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Pourquoi la rareté de l’eau représente un enjeu économique majeur ? (Note)

Planète terre

Résumé : Le Paradoxe de la Planète Bleue

  • Un « risque imminent d’une crise mondiale de l’eau » est évoqué par l’UNESCO et l’ONU, au sommet de l’eau tenu en avril 2023.
  • Le réchauffement climatique, et avec lui l’augmentation de la fréquence d’occurrence et en sévérité d’évènements extrêmes, incluant sècheresse et précipitations, soulève les questions de la vulnérabilité, de l’adaptation et de la résilience à diverses échelles, allant des entreprises aux Etats.
  • La dépendance à l’eau des secteurs d’activité économique se décline en fonction de leur prélèvement, de leur consommation et de leur usage. Parmi les secteurs les plus à risque, nous pouvons citer : l’agriculture, l’agroalimentaire, l’industrie chimique, l’industrie manufacturière, l’industrie énergétique et l’industrie minière.
  • Compte tenu de l’interdépendance entre industries, une analyse des impacts sectoriels des questions liées à la gestion de l’eau doit être réalisée via une approche sur les chaines de valeur.
  • La Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE), correspondant à l’organisation internationale Integrated Water Ressources Management (IWRM), est une méthode de référence permettant un usage durable de l’eau qui, combinée à une coopération internationale dans la gestion de la ressource, représente une solution aux problématiques de raréfaction de l’eau.
  • Une vision simplifiée pourrait laisser supposer que les pays en développement seraient les plus exposés aux risques hydriques, mais la dimension géographique de ces enjeux, l’interdépendance entre pays et les évolutions démographiques inégales dans le monde complexifient l’estimation de l’exposition à ces problématiques.

Ces dernières années, de nombreuses organisations de référence (nomment les Nations Unies (UN), le World Economic Forum (WEF)) mentionnent fréquemment les risques liés à la rareté de l’eau, dont l’impact pourrait s’avérer décisif à horizon 2030 (WEF, 2022). En effet, une consommation croissante de biens et services et de la dégradation de l’environnement (rejets industriels, pollution chimique, eaux usées) induisent une raréfaction de la ressource avec des disparités régionales significatives. D’autre part, un réchauffement climatique croissant est corrélé à une accélération en fréquence et en sévérité d’évènements hydriques destructeurs.

Alors même que le monde s’est dessiné autour de l’eau potable, le développent de moyens de transports et techniques agricoles efficients a laissé supposer un potentiel d’usage infini, et ainsi, a éloigné de notre quotidien les enjeux considérables que soulève la gestion de l’eau.

Dès lors, allier sciences de l’environnement et sciences économiques s’impose pour saisir les réels enjeux autour de la gestion des ressources en eau.

 

1. Sécheresse, cyclones et inondations : ces risques qui soulèvent la question de l’adaptation

Les évènements extrêmes liés à l’eau

Neuf catastrophes naturelles sur dix sont liées à l’eau (Eau, 2022). En effet, l’augmentation de la température globale, une fréquence plus soutenue d’épisodes de précipitations extrêmes et une sévérité accrue de ces phénomènes ont été mises en exergue par la communauté scientifique (Easterling, et al., 2002).

Avant toute analyse, une nuance s’impose : les évènements climatiques dit « continus » (tels que les précipitations) sont prévisible avec l’utilisation de modèles climatiques, a contrario d’événements ponctuels (tels que les épisodes de sècheresse) dont la distribution statistique est « discontinue ». Cette distinction suggère que la capacité à comprendre et anticiper de futurs évènements de sècheresse, que cela soit dans des régions historiquement à risque mais aussi dans des régions n’ayant jamais subi d’épisodes par le passé, s’avère limitée.

Ce que nous savons avec certitude, c’est que sècheresses, inondations, vagues de chaleur et précipitations sont liées à certains paramètres physiques tels que la température de l’eau ou l’intensité des précipitations. De manière simplifiée, si par une méthode quelconque nous augmentons la température de l’eau dans une région, si nous réduisons le débit d’un fleuve ou encore si nous utilisons l’eau de nappes phréatiques, nous savons que nous modifions l’équilibre d’un écosystème naturel, mais nous ne savons pas systématiquement, comment une série d’événements combinés modifiera le futur de cette ressource.

carte du monde

 

 

La question des nappes phréatiques

Ce que nous appelons adaptation dans cette note se concentre sur l’ajustement aux nouvelles conditions démographiques et climatiques, tandis que la résilience se concentre sur la capacité à faire face aux perturbations et à se remettre rapidement des impacts. Ces deux concepts sont cruciaux pour renforcer la capacité des sociétés et des écosystèmes à faire face aux défis posés par l’évolution.

