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Réforme du code du travail, quels changements ? (Note)

Résumé :

·         Les cinq « ordonnances travail » prévoient d’importantes modifications du fonctionnement du marché du travail ;

·         Parmi ces changements, on trouve la modification des règles de rupture de contrat de travail (à l’initiative de l’employeur notamment : nouveaux modes de calculs des indemnités de licenciement, barémisation des indemnités prud’homales) ;

·         Le dialogue social sera également impacté, confirmant la tendance à la décentralisation des négociations collectives en France et en Europe ces dernières années ;

·         Sur le plan macroéconomique, les conditions ne semblent pas réunies pour que cette réforme soit un facteur de croissance à court terme, et il faudra être patient pour juger de sa capacité à réduire la fragmentation du marché du travail.

 

 

 

Dix ans après l’éclosion de la crise financière, la situation de l’économie française est toujours préoccupante. La croissance reste modeste malgré une récente accélération, le taux de chômage demeure élevé (9 %), et les performances du commerce extérieur sont décevantes malgré la politique d’offre menée par les précédents gouvernements.

Sur le marché du travail, ces difficultés se traduisent par un nombre de créations d’emplois insuffisants pour faire reculer franchement le chômage. Le taux d’emploi, bien qu’historiquement élevé selon les derniers chiffres de l’INSEE, est largement inférieur à celui de certains de nos voisins européens. Par ailleurs, le marché du travail est fragmenté entre deux populations, dont l’une est en emploi permanent et l’autre en situation de précarité ou de chômage.

Les difficultés de l’économie française ne sont pas les seuls facteurs d’explication de ces résultats décevants en termes d’emplois. La prise en compte de la démographie, de la qualité de l’emploi, du nombre d’heures travaillées par emploi, et du recours aux emplois atypiques permettent de nuancer[1] les performances comparées de la France en matière de chômage.

Il n’en reste pas moins que la situation conjoncturelle et structurelle de la France est difficile et le fruit de déséquilibres à corriger. Les cinq ordonnances dévoilées fin août par le gouvernement ont fait suite à une phase de concertation des partenaires sociaux lancée en mai. Leur adoption le 22 septembre entrainera des changements importants dans la règlementation du marché du travail, dans la logique des évolutions constatées depuis deux décennies en France et en Europe. Dans cet article, nous passerons en revue les principaux points de la réforme du marché du travail et nous nous demanderons s’ils répondent aux difficultés de l’économie française.

 

1.   Modifications importantes dans les règles d’indemnisation des ruptures de contrat de travail

La protection de l’emploi est un paramètre qui peut agir à plusieurs niveaux : individuels, collectifs, emplois permanents, emplois temporaires. Sur le plan conjoncturel, elle agit sur le partage de la valeur ajoutée en empêchant l’emploi de s’ajuster au cycle, mais permet aux revenus salariaux (principal déterminant de la demande des ménages) de résister. Sur le plan structurel, la structure de protection des emplois  peut générer un dualisme du marché du travail : par exemple, des modalités de recours facilitées aux emplois atypiques d’un côté et une forte protection des emplois permanents de l’autre. Les salariés se trouvent alors fragmentés en deux populations, dont l’une est en emploi permanent et protégé, et l’autre est en situation de précarité (ou de chômage).

Avant de décrire les évolutions qui toucheront les licenciements et les ruptures de contrats, il est donc utile de faire un rappel sur le niveau de protection de l’emploi en France par rapport à ses partenaires européens grâce aux indicateurs de l’OCDE (voir graphique ci-dessous). On voit que le niveau de protection global de l’emploi est plutôt dans la moyenne par rapport à ses voisins européens, alors qu’elle est largement inférieure dans les pays anglo-saxons. Face à cela, les entreprises recourent aux contrats temporaires de (très) courte durée pour ajuster leurs effectifs et font reposer les effets de cycle sur une petite partie de la population salariée, qui se trouve précarisée[2].

Pour pallier à cette situation, le gouvernement a décidé de modifier les règles qui entourent la protection de l’emploi.

Les indemnités légales de licenciements augmenteraient, passant de 20 % à 25 % du salaire brut mensuel pour les 10 premières années d’ancienneté. Le calcul est donc plus avantageux pour les salariés. Ce bénéfice s’arrête au-delà de dix ans, année à partir de laquelle l’indemnité reste d’un tiers du salaire brut mensuel par année d’ancienneté (voir graphique ci-dessous).

