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Pollution, qualité de l’air et productivité (Note)

Résumé :

  • La pollution atmosphérique impacte la santé. En France, Santé Publique France estime par exemple à 48 000 le nombre de décès prématurés par an liés aux particules fines ;
  • La pollution atmosphérique a également un impact direct sur nos économies. Plusieurs études suggèrent ainsi que l’absentéisme augmente les jours de forte pollution et que, au contraire, l’absentéisme diminue suite à l’extinction d’une source de pollution ;
  • La pollution atmosphérique pourrait également impacter la productivité des travailleurs présents sur leurs lieux de travail. Cet effet ne se limiterait pas nécessairement aux emplois physiquement exigeant.

 

La lutte contre la pollution atmosphérique est parfois perçue comme entrainant des coûts immédiats et identifiés pour des bénéfices futurs et diffus. Au contraire, cet article montre qu’il peut y avoir des gains économiques immédiats à la réduction de la pollution de l’air.

 

La qualité de l’air est un facteur majeur impactant la santé des particuliers. A cet effet, l’Agence Européenne pour l’Environnement estimait en 2016 que l’exposition à un air pollué provoquait 550 000 morts prématurées en Europe par an (EEA 2016). De même, l’Organisation Mondiale de la Santé estimait que les particules fines (PM2.5 [1]) réduisaient en moyenne l’espérance de vie de 8,6 mois en Europe. En France, Santé Publique France retient le nombre de 48 000 décès prématurés par an du fait de l’exposition à ces particules fines, l‘EEA obtient des nombres similaires : 45 120  liés aux particules fines (PM2.5), 8 230 liés au dioxyde d’azote et 1780 à l‘ozone. Elle est par ailleurs associée avec un nombre important de maladies cardiovasculaires et respiratoires (voir Kelly et Fussell (2015) pour une revue de la littérature).

Les économistes se sont penchés de longues dates sur ces effets de la pollution, au moins afin d’en mesurer le coût social. En 2015, celui-ci était par exemple estimé à 101,3 Mds d’euros par an en France dans un rapport du Sénat (notons qu‘il était par ailleurs sous-estimé selon Leïla Aïchi, qui était la rapporteuse de la commission). Un des éléments de ce coût que les économistes tentent de mettre en lumière est les effets directs de la pollution sur la productivité des travailleurs. Cet article, loin d’être exhaustif, présente certains des résultats récents de cette littérature.

 

Des effets directs de la pollution sur l’absentéisme

La pollution provoque de l’absentéisme chez certains travailleurs. S’il est en général assez facile de corréler les pics de pollutions avec une hausse de l’absentéisme, il est toutefois souvent difficile d’assurer que la relation soit bien causale. En effet, pour mesurer une relation de causalité, il faudrait comparer des groupes d’individus similaires, mais exposés à différents niveaux de pollution atmosphérique. Or, en pratique, il est douteux que les personnes exposées à la pollution, surtout de façon chronique, soient identiques à celles qui ne le sont pas. Par exemple, les personnes les plus aisées évitent de vivre dans les zones les plus polluées. En comparant des individus seulement en fonction de leur exposition à la pollution atmosphérique, il est donc probable que l’on capturera involontairement ces différences de revenus. Or, il y a de fortes chances que celles-ci impacteront également l’absentéisme au travail (différence de qualité de vie, de pénibilité du travail, de couverture santé, etc.). Les économistes et statisticiens ne peuvent donc directement comparer les niveaux d’absentéisme de ces deux groupes et doivent trouver des moyens afin de limiter les possibles biais.

Toutefois, il est parfois possible d’améliorer la qualité des estimateurs au travers d’études de cas. Par exemple, Hanna et Olivia (2015) ont étudié les conséquences de la fermeture d’une raffinerie à Mexico en 1991 sur les habitants des quartiers à proximité de cette usine (des individus donc possiblement « similaires »). Après la fermeture de l’usine, elles montrent une diminution immédiate (1) de la pollution pour les quartiers les plus proches du site de l’usine et (2) de l’absentéisme pour les habitants de ces quartiers dans des proportions non-négligeables (en moyenne, 1,3 heure par semaine par employé, soit une augmentation de 3,5 % du temps de travail).