Nous pourrions segmenter les sources d’eau en deux catégories : les eaux de surface et les eaux souterraines, bien que les deux soient intimement connectées.

Sur la planète, seulement 3 % de l’eau est douce, et 30 % de cette eau provient des nappes souterraines (L’eau douce: sa formation, ses réservoirs et les resources disponibles, 2021). L’utilisation des nappes phréatiques comme réservoir d’eau représente un enjeu stratégique dans un monde de plus en plus exposé à des épisodes de sècheresse. Pour comprendre l’importance de ces enjeux, il est intéressant de creuser le cas ouest américain qui est l’illustration pertinente des risques liés à une mauvaise gestion de ces réservoirs.

En effet, la Californie, l’Utah et l’Arizona sont trois Etats arides qui dépendent fortement des réserves souterraines pour répondre à une grande partie de leurs besoins en eau, que ce soit pour l’irrigation agricole, l’approvisionnement en eau potable des communautés, ou même pour soutenir les industries locales. Cependant, des décennies d’extraction excessive ont entraîné un déficit chronique dans les nappes phréatiques, provoquant des problèmes majeurs[1].

La gestion durable de ces ressources implique des mesures rigoureuses de conservation, une réglementation accrue de l’extraction, la diversification des sources d’approvisionnement en eau, ainsi que des investissements dans la recherche et les infrastructures pour prévenir une catastrophe environnementale et économique imminente.  La Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) est désormais reconnue, à l’échelle internationale, comme un cadre devant guider l’action des politiques publiques dans le domaine de l’eau.

 

2. Agriculture et production d’énergie : des secteurs d’activité économiques grands consommateurs d’eau

Distinction entre consommation et usage

La distinction entre le prélèvement, la consommation et l’usage de l’eau est essentielle pour comprendre la distribution de la ressource entre secteurs d’activité économique :

·       Le prélèvement d’eau désigne la quantité d’eau prélevée dans le milieu naturel puis rejetée après utilisation (donc à nouveau disponible).

·       La consommation d’eau se réfère à la fraction de l’eau utilisée qui est perdue, soit en raison de l’évaporation, de l’infiltration dans le sol, ou d’autres processus qui rendent l’eau indisponible pour un usage ultérieur.

·        L’usage de l’eau se réfère à la manière dont l’eau est utilisée dans divers secteurs tels que l’agriculture, l’industrie, l’approvisionnement en eau potable et l’assainissement. Il englobe les différentes applications de l’eau, qu’il s’agisse d’irriguer des cultures, de refroidir des machines industrielles ou de répondre aux besoins domestiques en eau.

Secteurs d’activité économique sujets aux problématiques de gestion de l’eau

Parmi les secteurs d’activité industriels pour lesquels la gestion de l’eau est cruciale, on peut citer :

  • L’agroalimentaire, où l’irrigation agricole et le traitement de l’eau sont indispensables à la production alimentaire ;
  • L’industrie chimique, qui nécessite souvent d’importantes quantités d’eau pour les réactions chimiques et le refroidissement des équipements ;
  • L’industrie manufacturière, où l’eau est utilisée dans la fabrication, le nettoyage et la gestion des déchets ;
  • L’industrie énergétique, qui dépend de l’eau pour la production d’électricité, notamment dans les centrales thermiques et nucléaires ;
  • Et enfin, l’industrie minière, qui utilise l’eau pour l’extraction et le traitement des minéraux.

Graphique 2 :Évolution de l’efficacité de l’utilisation de l’eau[2] en USD/m3 dans l’agriculture, l’industrie et les services entre 1970 et 2020 (FAO 2020)

graphique énérgie

 

Zoom sur l’Agriculture et l’Industrie

Le secteur agricole est le plus gros consommateur d’eau douce au monde, représentant près de 70 % de la consommation totale d’eau douce. Cette réalité soulève des enjeux économiques considérables, car elle a un impact direct sur la disponibilité de l’eau pour d’autres secteurs économiques, la sécurité alimentaire mondiale et les prix des produits alimentaires. L’efficacité de l’irrigation, les politiques agricoles, les marchés alimentaires mondiaux et le changement climatique influencent la demande en eau agricole et les coûts associés.

