Avec l’augmentation de la production d’électricité via des énergies renouvelables et celle des tarifs d’électricité dynamiques, les ménages deviennent des acteurs essentiels de la flexibilité de la demande. Grâce aux compteurs intelligents, à l’autoconsommation et aux agrégateurs, ils peuvent adapter leur consommation, exploitant les opportunités financières tout en soutenant un système électrique plus durable. L’implication active des ménages dans la gestion de la demande d’électricité réduit la dépendance aux sources fossiles, allège la pression sur les infrastructures, et améliore la résilience et la durabilité du réseau.
Téléchargez le PDF: consommateurs-residentiels-nouveaux-acteurs-de-la-flexibilite-electrique
Dans le contexte de la transition vers un système électrique de plus en plus basé sur les énergies renouvelables, le maintien de l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité représente un défi majeur. Grâce au fonctionnement du marché de l’électricité, de nouvelles alternatives de flexibilité et de réponse de la demande émergent pour s’adapter à la disponibilité des énergies renouvelables (lien de l’article sur l’optimisation du système électrique). Cependant, pour exploiter pleinement le potentiel de ces ajustements, il est essentiel d’impliquer activement tous les consommateurs.
1) Evolution du Paysage Energétique Résidentiel
Traditionnellement, les consommateurs résidentiels ont été peu impliqués dans les mécanismes de flexibilité et de réponse de la demande, manquant ainsi les bénéfices économiques aux variations du prix de l’électricité. La plupart des consommateurs d’électricité n’étaient pas (et ne sont toujours pas) exposés à des tarifs variables ou dynamiques selon les différentes périodes de la journée, ce qui limitait leur capacité à adapter leur consommation en réponse aux fluctuations des prix de l’électricité[1].
Néanmoins, des études telles que celles réalisées par Ito (2014) et Fabra et al. (2021) ont démontré que même lorsque les consommateurs sont confrontés à des tarifs dynamiques, transmettant davantage d’informations sur les besoins du système, leur réponse est souvent inélastique, c’est-à-dire qu’ils ne modifient pas significativement leur consommation[2]. Par conséquent, les consommateurs résidentiels ont longtemps été perçus comme passifs et peu flexibles, avec une capacité limitée à ajuster individuellement leur consommation d’énergie.
Cependant, le paysage énergétique évolue rapidement. De plus en plus de ménages ont le potentiel d’adapter leur consommation à la disponibilité des énergies renouvelables[3]. Les consommateurs résidentiels peuvent désormais produire leur propre électricité grâce à des installations photovoltaïques résidentielles ou dans le cadre de communautés d’énergie. Ils peuvent également ajuster leur consommation en fonction des tarifs dynamiques et des périodes de surplus grâce aux compteurs intelligents ou aux systèmes de partage d’énergie, et gérer des charges déplaçables importantes comme les véhicules électriques ou les pompes à chaleur.
Notamment, l’introduction des compteurs intelligents a considérablement amélioré la précision de la connaissance de la consommation d’électricité des ménages[4]. Avant leur mise en place, cette connaissance était basée sur des estimations issues de modèles statistiques. Désormais, grâce aux compteurs intelligents, cette connaissance est beaucoup plus précise, avec des relevés effectués toutes les 30 minutes. Cette précision accrue permet une rémunération plus précise des ajustements de la consommation en fonction de son niveau à un moment précis, créant ainsi des opportunités financières pour la réponse de la demande résidentielle.
Face à ces changements majeurs et au défi de la transition du système électrique, il est de plus en plus évident que l’implication active des consommateurs résidentiels dans la réponse de la demande est non seulement logique, mais également bénéfique pour l’ensemble du système électrique. En effet, les consommateurs résidentiels et les entreprises connectées au réseau basse tension représentent 77,3 % de la consommation totale d’électricité en France[5].
2) Les Moyens Concrets pour la Flexibilité Résidentielle
Les consommateurs résidentiels disposent désormais de plusieurs moyens concrets pour participer à la flexibilité (ou réponse) de la demande dans le système électrique. D’un point de vue plus global, toute adaptation de la consommation ou investissement dans des capacités de stockage pour s’aligner avec les sources renouvelables d’électricité contribue au système et réduit notre dépendance aux sources de génération fossile pilotables. Cette note présente les opportunités de réponse de la demande résidentielle sans entrer dans les limites.
