, la part du financement bancaire des sociétés non financières (SNF) était de 63 % en France[2].

 

Les banques peuvent ainsi jouer un rôle crucial dans l’orientation de l’économie vers des activités plus durables sur le plan environnemental via leurs politiques de financement, à condition bien évidemment que ces politiques soient suffisamment actives et ne « se contentent pas » de suivre la structure existante des activités économiques. Cela implique que via leurs politiques d’octroi et de taux d’intérêt, les banques peuvent privilégier le financement de certains secteurs et/ou activités qui peuvent être considérés durables au sens de la Taxonomie européenne sur les activités durables, par rapport à des activités qui ne le sont pas[3]. Ce qui demanderait d’étudier et de reconsidérer l’arbitrage entre la rentabilité de court et moyen terme et la soutenabilité du modèle d’activité des banques ; il est clair que sans incitation forte de la part du régulateur, les décisionnaires dans les banques peuvent tout à fait privilégier à maximiser la rentabilité à des horizons plus courts (correspondant par exemple à l’horizon de leur mandat ou à leurs évaluations annuelles).

 

Malgré le développement important de la réglementation sur le plan de la durabilité et des risques ESG ces dernières années, le dispositif réglementaire n’est à ce jour pas encore suffisamment « déterminé » et contraignant en faveur des financements durables. De plus, l’articulation entre les différents textes réglementaires existants révèle parfois des incohérences. L’objectif de cette étude est d’analyser les différents outils prudentiels existants en faveur d’un financement bancaire durable, d’analyser leur cohérence et de proposer quelques pistes d’amélioration.

 

 

1. Etat de l’art et analyse des principaux outils prudentiels existants ainsi que de leur articulation

 

Les lignes directrices sur l’octroi et le suivi des prêtsédictées parl’EBA définissent un ensemble de critères pris en compte dans la politique d’octroi des prêts, y compris les facteurs ESG et notamment ceux environnementaux qui constituent des risques physiques et de transition matériels (zone géographique à risque, émissions de gaz à effet de serre actuels et prévues etc.). Ce règlement peut être efficace dans la phase de l’octroi (nouveaux prêts) si un certain nombre de critères ESG (environnementaux en particulier) sont définis de manière claire, précise (en se basant sur les actes délégués de la Taxonomie européennepar exemple) et avec suffisamment de rigueur (exploitation de données d‘émissions et de consommation d’énergie, de déchets produits, de recyclage etc.), et sont pris en compte dans le calcul du « score » d’une contrepartie et de sa qualité de crédit.

 

De même, une évaluation régulière de la prise en compte de ces critères, avec une mise à jour des métriques de risques de crédit[4] (probabilité de défaut PD et perte en cas de défaut LGD) devrait avoir lieu afin d’assurer la cohérence. En effet, selon les définitions des risques ESG données par l’EBA dans son rapport sur la gestion et la surveillance des risques ESG, ces risques (environnementaux en particulier) ont un impact direct ou indirect sur la santé financière future des contreparties des banques et donc sur le niveau de risque de crédit qu’elles représentent[5]. De plus, dans ce même rapport, l’EBA recommande aux banques de prendre en compte les risques ESG dans leur stratégie d’activité, leur gouvernance interne et leur cadre de gestion des risques. Or, pour l’instant, il n’y a pas d’exigence réglementaire concernant la prise en compte de ces risques dans les modèles d’évaluation du risque de crédit des banques qui utilisent des modèles internes[6]. Ainsi, les expositions nouvelles ou existantes sur des activités qui sont exposées à des facteurs environnementaux par exemple, ne voient pas leur qualité de crédit se dégrader. L’absence d’exigences du régulateur en ce qui concerne la mise à jour des modèles internes/de notation des banques est donc contradictoire avec les lignes directrices sur l’octroi et le suivi des prêts sur la partie ESG ainsi qu’avec les recommandations formulées dans le rapport sur la gestion et la surveillance des risques ESG[7], ce qui pourrait constituer un premier frein à la transition vers des financements plus durables.  