Au niveau mondial, on estime que la consommation industrielle d’eau représente environ 20 % de la consommation d’eau. L’eau est au cœur de nombreux processus industriels, elle peut également être utilisée comme matière première (industrie chimique), pour le lavage et l’évacuation des déchets (industrie alimentaire), pour le refroidissement (industrie de l’acier) ou pour faire fonctionner les chaudières (industrie minière). Plusieurs processus industriels requièrent l’utilisation d’eau, parfois de qualité. Parmi les industries très gourmandes en eau souterraines on retrouve notamment la production d’énergie, les mines, la construction et l’extraction pétrole et de gaz.

L’analyse de l’utilisation d’eau par les secteurs d’activité économique peut se faire sous deux angles d’approche. D’une part, les plus grands consommateurs sont les plus à risque en termes de gestion de cette ressource, et donc nécessites à la fois le développent de solutions innovantes et la définition d’un cadre réglementaire favorable à la gestion pérenne de l’eau. D’autre part, ils sont les plus exposés aux risques de sècheresse qui pourraient s’intensifier dans certaines régions du monde et poser une question stratégique : celle de la localisation géographique des chaines de valeur sectorielles.

Graphique 3 :prélèvement d’eau dans le monde par les secteurs agricole et industriels en 2020 (FAO 2020).

graphique prélèvement eau

 

3. Différents types d’exposition selon les pays : démographie, géographie et développement

Des problématiques géographiques de stress hydrique chronique : l’exemple du Proche Orient

Le pourcentage de stress hydrique est généralement calculé en utilisant une formule qui prend en compte la disponibilité de l’eau par rapport aux besoins en eau. Cette mesure est souvent utilisée pour évaluer la pénurie d’eau dans une région ou une zone géographique donnée. D’après l’ONU, un pays est considéré comme à risque de stress hydrique lorsqu’il prélève plus de 25 % de ses ressources disponibles en eau douce. Par exemple, en 2018, on estime à 18 % les ressources globales en eau douce qui ont été prélevées (Food and Agriculture Organization AQUASTAT, 2020).

L’analyse des données pays de stress hydrique du FAO[3] permet d’observer des disparités significatives entre pays. Quand la moyenne des pays s’élevé à 68 %, la médiane de ces mêmes données est de 10 %. Cinq pays connaissent un niveau supérieur à 400 %, ils sont situés dans des régions arides ou semi-arides.

Graphique 4 : Pourcentage de stress hydrique en 2020 des pays les plus à risque

Pourcentage de stress hydrique

 

La concentration de ces pays en région aride laisse supposer que les problématiques de stress hydrique seraient strictement géographiques, cependant, deux facteurs sont à considérer pour justifier cet écart significatif avec d’autres pays en zone aride : i) la consommation d’eau, notamment pour certains usages industriels incluant l’extraction de matières premières, et ii) sa disponibilité.

Des questions démographiques de besoins importants en eau : le cas emblématique de la Chine

La démographie dynamique de nombreux pays asiatiques constitue un défi majeur en ce qui concerne la gestion de l’eau. Avec une population en croissance rapide, cette partie du monde doit répondre à une demande croissante en eau pour l’agriculture, l’industrie et les besoins domestiques. Cette pression démographique exacerbe les problèmes de rareté de l’eau, de pollution et de stress hydrique dans la région.

En Chine, l’équation entre la démographie et la gestion de l’eau est particulièrement préoccupante. Bien qu’elle soit la deuxième économie mondiale et qu’elle abrite 21 % de la population mondiale, la Chine ne possède que 6 % des ressources mondiales en eau douce (China: A Watershed Moment for Water Governance, 2018). Avec une population de plus de 1,4 milliard d’habitants, la Chine est confrontée à une forte demande en eau pour soutenir son développement industriel, son urbanisation rapide et son agriculture intensive. Cette pression démographique aggrave les défis liés à la rareté de l’eau, à la dégradation de la qualité de l’eau et à l’épuisement des ressources hydriques. Le gouvernement chinois met en œuvre des initiatives ambitieuses telles que la construction de barrages, la gestion des bassins hydrographiques et des politiques de conservation de l’eau pour répondre à ces défis.

Gestion de l’eau et développement 

Entre les pays développés et les pays en développent, les enjeux liés à la gestion de l’eau diffèrent. Tandis que les pays développés implémentent des réglementations liées à la gestion pérenne des ressources en eau (Loi L210-1 du code de l’environnement), certains pays en développement peinent à distribuer cette ressource de manière optimale sur leur territoire (manque de financement, infrastructures inadéquates, conflits sociaux).

