Utilité de l’article : Cet article vise à dresser l’état des lieux du marché immobilier résidentiel français, ainsi que les perspectives de moyen-terme liées à la crise du Covid.
Résumé :
- La crise du Covid-19, à l’instar de la réaction des États et des banques centrales, rebat les cartes pour un certain nombre de secteurs économiques et apporte de nombreuses modifications structurelles à l’économie mondiale.
- Dans ce cadre, le marché immobilier est vecteur de nombreuses évolutions dont il est important d’étudier les causes et les conséquences pour les mois à venir.
- En France, l’immobilier reste avant tout une valeur dotée d’une forte confiance de la part des différents acteurs, et qui apparaît comme un investissement rentable sur le long terme par de nombreux observateurs et investisseurs.
- Globalement, le marché immobilier se présenterait comme une valeur refuge forte dans l’économie post-Covid, conduisant à une hausse globale des prix (excès de liquidité, d’épargne) même si quelques éléments de modération viendront obscurcir les perspectives dans les mois à venir.
- Nos conclusions montrent néanmoins que le marché est en réalité très hétérogène et à deux vitesses. Il est donc peu pertinent de l’étudier avec une vision unique à l’échelle nationale.
Le marché immobilier représente un élément majeur pour l’économie d’un pays. La crise du Covid-19 a provoqué une récession historique, conduisant à une réponse immédiate des gouvernements et des banques centrales. En France, le secteur immobilier résidentiel devrait néanmoins être épargné en raison d’un certain nombre de facteurs de tension conduisant à une surévaluation des prix (hausse de la liquidité, forte épargne, faibles taux hypothécaires). Des modifications géographiques et territoriales majeures devraient néanmoins avoir lieu, conduisant à une disparité du paysage immobilier résidentiel français.
- État des lieux du marché immobilier français jusqu’à la crise du Covid
Sur le long terme, depuis les années 1980, l’investissement dans l’immobilier résidentiel a été clairement « payant », comme le montre le graphique 1. Les prix de l’immobilier ainsi que leur valeur rapportée au revenu des ménages montrent que l’investissement dans ces actifs non-liquides a été fortement rentable sur le long terme, comme l’indique la sortie du « tunnel de Friggit ». En effet, le ratio du prix de l’immobilier par rapport au revenu des ménages, stable depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a été quasiment multiplié par deux entre 2000 et 2020 en France.
La crise des subprimes en 2008 puis la crise des dettes souveraines dès 2011 ont été d’importants éléments de modération, avec des prix qui ont baissé avant de reprendre véritablement de la vigueur dès 2016 et de retrouver récemment leur niveau pré-crise. Ce ralentissement a été majoritairement expliqué par la chute des crédits pour les ménages, avec un resserrement des conditions de prêt. Ces crises n’ont néanmoins pas ramené le prix des logements, rapporté au revenu des ménages, au niveau précédant les années 2000, puisqu’il a atteint des niveaux historiques en comparaison avec la croissance économique.
Plus globalement, la relation entre les perspectives économiques (croissance du PIB) et les prix de l’immobilier avait jusqu’ici été validée même si non symétrique. Les grandes crises ont généralement entrainé une baisse des prix de l’immobilier résidentiel plus ou moins forte, principalement expliquée par la montée du chômage, la baisse du pouvoir d’achat, l’absence de perspectives économiques claires, mais surtout le resserrement direct des conditions d’octroi de crédit.
La crise du Covid-19 a été la période avec la plus forte récession depuis la Seconde Guerre mondiale (-8,3 % estimés pour l’année 2020 en France). Paradoxalement les prix de l’immobilier ont continuellement augmenté au cours de l’année 2020, en partie due à une demande institutionnelle qui est restée très forte ainsi qu’une demande des ménages qui se maintient pour un certain type de biens, avec des crédits toujours importants. A titre d’exemple, le baromètre LPI-SeLoger estime une augmentation de 6,5 % des prix des logements en France en 2020, et ce, malgré la pandémie. A ce jour, la ville la plus chère de France reste Paris avec un prix moyen du mètre carré atteignant près de 10 700 € fin 2020, contre 8 000 € environ en 2015 et légèrement en dessous de 3 000 € en 2000.
Afin d’étudier les perspectives attendues pour les prix de l’immobilier en France, il convient de regarder en détail les déterminants fondamentaux qui sont à l’origine des évolutions des prix du côté de la demande parmi lesquels les plus importants sont le revenu disponible des ménages, les taux d’emprunt, le taux de chômage et le taux d’épargne[1]. Ces différents indicateurs soulignent un certain nombre de tensions sur le marché immobilier résidentiel français en lien avec la crise du coronavirus.
- Indéniablement, des facteurs de tension sur le marché immobilier français
Depuis mars 2020 et avec des confinements successifs, les prix résidentiels ont fait l’objet d’une certaine volatilité, en raison de périodes très particulières dans le fonctionnement des achats de biens. Ceci explique les évolutions de prix observées dans certaines villes françaises. Au-delà de cette volatilité passagère, certains indices laissent présager des évolutions particulières pour les prix résidentiels dans les mois à venir.