 

Le règlement d’exécution (ITS) Pilier 3 ESG[8]consiste à introduire des informations sur les risques ESG (quantitatives et qualitatives pour les risques environnementaux, uniquement qualitatives pour les risques sociaux et de gouvernance) dans les publications Pilier III des établissements de crédit[9]. Il permet de donner aux investisseurs et aux épargnants une vision sur les expositions des banques aux secteurs contribuant fortement au changement climatique, ainsi que les mesures prises par ces dernières afin d’atténuer ces risques. Les investisseurs et clients d’une banque pourraient ainsi savoir si celle-ci finance des activités fortement émettrices de gaz à effet de serre et, si oui, la part de financement de ces activités dans son portefeuille, au travers de deux ratios : le ratio d’actifs « verts » (c’est-à-dire, alignés avec la Taxonomie UE) (GAR) et le ratio d’actifs du portefeuille bancaire alignés avec la Taxonomie UE (BTAR)[10].

 

Ce règlement peut être efficace dans la mesure où il « met en jeu » la réputation de chaque banque en ce qui concerne la durabilité de ses financements. Néanmoins, il suppose indirectement que les investisseurs et les clients des banques sont suffisamment sensibles aux questions environnementales, sociales et de gouvernance, ce qui n’est pas nécessairement toujours le cas. De plus, les investisseurs consacrent habituellement davantage d’importance aux indicateurs purement financiers (trimestriels ou annuels). D’autres part, le risque n’ayant pas été matérialisé ni par des seuils d’exposition à ne pas dépasser, ni par des métriques de risque tenant compte des facteurs environnementaux (la seule métrique pris en compte est l’exposition), le critère risque ne peut jouer suffisamment sur la prise de décision des investisseurs. Le règlement ITS P3 ESG devrait alors être complété par des exigences règlementaires, soit en termes de seuil de ratio d’alignement pour les banques (GAR et BTAR), ou de limite d’exposition sur les secteurs particulièrement émetteurs de gaz à effet de serre et/ou générant d’autres types de pollution (des eaux, des sols etc.), soit par une pondération de risque intégrant au moins les critères environnementaux.

 

Selon la dernière version des lignes directrices sur la gouvernance internedatant de juillet 2021, les établissements doivent prendre en compte l’intégralité des risques auxquels ils s’exposent, y compris ESG. Les risques d’un établissement doivent ainsi être en ligne avec sa stratégie, ses objectifs, son appétit pour le risque et sa culture et valeurs. Ces lignes directrices se complètent par les lignes directrices sur la politique de rémunérationqui mettent l’accent sur la cohérence de la rémunération avec la culture et les valeurs de l’établissement, sa stratégie et ses intérêts à long-terme, en termes d’activité, d’appétit pour le risque et de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. De plus, selon ces dernières lignes directrices, la politique de rémunération ne doit pas inciter à des prises de risque excessives.

Ces deux lignes directrices constituent bien évidemment un socle prometteur en termes de stratégie et d’atténuation des risques ESG. Néanmoins, en l’état actuel, ces lignes directrices semblent laisser la main libre aux établissements pour définir leur stratégie d’activité et leur appétit pour le risque, sans exigences fortes pour des politiques internes avec des objectifs de long-terme clairs et bien déterminés. De telles exigences pourraient constituer un bon levier pour inciter à une diminution des expositions envers les activités non durables, en arbitrant ainsi davantage pour des objectifs de long-terme et en limitant les décisions « court-termistes » qui peuvent compromettre la durabilité du modèle d’activité de l’établissement. De plus, les politiques de rémunération devraient fixer des objectifs de long-terme clairs (avec des phases intermédiaires de réalisation) afin d’inciter les managers et collaborateurs de prendre en compte davantage les aspects de durabilité dans leurs missions.

Bien que les lignes directrices sur la gouvernance interne spécifient que les établissements doivent considérer l’ensemble des risques auxquels ils s’exposent, y compris ESG, à la connaissance de l’auteur, il n’y a pas à ce jour d’exigences réglementaires les obligeant à intégrer les facteurs ESG (environnementaux en particulier) dans leurs modèles de risque ; cela reste actuellement pleinement sur la base du volontariat des établissements.

Enfin, selon la dernière version des lignes directrices sur le SREPdatant de mars 2022, les superviseurs (i.e., la BCE et les autorités nationales) doivent prendre en compte parmi les vulnérabilités clés les risques ESG et leur impact sur la viabilité et la durabilité du modèle d’activité des établissements ainsi que sur la résilience à long-terme de ces derniers. En revanche, à la suite de la demande des banques qui ont fait part d’insuffisances de données et de méthodologies dans le domaine des stress tests climatiques, l’EBA a décidé de ne pas inclure pour l’instant les risques climatiques dans les exigences et recommandations de fonds propres de Pilier 2 (P2R et P2G)[11]. L’inclusion est prévue pour la prochaine révision de ces lignes directrices. Une fois de plus, le régulateur n’exige pas de fonds propres réglementaires au titre des risques ESG (environnementaux en particulier) ou de leur impact sur les risques existants, ce qui n’incite pas suffisamment les banques ni à développer des méthodologies pour appréhender et évaluer ces risques, ni à réduire le plus rapidement possible leurs expositions sur les activités non durables.