L’absentéisme scolaire a aussi été étudié. Curie et al. (2009) montre ainsi, en utilisant des données d’une quarantaine de « school district » du Texas, que l’absentéisme augmente les jours où les taux de monoxyde de carbone dans l‘air sont les plus élevés. Par exemple, en se basant sur les niveaux d' »Air Quality Standards » définis par l’Agence de Protection de l’Environnement Américaine (EPA), ils montrent qu’une journée additionnelle associée à un niveau de pollution entre 75 et 100 % des limites édictées par l’EPA, l’absentéisme augmentait de 5 %. Une journée additionnelle où la concentration de monoxyde de carbone excéderait les seuils définis par l’EPA verrait l’absentéisme augmenter de 9 %.

 

Des effets sur la productivité des présents

L’impact de la pollution ne se limite pas à une augmentation de l’absentéisme. Ces dernières années, plusieurs études ont souligné les conséquences des pics de pollution sur les travailleurs présents sur leurs lieux de travail.

La première d’entre elles, réalisée par Litcher, Pestel et Sommer (2017), s’intéresse aux métiers exigeant des efforts physiques importants et prend l’exemple des joueurs de foot. Peut-on observer des différences de manière de jouer lors des pics de pollution ? Litcher, Pestel et Sommer (2017) ont analysé les conséquences des pics de pollution (concentration de PM10 et d’Ozone dans l‘air) sur les matchs professionnels. Ils montrent, lorsque la pollution de l’air augmente, en particulier le taux de PM10, que les joueurs font moins de passes (une augmentation du niveau de PM10 de 1 % diminue le nombre de passes de 0,02 %), que celles-ci sont légèrement moins précises et que les joueurs tendent à privilégier les passes à « longues distances », peut-être pour limiter les efforts physiques (les passes courtes peuvent impliquer un jeu plus dynamique et une plus grande probabilité de ré-obtenir la balle à court terme). Cet effet serait hétérogène, concernant principalement les joueurs les plus âgés. Au-delà de l’aspect anecdotique de l’exemple des matchs de foot, cette étude suggère que les personnes ayant des emplois « physiques » voient une partie de leur performance amputée par les pics de pollution.

Toutefois, les activités physiques ne seraient pas les seules concernées. Ebenstein, Lavy et Roth (2016) montrent que les étudiants passant le Bagrut (une série d’examens, équivalent du baccalauréat en Israel) sont affectés par la pollution (mesurés par le niveau de PM2,5) et réussissent moins biens les jours les plus pollués. L’effet de la pollution semble encore une fois assez hétérogène. Il serait plus fort chez les hommes que chez les femmes. Un résultat qui pourrait être lié aux faits que ceux-ci ont plus de chance d’être asthmatiques ou affectés de troubles de l’attention, les rendant plus vulnérables aux facteurs environnementaux comme la pollution. Enfin, les étudiants au niveau les plus « fragiles », semblent également plus impactés que les autres. Ces inégalités méritent d’être soulignées, du fait des enjeux de l’examen, qui conditionne la possibilité de poursuivre des études supérieures.

Enfin, on peut signaler une étude de Chang et al. (2016). Celle-ci s’intéresse à la productivité des travailleurs de call-center en Chine, mesurée par le temps passé au téléphone. Ils montrent que la pollution affecte le comportement des travailleurs, qui prennent des pauses plus fréquentes ou plus longues. Cela suggère encore que si les personnes ayant des emplois physiques sont très probablement affectées par la pollution atmosphérique, un effet peut également être détecté pour les emplois de bureau. 

 

Conclusion

Cet article présente quelques-uns des articles récents qui soulignent les gains économiques immédiats à réduire la pollution atmosphérique. Une réduction de celle-ci conduirait à une diminution de l’absentéisme des travailleurs et à une augmentation de la productivité des travailleurs présents. Un effet qui ne se limiterait pas aux travailleurs ayant des emplois requérant des efforts physiques particuliers.

Si cet article se limite à l’exposition d’arguments en liens avec la production et la productivité des travailleurs, la discussion précédente suggère également que la question de la pollution est également reliée à des thématiques de justice sociale. En effet, il apparaît que les personnes les plus aisées peuvent éviter (au moins, en partie) de vivre et de fréquenter les zones les plus polluées, les effets néfastes de la pollution pouvant se concentrer sur les personnes déjà les plus « fragiles » ou « vulnérables » [2].

