DISCLAIMER : Les opinions exprimées par l’autrice sont personnelles et ne peuvent en aucun cas être considérées comme reflétant celles de l’institution qui l’emploie.
Cette présente est rédigée dans le cadre de notre partenariat avec ANCRE.
Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, l’Union Européenne (UE) a œuvré pour se libérer autant que possible de sa dépendance aux sources d’énergies russes, notamment via l’instauration de sanctions. Après avoir fortement limité ses importations de pétrole et de gaz russes au cours de l’année 2022, de 54 % et 68 % respectivement[1], et diminué sa consommation d’énergied’environ 18 % au cours du deuxième semestre 2022, il convient de se questionner sur l’intérêt des pays européens à poursuivre la réduction de leur dépendance énergétique et sur leur capacité à diversifier leurs sources d’approvisionnement dans les mois et années à venir.
L’intérêt de l’indépendance énergétique
En 2022, en réponse à la guerre en Ukraine, l’UE a graduellement imposé de nombreuses restrictions sur l’importations d’énergie, prévoyant de réduire de 90 % ses importations de pétrole et de deuxtiers sa consommation de gaz russe au cours de l’année. En effet, la Russie représentait une part importante de l’approvisionnement énergétique des pays de l’UE : 31 % en Allemagne en 2021, 23 % en Italie, et jusqu’à 98 % dans les pays les plus exposés (6 % en France)[2]. Plusieurs raisons peuvent pousser un gouvernement à se libérer totalement des importations depuis un pays pour des biens stratégiques, tels que l’énergie.
Economiquement, un Etat doit pouvoir subvenir aux besoins de son industrie afin de maintenir sa production intérieure et éviter toute pénurie émanant de l’extérieur, comme l’a risqué l’Allemagne cet hiver alors qu’elle a dû abandonner plus de la moitié de ses importations de gaz qui dépendait dela Russie avant la guerre. Si la France affrontait la situation dans une position plus confortable, étant moins dépendante du gaz, elle n’a néanmoins pas été totalement épargnée par les difficultés, notamment en raison de la forte part de l’énergie nucléaire dans son mix énergétique dans un contexte où un grand nombre de ses centrales étaient à l’arrêt pour des raisons techniques en 2022.
Par ailleurs, assurer son indépendance permet de limiter les possibilités « d’inféodation » des relations diplomatiques aux relations commerciales. Il semble effectivement incohérent pour l’Europe de continuer d’acheter une partie significative de son énergie en Russie, finançant ainsi son économie domestique d’une part, alors qu’elle lui impose des sanctions financières et soutient l’Ukraine dans son effort de défense d’autre part.
L’approvisionnement extérieur
Alors que la plupart des pays européens ont réussi à sortir de leur dépendance énergétique envers la Russie et que les niveaux de stock de gaz sont au plus haut, poursuivre l’effort de diversification est nécessaire afin de ne pas recréer ce risque vis-à-vis d’un autre fournisseur.
L’intérêt d’une diversification géographique de son approvisionnement en énergie inclus la possibilité de transférer de l’énergie d’un pays à l’autre, en cas de choc d’offre ou de demande asymétrique. La multiplication des fournisseurs offre plus d’alternatives pour compenser une réduction des échanges suite à tel choc. Suite à l’imposition des sanctions, les importations de gaz en UE depuis la Norvège et le Royaume-Uni ont bondi. Si ces pays sont considérés comme des « alliés » d’un point de vue diplomatique, il n’est pas exclu qu’un changement de paradigme ou un choc externe[3] les inciteraient à limiter leurs exportations au détriment du reste de l’Europe. Les tensions entre l’Algérie et le Maroc en est un exemple, ayant conduit à la suspension des exportations algériennes via le gazoduc traversant son voisin, alimentant l’Espagne. A moyen-terme, les efforts de la Norvège pour sortir des énergies fossiles afin de lutter contre le changement climatique pourraient également compromettre sa capacité à fournir de l’énergie à ses partenaires commerciaux.
Importations de gaz naturel depuis la Norvège (gauche) et le Royaume-Uni (droite) vers l’UE
Source : Bruegel. Les maximums et minimums sont calculés sur la période 2015-2020
Eviter ce risque passe par la signature de contrats d’approvisionnement avec d’autres pays, notamment du Moyen-Orient ou du Caucase, ainsi que les Etats-Unis. Entre 2021 et 2022, lesimportations de gaz depuis les Etats–Unis ont doublé, ceux depuis le Qatar ont augmenté de 23 %,ce qui devrait assurer la pérennité de l’approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL) à moyen-terme.
L’augmentation de l’approvisionnement en GNL se heurte néanmoins au manque d’infrastructures dans certains pays, dont l’Allemagne qui ne disposait d’aucun terminal avant l’invasion de l’Ukraine. De nombreux projets ont depuis été planifiés afin d’élargir les capacités le long des côteseuropéennes.