Contrats d’électricité dynamiques
En se basant sur la théorie économique de la tarification au coût marginal, facturer l’électricité en temps réel permet de transférer toutes les informations pertinentes du marché directement aux consommateurs [6]. Cela peut se faire à travers des contrats de fourniture ou des rabais en période de déséquilibre sur le marché. L’un des avantages majeurs de ces mécanismes est qu’ils incitent les utilisateurs à consommer de l’électricité lorsque les prix sont bas, donc lorsque les énergies renouvelables sont relativement abondantes par rapport à la demande, assurant ainsi de manière efficiente l’alignement de la production et de la consommation d’électricité.
En pratique, cependant, peu de consommateurs résidentiels optent pour ces contrats. Étant averses au risque, ils préfèrent des contrats à prix fixe et unique sur une période donnée (souvent plusieurs mois ou années). De plus, même lorsque ces contrats dynamiques sont choisis, il existe peu de preuves que les consommateurs réagissent aux variations de prix[7]. Pour l’instant, la variabilité des prix de l’électricité ne constitue pas un vecteur de flexibilité majeur, mais cette situation pourrait évoluer, notamment si les prix de l’électricité augmentent et restent élevés.
Cependant, lorsque les consommateurs ont investi eux-mêmes dans des unités de production qu’ils souhaitent rentabiliser, ils réagissent à des incitations financières plus simples telles que celles de l’autoconsommation. De même, lorsque les consommateurs ont des appareils énergivores, tels que des véhicules électriques ou des pompes à chaleur, dont le déplacement de la consommation peut être automatisé par les agrégateurs, ils peuvent récupérer les bénéfices financiers de leur réponse et réduire leur facture[8].
L’Autoconsommation
L’autoconsommation désigne la pratique par laquelle les consommateurs utilisent l’électricité qu’ils produisent localement, généralement à partir de sources renouvelables telles que les panneaux solaires installés sur leur propre toit. En d’autres termes, les consommateurs résidentiels consomment l’électricité qu’ils génèrent eux-mêmes. L’autoconsommation peut se faire au niveau individuel ou au sein d’une communauté d’énergie.
En France, environ 600 000 logements étaient équipés d’installations photovoltaïques en 2022, et 53 % de ces installations sont utilisées pour l’autoconsommation individuelle[9]. De plus, le nombre d’auto-consommateurs individuels a augmenté de 77 % entre 2022 et 2023 [10].Cette progression témoigne de l’importance croissante de l’autoconsommation dans le paysage énergétique résidentiel.
L’autoconsommation présente plusieurs avantages en termes de flexibilité de la demande d’électricité. En utilisant l’électricité qu’ils produisent localement, les consommateurs résidentiels réduisent leur dépendance au réseau électrique traditionnel, contribuant ainsi à alléger la pression sur les infrastructures électriques et à stabiliser le système dans son ensemble. De plus, cette pratique les incite financièrement à moduler leur consommation en fonction de leur propre production d’électricité, renforçant ainsi la flexibilité et la résilience du système électrique. Cette tendance souligne également le potentiel significatif de l’autoconsommation pour encourager la participation des consommateurs à la flexibilité de la demande et à la transition vers un système électrique plus durable et équilibré.
Dans ce contexte, les signaux d’adaptation de la demande de l’autoconsommation sont plus simples que ceux d’un contrat dynamique. De plus, les consommateurs sont les investisseurs initiaux de l’unité de production qu’ils cherchent à rentabiliser, car l’électricité autoconsommée est moins chère que celle directement utilisée sur le réseau.
Les Agrégateurs
Un autre vecteur de flexibilité pour les consommateurs résidentiels réside dans les agrégateurs. Agissant comme des intermédiaires entre les consommateurs et le marché de l’électricité, ces entreprises mutualisent (agrègent) les sources résidentielles de flexibilité pour atteindre un niveau suffisant pour participer directement au marché[11]. En agrégeant les petites flexibilités telles que des systèmes de chauffages électriques ou des véhicules électriques, les agrégateurs agissent comme des virtual power plants (centrales électriques virtuelles), ajustant la demande en fonction des contraintes du marché.
