Résumé:
– Les placements des assureurs français s’élèvent à approximativement 2 000 milliards d’euros.
– La Directive Solvabilité 2 s’appliquera aux organismes d’assurance européens à partir du 1er janvier 2016.
– Bien qu’à première vue très importante, la pénalité appliquée aux actions dans le cadre de Solvabilité 2 est en réalité bien moindre.
– L’impact de cette réforme sur l’allocation d’actifs des assureurs doit être relativisé eu égard au contexte macro-économique, aux marchés financiers et au comportement des ménages.
Le secteur de l’assurance représente un acteur majeur de l’économie française. En effet, outre le fait que cette activité emploie approximativement 150 000 salariés, les organismes d’assurance français disposent d’environ 2 000 milliards d’euros de placements soit quasiment le montant du PIB de la France. Plus de la moitié de ces investissements (voir graphique ci-dessous) sont placés à destinations des entreprises. En outre, à l’instar de la Caisse des Dépôts et des Consignations, les assureurs sont usuellement considérés comme des investisseurs institutionnels de long terme favorisant ainsi le développement économique du pays.
A l’heure actuelle, les organismes d’assurance sont soumis au cadre prudentiel Solvabilité 1. Ce système, bâti dans les années 1970, encadre les placements des assureurs et détermine la marge de solvabilité uniquement à partir des cotisations encaissées et prestations réglées. Le montant de fonds propres minimal exigé n’est ainsi pas suffisamment adapté aux risques réellement encourus par les organismes (risques de marché, de contrepartie, de catastrophe …). C’est pourquoi, afin de combler ces lacunes, la Directive Solvabilité 2 votée par le Parlement Européen en 2009 et après de multiples péripéties doit entrer en application au 1er janvier 2016. L’objectif principal étant bien évidemment une protection renforcée des assurés ainsi que du système financier de l’Union Européenne.
1- La Directive Solvabilité 2
Sous ce nouveau régime prudentiel, l’évaluation de la solvabilité globale d’un organisme d’assurance s’est complexifiée et sophistiquée avec une vision économique. En effet, tous les risques inhérents à ce secteur d’activité sont voués à être pris en compte et quantifiés assez précisément à leur juste valeur. Ainsi, contrairement à Solvabilité 1, les risques liés à la souscription d’un contrat d’assurance habitation ne seront par exemple pas considérés comme identiques à ceux engendrés par un contrat d’assurance automobile.
Solvabilité 2 se décompose en trois grands piliers :
– le pilier 1 traite des exigences quantitatives c’est-à-dire du calcul des fonds propres économiques, du SCR (Solvency Capital Requirement – capital de solvabilité requis) et donc du ratio de solvabilité.
– le pilier 2 répond plutôt à des exigences qualitatives en lien avec la gouvernance, le Risk Management, le processus ORSA …
– le pilier 3 vise à une meilleure communication et information avec les autorités de contrôle et le public.
Pour être considéré comme solvable au sens de Solvabilité 2, tout organisme d’assurance doit présenter une exigence de capital (nommée SCR) inférieure à ses fonds propres économiques. Ce montant de capital cible est déterminé de telle sorte qu’il assure à chaque organisme d’assurance de faire face à ses engagements dans 99,5% des cas sur un horizon d’un an.
