Utilité de l’article : La distribution de repas ou de petits déjeuners subventionnés (ou gratuits) dans les écoles est-elle une politique efficace ? En s’appuyant sur quelques articles récents issus de la littérature économique académique, cet article souligne l’impact positif de ces politiques publiques sur les résultats scolaires des enfants. Il montre aussi que ces politiques pourraient avoir un impact de long terme sur la vie des enfants concernés.
Résumé :
- La nutrition est depuis longtemps reconnue comme un facteur influençant la réussite scolaire. Ce fait justifie les politiques publiques offrant aux enfants d’origine modeste des repas ou des petits déjeuners subventionnés.
- Plusieurs mécanismes peuvent expliquer ces résultats : (a) une nourriture de qualité peut influencer directement les capacités cognitives ou la concentration des étudiants, (b) certains programmes de distribution de petits déjeuners peuvent diminuer l’absentéisme des élèves, (c) ils peuvent aussi diminuer les contraintes financières des familles qui sont généralement corrélées avec des résultats scolaires moindres.
- La qualité de la nourriture semble avoir un impact direct.
- Les économistes commencent à documenter des impacts de long terme de ces programmes. Ils seraient associés à des revenus 2-3 % supérieurs.
Entre 1969 et 1977 furent distribués dans plusieurs villages au Guatemala des boissons nutritives aux jeunes enfants (de 0 à 36 mois). Dans certains des villages, les boissons contenaient des micronutriments mais étaient relativement pauvres en calories et en protéines quand dans les autres, elles étaient à la fois riches en micronutriments, en calories et en protéines. En utilisant cette expérience, Maluccio et al. (2009) montrent qu’une nourriture plus riche a permis à des individus d’obtenir de meilleurs résultats en lecture ou à des tests cognitifs vingt-cinq ans plus tard.
Cet exemple, corroboré par de nombreux autres (pour une revue de littérature, voir par exemple Sorhaindo et Feinstein, 2006), justifie la mise en place de politiques publiques offrant des repas subventionnés à destination des plus jeunes, le plus souvent distribués dans les écoles (souvent des petits déjeuners ou le repas du midi). Celles-ci permettraient d’accroître la réussite scolaire.[1] Toutefois, possède-t-on, en Europe ou aux Etats-Unis, de preuves de leur efficacité, ett quels sont les mécanismes à l’œuvre ?
L’article de Maluccio et al. (2009) permet de comprendre pourquoi ces questions ne sont pas triviales. En effet, ils montrent que recevoir « le traitement » (la boisson riche) à un âge supérieur à 36 mois n’a pas eu d’impact statistiquement significatif. Par ailleurs, si la stratégie empirique mise en œuvre par les auteurs compare les résultats d’enfants[2] auxquels étaient distribuées deux boissons aux valeurs nutritives différentes et non des enfants auxquels était distribuée une boisson contre ceux qui n’en recevaient pas, c’est que de nombreux autres facteurs auraient pu expliquer une différence de résultats. [3]
Des politiques efficaces via de multiples canaux
Les politiques de subventions de repas et de petits déjeuners permettent-elles d’améliorer les résultats scolaires ? La littérature empirique récente le suggère effectivement. Ainsi, Frisvold (2015) montre qu’un programme permettant à des enfants américains d’origine modeste d’avoir des petits déjeuners gratuits (ou à tarifs réduits) a permis à ceux d’améliorer leurs niveaux en mathématiques et en lecture.
Mais encore une fois, et comme le rappelle l’auteur, plusieurs mécanismes peuvent expliquer les effets de ce type de politique publique. Celles-ci peuvent agir directement en évitant aux enfants des carences qui limiteraient leurs concentrations ou leurs capacités cognitives. Elles peuvent aussi agir indirectement. Par exemple, un petit déjeuner servi avant le début des cours peut inciter un enfant à arriver avant le début des cours et donc, à être à l’heure à ceux-ci. Murphy et al. (1998) après avoir étudiés plusieurs écoles à Baltimore et Philadelphie, soulignent que ce mécanisme n’est pas à négliger (un résultat aussi montré par Kleinman et al., 2002). Plus généralement, il peut motiver à venir à l’école. Un enfant mieux nourri peut aussi être moins souvent malade. Enfin, en fournissant des petits déjeuners aux enfants, ces politiques peuvent dans une certaine mesure limiter les problèmes financiers des familles les plus modestes. Or, ceux-ci peuvent avoir un effet néfaste sur la performance scolaire des enfants.[4]
La qualité de la nourriture
Malgré ces mises en garde sur les mécanismes explicatifs, plusieurs articles récents suggèrent un impact direct de la qualité de la nourriture servie dans les écoles sur les résultats scolaires. Dans le cas des petits déjeuners, Frisvold (2015) indique déjà que l’impact du programme s’explique probablement, au moins en partie, via l’accès à une nourriture de meilleure qualité.
