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Le lien entre l’agriculture et le développement (Etude)

 

 

Le lien entre l’agriculture et le développement

 

Résumé :

  •  Les gains de productivité dans l’agriculture participent à l’initiation du processus de développement, mais d’autres éléments entrent en jeu, comme l’accumulation de capital dans le reste de l’économie :
  •  Il existe une relation négative entre le niveau de richesse par habitant et le poids de l’agriculture dans l’économie ;
  •  À la fin du processus de transition, l’agriculture a encore des fonctions primordiales : elle ne participe plus beaucoup à l’essor de l’économie, mais elle en est la garante.

L’agriculture est le berceau de l’activité humaine. Apparue au Néolithique, 10 000 à 9 000 ans avant J.C., cette activité n’a cessé d’être au centre du développement depuis lors [1]. Aujourd’hui encore, si moins de 5 % de la population active des pays développés travaille dans l’agriculture, elle reste l’activité principale des individus dans les pays pauvres et en développement.

Les questions primordiales des économistes sont d’une part de savoir pourquoi les pays riches sont riches et les pays pauvres sont pauvres ? Et, d’autre part, comment permettre aux pays pauvres de croître pour rattraper les pays riches ? Ces questions sont bien sûr complexes et le but n’est pas ici de prétendre y répondre. Nous allons seulement tenter d’apporter un petit éclairage sur le rôle de l’agriculture dans le processus de développement.

 

 

Économies pré-industrielles

 

Les économies pré-industrielles étaient caractérisées par une importante part de la population travaillant dans l’agriculture et par l’importance de cette dernière dans les revenus. Ainsi, les années de sécheresse ou de pluies abondantes menaient généralement à des famines car les individus n’avaient plus accès aux produits de base.

Mais plus encore, ces économies étaient dans une trappe malthusienne constante. C’est-à-dire que la croissance de la population est extrêmement dépendante des rendements agricoles : la population augmentant, il fallait produire plus pour pouvoir la nourrir. Seulement, l’agriculture est un secteur à rendement décroissant, ce qui signifie que la mise en culture de terres supplémentaires ne permet pas de produire autant que les terres précédentes, ceci pour deux raisons. Tout d’abord, il y a une décorrélation entre les besoins en nourriture de la population et les capacités humaines de production : les nouveaux-nés et jeunes enfants ont besoin de manger sans pouvoir travailler, de même que les personnes âgées. De plus, les hommes cultivent en premier lieu les terres les plus fertiles et ensuite les moins fertiles, c’est-à-dire avec un rendement inférieur. Ceci mène à ce que la production agricole n’augmente pas autant que les besoins, ce qui provoque des famines. Dans ce cadre, on comprend que le développement économique repose principalement sur le développement agricole.

 

 

Révolution industrielle et déversement

 

La révolution industrielle, qui démarre en Angleterre durant la première partie du XIXème siècle, est permise par la recherche de nouveaux profits. C’est ainsi que, dans l’agriculture, comme dans d’autres secteurs, particulièrement le textile, des innovations voient le jour. Ces innovations permettent d’augmenter la productivité et ainsi de libérer des travailleurs. Or, l’agriculture est à l’époque le plus gros secteur d’activité. C’est donc de là que vont partir l’essentiel des forces de travail pour aller s’occuper à d’autres tâches, dans des secteurs nouveaux issus de la révolution.[2]

Ce processus est celui du déversement sectoriel : une innovation dans un secteur permet d’y diminuer les besoins en main-d’œuvre. L’augmentation des profits et des salaires dans ce secteur vont augmenter la demande attribuée à l’ensemble de l’économie et ainsi créer des nouveaux emplois dans les autres secteurs, permettant d’employer les travailleurs récemment sortis du secteur innovant. De plus, l’innovation, permettant de réaliser des gains de productivité, permet non seulement d’augmenter les profits et donc les salaires, mais aussi de diminuer le prix des biens produits. Le renforcement de la productivité agricole a ainsi eu pour effet d’augmenter les revenus des agriculteurs restant en emploi, mais surtout, elle a permis la diminution et la stabilisation des prix des denrées qui ont libéré une part importante du revenu des ménages. Achetant moins chers leurs produits alimentaires, ils ont pu orienter leur consommation vers d’autres secteurs. L’augmentation de la demande attribuée à ces secteurs a permis leur essor et ainsi de nouvelles embauches.

Ainsi, l’agriculture était la première activité humaine, et ce sont les progrès techniques en son sein qui ont permis aux innovations de la révolution industrielle de se développer grâce à l’afflux de travailleurs. Initialement donc, il a fallu nécessairement une augmentation de la productivité agricole pour que la transition économique vers une industrialisation puisse s’effectuer [3].