Le calcul du SCR, basé sur une approche RBC (Risk-Based Capital) inspirée du modèle Américain, répond à une architecture modulaire :
Source : EIOPA (matrice des modules et sous-modules), BSI Economics
Pour chaque sous-module et dans le cadre du recours à la formule standard, l’exigence de capital est calculée à l’aide d’un scénario prédéterminé au niveau européen. Ensuite, ces différentes exigences sont agrégées à l’aide de matrices de corrélation suivant deux niveaux d’agrégation entre les sous-modules et entre les modules. Ainsi, le SCR ne se résume pas à une simple addition de pénalités. Effectivement, les divers risques portés par un organisme d’assurance ne sont pas nécessairement liés et peuvent survenir à des moments différents. A titre d’illustration, une forte chute des marchés actions n’implique à priori pas des tempêtes / inondations engendrant de lourdes pertes financières pour les assureurs. La probabilité que ces deux évènements extrêmes se produisent sur une même période s’avère très limitée et bien inférieure à la somme des deux probabilités de survenance respectives. Par exemple, l’année 2010 a été marquée par une stagnation du CAC 40 et par une catastrophe naturelle de forte ampleur : la tempête Xynthia (coût d’environ 1,5 milliards d’euros pour les assureurs). En cas d’indépendance de deux risques entre eux, le calcul du montant de capital attendu revient à utiliser le théorème de Pythagore :
Dans l’exemple présenté ci-dessus, le montant global obtenu suite à l’agrégation de deux risques indépendants évalués respectivement à 400 M€ et 300 M€ serait de 500 M€ (soit environ 29% inférieur à la somme des deux risques égale à 700 M€).
Cet article faisant l’objet d’un focus sur l’impact de Solvabilité 2 sur le financement de l’économie, seul le SCR Marché (correspondant au capital requis pour faire face aux fluctuations de valeur de marché des placements de l’assureur) sera détaillé. Cependant, il convient de mettre en perspective ce montant puisqu’il doit être agrégé et diversifié avec les autres risques à proprement dits assurantiels (c’est-à-dire liés au passif de l’assureur).
Par exemple, pour un assureur non vie, le SCR Marché représente généralement une faible part du SCR global. A titre d’illustration, considérons que le SCR d’un organisme d’assurance non vie se décompose comme suit :
L’exigence de capital « nette » liée au risque de marché de cet assureur est égale à la variation de SCR engendrée par une disparition du risque de perte sur les placements et donc du SCR Marché.
Source : BSI Economics
Il en ressort que le SCR Marché, évalué individuellement à 150 M€, représente in fine dans le SCR global un montant d’environ 72 M€ soit légèrement moins de la moitié de sa valeur initiale ! Les effets de telle ou telle pénalité sur le SCR global et donc le ratio de solvabilité ne sont donc pas identifiables aisément de prime abord.
Le SCR Marché se décompose en plusieurs sous-modules de risques (taux d’intérêt, actions, immobilier, spread, change et concentration) comme présenté ci-dessous:
Dans le cadre du risque actions, la pénalité appliquée à la valeur de marché des actions en portefeuille (en ligne directe ou via des fonds) de « type 1 » c’est-à-dire cotées dans l’OCDE est de 39%. Suivant le cycle boursier, les différents chocs peuvent varier dans un intervalle de plus ou moins 10 points et sont donc compris entre 29% et 49%. En effet, si le marché est en « haut de cycle », la probabilité de baisse est vraisemblablement plus forte, et inversement quand le marché est en « bas de cycle ».
Les actions n’étant pas de « type 1 » sont quant à elles appelées de « type 2 » et pénalisées à hauteur de 49% avec également un ajustement symétrique. Cependant, les fonds de capital risque et d’investissements alternatifs qui sont les instruments qui financent le plus l’économie réelle peuvent être pénalisés à 39% (et non 49%) ce qui limite les effets sur la solvabilité de l’organisme assureur détenteur de tels placements.
Il est également possible sous certaines conditions et après accord du régulateur de recourir à une pénalité amoindrie à 22% pour les actions.
Afin de lisser les impacts de Solvabilité 2 sur plusieurs années, une mesure transitoire prévoit pour le stock d’actions en portefeuille au 31/12/2015 d’être progressivement chargé de 22 % à 39 /49 % sur 7 ans. De plus, étant donné les nombreux rebondissements auxquels on a pu assister depuis 2009 et le vote de la Directive Solvabilité 2, il n’apparaît pas improbable que des négociations aboutissent encore à une modification de ces pénalités.