Anderson, Gallagher et Ritchie (2018) ont quant à eux eu accès à des données relatives à la qualité des plats servis par les fournisseurs des écoles en Californie. En utilisant une méthodologie de différences de différences, ils montrent que les élèves étudiants dans des écoles approvisionnées par les fournisseurs dont la qualité des plats est la plus haute[5] obtiennent de meilleurs résultats. [6] Ils suggèrent par ailleurs que servir des plats de meilleures qualités ne diminue pas sensiblement le nombre de plats servis dans ces écoles. L’inquiétude, parfois relayée dans les médias (notamment américains), qu’imposer des plats « équilibrés » conduiraient les enfants à déserter les cantines semble donc infondée.
Anderson, Gallagher et Ritchie (2018) reconnaissent que l’impact d’une meilleure nourriture est relativement modeste (bien que positif et statistiquement significatif). Ils insistent par ailleurs sur le fait que servir des plats de qualité n’est pas nécessairement plus cher que servir des plats dont la qualité nutritionnelle est moindre. Un plat de qualité servi à l’école est de toute façonmoins cher qu’un plat de qualité équivalente préparée en dehors de l’école (puisque servir un grand nombre d’enfants permet des économies d’échelle). Ainsi, améliorer la qualité nutritive des plats est une politique publique peu chère et efficace. S’il est difficile d’utiliser ces résultats dans d’autres contextes directement – en France notamment, où la qualité nutritionnelle des plats servis à l’école est davantage règlementée – on peut garder à l’esprit que la qualité nutritionnelle est un facteur de réussite et qu’elle n’est pas nécessairement plus couteuse que des plats de moindre qualité.
Des conséquences à long terme ?
Au-delà d’impact sur la réussite scolaire des plats servis dans les écoles, peut-on observer des conséquences à long terme de ces programmes ? Bütikofer, Mølland et Salvanes (2018) proposent d’utiliser une expérience historique afin de répondre à cette question. Dans les années 1920 et 1930 en Norvège, plusieurs villes commencèrent à organiser des distributions de petits déjeuners dans les écoles afin de combattre la malnutrition (les quantités de vitamines, minéraux et protéines de ces petits déjeuners étant contrôlées). Ce programme, les « Oslo Breakfast », fut cependant abandonné durant la seconde guerre mondiale avec l’introduction de rationnement alimentaire. Les auteurs montrent qu’avoir pu bénéficier de ces petits déjeuners est associé à une plus grande chance de finir le lycée et une poursuite d’études plus longues, mais surtout, un revenu plus élevé de 2-3 % durant la période 1967-1980. Cette hausse de salaire serait expliquée par le fait que les hommes « exposés » aux Oslo Breakfast ont eu plus de chance d’occuper des emplois qualifiés ou semi-qualifiés et au contraire, moins de chance d’être des travailleurs non qualifiés. Cette différence de statut pourrait se transmettre entre générations et les enfants des hommes touchés par ce programme en bénéficieraient donc indirectement. En effet, les auteurs montrent qu’une hausse des revenus peut également être observée sur les enfants (du moins, le premier d’entre eux) des personnes ayant bénéficiées de ces petits déjeuners. Les mères de famille ayant bénéficiées des Oslo Breakfast ne semble en revanche pas transmettre un avantage à la seconde génération. D’ailleurs, l’ensemble des conséquences positives des Oslo breakfast semble se concentrer sur les hommes.
Ces conséquences à long terme ne se limitent pas aux petits déjeuners. Jesper, Lundborg et Rooth (2017) le démontrent en s’intéressant à la mise en place de repas gratuits et de qualité dans les cantines Suédoises dans les années 50 et 60. Ils trouvent que les enfants en ayant bénéficié voient leurs revenus augmenter de 3 % sur l’ensemble de leur vie. Cet impact serait beaucoup plus fort (deux fois plus) pour les personnes d’origines modestes. En utilisant des informations sur les résultats scolaires, mais aussi des informations provenant de leur dossier militaire, les auteurs montrent que les personnes ayant bénéficié de ce programme étaient en meilleure santé et firent des études plus longues. Ces résultats sont d’autant plus intéressants que les auteurs parviennent parfois à comparer des personnes provenant de la même famille et estiment alors des effets similaires. Par exemple, une personne qui aurait bénéficié du programme gagnerait 3-4 % de plus qu’un de ses frères ou sœurs plus âgé qui aurait quitté l’école avant sa mise en place des repas gratuit. En ramenant le coût du programme et les gains financiers qu’il a engendrés à une même date, les auteurs remarquent que ce programme fut très largement profitable. Il aurait rapporté presque quatre fois plus qu’il n’a couté.
Conclusion
Les liens entre alimentation de qualité et réussite scolaire ne sont plus à démontrer et cela justifie la mise en place de politiques publiques afin de subventionner des petits déjeuners ou des repas aux enfants, en particulier les plus modestes. Cet article montre toutefois que l’impact de ces politiques n’est pas toujours évident à évaluer. Différents mécanismes peuvent expliquer l’impact de ces politiques et on doit distinguer l’effet direct d’une meilleure alimentation des effets indirects, par exemple via un moindre absentéisme. Malgré ces difficultés, il apparait que (a) la qualité de la nourriture semble avoir un impact direct sur les résultats scolaires et (b) que cela peut engendrer des différences substantielles à long terme.