Les indemnités prud’homales pour licenciements sans cause réelle et sérieuse, dont les modalités de recours seraient sensiblement durcies (délai, motifs, vices de formes), resteraient fonction de l’ancienneté dans l’entreprise mais seraient désormais encadrées par un plafond (commun à toutes les entreprises) et un plancher (qui dépendraient de la taille de l’entreprise).

Auparavant, après deux ans d’ancienneté dans une entreprise de plus de 10 salariés, un salarié licencié abusivement obtenait sa réintégration ou une compensation de six mois de salaires bruts (en plus des indemnités de licenciements). Depuis 2015 (loi Macron), un barème indicatif des indemnités a été mis en place sur lequel le juge peut s’appuyer. Les ordonnances prévoient un nouveau barème nettement moins favorable aux salariés (voir graphique ci-dessous). Cette barémisation ne concernera pas tous les cas de licenciements abusifs (atteinte aux libertés fondamentales, harcèlement, discrimination, etc.), qui donneraient lieu à une indemnité d’au moins 6 mois de salaire brut (contre 12 auparavant) qui resterait du ressort du juge, auxquels s’ajouteraient toujours l’indemnité de rupture et les salaires non perçus depuis le licenciement.

Par ailleurs, les conditions de licenciement économiques seront assouplies. Le périmètre national sera retenu pour apprécier les difficultés d’une entreprise, afin de gagner en attractivité et de s’aligner sur ce point sur les pratiques de nos voisins.

A ces dispositions, s’ajoute la mise en place de la procédure de rupture conventionnelle collective (à valider par la Direccte[3]), qui serait la transposition de la procédure individuelle, dans le but de la substituer aux plans de départ volontaires (et aux plans de sauvegarde de l’emploi ?) qui sont plus sécurisants pour les salariés, mais qui empêchent à l’entreprise de pouvoir embaucher dans l’année qui suit.

Sur ce point, il y a donc la volonté de lever les freins à l’embauche et de fluidifier le marché du travail en flexibilisant la règlementation des contrats permanents. Les expériences étrangères ont montré des résultats mitigés. En Italie, la qualité des emplois créés s’est un peu améliorée mais le chômage reste élevé.

 

2.   Décentralisation des négociations collectives et changements des règles du dialogue social

La décentralisation de la négociation collective est une tendance de fond. En Europe, ce mouvement s’est accéléré ces dernières années, notamment dans les pays en crise. En France, la question du dialogue social et de l’inversion de la hiérarchie des normes ont déjà fait l’objet d’un débat nourri en 2015, suite à l’adoption de la loi Rebsamen[4], puis de la sortie du rapport Combrexelles[5] et des travaux de la commission Badinter. La loi El Khomri[6], largement remaniée par rapport à sa version initiale, visait déjà de donner à la négociation collective, et notamment d’entreprise, une place accrue.

Auparavant, le principe de primauté de l’accord d’entreprise avait déjà été engagé avec la loi Fillon, et avec la loi Bertrand de 2008 sur les thèmes des heures supplémentaires et d’organisation du temps de travail. La loi El Khomri (temps de travail) et les cinq ordonnances prolongent ce mouvement.

Dans les entreprises de plus de 50 salariés (les seuils sociaux ne sont pas modifiés), les ordonnances prévoient la fusion des instances représentatives du personnel (IRP). Le Comité d’entreprise (CE), le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et les délégués du personnel seront regroupés dans le Comité social et économique (CES). Dans les entreprises de moins de 50 salariés, la direction pourra négocier avec un élu du personnel (représentant mandaté par un syndicat jusqu’à maintenant) lorsqu’il n’y a pas de délégué syndical (ce qui n’est effectivement pas le cas dans une immense majorité des entreprises de cette taille), et même directement avec les salariés dans les entreprises de moins de 20 salariés. Auparavant, un représentant mandaté par un syndicat était nécessaire.

Dans les entreprises de moins de 11 salariés (et de moins de 20 salariés qui ne disposeraient pas de de délégués syndicaux et d’élus du personnel), la direction d’une entreprise pourra valider un accord collectif par référendum (avec une majorité de deux tiers) élargi à tous les sujets de négociation (nous y reviendrons).

Comme prévu dans la loi El Khomri, les accords seront validés s’ils recueillent l’approbation des organisations syndicales représentant plus de 50 % des voix aux élections professionnelles, ou par référendum (déclenché par des syndicats minoritaires mais représentant au moins 30 % des voix). Les ordonnances prévoient que la direction pourra désormais également proposer un référendum (sauf opposition des syndicats majoritaires).