Le SCR Change consiste à pénaliser à hauteur de 25% les placements détenus hors de la zone Euro. Ainsi, on peut légitiment s’attendre à une concentration des placements des assureurs en zone Euro. Une hausse ou à minima une stagnation des investissements en France est donc fortement prévisible.
Au sein même du SCR Actions, un phénomène de diversification intervient entre les actions de « type 1 » et celles de « type 2 ». En outre, les divers risques de marché (taux, action, spread, immobilier, change et concentration) sont également diversifiés dans le SCR Marché engendrant ainsi une diminution notable des pénalités « brutes » sur les actions. In fine, bien qu’à première vue un choc « brut » de 39% est appliqué aux actions (cotées dans l’OCDE), nous venons de voir qu’en réalité la pénalité nette peut-être bien moindre : dans l’exemple fictif présenté précédemment elle s’élève à seulement 20% soit une diminution du choc d’environ 50% !
De plus, afin de répondre aux problématiques liées aux nouvelles exigences prudentielles, les gestionnaires d’actifs des assureurs créent des fonds complexes afin de maximiser le rapport rentabilité / coût en capital. Le recours à des outils de couverture (option de vente, CDS, Swap, …) permet en effet de limiter l’impact d’une éventuelle baisse de la valeur de marché de certains actifs (actions, obligations, produits de taux …). A titre d’illustration, acheter un Credit Default Swap (CDS) sur les marchés financiers permet à l’assureur de se couvrir contre les conséquences financières d’une dépréciation du sous-jacent (obligation) suite à une détérioration de la qualité de crédit de l’émetteur d’où une pénalisation moindre des obligations ainsi couvertes. De manière similaire, un assureur peut également se protéger contre le risque d’une baisse des actions à l’aide d’options de vente. Pour toute action détenue, une option de vente sur ce même sous-jacent peut-être achetée limitant ainsi le risque de perte globale. Effectivement, en cas de baisse de la valeur de marché de l’action, l’option de vente verra son cours augmenter d’où une dépréciation du portefeuille (action, option) amoindrie. Ce mécanisme présente l’intérêt de profiter des hausses de marché tout en limitant les pertes en cas de scénario baissier extrême. Selon certains professionnels, ce type de montage financier pourrait permettre une diminution de la pénalité action (type 1) à 25% soit l’équivalent d’une pénalité appliquée à une obligation BBB de maturité 10-15 ans.
Enfin, investir dans les actions usuellement davantage rémunératrices que les autres placements est source de résultats financiers plus importants sur le long terme qui peuvent être incorporés en fonds propres d’où une solvabilité future de l’organisme renforcée.
2- Le comportement historique des assureurs vis-à-vis de ce nouveau régime prudentiel
A fin 2012, les placements des assureurs vie représentaient environ 90% du total des placements des assureurs (vie et non vie). Ainsi, le comportement des organismes d’assurance est très dépendant de celui des … ménages ! En effet, si par exemple ces derniers rachètent massivement leurs contrats d’assurance vie en unités de compte (composés en 2012 en moyenne de 28,6% d’actions contre 7,7% pour les fonds en euros), les assureurs devront mécaniquement vendre les placements correspondants, dont une part importante investie en actions, à ces contrats d’où une diminution inéluctable des investissements des assureurs en actions.
De plus, comme tout investisseur, les assureurs mettent en place des stratégies d’allocations d’actifs et sont à la recherche de performances optimales sans pour autant négliger les impacts actifs/passifs. Ainsi, en cas de crise boursière, ils essaieront de limiter leurs pertes à travers par exemple des cessions d’actions. Leur comportement tout comme celui des épargnants est ainsi fortement influencé par l’environnement macro-économique.
Les impacts de Solvabilité 2 sur les assureurs ne sont pas uniformes puisque très différents selon la taille, le statut juridique (mutuelle, institution de prévoyance, société d’assurance), la branche d’activité (la part des placements investis en actions était de 10.4% pour les assureurs vie contre 27,7% à fin 2012), les niveaux de fonds propres, la stratégie et l’appétence aux risques des dirigeants des organismes d’assurance. Afin d’évaluer les conséquences de cette directive sur l’économie française, il apparaît ainsi nécessaire d’analyser ses impacts sur le marché de l’assurance en général et non sur des organismes assureurs en particulier.
