Résumé :
– Les aides sont réorientées du soutien au prix vers le soutien au revenu.
– L’organisation repose sur deux piliers : le soutien au revenu et le développement rural.
– 2015 devrait être l’année du renforcement du développement rural et durable, de l’augmentation de la conditionnalité et des aides couplés.
– Les agriculteurs n’adhèrent plus à la politique.
Les deux articles précédents ont montré que l’organisation initiale de la PAC diffère beaucoup celle d’aujourd’hui. Il reste quelques reliquats des débuts de la politique, mais les critiques internationales et surtout le dérapage des finances ont obligé l’Union à réorienter les aides du soutien des prix vers le soutien des revenus des agriculteurs.
La conception de la PAC se rapproche donc de la politique agricole américaine en découplant les aides versées aux agriculteurs pour leur production. Ainsi, petit à petit depuis la réforme de 1992, l’Union verse des aides directes aux agriculteurs pour leur permettre d’avoir un revenu descend tout en vendant leur production au prix du marché.
Le terme de « découplage », signifie que ces aides directes sont versées selon la surface de l’exploitation ou selon le nombre de bestiaux, mais indépendamment de la nature et du niveau de production. Cette décision est fut prise car les subventions conditionnées au niveau de production avantageaient largement les grandes exploitations, déjà dans une situation enviable face à la concurrence. Néanmoins, certaines aides sont encore couplées pour éviter la disparition de certains pans de l’agriculture.
Ces réformes portent rapidement leurs fruits puisque la PAC passe de 70% du budget de l’Union en 1980 à environ 50% depuis 2000 [1].
Organisation en « pilier »
La PAC s’organise en deux piliers depuis la réforme de l’Agenda 2000. Depuis 2007, le FEOGA-Garantie, qui finançait le premier pilier et le FEOGA-Orientation qui finançait le second pilier sont remplacés respectivement par le Fond Européen Agricole de Garantie (FEAGA) et le Fond Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER).
Le premier pilier vise à distribuer les aides aux agriculteurs. Comme nous l’avons dit plus haut, ces aides sont dorénavant principalement directes et servent à garantir un revenu minimal aux agriculteurs malgré les prix obtenus pour leur production. Ces aides sont soumises au principe de conditionnalité, c’est-à-dire aux respects de normes de production, soucieuses de l’environnement et du bien-être des animaux.
Le second pilier concerne l’ensemble des politiques de développement rurales. Les élargissements successifs, et ceux à venir obligent les gouvernements et l’Europe à anticiper rapidement la gestion des infrastructures agricoles. L’équipement des exploitations est totalement productif si et seulement si les infrastructures de transports et de stockages permettent un accès rapide aux marchés.
Le second pilier prend de plus en plus d’importance dans la conception de la PAC car il vise, en plus, au développement du dynamisme rural. C’est une nouvelle orientation de la PAC qui montre que sa mue est toujours en cours. Nous y reviendrons ci-après.
Le traité de Lisbonne (2009)
Il est important de noter que le traité de Lisbonne, mis en place en 2009, prévoit que l’agriculture passe dans le domaine de compétence partagée entre l’Union et les États là où elle relevait exclusivement de la compétence de l’Union. De plus, les questions agricoles sont soumises à la procédure législative ordinaire, ce qui renforce grandement le rôle du Parlement européen.
La compétence partagée permet aux États de prendre des décisions dans le domaine en question si l’Europe n’en a pas prise avant, alors que la compétence exclusive permettait à l’Union d’être la seule à pouvoir prendre des décisions [2].
La procédure législative ordinaire permet au Parlement de faire partie intégrante de la décision alors que la procédure de consultation (qui était appliquée aux questions agricoles) n’obligeait pas le Conseil à les adopter.
Réforme de 2015
Les réformes de la PAC sont nombreuses et de plus en plus rapprochées. Ceci est le résultat de deux éléments : la nécessité d’une progressivité dans la mise en place des systèmes de financement, et la réorientation vers une politique plus juste et plus soucieuse de l’environnement.
La réforme, conclue en 2013 et mise en place en 2015, prévoit le financement de la politique de 2014 à 2020 avec un budget global en recul de 3,5% par rapport aux années précédentes [3]. Il représente en effet 38% du budget total de l’Union (soit environ 360 milliards d’euros – prix constant 2011) [4]. Mais le cœur de la réforme concerne l’équité du système et le développement rural.