Concernant les sujets de négociation, la décentralisation est assez nette. Les négociations auront lieu au niveau de l’entreprise et les ordonnances donnent la primauté aux accords d’entreprises (l’accord de branche devient « supplétif »).  C’est le cas sur tous les sujets sauf pour les sujets « sanctuarisés » (réservés à la branche) ou « verrouillables » (par la branche). En effet, certains sujets de négociation restent réservés à la branche (à moins que l’entreprise puisse assurer des garanties au moins équivalentes) ou verrouillables par la branche (à moins pour l’entreprise d’offrir des garanties au moins équivalentes) en vertu de la loi Fillon de 2004.

Les domaines sanctuarisés de la négociation de branche passent de 6 à 11. On y trouve notamment : minima salariaux hiérarchique, classification professionnelle, formation professionnelle, garanties collectives complémentaires, égalité professionnelle, modalités de la période d’essai, auxquels s’ajoutent les règles de recours aux contrats atypiques et aux contrats de chantier (ce qui n’était possible auparavant que par le haut par rapport à la loi).

En revanche, la prévention de la pénibilité passe dans les thèmes « verrouillables » par les branches (au nombre de 4), aux côtés de la prévention de l’insertion des personnes en situation de handicap, modalités de désignation d’un délégué syndical et conditions d’exercice de son mandat, la prime pour travaux dangereux et insalubres.

 

3.   Un état des lieux des négociations collectives en France

Tous les ans, le ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social livre un bilan de la négociation collective[7]. Il est intéressant de rappeler quelques points saillants de cet état des lieux (chiffres de 2015) aux différents échelons de la négociation, que le contenu des ordonnances promet de faire évoluer au cours des prochaines années.

Concernant tout d’abord la négociation d’entreprise, plus de 60 000 textes ont été signés en 2015 à cet échelon. Parmi eux, 36 000, soit 60 %, ont été signés par la direction et les représentants du personnel. Dans 85 % des cas, ils sont signés par des délégués syndicaux ou des salariés mandatés (soit 31 000), et dans 15 % pour des élus du personnel. Pour le reste, 11 000 textes ont été ratifiés par référendum et 13 000 ont été signé uniquement par l’employeur (décisions unilatérales de l’employeur).

Concernant les négociations de branches, environ 1 100 accords ont été signés en 2015, à très forte dominance nationale (environ 20 % régional et moins de 10% local). Malgré le taux de syndicalisation relativement faible en France (9 % en entreprise, 20 % dans la fonction publique), le taux de couverture des salariés par un accord collectif est élevé : plus de neuf salariés sur dix sont couverts par un accord collectif. La négociation est toutefois peu dynamique dans certaines branches, pour plusieurs raisons : la moitié des 700 branches professionnelles couvrent moins de 5 000 salariés, leur périmètre géographique est parfois limité, le nombre et la part des entreprises affiliées est faible, les réunions sont rares, etc. Sur la base de ces critères, le nombre de branches pourraient être réduit par fusion[8].

Cette absence de négociation de branche peut être problématique pour une partie des salariés. Sur le thème des minima salariaux, par exemple, ce sont surtout les plus bas salaires qui sont impactés par les minima conventionnels de branche (plus proches en moyenne des minima et en plus forte proportion rémunérés au minima). Sur la base du principe de faveur, sur ce thème, une négociation à un niveau inférieur doit améliorer les dispositions prévues à l’échelon supérieur. Une petite partie (entre 10 et 15 %) des salariés est ainsi couverte par le SMIC, une large majorité est couverte par un accord de branche (environ les trois quarts, mais les minima ne sont pas nécessairement supérieurs au SMIC et donc non applicables, par exemple s’ils n’ont pas été revu à la hausse), et un tiers dispose d’un accord d’entreprise.

La répartition des sujets de négociation entre l’entreprise et la branche trouve plusieurs justifications. Au niveau de la branche, elle permet de gérer la concurrence, d’éviter l’incitation au dumping social et salarial et de diminuer les  coûts de négociation. Au niveau de l’entreprise, elle permet de s’adapter aux spécificités de l’entreprise et des salariés, d’avoir une meilleure appréciation de la productivité au niveau de l’entreprise, des conditions et de l’organisation du temps de travail.