La baisse des taux hypothécaires est l’un des éléments les plus importants pour comprendre l’évolution du marché de l’immobilier au cours des années. Depuis 2009, les taux moyens des crédits immobiliers ont suivi une trajectoire baissière, comme le montre le graphique 2, qui est d’ailleurs concomitante avec la baisse du taux d’intérêt directeur de la BCE.
Les perspectives d’inflation et de croissance modérées poussent les banques centrales à accentuer leurs politiques non-conventionnelles. Elles devraient maintenir l’environnement de taux d’intérêt très bas qui caractérise les économies européennes depuis plusieurs années. En revanche, en raison du degré d’incertitude, les banques sont actuellement amenées à resserrer leurs conditions d’accès au crédit et deviennent d’autant plus prudentes, n’acceptant que les dossiers les plus sûrs. Sur ce point, les enquêtes BLS de la Banque centrale européenne révèlent que les banques devraient resserrer jusqu’à la fin de l’année 2021 leurs conditions de crédit en raison des difficultés économiques avant de potentiellement « relâcher les vannes » du crédit au fur et à mesure que l’amélioration de la situation économique, conduisant à conforter une hausse progressive des prix immobiliers en France.
Le retour progressif de la confiance économique et sanitaire aurait comme conséquence directe la volonté des investisseurs de placer leur argent accumulé dans des actifs ayant des rendements plus élevés : actions et actifs non cotés (private equity, infrastructures et immobilier)[2]. Nous observons en effet une corrélation forte entre la création monétaire et l’augmentation du prix des actifs, dont l’un des plus importants est l’immobilier[3]. La quantité de liquidité crée par les politiques monétaires expansionnistes des Banques centrales pourrait avoir comme conséquence une poussée des prix immobiliers dans les mois à venir.
Un élément primordial dans l’étude du marché immobilier est le taux d’épargne qui traduit la confiance et la vision des ménages et des investisseurs des perspectives économiques. Au cours de l’année 2020, conforté par la hausse de l’épargne forcée et de précaution, le taux d’épargne a explosé à des niveaux jamais atteints dans tous les pays de l’OCDE (le taux d’épargne est attendu à plus de 22 % du revenu disponible brut en France sur l’ensemble de l’année 2020 avec un total d’environ 100 milliards d’euros épargnés, selon la Banque de France, prévisions de décembre 2020). Le graphique 3[4] montre la tendance de la capacité d’épargner des ménages (possibilité d’épargner dans le présent et dans le futur) et leur opportunité d’épargner (indicateur synthétique de confiance). Au-delà d’une épargne forcée et / ou de précaution, cette hausse de l’épargne pourrait avoir comme conséquence logique de conduire les agents à chercher à réinvestir cet argent dans des valeurs sûres, appelées « valeurs refuges ».
Pour un achat immobilier, la hausse de l’épargne permet d’avoir un apport personnel plus important, facilitant le plan de financement. Certaines catégories de ménages seraient alors plus enclines à réinvestir leur volume de liquidités accumulées au cours de la crise : en effet, l’épargne globale a été « très fortement concentrée sur les deux derniers déciles. […]. Près de 70 % du surcroît de l’épargne provient de 20 % des ménages »[5].
Ces facteurs de tension sur le marché immobilier sont à mettre en parallèle avec un certain nombre d’indicateurs de modération du marché, qui restent à ce stade encore incertains. En effet, la hausse du taux de chômage, les licenciements post-crise, la situation de ménages en difficulté vont ralentir les achats d’une partie de la population, en particulier pour les primo-accédant et pourront conduire à la vente éventuelle de logements pour rembourser la dette privée accumulée que certains ménages ont pu accumuler au cours de la crise. Le pic d’augmentation du chômage, attendu à un peu moins de 11 % au cours de l’année 2021 par la Banque de France (prévisions de décembre 2020) concerne majoritairement les Français qui ont un contrat de travail court, entrepreneurs ou indépendants qui ont été les plus affectés par la récession économique et par les effets de restrictions sanitaires. La Dares analyse en effet toutes les deux semaines la situation sur le marché du travail en temps de crise sanitaire. Celle-ci montre une baisse des embauches de jeunes lors des confinements successifs, entraînant une détérioration progressive du marché du travail.
L’analyse du marché immobilier français serait néanmoins incomplète sans évoquer les disparités territoriales et les changements structurels qui devraient pousser les Français à investir dans certains types de biens.
- En réalité, une grande disparité géographique dans les marchés immobiliers en France.