 

 

2. Les perspectives de la prise en compte des risques ESG dans le dispositif prudentiel

 

Le règlement CRR2 a mandaté l’EBA pour s’exprimer s’il y a lieu d’intégrer les risques ESG dans le dispositif prudentiel et de quelle manière. L’EBA prendra position cette année (la date a été avancée de deux ans à la suite du projet de CRR3).

 

Dans son rapport sur la gestion et la surveillance des risques ESGdatant de 2021, l’EBA avait déjà recommandé d’intégrer les risques ESG dans le processus d’évaluation prudentiel du superviseur (SREP). Cette recommandation a été intégrée dans la proposition de texte de CRR3 de la Commission européenne. Néanmoins, pour l’instant, cela ne donne pas lieu à des exigences de capital réglementaire au titre du Pilier 2. Cela sera le cas lors de la prochaine révision des lignes directrices sur le SREP.

 

Quoi qu’il en soit, à ce stade, le régulateur semble privilégier une prise en compte des risques ESG dans le Pilier 2, notamment par une application récurrente de stress tests climatiques et par une évaluation qualitative de la prise en compte des risques ESG dans la gouvernance interne des banques.

 

En ce qui concerne les stress tests en général, les résultats de ceux-ci donnent lieu à des recommandations de capital (P2G), bien que pour l’instant ce n’est pas encore le cas en ce qui concerne les stress tests climatiques. Cependant, quand bien même le P2G inclura les risques climatiques/environnementaux, s’agissant par définition de recommandation de fonds propres supplémentaires et pas d’exigence contraignante (contrairement au P2R), les banques n’auront donc pas l’obligation de les constituer bien que fortement recommandées.

 

L’évaluation qualitative de la gouvernance interne pourra en revanche donner lieu à des exigences de capital (P2R), bien que cela ne soit pas encore le cas actuellement. Néanmoins, cet outil reste limité puisqu’il se base uniquement sur une évaluation qualitative de la gouvernance interne et ne quantifie pas les risques ESG auxquels une banque s’expose, particulièrement ceux environnementaux (physiques et de transition).

 

Pour l’instant, il n’y a donc pas suffisamment d’éléments de penser que le régulateur envisagera une prise en compte des risques ESG (en particulier environnementaux) dans les exigences minimales de fonds propres (Pilier 1)[12], sauf par une éventuelle introduction d’un coefficient atténuateur de fonds propres pour les expositions qui ont des objectifs environnementaux. Néanmoins, bien que l’introduction d’un tel coefficient puisse être incitatif pour des financements plus durables, cette mesure n’est pas suffisamment dissuasive pour réduire les financements sur les activités non durables mais qui peuvent offrir des rentabilités à court et moyen termes suffisamment élevées. Aucune position claire n’a été prise de la part du régulateur en faveur de l’intégration des facteurs environnementaux dans les modèles internes des banques (encore moins pour les facteurs sociaux et de gouvernance dont l’approche actuelle du régulateur est purement qualitative), ni en ce qui concerne l’ajout d’une catégorie reflétant la durabilité de l’activité financée dans les pondérations du risque de l’approche standard[13]. Enfin, aucune limite n’a été imposée, que ce soit en termes de ratio d’actifs verts ou d’expositions sur les activités non durables (i.e., définies comme non alignées avec la Taxonomie européenne). Pour ces raisons, l’efficacité du dispositif réglementaire actuel peut être considérée comme assez limitée.

 

 

3. Quelques propositions pour améliorer le dispositif prudentiel actuel en termes de finance durable

 

Nous listons ci-dessous quelques propositions qui pourraient permettre de renforcer le dispositif prudentiel existant sur les risques environnementaux et leur prise en compte, en analysant également les avantages et les inconvénients de chacune.