Parmi les 31 000 accords d’entreprise signés par des délégués syndicaux, certains thèmes de négociation sont ainsi plus présents que d’autres et leur importance diffère des thèmes de la négociation de branche (voir graphiques ci-dessus). Par exemple la classification des métiers et la formation professionnelle, qui sont logiquement beaucoup plus présents dans les négociations de branches que dans les négociations d’entreprises, se trouvent ainsi préservés parmi les domaines « sanctuarisés » de la négociation de branche. Sur de « nouveaux » thèmes (par exemple les modalités de recours aux contrats atypiques et aux CDI de chantier), il sera intéressant de suivre la négociation de nouveaux accords de branche et leur nature. Au niveau de l’entreprise, la réforme pourrait avoir un impact sur le nombre d’accords signés, sur les thèmes de négociation et le contenu des accords.

 

4.   Un contexte macroéconomique peu propice

Les effets macroéconomiques de la protection de l’emploi et de la dynamique salariale sont nombreux et très discutés.

Réformer le marché du travail peut avoir des effets bénéfiques sur la croissance dans un contexte macroéconomique favorable. Cela permet de générer des gains de productivité et de compétitivité qui dynamisent la production potentielle, dont les débouchés sont assurés par des créations d’emplois et de revenus salariaux sur le plan interne, et par des gains de parts de marchés à l’export sur le plan externe.

En revanche, dans un contexte macroéconomique difficile (écart de production négatif, ce qui est toujours le cas actuellement malgré les ajustements à la baisse des institutions internationales du PIB potentiel), les effets peuvent être négatifs. Les entreprises peuvent ajuster le volume de l’emploi (ou le nombre d’heures travaillées) au lieu de subir la baisse de productivité induite par la rétention de main d’œuvre. En revanche, elle aggrave le déficit de demande interne en détruisant des emplois et des revenus salariaux, premier déterminant de la consommation des ménages. Sur le plan externe, l’activation de la demande par des gains de compétitivité peut être annulée si des réformes similaires ont été faites par les partenaires commerciaux, et d’autre part ils peuvent mettre un certain temps à se matérialiser.

Compte tenu de la situation de l’économie française (écart de production négatif et gains de parts de marché à l’export potentiels limités), les effets positifs sur la croissance et l’emploi ne devraient pas, à court terme, être un facteur de soutien à la croissance. Une gestion coordonnée et coopérative de la demande globale (et donc des salaires) dans la zone euro seraient plus favorables. Elle permettrait de gérer à la fois les facteurs de demande du commerce extérieur par des ajustements concertés de compétitivité, sans peser sur les facteurs de demande interne.

 

Conclusion : juger dans la durée

La réforme du code du travail contient des changements importants. Deux éléments seront particulièrement intéressants à suivre au cours des prochaines années : le dynamisme des négociations collectives et le contenu des accords qui en découleront, et en termes d’emploi la réduction de la fragmentation du marché du travail.

Alors que le CICE et le pacte de responsabilité montent en charge et ont participé à réduire le coût du travail, l’objet de cette réforme est la rigidité du marché du travail. Les conditions macroéconomiques d’une reprise pérenne ne sont pas encore réunies, et se jouent notamment au niveau européen. En attendant, sans renforcement de la croissance, il est peu probable que la réforme du code du travail suffira à améliorer spontanément la quantité et la qualité des emplois créés. De même concernant le dialogue social, il est difficile d’imaginer que l’entreprise soit un terrain de négociation fertile sans une amélioration du contexte économique global.

 


[1] Alternatives Economiques a récemment proposé un indicateur, le taux de non emploi en équivalent temps plein, qui tient compte d’une partie de ces éléments : https://www.alternatives-economiques.fr/alternatives-economiques-lance-contre-indicateur-chomage/00080279

[2] Selon Eurostat, en 2016, les emplois temporaires (c’est-à-dire non CDI) représentaient 18% de l’emploi total. Ce type de contrat connaît par ailleurs un raccourcissement important depuis quelques années.

[3] Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi

[4] Loi relative au dialogue social et à l’emploi

[5] La négociation collective, le travail et l’emploi, Jean-Denis Combrexelle

[6]Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels

[7] Pour 2015 : http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/bilan_negoc_collective_2015.pdf

[8] Voir le rapport de Patrick Quinqueton de 2015 sur ce sujet : Proposition de feuille de route pour les organisations professionnelles d’employeurs et les organisations syndicales de salariés : vers une nouvelle structuration des branches professionnelles

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