Elargir son mix énergétique
Diversifier les sources de l’énergie consommée en Europe constitue également un axe important, pour éviter de remplacer une dépendance par une autre.
Energie disponible brute en Europe par source en 2021
Source : Eurostat
La France, dont la production domestique couvre plus de la moitié de sa consommation d’énergie[4], notamment grâce à son parc nucléaire, a pu atténuer l’impact des sanctions sur l’offre d’énergie sur son territoire. L’Allemagne, ayant décidé de se désengager de la production domestique d’énergie nucléaire en 2011, fût plus vulnérable en raison de son mix énergétique moins varié. Par conséquent, la hausse des prix de l’électricité en France sur l’ensemble de l’année 2022 a été limitée à 7 %, alors qu’elle a atteint 20 % en Allemagne sur la même période, selon Eurostat.
Dans un contexte de lutte contre le changement climatique, la Commission Européenne a saisi l’opportunité de l’invasion russe pour accélérer les efforts de transition et d’indépendance énergétique. Au-delà de l’abandon des importations russes d’énergie, le planprévoit également de fortement réduire l’utilisation d’énergies fossiles dans son économie en augmentant la production et les importations de biométhane et d’hydrogène renouvelable, en améliorant l’efficacité énergétique, et en accroissant les énergies renouvelables et l’électrification.
Par ailleurs, avec le développement prévu du marché des quotas d’émissions, il sera également bénéfique de diversifier ses sources afin de limiter l’impact de la hausse du prix du carbone attendue ces prochaines années qui affectera majoritairement les énergies fossiles. En effet, le système prévoit que les émissions totales de gaz à effets de serre permises soient de plus en plus restreintes dans le temps, augmentant ainsi le prix à payer par les émetteurs pour continuer à produire. Parmi les gaz visés se trouve le dioxyde de carbone, dont le secteur des énergies fossiles est fortement émetteur, et est donc vulnérable à la baisse des quotas et la hausse du prix du carbone associée.
Nécessité d’aller au-delà et d’éviter une nouvelle hausse des prix
L’intérêt d’assurer son indépendance énergétique grâce à la diversification de ses sources d’approvisionnement et ressources en énergie est indéniable. Si les efforts réalisés en 2022 ont permis à l’Europe de surmonter l’hiver sans pénuries, ils devront être encore plus importants à l’avenir, notamment si les températures ne sont pas aussi clémentes, étant donné que l’énergie russe est d’ores et déjà indisponible.
Néanmoins, accroître la diversité de ses sources d’énergie peut signifier réduire son approvisionnement en énergie la moins chère, et ainsi générer une hausse de l’inflation. La hausse de l’inflation observée depuis la fin 2021 et amorcée par une hausse des prix de l’énergie a mis la Banque Centrale Européenne en difficulté, après des années de lutte contre les pressions déflationnistes. L’inflation a ensuite atteint d’autres secteurs de l’économie, faisant craindre une perte de contrôle sur la stabilité des prix et entraîné une hausse inédite des taux d’intérêt, dans un contexte de ralentissement économique.
Alors que l’UE cherche à développer son secteur des énergies « vertes » dans son optique de souveraineté énergétique. Elle fait face à la concurrence des Etats-Unis, où l’adoption de l’Inflation Reduction Act fait peser des risques de délocalisations d’entreprises qui chercheraient à bénéficier des fonds américains. La réponse de Bruxelles, le Green Deal Industrial Plan, a rouvert le débat sur la pertinence des subventions publiques au sein de l’UE. Cette politique risque d’une part de bénéficier aux plus grosses économies, et d’autres part d’être insuffisante face aux possibilités infinies des Etats-Unis de subventionner ses industries, ne risquent pas la fragmentation de son marché.
La dichotomie entre les problématiques de besoin d’énergie à court-terme et les plans de diversification à moyen-terme risque de continuer de générer des tensions entre les différents secteurs de l’économie, ainsi qu’aux niveaux politique et géopolitique dans les mois et années à venir. Ces enjeux requièrent une forte coordination au sein de l’UE, qui s’est montrée solide au cours de la première année de la guerre en Ukraine, mais qui reste vulnérable à la moindre dissension.
[1] Source : Eurostat, importations de pétrole et produits pétroliers et de gaz naturel depuis la Russie vers l’UE en volume.
[2] Source : International Energy Agency (IEA) ; importations de charbon, gaz naturel et pétrole relatives à la consommation domestique totale
[3] Par exemple : décision de suspendre les exportations à la suite d’une forte diminution de la production intérieure (comme après une destruction des appareils de production en raison d’une catastrophe naturelle)
[4] https://www.trade.gov/country-commercial-guides/france-energy-eng