 

La première proposition consisterait à inclure les risques environnementaux (physiques et de transition) dans les modèles internes de probabilité de défaut (PD) et de perte en cas de défaut (LGD) des banques, ce qui aurait un impact sur le calcul des exigences minimales de fonds propres (Pilier 1). Cette proposition permettrait d’être cohérent avec les lignes directrices sur l’octroi et le suivi des prêts évoquées plus haut, et de mesurer l’impact des risques environnementaux sur les catégories de risques existants, notamment de crédit. Cela amènerait à augmenter le capital règlementaire des banques sur les activités considérées comme non durables. En revanche, l’impact pourrait être faible ou nul pour les activités respectant les critères environnementaux (faibles émissions de CO2, longévité des produits, utilisation de circuits courts, faible production de déchets, faible transformation/dégradation environnementale etc.). Néanmoins, les banques ont besoin de disposer suffisamment de données et d’expertise modèle pour mettre en place cette approche, et constituer du capital réglementaire supplémentaire, ce qui présente un certain nombre de difficultés opérationnelles et financières. Pour les banques utilisant l’approche standard pour l’évaluation des pondérations du risque, une catégorie spécifique pourrait être créé par le régulateur en ajoutant une condition sur le niveau des risques environnementaux d’une contrepartie (à partir des ratios d’alignement avec la Taxonomie par exemple).

 

La deuxième proposition serait d’inclure les risques environnementaux (physiques et de transition) dans le calcul du capital économique[14] (Piler 2). Cela pourrait se faire, soit par une modélisation des paramètres de risque de crédit (PD et LGD) tenant compte des facteurs environnementaux uniquement pour le calcul du capital économique, et/ou via une extension multifactorielle de la formule existante de calcul du capital réglementaire[15]. La prise en compte de ces risques dans le capital économique permet de prendre les précautions nécessaires en termes de fonds propres tout en laissant une certaine flexibilité aux banques dans la méthode de calcul. Elle permet également de « réussir » l’évaluation prudentielle par le superviseur (SREP) et de minimiser les éventuelles exigences ou recommandations de fonds propres supplémentaires. Comme pour la première proposition, les banques doivent disposer suffisamment de données et d’expertise modèle pour mettre en place cette approche. De plus, pour développer un modèle multifactoriel de calcul du capital, elles doivent évaluer ou simuler les expositions de leurs contreparties ou portefeuilles aux facteurs de risque environnementaux, ce qui pourrait se relever complexe en l’absence d’un historique suffisant.

 

La troisième proposition consisterait à imposer des seuils ou limites, soit au niveau des ratios d’actifs verts (seuils planchers), soit en termes d’exposition[16] sur les activités considérées comme non durables (limites/plafonds). Cette approche a l’avantage de ne pas créer de surcharge opérationnelle pour les établissements en termes de collecte de données et de développement de modèles, tout en contribuant efficacement à une transition vers un modèle d’activité plus durable. Néanmoins, pour que cette approche soit efficace, il nécessaire de réduire les financements « généralistes » qui ne tiennent pas compte de l’activité financée mais uniquement de l’état financier de la contrepartie (qui pourrait être considérée comme globalement solide) et, le cas échéant, de ses ratios d’alignement avec la Taxonomie au niveau consolidé (si la contrepartie est soumise à ce règlement ou si elle se porte volontaire). Rendre les financements plus spécifiques aux activités permettrait de tenir compte de manière plus précise de leurs risques environnementaux. L’inconvénient de cette approche est qu’elle est dépendante de la qualité des déclarations des contreparties, ce que les banques ne pourraient pas toujours vérifier, à moins d’effectuer une double évaluation. De plus, les contreparties ayant moins de 500 salariés (i.e. non concernées par la directive sur la publication des informations extra-financières, NFRD, bientôt CSRD) n’ont pas l’obligation de se conformer à la Taxonomie européenne. Enfin, pour respecter les limites imposées, les banques devraient réduire (fortement), voire arrêter les financements de certaines activités ou secteurs s’ils ne sont pas alignés avec la Taxonomie Européenne, en passant même par des ventes de certaines expositions en tant qu’actifs échoués (et donc avec une certaine décote).

 

L’objectif global étant de réduire fortement les expositions sur les secteurs ou activités non durables (qui ne sont notamment pas alignées avec la Taxonomie européenne), chacune de ces propositions pourrait permettre d’atteindre cet objectif. En fonction de la taille et de la complexité de chaque établissement et de l’utilisation ou pas de modèles internes plus ou moins complexes, le régulateur pourrait appliquer la ou les approches les plus adaptées.