Les chiffres présentés dans le graphique ci-dessous sont issus de diverses études de la FFSA et du GEMA. Ils présentent l’évolution de la part des placements alloués par les assureurs français au financement des entreprises. Ils sont mis en parallèle avec les changements de pénalités appliquées aux actions dans le cadre des exercices préparatoires à Solvabilité 2.
Source : BSI Economics
Evolution du choc actions au fil de la préparation à l’application de la Directive Solvabilité 2 :
* : les pénalités actions retenues dans le cadre des exercices préparatoires au 31/12/2010 et 31/12/2012 sont de 39% avec prise en compte d’un effet « dampener ».
Les mesures transitoires visant à accroître progressivement le choc action de 22% (pénalité appliquée en 2016) à 39% (pénalité appliquée à partir de 2023) ont été ajoutées en 2012 et sont toujours d’actualité.
Historiquement, la proportion que représentent les actions dans les placements des assureurs s’avère être principalement fonction de l’environnement macro-économique (périodes d’euphorie ou de crise financière) et non prudentiel. Les impacts de l’évolution des pénalités appliquées aux actions dans le cadre de la réforme prudentielle Solvabilité 2 apparaissent d’un point de vue macro être relativement limités. En effet, la mise en place d’une pénalité appliquée aux actions de 40% n’a pas engendré de désinvestissement. La forte diminution (d’environ 25%) observée de la part d’actions entre 2007 et 2008 s’explique grandement par la crise financière puisque les chocs actions sont restés constants entre ces deux années.
De plus, entre 2005 et 2013, les assureurs ont renforcé leur rôle de financeur de l’économie. En effet, en dépit de la mise en place de Solvabilité 2, la part des placements alloués au financement des entreprises (actions et obligations) a crû de façon sensiblement linéaire (en omettant les périodes de bulle et de crise financière) : elle a varié de 49% en 2005 à 55% en 2013.
Ces dernières années, les assureurs se distinguent par un recentrage de leurs investissements sur la France ce qui apparaît bénéfique pour le financement de l’économie nationale. Effectivement, à fin 2012, 45,4 % du total des placements des assureurs était investi dans des titres émis par des résidents, contre 35,9 % en 2008. Les principaux bénéficiaires de ce phénomène de concentration des placements sont les institutions financières, et dans une moindre mesure l’Etat et les autres administrations publiques. La part allouée aux sociétés non financières a légèrement décru durant cette période. Nonobstant, en investissant dans les sociétés financières, les assureurs ont vraisemblablement contribué indirectement au financement des sociétés non financières.
L’achat par les assureurs et la détention d’actions très liquides de sociétés internationales du type celles composant le CAC 40 présentent vraisemblablement des bienfaits limités sur le financement de l’économie française. En effet, ces entreprises mondialisées disposent d’une aura à travers le monde et d’équipes spécialisées dans les relations avec les investisseurs ce qui associé à une finance très internationalisée facilitent leur financement. A titre d’illustration, d’après une étude du cabinet Alphavalue, la part d’investisseurs étrangers dans le CAC 40 est passée de 41% en 2007 à un peu plus de 50% en 2014 sans que cela n’ait engendré d’importantes difficultés de financement pour les sociétés de l’indice vedette Parisien.
