Résumé :
– Un conflit armé à l’est de l’Ukraine entre séparatistes pro-russes et armée régulière ukrainienne ainsi qu’un bras de fer diplomatique entre Russie et Occident sont en cours.
– La Russie connaît une période difficile avec une croissance en berne ainsi qu’une inflation élevée et le conflit actuel devrait amplifier ces tendances négatives.
– L’adoption par l’Occident de sanctions économiques à l’égard de la Russie et l’embargo russe sur les produits alimentaires occidentaux risquent de peser davantage sur la Russie que sur les Etats-Unis et l’Union européenne.
– De nombreux pays émergents, Amérique Latine en tête, devraient profiter de l’embargo russe pour capter des parts de marché laissées vacantes par l’Union européenne.
Même si les racines de la crise actuelle qui oppose l’Ukraine à la Russie sont plus profondes et plus lointaines, nous pouvons nous accorder à dire que cette crise prend des proportions internationales à partir du 22 février 2014, date à laquelle le président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovytch est destitué. Cette destitution intervient au moment où de nombreuses manifestations pro-européennes (Euromaïdan) ont été sévèrement réprimandées par le pouvoir alors en place. La Russie considère le nouveau gouvernement ukrainien illégitime et des troupes paramilitaires pro-russes commencent à occuper la Crimée et l’est de l’Ukraine ; l’armée fédérale russe allant même jusqu’à déployer des troupes près de la frontière ukrainienne. Le 18 mars 2014, le gouvernement russe annonce que la République de Crimée et la ville de Sébastopol appartiennent désormais à la Fédération de Russie.
L’Occident, majoritairement représenté par les Etats-Unis et l’Union européenne, accuse la Russie de violer le droit international ainsi que la souveraineté ukrainienne. S’engagent alors un conflit armé à l’est de l’Ukraine entre séparatistes pro-russes et armée régulière ukrainienne ainsi qu’un bras de fer diplomatique entre Russie et Occident.
Plusieurs questions se posent alors. (i) Une solution diplomatique est-elle en passe d’être trouvée ? (ii) Qui de la Russie ou de l’Occident sera le plus impacté par cet amoncellement de sanctions, d’embargo et de boycotts ? (iii) Quels sont les pays qui devraient profiter de cet imbroglio international ?
Les atermoiements diplomatiques n’en finissent pas !
A l’issue de la dernière réunion quadripartite qui se tenait à Berlin le 17 août 2014, aucun accord de cessez-le-feu ni même d’avancée diplomatique n’ont été obtenus. Les chefs de la diplomatie russe, ukrainienne, française et allemande ont parlé de « la situation en Ukraine dans tous ses aspects en accordant une attention particulière aux tâches visant à mettre fin aux actions militaires […] et à créer les conditions permettant d’entamer le processus de règlement politique le plus vite possible ». Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov prône un cessez-le-feu sans condition alors que dans le même temps, son homologue ukrainien Pavlo Klimkine continue de poser des conditions comme celle d’assurer l’impénétrabilité de la frontière russo-ukrainienne.
De plus, l’obtention d’un cessez-le-feu, même temporaire, dans l’est de l’Ukraine pourrait permettre à la Russie d’y acheminer des convois d’aide humanitaire actuellement en attente à la frontière russo-ukrainienne (bien que certains commencent à être acheminés sur place). En effet, depuis que les combats se sont intensifiés, les populations locales souffrent de pénuries, notamment concernant des biens de première nécessité comme l’eau, la nourriture ou encore les médicaments. Il apparaît donc que de nombreuses et longues discussions sont encore à prévoir afin d’aboutir à un cessez-le feu ainsi qu’à une solution diplomatique.
Qu’en est-il de l’impact économique des sanctions internationales occidentales à l’égard de la Russie et de l’embargo russe à l’encontre de l’Occident ?
L’économie russe pourrait être plus impactée que celles de l’Europe et des Etats-Unis…
Tandis que la Russie connaît une période difficile avec une croissance en berne (+1,3% en 2013 et des prévisions pour 2014 encore moins flatteuses oscillant entre +0,2% pour le FMI et +0,5% pour le consensus Bloomberg) ainsi qu’une inflation élevée (+7,5% en juillet en glissement annuel), l’Occident a adopté des séries de sanctions économiques contre la Russie pour son implication dans la crise ukrainienne. Après avoir procédé à des sanctions symboliques comme l’éviction de la Russie du G8, des sanctions plus ciblées ont été décidées par les Etats-Unis et l’Union européenne. Aux personnalités russes dont l’entrée sur le territoire des pays occidentaux a été interdite et dont les avoirs en Occident ont été gelés, s’ajoutent des sanctions à l’encontre des entreprises russes. Certaines de ces sanctions visent les secteurs stratégiques de la défense, de la banque et de l’énergie. Les entreprises ciblées se voient interdites d’emprunt sur les marchés financiers occidentaux. Les conséquences de ces sanctions ne se feront probablement pas ressentir tout de suite, mais elles pourront mettre à mal le (re)financement et l’investissement des entreprises russes à moyen et long termes. En effet, rien que pour le secteur bancaire, la dette s’élève à plus de 560 Milliards €. De plus, ces sanctions devraient amplifier la dynamique de retraits massifs de capitaux déjà à l’œuvre en Russie (près de 60 Milliards € ont déjà quitté le pays rien qu’au 1er semestre 2014).