Ces résultats sont à garder à l’esprit quand on analyse les politiques publiques. Par exemple, celles proposées récemment par l’exécutif qui incitent les communes à proposer des repas à moins de 1 € pour les enfants issus de familles pauvres (une mesure du « plan pauvreté »)[7]. Au contraire, on peut s’interroger sur la pertinence des choix opérés par certaines villes qui augmentent les tarifs ou suppriment la gratuité des cantines pour les enfants de familles les moins fortunées.[8]
Référence :
David E. Frisvold, 2015, Nutrition and cognitive achievement: An evaluation of the School Breakfast Program, Journal of Public Economics, Volume 124, p91-104.
Michael L. Anderson, Justin Gallagher, Elizabeth Ramirez Ritchie, 2018, School meal quality and academic performance, Journal of Public Economics, Volume 168, p81-93.
Aline Bütikofer, Eirin Mølland, Kjell G. Salvanes, 2018, Childhood nutrition and labor market outcomes: Evidence from a school breakfast program, Journal of Public Economics, Volume 168, p62-80.
Dahl, Gordon B., Lochner, Lance, 2012. The impact of family income on child achievement:
evidence from the earned income tax credit. Am. Econ. Rev. 102 (5), 1927–1956.
Dahl, Gordon B., Lochner, Lance, 2016, The Impact of Family Income on Child Achievement: Evidence from the Earned Income Tax Credit: Reply, NBER working paper.
Jesper Alex-Petersen, Petter Lundborg, Dan-Olof Rooth, 2017, Long-Term Effects of Childhood Nutrition: Evidence from a School Lunch Reform, IZA working paper.
J. Michael Murphy, Maria E. Pagano, Joan Nachmani, Peter Sperling, Shirley Kane et Ronald E. Kleinman, 1998, The Relationship of School Breakfast to Psychosocial and Academic Functioning : Cross-sectional and Longitudinal Observations in an Inner-city School Sample, Archives of Pediatric and Adolescent Medecine, 152(9), pp899-907.
John A. Maluccio, John Hoddinott, Jere R. Behrman, Reynaldo Martorell, Agnes R. Quisumbing and Aryeh D. Stein, 2009, The impact of improving nutrition during early childhood on education among Guatemalan adults, The Economic Journal, 119, p734-763.
R.E. Kleinman, S. Hall H. Green, D. Korzec-Ramirez, K. Patton, M.E. Pagano, J.M. Murphy, 2002, Diet, Breakfast, and Academic Performance in Children, Annals of Nutrition and Metabolism, 46, p24–30.
Annik Sorhaindo, Leon Feinstein, 2006, What is the relationship between child nutrition and school outcomes? Wider Benefit of Learning Research Report n°18.
[1] Ces politiques se justifient également en mobilisant des arguments éthiques (il est immoral de laisser des enfants avoir faim). Le présent article ignore volontairement cette discussion afin de se concentrer sur les conséquences identifiées par la littérature économique.
[2] En pratique, Maluccio et al. (2009) n’observent pas si les enfants ont reçu la boisson et à quel point mais seulement si celle-ci étaient distribuée dans leur village.
[3] Par exemple, se rendre avec ses parents dans un centre de distribution des boissons peut avoir stimulé les interactions sociales, ce qui expliqueraient plus tard une hausse des capacités communicationnelles (dont la lecture).
[4] Voir Dahl et Lochner (2012 et 2016). Notons toutefois qu’il existe une controverse quant à la qualité de leurs données.
[5] Ils procèdent en deux étapes. (1) Anderson, Gallagher et Ritchie (2018) mesurent la valeur nutritive des plats fournis en se basant sur le Healthy Eating Index proposé par le Department of Agriculture et (2) ils considèrent les fournisseurs proposant des plats dont la qualité est au-dessus de la valeur médiane dans leur échantillon.
[6] Concrètement, Anderson, Gallagher et Ritchie (2018) exploitent les changements de fournisseurs des écoles pour voir si une école qui sélectionne un « meilleur fournisseur » connaîtra une variation du niveau des étudiants plus grande que dans les autres écoles.
[7] Remarquons que de nombreuses communes appliquent déjà de tel tarifs. Certains maires jugent donc que ce volet du plan pauvreté ne va pas assez loin.
https://www.liberation.fr/checknews/2018/09/21/les-repas-a-1-dans-les-cantines-annonces-dans-le-plan-pauvrete-sont-ils-vraiment-nouveaux_1679873
[8] On peut notamment penser à la ville de Toulouse.
https://www.lesechos.fr/31/08/2015/lesechos.fr/021292277610_toulouse-supprime-la-gratuite-de-la-cantine-scolaire.htm