Concrètement, les agrégateurs ajoutent des dispositifs intelligents sur les charges déplaçables des consommateurs résidentiels. Ils peuvent ainsi activer ou désactiver ces charges à distance, en fonction des besoins du réseau électrique et des opportunités sur le marché. Cette approche permet d’optimiser l’utilisation des ressources disponibles, tout en offrant aux consommateurs la possibilité de bénéficier financièrement de leur flexibilité.
En France, plusieurs exemples d’agrégateurs sont opérationnels sur le marché, notamment Voltalis, Centrales Next, Flexcity et Equinov. Ces initiatives offrent aux consommateurs résidentiels la possibilité de tirer parti des opportunités financières offertes par la flexibilité de la demande, tout en contribuant activement à l’équilibre et à la stabilité du système électrique.
Conclusion
Dans un contexte de transition énergétique vers un système électrique décarboné, les défis de maintenir l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité sont considérables. Dans cette quête de flexibilité, toutes les sources sont précieuses. Les consommateurs résidentiels représentent la nouvelle frontière de la flexibilité de la demande. Avec l’expansion de contrats d’électricité plus variables, l’autoconsommation et les agrégateurs, leur implication active dans la gestion de la demande d’électricité est non seulement logique dans le contexte actuel, mais aussi bénéfique pour l’ensemble du système électrique. En tant que contributeurs significatifs à la consommation totale et au pic de demande, leur participation accrue offre des perspectives prometteuses pour un système électrique plus résilient et durable.
[1] Selon la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), 57 % des sites de consommation d’électricité en France ont souscrit au tarif bihoraire réglementé de vente (TRV).
[2] Ito, K. (2014). Do consumers respond to marginal or average price? Evidence from nonlinear electricity pricing. American Economic Review, 104(2), 537-563.; Fabra, N., Rapson, D., Reguant, M., & Wang, J. (2021, May). Estimating the elasticity to real-time pricing: evidence from the Spanish electricity market. In AEA Papers and Proceedings (Vol. 111, pp. 425-429). 2014 Broadway, Suite 305, Nashville, TN 37203: American Economic Association.
[3] Wesche, E. Dütschke, Organisations as electricity agents: identifying success factors to become a prosumer, J. Clean. Prod. 315 (2021), 127888
[4] En mai 2024, 35.6 milions de compteurs Linky sont installés auprès des ménages français (Source : Le compteur Linky, l’allié d’une consommation responsable, Enedis)
[5] Données pour les quatre derniers mois de l’année 2022, considérant tous les petits consommateurs raccordés au réseau de distribution. (Source : Figure 1.5, Bilan Electrique 2023, RTE)
[6] Boiteux, M. (1956). La vente au coût marginal. Bulletin de l’Association Suisse des Electriciens, 47.
[7] Ito, K. (2014). Do consumers respond to marginal or average price? Evidence from nonlinear electricity pricing. American Economic Review, 104(2), 537-563.; Fabra, N., Rapson, D., Reguant, M., & Wang, J. (2021, May). Estimating the elasticity to real-time pricing: evidence from the Spanish electricity market. In AEA Papers and Proceedings (Vol. 111, pp. 425-429). 2014 Broadway, Suite 305, Nashville, TN 37203: American Economic Association.
[8] Bailey, M., Brown, D., Shaffer, B., & Wolak, F. (2022). Centralized vs Decentralized Demand Response: Evidence from a Field Experiment. Working Paper.
[9] Source : Enedis, Communiqué de presse 07/11/2022 – Energies renouvelables : la France compte près de 600 000 installations photovoltaïques !
[10] Source : Enedis, Observatoire français de la transition écologique – Autoconsommation
[11] Poplavskaya, LJ de Vries, Aggregators Today and Tomorrow: from Intermediaries to Local Orchestrators? Elsevier Science & Technology, San Diego, 2020