 

Références:

Tom Chang, Joshua Graff Zivin, Tal Gross et Matthew Neidel, The Effect of Pollution on Worker Productivity: Evidence from Call-center workers in China, NBER working paper, 2016.

http://www.nber.org/papers/w22328.pdf

Frank J. Kelly et Julia C. Fussell, Air pollution and public health: emerging hazards and improved understanding of risk, Environmental Geochemistry and Health, 2015, Volume 37, Issue 4, pp 631–649

https://link.springer.com/article/10.1007/s10653-015-9720-1

Victor Lavy, Avraham Ebenstein, Sefi Roth, The Impact of Air Pollution on Cognitive Performance and Human Capital Formation, NBER working paper, 2012.

https://pure.royalholloway.ac.uk/portal/files/16836833/the_impact_of_air_pollution_on_cognitive_performance_and_human_capital_formation.pdf

Janet Currie, Eric A. Hanushek, E. Megan Kahn, Matthew Neidell, et Steven G. Rivkin Does Pollution increase school absences? The Review of Economics and Statistics, November 2009, 91(4): 682–694

http://faculty.smu.edu/millimet/classes/eco7377/papers/currie%20et%20al.pdf

Wanda Diebolt, Annick Helias, Dominique Bidou et Georges Crepey, Les inégalités écologiques en milieu urbain, Rapport de l’Inspection Générale de l’Environnement, Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, 2005.

http://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/docs/Temis/0076/Temis-0076401/20387.pdf

Andreas Lichter, Nico Pestel et Eric Sommer, Productivity Effects of Air Pollution: Evidence from professional soccer, Labour Economics, 48, 2017.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0927537117302658?via%3Dihub

Remal Hanna et Paulina Olivia, The effect of pollution on labor supply: Evidence from a natural experiment in Mexico City, Journal of Public Economics, v122, 2015 p68-79.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0047272714002096

Gordon Mitchell et Danny Dorling, An Environmental justice analysis of British air quality, Environment and Planning A: Economy and Space, 2003, p909-929.

http://journals.sagepub.com/home/epn

Lionel Charles, Cyria Emelianoff, Cynthia Ghorra-Gobin, Isabelle Roussel, François-Xavier Roussel et Helga-Jane Scarwell, « Les multiples facettes des inégalités écologiques », Développement durable et territoires, Dossier 9, 2007

http://journals.openedition.org/developpementdurable/3892

Emelianoff Cyria, « La problématique des inégalités écologiques, un nouveau paysage conceptuel », Ecologie & politique, 2008/1 (N°35), p. 19-31

https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique1-2008-1-page-19.htm

Air Quality in Europe – 2016 report, European Environment Agency, N28/2016

file:///C:/Users/cleveque/Downloads/THAL16127ENN_Air_quality_in_europe_report_2016.pdf

Qualité de l’air ambiant et santé, Organisation Mondiale de la Santé, Aide-mémoire N°313, Septembre 2016

http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs313/fr/

Impacts sanitaires de la pollution de l’air en France : nouvelles données et perspectives, Santé Publique France, 2016.

http://www.santepubliquefrance.fr/Accueil-Presse/Tous-les-communiques/Impacts-sanitaires-de-la-pollution-de-l-air-en-France-nouvelles-donnees-et-perspectives

Pollution de l’air : le coût de l’inaction, Rapport de Mme Leila AÏCHI, fait au nom de la CE coût économique et financier de la pollution de l’air n° 610 tome I (2014-2015) – 8 juillet 2015

https://www.senat.fr/rap/r14-610-1/r14-610-1.html

Lien pdf:

https://www.senat.fr/rap/r14-610-1/r14-610-11.pdf

Article de presse où Mme Leila Aïchi suggère que le coût est sous-estimé:

http://www.huffingtonpost.fr/2015/07/15/pollution-air-cout-100-milliards-euros-france-rapport-senat-environnement_n_7798972.html

http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/07/15/la-pollution-de-l-air-coute-chaque-annee-101-3-milliards-d-euros-a-la-france_4683432_3244.html

 

 


[1]La question de la taille des particules est cruciale pour les questions de santé publiques.

Le débat récent autour de l’augmentation importante du nombre de maladies graves à Fos-Sur-Mer quand la qualité de l’air – mesurée pour des particules de 10 à 2.5 microns – semblait bonne, en atteste.

https://www.franceculture.fr/environnement/pourquoi-tant-de-maladies-rares-a-fos-sur-mer

[2] Le rapport entre « Justice Sociale », « Justice Environnementale » et pollution a été étudié de longue date. Le lecteur intéressé peut consulter par exemple Mitchell et Dorling (2003), Charles et al. (2007), Emelianoff (2008).

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