 

Pour les établissements de petite taille et non complexes ou ceux qui ne disposent pas suffisamment de données ou d’expertise modèle pour mettre en place des modèles intégrant les risques environnementaux, la fixation de limites ou de seuils en termes d’exposition aux activités non durables présente un avantage comparatif. Pour les établissements qui réussissent à collecter suffisamment de données et à développer des modèles, le régulateur pourrait exiger une intégration de ces risques dans les risques financiers existants (particulièrement de crédit) via le calcul du capital économique dans un premier temps.

 

Tableau récapitulatif

 

 

 

 

 

Conclusion

 

Plusieurs textes réglementaires ces dernières années ont été consacrés ou évoquent les risques ESG et la durabilité des financements des banques (règlement d’exécution sur le Pilier 3 ESG, lignes directrices sur l’origination et le suivi des prêts, lignes directrices sur le SREP, lignes directrices sur la gouvernance interne etc.). Ces textes marquent un tournant important dans la réglementation prudentielle qui concernait auparavant uniquement les risques purement financiers. Cependant, pour l’instant, il manque encore de la détermination forte de la part du régulateur pour considérer les facteurs ESG et particulièrement ceux environnementaux au même titre que les facteurs de risque purement économiques et financiers.  

 

Par conséquent, les risques ESG ne font pas encore aujourd’hui l’objet d’exigences de fonds propres ou d’autres contraintes réglementaires, ce qui met sérieusement en cause l’efficacité des différents règlements relatifs à ces risques et à la finance durable. Or, l’impact de ces risques peut être significatif, voire néfaste pour l’ensemble du système économique et financier. De plus, l’articulation entre les différents textes réglementaires présente aujourd’hui un certain nombre d’imperfections, voire des incohérences dans l’ensemble du dispositif réglementaire dédié aux risques ESG.

 

Dans cette note, nous avons proposé des outils prudentiels complémentaires qui permettraient de renforcer le dispositif réglementaire existant et que le régulateur pourrait appliquer en fonction des caractéristiques de chaque établissement : allant des simples limites d’exposition sur les activités non durables au sens de la Taxonomie, à l’évolution des modèles internes pour intégrer les facteurs environnementaux et donnant ainsi lieu à une charge en capital (règlementaire et/ou économique) supplémentaire. Le choix de l’une ou l’autre solution dépendrait de la complexité de chaque établissement et de ses capacités de collecter et traiter les données nécessaires ainsi que de développer des modèles intégrant les facteurs environnementaux.

 

 

Références

 

Banque de France, ABC de l’économie, Le financement des entreprises

DHIMA J., (2021). « La réglementation bancaire à l’heure des risque environnementaux » (Note), BSI Economics

DHIMA J., (2022). « Les règlements actuels permettront-ils une véritable transition vers une économie durable ? » (Etude), BSI Economics

Directive CSRD (DIRECTIVE (EU) 2022/2464 OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL of 14 December 2022) ;

Directive NFRD (Directive 2014/95/UE du Parlement Européen et du Conseil du 22 octobre 2014);

EBA Final Draft: Guidelines on common procedures and methodologies for the supervisory review and evaluation process (SREP) and supervisory stress testing under Directive 2013/36/EU (EBA/GL/2022/03)

EBA Final Draft implementing technical standards on prudential disclosures on ESG risks in accordance with Article 449a CRR (EBA/ITS/2022/01);

EBA Final Report on Guidelines on internal governance under Directive 2013/36/EU (EBA/GL/2021/05)

EBA Final report on Guidelines on sound remuneration policies under Directive 2013/36/EU (EBA/GL/2021/04)

EBA Guidelines on loan origination and monitoring (EBA/GL/2020/06);

EBA Report on management and supervision of ESG risks for credit institutions and investment firms (EBA/REP/2021/18);

ECB Guide on climate-related and environmental risks, Supervisory expectations relating to risk management and disclosure;

GARDES C. (2021), « La taxonomie, clef de voûte du financement de la décarbonisation ? (Tribune) », Magazine Forbes

GARDES C. (2023), « Trois mois après la COP27 sur le climat : quel bilan et actions pour 2023 » (Note), BSI Economics

IPCC, 2023: IPCC Press Release: Urgent climate action can secure a liveable future for all, 2023/06/PR (23 March 2023)

IPCC, 2023: SYNTHESIS REPORT OF THE IPCC SIXTH ASSESSMENT REPORT (AR6): Summary for Policymakers (IPCC, AR6, SYR)

Règlement Européen sur la Taxonomie (Règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088) ;

Règlement SFDR (Règlement (UE) 2019/2088 du 27 novembre 2019) ;