Le rôle des assureurs dans le financement des entreprises de taille plus modeste apparaît bien plus important et vitale pour l’économie française en particulier dans le cadre d’opérations de capital-risque, capital-développement ou capital-retournement. Dans le domaine du capital investissement, comme l’indique le graphique ci-dessous, après quatre années très moroses post-crise financière de 2008, un fort accroissement de l’investissement des mutuelles et compagnies d’assurance a été observé en 2013. Cette progression s’explique en partie par une levée de fonds exceptionnelle l’année dernière. Cependant, ce caractère à priori conjoncturel pourrait perdurer puisque par exemple un très grand assureur français s’est déclaré prêt à investir environ 4,8 milliards d’euros dans le private-equity entre 2014 et 2018. De même de nombreux assureurs ont dernièrement annoncé leur volonté d’accroître leurs investissements dans cette catégorie d’actifs. Enfin, comme l’indique l’Argus de l’Assurance, « à fin 2013, les assureurs français avaient investi 46,6 Md€ dans les PME (37,2 Md€ en capital, 6,4 Md€ sous forme de dette et 3 Md€ via BPI France), contre 22 Md€ à fin 2009 », preuve de l’attrait actuel des assureurs envers les petites entreprises.
Sources : BSI Economics, « Activité du capital investissement en 2013 », AFIC et Grant
Afin de diversifier leur portefeuille et d’accroître les rendements, les assureurs s’intéressent de plus en plus à des « investissements alternatifs ». A titre d’illustration, un grand assureur mondial a investi plus de deux milliards d’euros dans les énergies renouvelables en particulier en France. Les assureurs sont également de plus en plus attirés par le financement d’infrastructures, décorrélés partiellement des marchés financiers et favorisant la croissance de l’économie. En effet, selon Standard and Poor’s, les obligations cotées de projets d’infrastructure procurent un rendement attractif de 4% à 5% (contre moins de 3% pour les obligations souveraines à notation identique). Ces projets apparaissent aussi relativement sûrs puisque selon cette même agence de notation le taux de défaut sur ce type d’investissement est significativement inférieur à celui des obligations d’entreprises. Le taux de recouvrement est également élevé (75% environ).
De plus, suite à la réforme de l’assurance vie en 2013, la création des contrats « vie-génération » devrait accroître substantiellement les investissements des assureurs dans les PME ou ETI. En effet, à condition d’investir au minimum un tiers des fonds dans de telles entreprises (ou dans le logement social ou dans des entreprises de l’économie sociale et solidaires), des avantages fiscaux supplémentaires sont accordés au bénéficiaire en cas de décès de l’assuré.
En outre, les nouveaux contrats d’assurance vie « euro-croissance », visant à encourager les épargnants à participer au financement des entreprises, promettent une rentabilité moyenne supérieure au fonds en euros avec une garantie en capital après huit ans de détention. Ainsi, en cas d’adhésion des Français à ce nouveau type d’assurance vie, à mi-chemin entre les contrats en euros et les contrats en unités de compte, les assureurs devraient mécaniquement accroître leurs investissements en actions ou prêts / obligations à destination des entreprises aux rendements espérés supérieurs aux obligations souveraines.
Le succès de ces nouveaux contrats devrait être facilité par une baisse non négligeable des taux servis par les fonds en euros. En effet, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, s’est récemment déclaré favorable à une diminution significative des taux de rémunération des contrats d’assurance vie (fonds en euros). Compte tenu du contexte de taux bas actuels et de l’importante collecte en assurance vie ces derniers temps, les assureurs achètent des obligations à des taux très faibles avec des maturités relativement longues. Ainsi, en cas de remontée rapide des taux, les rendements proposés par les fonds en euros des assureurs vie seraient peu compétitifs impliquant vraisemblablement des rachats massifs de la part des épargnants. Les assureurs vie seraient alors contraints de vendre des obligations en moins-values latentes engendrant de lourdes pertes pouvant menacer leur solvabilité. Pour éviter un tel scénario catastrophe, il leur est ainsi indispensable d’accroître la rentabilité de leurs placements en se tournant par exemple vers des actifs présentant de meilleurs rendements tels que les actions ou obligations d’entreprise finançant davantage l’économie que les obligations souveraines.
En conséquence, Solvabilité 2 apparaît comme une composante influant sur l’allocation d’actif des assureurs mais doit être fortement relativisée face aux nombreux autres importants défis et évolutions règlementaires auxquels ces organismes sont également confrontés.