 

 

Importance de l’agriculture dans le PIB

 

Ce phénomène a eu pour conséquence de réduire le poids de l’agriculture dans l’économie. Le graphique de la figure 1 montre que la part de l’agriculture dans le PIB de quelques pays tend largement à diminuer mais qu’il est encore bien plus important dans les pays pauvres et en développement que dans les pays développés. En effet, seuls le Brésil et en fin de période la Chine, ont des agricultures représentant environ 10 % de l’activité, alors qu’elle représente encore 20% dans les autres pays pauvres et en développement.

 

Figure 1 : Part de l’agriculture dans le PIB

Sources : WDI-BSi Economics-Macrobond-Auteur

 

Les graphiques de la figure 2 permettent d’appréhender partiellement le niveau de productivité des agricultures comparativement au niveau du PIB. On remarque que les pays développés, dont l’agriculture explique une part plus faible du PIB, y emploient aussi beaucoup moins d’individus (or, les agricultures de ces pays produisent énormément). Les données pour les pays pauvres et en développement manquent, mais nous remarquons tout de même une évolution importante entre 1990 et 2010, particulièrement pour la Chine et, dans une moindre mesure pour le Brésil. Par contre l’Inde, mais surtout le Pakistan, ne semblent pas beaucoup évoluer. Ceci montre que la transition économique est très inégalement répartie.

 

Figure 2 : Lien entre le niveau d’emploi dans l’agriculture et le PIB par tête

Sources : WDI-BSi Economics-Macrobond-Auteur

Note : la droite rouge est la droite de régression du nuage de points. Elle indique de combien le niveau d’emploi dans l’agriculture diminue lorsque le PIB augmente de 1. Les étoiles signifient que les coefficients sont statistiquement significatifs. Enfin, le R2 donne une indication sur la viabilité totale du modèle testé : plus il est proche de 1 plus le modèle explique les variations observées.*

 

Enfin, les graphiques de la figure 3 permettent justement de situer les pays dans le processus de transition économique. Ainsi, les pays développés ont une agriculture qui explique peu le PIB, comme le montrait le graphique de la figure 1, alors que les pays pauvres et en développement sont bien plus dépendants de ce secteur. Encore une fois, on remarque bien que la Chine et le Brésil sont entrés dans cette transition puisqu’ils se déplacent vers le bas et la droite. Ces graphiques montrent que l’Inde semble finalement être entrée dans ce processus. Les autres pays n’évoluent que très peu.

 

Figure 3 : Lien entre le niveau d’emploi dans l’agriculture et le PIB par tête

Sources : WDI-BSi Economics-Macrobond-Auteur

 

Ces graphiques montrent que le développement des pays est bien lié à l’évolution de la production agricole : plus elle est productive, moins elle demande de main d’œuvre et plus les autres secteurs de l’économie ont du travail à disposition pour produire. Il semble cependant que le rythme de conversion des pays pauvres et en développement soit plus lent que celui des pays développés lors de la révolution industrielle. Il est ainsi intéressant de se demander pourquoi nous observons ce résultat ? Pourquoi l’augmentation de la productivité agricole a permis aux économies des pays occidentaux de se développer mais ne le permet pas, ou moins, dans les pays en développement ?

Tout d’abord, la productivité agricole de beaucoup de pays pauvres et en développement reste  faible. Le processus de déversement de travailleurs n’est donc pas à son maximum, comme en témoigne l’importance des emplois agricoles (plus de 50 % des populations actives africaine et asiatique). Bien sûr, le taux moyen des emplois agricoles est passé de 81 % à 48,2 % entre 1950 et 2010 dans les pays en développement, ce qui montre que, dans l’ensemble, les pays en développement sont entrés dans le processus de transition, mais il reste très loin de celui des pays développés qui comptent seulement 4,2 % d’emplois agricoles en 2010.[4] Tant que les individus sont obligés d’être agriculteurs pour survivre, le développement des autres secteurs se retrouve fortement contraint, faute de main d’œuvre disponible.[5]

Mais en réalité, si le progrès technique dans l’agriculture est absolument nécessaire pour engendrer le développement global, il n’est pas suffisant. Son intérêt est de permettre à une part importante des individus d’être disponibles pour travailler dans d’autres secteurs. Il faut donc ensuite que le reste de l’économie puisse les absorber. Pour que cela soit possible, il faut que les autres secteurs de l’économie accumulent du capital. En le faisant, ces secteurs pourront ainsi employer des individus productifs comparativement au niveau de capital (théorie des rendements décroissants des facteurs de production).[6]

De plus, il faut, à la suite de l’enclenchement de cette transition de l’économie agricole vers une économie industrielle, investir massivement dans l’éducation de qualité pour accroître les capacités productives de l’ensemble de l’économie, agricoles ou non (c’est l’enseignement des modèles de croissance endogène).[7]

 

À la fin de l’industrialisation de l’économie, les pays doivent-ils délaisser leur agriculture ?

