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Minute BSI « Comment expliquer les divergences entre les politiques monétaires des 3 principales banques centrales ? » (Interview)

Sébastien Cabrol, économiste chez BSI Economics, répond à plusieurs questions portant sur la désynchronisation des politiques monétaires des principales banques centrales.

 

 

 

Alors que la Federal Reserve américaine (Fed) continue d’accélérer le rythme de son resserrement monétaire en annonçant, en juin 2022, une troisième hausse consécutive de son taux directeur et a d’ores et déjà commencé à réduire la taille de son bilan, la Banque Centrale Européenne (BCE) en est encore à l’heure des annonces et la Banque du Japon (BoJ) vient, pour sa part, de confirmer le maintien de sa posture accommodante. Comment expliquer ces divergences dans la politique monétaire menée par les 3 principales banques centrales ?

Ces divergences s’expliquent essentiellement par les différents risques et contraintes auxquels sont soumises les banques centrales dans l’environnement « post crise du covid-19 ». Face à cette dernière crise, les autorités monétaires ont réagi avec une grande célérité, en employant des moyens significatifs et de façon synchronisée. En particulier, en soutenant directement (via les programmes d’achats d’actifs sur le marché secondaire) les capacités de financement des Etats et leur politique du « quoiqu’il en coute », les banquiers centraux ont contribué à apporter un soutien immédiat et massif aux agents économiques et aux marchés financiers.

Cependant, l’accélération de l’inflation observée globalement depuis 2021 est de nature à contraindre les autorités monétaires à faire un choix entre deux objectifs qui supposent des moyens d’action contradictoires. En effet, la lutte contre l’inflation nécessite un durcissement monétaire alors que le soutien au système économique et financier suppose, en principe, une politique accommodante.

Toutefois, les risques et contraintes exercées ne sont pas semblables pour la Fed, la BCE et la BoJ.

Ainsi, face à l’accélération de la hausse des prix globalement observée dans le monde :

  • la Fed affiche sa détermination et joint les actes à la parole,
  • la BCE réagit avec retard et avec une marge de manœuvre moindre du fait d’une situation économique et surtout financière moins favorable,
  • la BoJ maintient sa politique accommodante en l’absence, pour l’instant, d’une forte hausse de l’inflation au Japon.

 

Comment expliquer le durcissement relativement soudain, en 2022, de la politique monétaire américaine à la suite d’une année 2021 où la Fed a tardé à réagir ?

Aux Etats-Unis, le dynamisme économique et les tensions sur le marché de l’emploi (3,6 % de taux de chômage) se traduisent notamment par une hausse des salaires supérieure à 10 % en rythme annuel (avril 2022) alors que l’inflation s’est établie à 8,6 % en mai dernier. Face à cette accélération de la hausse des prix, le moral des consommateurs s’effondre (l’indicateur de confiance des consommateurs de l’Université du Michigan a atteint un niveau historiquement bas en juin 2022) alors que la hausse des coûts (prix à la production en hausse de 10 % sur un an) est de nature à dégrader la marge des entreprises. Les consommateurs et les entreprises cherchant à reconstituer respectivement leur niveau de revenu et de marge en termes réels, la menace d’une inflation durablement et structurellement élevée via la boucle « prix-salaire » a conduit la Fed à réagir et à abandonner la posture attentiste de 2021 (ainsi que la croyance en une accélération « transitoire » de l’inflation).

En conséquence, la banque centrale américaine a entrepris de relever ses taux directeurs (la cible du federal funds rate – principal taux directeur – s’établie entre 1,5 % et 1,75 % depuis le 15 juin, soit une hausse de 150 points de base depuis mars 2022) et a entamé la réduction de son bilan depuis le 1er juin.  Le rythme du durcissement monétaire pourrait encore s’accélérer d’ici la fin de l’année. En agissant ainsi, la Fed affiche sa détermination, quitte à provoquer des perturbations sur les marchés financiers et un ralentissement économique qui viendrait refroidir un marché de l’emploi en surchauffe.

 

La BCE apparait en retard dans son cycle de durcissement monétaire et peut-être moins déterminée que la Fed. Pourquoi ?

Confrontée à un niveau d’inflation très proche (8,1 % en mai 2022), la zone euro apparait moins avancée dans le cycle économique. Cela se traduit notamment par un marché du travail qui, bien que bénéficiant d’un taux de chômage au plus bas depuis la création de l’euro (6,8 %), n’apparait pas en surchauffe comme cela est le cas outre-Atlantique. La pression sur les salaires n’est donc pas aussi forte. En revanche, les coûts de production des entreprises subissent une forte augmentation (supérieure à 35 % sur un an en avril dernier) due à la hausse du prix des matières premières, aux pénuries de biens intermédiaires et à la faiblesse de l’euro (en baisse de près de 15 % sur un an). Cette situation réduit l’opportunité d’un resserrement monétaire en Europe du fait d’une économie plus fragile dont la capacité de résilience, face notamment à un durcissement des conditions monétaires, apparait moindre.

Par ailleurs, la BCE cherche à éviter de provoquer une crise financière qui serait une conséquence directe d’une fragmentation de la zone euro. La perspective d’un resserrement monétaire et d’un retrait du soutien apporté aux Etats (via notamment la fin prévue, le 1er juillet, du programme d’achats d’actifs « APP » constitués principalement de titres de dettes souveraines), a entrainé, depuis le début de l’année, une hausse des taux d’intérêt souverains, frappant de façon plus aigüe les pays les plus fragiles et les plus endettés (en particulier Grèce, Italie, Espagne). Pour éviter que ces derniers ne rencontrent des difficultés de financement susceptibles de menacer la stabilité financière de la zone euro (comme ce fut le cas au début des années 2010 avec la crise grecque), la BCE devra certainement limiter son resserrement monétaire et envisage, dès à présent, de prolonger son soutien aux Etats les plus fragiles via des outils d’intervention qui restent à définir.

Limitée par une situation économique et financière moins favorable en zone euro,  la BCE a donc moins de marge de manœuvre que son homologue américaine et n’est pas en mesure d’agir aussi fermement.

 

Comment expliquer que la BoJ puisse poursuivre sa politique accommodante à contre-courant de la plupart des autres banques centrales de pays développés ?

Les autorités monétaires japonaises ont confirmé maintenir leur politique accommodante à la suite de leur dernier comité de politique monétaire de juin. Le taux directeur principal reste donc négatif à -0,1 % et le programme d’achats d’actifs, visant à conserver les taux d’intérêt souverains à 10 ans autour de 0 %, est maintenu. Alors que les niveaux d’inflation et d’accroissement des salaires restent modérés au pays du soleil levant (respectivement 2,5 % et 1,7 % en avril 2022), la BoJ souhaite préserver des conditions de financement favorables destinées à soutenir une croissance économique qui devrait rester modérée (1,7 % attendue en 2022 selon le rapport de la Banque Mondiale de juin 2022).

En dépit d’un bilan rapporté au PIB qui dépasse les 130 %, la banque centrale japonaise n’a pas été, jusqu’ici, rattrapée par la contrainte économique d’une inflation élevée frappant les biens et services de consommation. Elle peut donc se permettre de poursuivre son effort de soutien auprès de l’Etat et du système économique et financier nippon dans son ensemble.

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