La principale problématique engendrée par l’entrée en vigueur de cette Directive ne porte pas sur le financement de l’économie mais plutôt sur le caractère, rendu par cette réforme, pro-cyclique des assureurs. Effectivement, la valorisation des actifs en valeur de marché (les actifs et passifs des assureurs sont beaucoup plus longs) retenue par cette nouvelle règlementation contraindront vraisemblablement les assureurs à vendre leurs placements en cas de crise financière d’où une baisse davantage prononcée des marchés financiers engendrant des ventes d’actifs supplémentaires et ainsi de suite … Or, les comportements des assureurs étaient historiquement réputés comme contra-cycliques (c’est-à-dire de manière schématique ils achetaient des actifs fortement dépréciés lors des crises en bas de cycle ou évitaient de vendre leurs placements en moins-values latentes) amortissant ainsi les crises financières. Ce double effet (perte du comportement contra-cyclique au profit d’un comportement pro-cyclique) apparaît comme un facteur inquiétant pouvant aggraver substantiellement les crises financières futures. Par ailleurs, ces nouvelles méthodologies engendreront une forte volatilité des fonds propres économiques des organismes d’assurance et donc de leur ratio de solvabilité aggravant ainsi le risque systémique.
Conclusion
L’impact de la Directive Solvabilité 2 sur le financement de l’économie française semble relativement limité. En effet, les exigences de capital pour des investissements en actions, bien qu’apparaissant à priori importantes, s’avèrent en réalité in fine bien moindres. En effet, la structure modulaire de calcul du SCR présente l’intérêt de faire émerger de notables gains de diversification. De plus, il existe des techniques financières abaissant les pénalités appliquées aux actions à travers par exemple l’achat d’options de vente. En outre, l’application de Solvabilité 2 est graduelle avec en particulier une mesure transitoire s’appliquant aux actions visant à lisser les impacts de cette Directive sur la solvabilité des assureurs. Enfin, les chocs retenus dans le cadre de la formule standard ne doivent pas être considérées comme figés dans le marbre. Effectivement, des négociations et ajustements sur certains points problématiques de la réforme sont tout à fait envisageables dans les années futures (comme par exemple afin de limiter les distorsions de concurrence entre les fonds de pensions soumis à la Directive IORP et les organismes d’assurance relevant du champ d’application de Solvabilité 2).
Enfin, il apparait très difficile d’établir empiriquement un lien direct entre Solvabilité 2 et désinvestissement en actions. Le comportement des assureurs en matière d’allocation d’actifs résulte en effet de diverses composantes et n’est pas uniquement guidé par la Directive. A titre d’illustration, l’évolution des politiques de gestion d’actifs des assureurs depuis les premières prémices de Solvabilité 2 s’explique vraisemblablement davantage par l’environnement macro-économique, les conditions de marché et les comportements des ménages (assurance vie) que par les exigences prudentielles. De plus, à l’heure actuelle, outre ces différents éléments, interviennent de nombreux autres phénomènes prépondérant tels que la baisse de rendements des obligations souveraines, l’évolution de la législation nationale, les initiatives de place visant à développer les financements à destination des PME/ETI, les stratégies propres à chaque organisme … Par exemple, les récentes réformes de l’assurance vie encourageront vraisemblablement les ménages à investir dans des produits (euro-croissance, vie-génération) davantage financeurs de l’économie que les fonds en euros. Cela se traduira alors mécaniquement par un accroissement des investissements des assureurs dans les entreprises.
Bibliographie :
Nombreux articles de presse publiés par L’Argus de l’Assurance
Rapports annuels de la FFSA
Diverses publications de la Banque de France et de l’ACPR
EIOPA
« Activité du capital investissement en 2013 », AFIC
« Les conséquences de Solvabilité II sur le financement des entreprises », Anne Guillaumat de Blignieres et Jean-Pierre Milanesi (février 2014), Les éditions des JOURNAUX OFFICIELS