Taxonomy Regulation Delegated Act (COMMISSION DELEGATED REGULATION (EU) …/… of 6.7.2021 supplementing Regulation (EU) 2020/852 of the European Parliament and of the Council by specifying the content and presentation of information to be disclosed by undertakings subject to Articles 19a or 29a of Directive 2013/34/EU concerning environmentally sustainable economic activities, and specifying the methodology to comply with that disclosure obligation);

Taxonomy Climate Delegated Act (COMMISSION DELEGATED REGULATION (EU) …/… of 4.6.2021 supplementing Regulation (EU) 2020/852 of the European Parliament and of the Council by establishing the technical screening criteria for determining the conditions under which an economic activity qualifies as contributing substantially to climate change mitigation or climate change adaptation and for determining whether that economic activity causes no significant harm to any of the other environmental objectives).  

 


[1]Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

[3]Cf. « La règlementation bancaire à l’heure des risques environnementaux » du même auteur : http://www.bsi-economics.org/1311-la-reglementation-bancaire-a-l%EF%BF%BDheure-des-risques-environnementaux-note

[4]Le risque de crédit pour la banque correspond au risque de pertes engendrées par le défaut d’une contrepartie.

[5]Cf. « La règlementation bancaire à l’heure des risques environnementaux » du même auteur : http://www.bsi-economics.org/1311-la-reglementation-bancaire-a-l%EF%BF%BDheure-des-risques-environnementaux-note

[6]Contrairement à l’approche Standard, où les pondérations du risque sont données par le régulateur, en fonction la classe d’actif, du type de contrepartie et de la notation externe de la contrepartie, dans les approches modèles internes (IRB) les banques estiment elles même, en partie (en F-IRB) ou intégralement (en A-IRB) les paramètres de risque de crédit tels que la probabilité de défaut (PD) et la perte en cas de défaut (LGD).

[7]Nous rappelons qu’un rapport ne constitue pas un texte réglementaire bien qu’il puisse y avoir des recommandations du régulateur.

[8] Cet ITS complète l’article 449bis du règlement CRR II dans le cadre du mandat qu’a été confié à l’EBA par les articles 434bis du règlement CRR IIet 98(8) de la directive CRD V.

[9] Le Pilier III définit les informations relatives aux risques des établissements à destination du public et du superviseur ; il est défini par le cadre du règlement de Bâle et est transposé en règlement Européen (CRR).

[10]Cf. DHIMA J., « Les règlements européens permettront-ils une véritable transition vers une économie durable ? (Etude), BSI Economics, 2022).

[11]Les exigences de capital au titre de Pilier 2 (P2R) ont pour objectif de compléter celles de Pilier 1 (exigences minimales de fonds propres pour se protéger contre les pertes non anticipées). Il s’agit notamment de couvrir des risques non couverts dans le Pilier 1, comme le risque de concentration, le risque de modèle, le risque de taux etc. Elles sont en partie déterminés à la suite d’une évaluation prudentielle par le superviseur (SREP). Les recommandations de capital de Pilier 2 (P2G) se basent sur les résultats des stress tests.

[12] Le Pilier I définit les exigences minimales de fonds propres des banques (i.e. le capital réglementaire) afin de couvrir les pertes de crédit non anticipées.

[13]Dans cette approche, les pondérations de risque sont déterminées par le régulateur en fonction de la classe de l’actif, du type de contrepartie et de la notation externe de cette dernière.

[14]Le capital économique permet de compléter le capital réglementaire et se calcule en fonction de la connaissance interne des activités de l’établissement ainsi que de leur projection ; il se calcule selon des méthodes qui peuvent être déterminées par l’établissement. Souvent, les banques appliquent une approche conservatrice et constituent un capital économique plus élevé que le capital réglementaire, ce qui permet également de limiter les exigences du régulateur au titre du Pilier 2 (P2R).

[15]Celle-ci est constituée depuis sa mise en œuvre (Bâle 2) d’un seul facteur de risque systématique : la conjoncture macro-économique. Un développement multifactoriel a été proposé dans les travaux de thèse (https://hal.science/tel-02440557/) et dans l’article « Une analyse critique de la finalisation de Bâle 3 » (http://www.bsi-economics.org/1233-une-analyse-critique-sur-la-finalisation-de-bale-iii-note) du même auteur.

[16]Proposition inspirée d’un interview de Jézabel Couppey-Soubeyran dans l’émission Thinkerview.

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