L’accueil des nouveaux États membres dans l’Union a provoqué des inégalités de financement car les pays les plus anciens de la communauté ont fait en sorte de capter une part importante du budget sur des critères n’intégrants pas totalement l’élargissement. Il est ainsi nécessaire de d’augmenter la « convergence externe », de même que la « convergence interne » (c’est-à-dire de diminuer les inégalités entre les agriculteurs). En effet, bien que ces dernières aient été partiellement résorbées grâce au découplage des aides, certains agriculteurs restent défavorisés par rapport à d’autres. Des incitations financières à l’installation sont mises en place de même qu’une prime sur les 52 premiers hectares, dans le but de favoriser les petites exploitations.
La nouvelle PAC renforce aussi la conditionnalité de ses aides directes à la mise en place de mesures de verdissement tout en gardant les conditions de production préservant l’environnement et contribuant significativement à la lutte contre le changement climatique.
Notons que les aides couplés augmentent de 10 à 15% du budget du premier pilier [5]. Cette décision est significative car, loin de remettre en cause l’orientation de la gestion des prix par le marché, elle va tout de même dans le sens inverse. L’augmentation de ces aides concernera principalement la production animale.
Pourquoi les agriculteurs sont mécontents ?
En 2014, plusieurs manifestations ont été organisées par des collectifs agricoles pour montrer le mécontentement des agriculteurs face à la nouvelle réforme de la PAC. Au travers de ces trois articles, nous avons montré que l’Union a fait des efforts considérables envers les agriculteurs depuis le début des années soixante. Le budget 2014-2020 de la PAC représente 38% du budget total de l’Union alors que les agriculteurs ne représentent que 4,8% de l’emploi total de l’Union en 2013 [6]. L’agriculture européenne est une des plus équipées et productives au monde. Dans ce contexte, il est légitime de se demander pourquoi les agriculteurs ne semblent pas en être contents.
Tout d’abord, il faut insister sur le fait que la mise en place de la PAC est très complexe. La gestion administrative qu’entraîne la demande d’aide est extrêmement importante, et les agriculteurs ne sont pas forcément formés pour gérer une comptabilité qui devient de plus en plus importante. De plus, ils n’ont pas les moyens d’embaucher des employés pour gérer l’administration de leur exploitation.
A cette complexification, il faut ajouter les changements réguliers. Ceci est un argument qui dépasse de loin l’agriculture : l’économie aime la constance et la clarté. Plus il y a de changement, plus il y a de cacophonie, et moins l’économie est performante.
Ceci entraîne un autre problème important : le changement des normes de production et la mise en place de la conditionnalité rendent obsolètes des investissements parfois récents et implique de réinvestir. Seulement les aides données ne permettent pas de renouveler le capital à chaque période.
Enfin, il semble important de rappeler que l’agriculture est un secteur de production extrêmement risqué puisque soumis aux aléas climatiques. Les prix de marché peuvent donc varier extrêmement rapidement. Ceci ajouté au fait que l’industrie agroalimentaire souffre d’un manque important de concurrence, provoque une asymétrie des pouvoirs de marché entre les producteurs et les acquéreurs de biens agricoles.
Conclusion
Depuis ses débuts, la PAC a fortement évolué dans le but de maintenir un équilibre financier et de respecter les accords de libre-échange au sein de l’OMC. Ainsi, elle est passée d’un système de soutien des prix, à un système de soutien des revenus des agriculteurs.
L’application de cette politique est complexe et très critiquée, particulièrement son côté inégal puisque les grandes exploitations obtenaient d’importantes subventions. Ce problème est pris en compte dans la réforme de 2015. De plus, elle initie un nouvel objectif de la PAC : le développement rural. Ainsi, l’Union élargit les compétences de la politique à l’ensemble du tissu rural dans le but de dynamiser ces régions.
Néanmoins, si ces nouvelles orientations semblent intéressantes, les agriculteurs restent souvent mécontents de ces décisions qui impliquent pour eux de nouveaux investissements pour leur permettre de garder le montant de leurs aides.
Notes:
[2] Site d’Europa
[3] http://www.normandie.chambagri.fr/pac_2014/reglement-commission.pdf
[4]http://ec.europa.eu/agriculture/policy-perspectives/policy-briefs/05_fr.pdf
[5] http://www.lafranceagricole.fr/var/gfa/storage/fichiers-pdf/Docs/2013/CSO-final.pdf
[6] Insee, Eurostat
[+] http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-631_fr.htm