Cependant, dans un monde interconnecté, une catastrophe naturelle localisée dans un pays en développement peut avoir des répercussions sur des chaines de valeur globales. Un exemple parlant d’un tel phénomène est celui des inondations apparues en Thaïlande en 2011, dont les dommages occasionnés s’élèveraient à 10 % du PIB du pays, et qui aurait également provoqué une baisse de 2,5 % de la production industrielle mondiale (Masahiko & Upmanu, 2015). Le pays étant un important centre de production de composantes utilisées dans les industries automobile et électronique, la rupture de la chaine d’approvisionnement d’entreprises internationales a causé une hausse importante des prix, des délais de livraison rallongés ainsi qu’une série d’impacts combinés sur d’autres secteurs dépendants de ces produits.

Parmi les constats établis par les Nations Unies dans leur rapport sur la mise en valeur des ressources en eau de mars2023, 2 milliards de personnes (soit 26 % de la population mondiale) sont encore privées d’accès à l’eau potable et 4,6 milliards de personnes (46 %) n’ont pas accès à un système d’assainissement géré de manière sûre. Les solutions évoquées requièrent une collaboration internationale basée sur le développent de mécanismes solides, en particulier lorsque les flux de cette ressource traversent les frontières des états. Aujourd’hui, seul 6 des 468 aquifères[4] internationaux partagés dans le monde font l’objet d’accords de coopération officiels[5].

Graphique 5 :Cartographie de la vulnérabilité pays aux risques de catastrophes naturelles d’après les données IPCC (score de 1 à 10)

Cartographie de la vulnérabilité eau monde

 

 

Conclusion

Plusieurs facteurs propres au monde moderne posent des problématiques significatives sur la gestion pérennes des ressources en eau. Entre explosion démographique, réchauffement climatique et consommation croissante, le poids respectif de ces facteurs varie en fonction des pays.

Une lecture régionale pourrait classifier de manière synthétique les régions du monde et les facteurs décisifs pour la gestion de cette ressource. Avec une telle lecture, l’Asie serait le continent connaissant un stress hydrique démographique, le Moyen-Orient un stress hydrique climatique, les pays producteurs un stress hydrique économique.

Dans un monde connecté, la transmission du risque entre pays complexifie une catégorisation schématique de la répartition de cette ressource. Les questions décisives à l’avenir seront centrées autour de la collaboration internationale, de l’adaptation et de la résilience pour une gestion pérenne des ressources en eau.

 

Bibliographie

World Water Development Report. (2022). UNESCO.

Food and Agriculture Organization AQUASTAT. (2020). UN.

WEF. (2022). Ensuring sustainable water management for all by 2030. World Economic Forum.

UNESCO. (2023). Risque imminent d’une crise mondiale de l’eau (UNESCO/ONU-Eau). UNESCO.

Inform Global Index. (2023). IPCC and Columbia University.

FAO. (2020). Water Use Efficiency. Food and Agriculture Organization.

China: A Watershed Moment for Water Governance. (2018). World Bank.

Easterling, D. R., Meehl, G. A., Parmesan, C., Changnon, t. A., Karl, T. R., & Mearns, L. O. (2002). Climate Extremes: Observations, Modeling, and Impacts. Atmospheric Science.

Masahiko, H., & Upmanu, L. (2015). Flood risks and impacts: A case study of Thailand’s floods in 2011 and research questions for supply chain decision making. International Journal of Disaster Risk Reduction.

Eau. (2022). World Bank.

L’eau douce: sa formation, ses réservoirs et les resources disponibles. (2021). Centre d’information sur l’eau (CIEAU).

 



[1] Tels que l’intrusion d’eau salée dans les aquifères côtiers, l’affaissement du sol en raison de la subsidence, et la réduction des débits des rivières et des cours d’eau.

[2] Mesure qui permet de quantifier la productivité par unité d’eau utilisée.

[3] Food and Agriculture Organization of the United Nations.

[4] Les eaux souterraines, ainsi que les eaux de surface, coulant à travers les frontières internationales.

[5] « Il est urgent d’établir de solides mécanismes internationaux pour éviter que la crise mondiale de l’eau ne devienne incontrôlable. L’eau est notre avenir commun et il est essentiel d’agir ensemble pour la partager équitablement et la gérer durablement », déclare la Directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay.

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