En représailles aux sanctions occidentales à son encontre, la Russie a décrété un embargo sur les produits agroalimentaires (cf. section suivante pour davantage de détails). La Russie étant un grand importateur, l’embargo pourrait avoir un effet inflationniste sur les prix des denrées alimentaires et ce sont donc les consommateurs russes les plus pauvres qui pourraient voir leur pouvoir d’achat amputé. Concernant l’Occident, et plus particulièrement l’Union européenne, l’embargo pourrait bien engorger le marché européen et exercer des pressions baissières sur les prix des denrées alimentaires touchées par la sanction, alors même que la zone euro est en proie à des pressions déflationnistes importantes (l’inflation est au plus bas à +0,4% en juillet en glissement annuel). Cependant, cet effet pourrait être de courte durée et de faible ampleur sur l’inflation totale.
Cependant, même si l’embargo russe devrait avoir un « impact plutôt faible » sur le secteur agroalimentaire européen selon les ministres de l’Agriculture s’étant prononcés, l’Union européenne a d’ores et déjà débloqué une enveloppe de 125 Millions € afin d’indemniser les producteurs de certains fruits et légumes.
La Russie pourrait avoir beaucoup de mal à remplacer les importations de produits agroalimentaires sous embargo par une intensification de sa production domestique. C’est la raison pour laquelle certains pays devraient profiter de la situation actuelle pour gagner des parts de marché, notamment des pays émergents.
Certains pays émergents pourraient tirer parti de l’embargo russe !
Le 6 août 2014, le Président russe Vladimir Poutine décrète un embargo sur les produits agroalimentaires provenant de l’Union européenne, de la Norvège, des Etats-Unis, du Canada et de l’Australie. La mesure est très large et cible particulièrement la viande, les produits laitiers, les fruits et les légumes. Cet embargo a déjà pris effet et devrait durer un an. Il constitue, selon le Premier ministre russe Dimitri Medvedev, la réponse aux sanctions occidentales votées à l’encontre de Moscou. De plus, la Russie menace d’interdire le passage des vols de transit entre l’Europe et l’Asie si l’Occident continue sa « politique stupide », selon les termes de Dimitri Medvedev.
La Russie ne pouvant se suffire à elle-même sur tous les produits frappés par l’embargo, plusieurs pays, notamment d’Amérique Latine, ont déjà annoncé leur intention d’exporter davantage vers la Russie. Il s’agit là d’une belle opportunité pour ces pays de capter des parts de marché laissées vacantes par l’Occident. De plus, la Russie importe à ce jour près de 35% de sa consommation alimentaire avec des montants avoisinants les 30 Milliards € par an. La Russie absorbe autour de 10% des exportations agricoles et agroalimentaires de l’Union Européenne, soit environ 12 Milliards € par an. Le Brésil devrait être le grand gagnant et se prépare à intensifier ses exportations de viandes, principal secteur agroalimentaire touché par l’embargo. Les premières estimations font état d’une augmentation de près de 200 Millions € des recettes de la balance commerciale brésilienne alors que le Brésil avait vu son excédent commercial chuter de 87% en 2013. D’autres pays émergents devraient profiter de l’embargo russe, à commencer par la Biélorussie (principal fournisseur alimentaire de la Russie avec plus de 2 Milliards € d’exportations par an) qui s’est déclarée prête à subvenir aux besoins russes en « remplaçant les pommes de terre hollandaises et les pommes polonaises ». D’autres pays d’Amérique Latine comme le Chili, l’Equateur, l’Argentine ou encore l’Uruguay pourraient profiter allègrement de la situation en exportant fruits, produits laitiers, sucre, café et produits de la mer. Dans le même temps, la Turquie, le Maroc, l’Egypte et l’Afrique du Sud ont eux aussi une carte à jouer et pourraient exporter davantage, notamment des fruits et légumes…
Même si l’embargo est par définition temporaire, les parts de marché gagnées par les pays émergents devraient se pérenniser. En effet, une fois l’embargo levé, les Etats-Unis et surtout l’Union européenne pourraient avoir bien du mal à reconquérir les parts de marché perdues à l’Est.
Conclusion :
Nous pouvons dire que le célèbre adage « le malheur des uns fait le bonheur des autres » semble bien se vérifier. En effet, même si les sanctions occidentales à l’égard de la Russie et l’embargo russe à l’encontre de l’Occident devraient n’avoir que de faibles implications économiques à court terme pour la zone euro, le climat des affaires en Russie devrait s’assombrir et accentuer les tendances négatives à l’œuvre en Russie à moyen et long termes.
Bon nombre de pays émergents, Amérique Latine en tête, pourraient profiter de l’embargo russe pour capter des parts de marché laissées vacantes par l’Union européenne. Cependant, il est encore trop tôt pour chiffrer avec certitude les retombées économiques pour ces pays émergents.