Un certain nombre de changements structurels devraient pousser les Français à investir dans l’immobilier à la suite de la crise. Les confinements successifs et la généralisation du télétravail ont accru la volonté de se rapprocher de zones moins densément peuplées que les grandes villes, expliquant la baisse relative du marché immobilier parisien au cours du mois de décembre 2020[6]. Pour cela, l’indice de tension immobilière (graphique 4)[7] est un indicateur intéressant afin de comprendre l’orientation des prix et du marché immobilier dans les régions françaises. Calculé par Meilleurs Agents, il permet de rapporter le nombre d’acheteurs au nombre de vendeurs en France et autorise certaines prédictions pour l’année 2021.
Le marché français est particulièrement hétérogène. Alors que certaines villes voient d’ores et déjà les prix de l’immobilier baisser début 2021, d’après le Baromètre LPI-Se Loger (comme à Nîmes, Toulon ou Nice), d’autres connaissent une forte augmentation de la demande et donc des prix (Strasbourg, Lille), poussés par un indice de tension immobilière particulièrement fort.
Globalement, les centres-villes seraient les principaux perdants de la crise, les ménages souhaitant se concentrer dans les zones plus excentrées, plus propices à la pratique du télétravail. Ce serait dans les banlieues pavillonnaires, dans les campagnes proches des villes que l’impact serait le plus fort en raison de l’augmentation de la demande des ménages. En revanche, Paris devrait observer un fort ralentissement dans la demande immobilière, conduisant à une modération des prix[8], avec une grande différence en fonction des types de biens et des surfaces. L’indice de tension immobilière y est passé de 36 % en 2019, à 5 % en 2021. En effet, les fondamentaux structurels qui nourrissaient la hausse des prix à Paris avant la crise ne devraient pas augmenter à présent dans les mêmes proportions. A titre d’exemple, les prix de l’immobilier à Paris intra-muros ont d’ores et déjà baissé de 0,5 % en janvier 2021 selon MeilleursAgents.
Le graphique 5 montre l’intérêt pour la recherche de différents types de biens en fonction des mots cherchés sur Google. A partir du mois de mars 2020, les recherches pour l’achat de maison ou pour les résidences secondaires explosent, avant de retrouver un niveau plus normal à compter de novembre. Les recherches pour l’achat d’appartements restent en revanche relativement stables sur toute la période (hors confinements). Même si les recherches internet ne sont pas directement représentatives d’un marché dans son ensemble, cela permet de dégager un aspect de l’intérêt des agents pour les différents types de biens[9].
Conclusion
En France, l’immobilier n’est pas une victime directe de la crise du Covid, notamment grâce à son statut attractif de « valeur refuge ». Au contraire, une tendance semble clairement se dégager : le marché dans son ensemble bénéficie à ce stade d’une forte confiance de la part des ménages et des investisseurs. En effet, d’après une étude de SeLoger de septembre 2020, 82 % des investisseurs « considèrent l’immobilier comme le placement le plus attractif », ce qui renforce son statut de valeur refuge.
Donner un chiffre d’évolution des prix au niveau national n’a pas vraiment de sens étant donné les importantes disparités du marché immobilier français. Certaines zones regagnent fortement en attractivité tandis que les centres-villes, peu propices au télétravail, sont de moins en moins recherchés dans leur ensemble. Toutefois, un krach immobilier d’envergure, dû à une surévaluation des prix lors des précédentes années, ne semble pas être un scénario central pour les prochains mois. Une augmentation des prix continue pourrait être observée mais celle-ci resterait en définitive contenue (en lien avec des perspectives économiques encore mitigées) et très hétérogène sur le territoire, soit un marché à deux vitesses. Les données et les évolutions des prochains mois seront à examiner de près afin de comprendre les tendances liées à l’évolution des prix en temps de crise sanitaire et économique inédite.
[1]Case, K., Shiller, R. (2004), “Is there a bubble in the housing market?”, Brookings Papers on Economic Activity, (no. 2)
[2] « Un « puzzle » de l’expansion monétaire », Patrick Artus, Natixis Research, 22 janvier 2021
[3]« Housing markets and unconventional monetary policy. » Rahal, Charles, Journal of Housing Economics 32 (2016): 67-80.
[4]Indicateurs synthétiques de confiance des ménages : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4295756#titre-bloc-16
[5]« Dynamiques de consommation dans la crise : les enseignements en temps réel des données bancaires », Conseil d’analyse économique, Octobre 2020
[6]« Comment le télétravail va impacter l’immobilier à Paris ? », Peter JØRGENSEN CONSULTING, https://www.peter-jorgensen-consulting.com/teletravail-immobilier-paris.html
[7]« L’Indicateur de Tension Immobilière (ITI) permet de comprendre l’impact sur le marché immobilier dans les 6 prochains mois grâce au rapport entre le nombre d’acheteurs et le nombre de biens à vendre. Un ITI supérieur à 5% signifie que le marché est dynamique : il y a plus d’acheteurs que de biens à vendre »
[8]Marché immobilier : tendance et évolution des prix de l’immobilier, Notaires.fr
[9]Beracha, E., & Wintoki, M. B. (2013). Forecasting residential real estate price changes from online search activity