 

Il semble ainsi que l’agriculture soit importante pour l’initialisation du développement économique. Cependant, lorsque les économies sont développées, que l’agriculture est réduite à une petite partie du PIB et de l’emploi, se pose la question de devoir attribuer une attention particulière à ce secteur. Selon notre cheminement jusqu’ici, il paraît en effet qu’il soit un moyen d’arriver à une économie industrielle, de même que l’industrie semble être un moyen d’arriver à une économie de services. L’intérêt d’avoir et de soutenir un secteur agricole important pourrait donc être remis en question.

L’abandon d’un secteur d’activité n’est jamais sans conséquences, même si c’est un secteur économique marginal. Néanmoins, nous pouvons avancer plusieurs arguments incitant à maintenir une agriculture forte : la sécurité alimentaire, le commerce international et l’aménagement du territoire.

Tout d’abord, en cas de crise mondiale, qu’elle soit de nature économique, politique ou, probablement aujourd’hui, climatique, l’abandon de l’agriculture est problématique car cela touche à la sécurité alimentaire. S’en remettre aux marchés mondiaux pour s’approvisionner en denrées empêche de pouvoir se prémunir d’un tel risque, que des pays, particulièrement africains, subissent très largement aujourd’hui (sur le marché du riz par exemple). Cependant, le coût de maintenir un secteur d’activité au cas où une crise surviendrait doit être correctement appréhendé, de même que le niveau du risque d’occurrence d’une crise.

Dans le contexte actuel d’inégalités importantes de développement, particulièrement alimentaires, les agricultures très productives des pays développés permettent d’assurer l’approvisionnement des marchés mondiaux en produits agricoles et ainsi participent largement à la sécurité alimentaire globale. Tant que ces différences de productivités et de politiques agricoles seront aussi importantes, il y aura une forte demande sur les marchés internationaux. D’autant plus que les produits agricoles peuvent être vendus bruts, mais aussi transformés, ce qui augmente d’autant les débouchés internationaux. De fait, l’agriculture peut être, comme pour la France, un secteur très important pour l’équilibre de la balance commerciale.

Enfin, l’agriculture a un autre atout primordial, qui n’est pas lié à la souveraineté. L’agriculture, dans l’ensemble des pays, joue un rôle d’aménagement et d’entretien du territoire.  Les paysages des pays développés sont façonnés par des siècles d’agriculture, de même que la plupart des pays pauvres et en développement où, aujourd’hui encore, l’agriculture est le premier employeur.

 

Conclusion

 

Ainsi, l’agriculture a été la première activité humaine et c’est elle qui a permis la révolution industrielle. Cependant, c’est un élément nécessaire mais non suffisant pour enclencher la transition économique. Il faut en effet que le reste de l’économie soit apte à absorber l’afflux de travailleurs : il faut que l’économie soit sur-capitalisée. Pour que les pays les moins avancés, pauvres et en développement atteignent des niveaux de croissance importants et viables, il est nécessaire que les États poussent à l’augmentation de la productivité agricole, tout en incitant l’accumulation de capital dans le reste de l’économie.

À la fin du processus de transition, l’agriculture n’est pas vouée à être abandonnée pour plusieurs raisons : elle est la garante de la sécurité alimentaire, elle peut être un grand secteur d’exportation et elle est un canal important d’aménagement du territoire.

 

 

Bibliographie :

 

[1] Mazoyer, M., & Roudart, L. (1997). Histoire des agricultures du monde (No. 2013/44782). ULB–Universite Libre de Bruxelles.

Repec : https://ideas.repec.org/p/ulb/ulbeco/2013-44882.html

 

[2] Le fait que la révolution industrielle commence en Angleterre et non autre part est bien sûr expliqué par beaucoup d’autres facteurs : le manque de main-d’œuvre (Allen 2009b « the British industrial revolution in global perspective« ), la qualité des institutions ( Acemoglu, Johnson & Robinson 2005 Repec : http://www.aeaweb.org/articles.php?doi=10.1257/0002828054201305), ou encore les variations de la population suites aux guerres et aux maladies (Voigtländer & Voth 2013 Repec : http://www.barcelonagse.eu/sites/default/files/working_paper_pdfs/719.pdf).

 

[3] Gollin, D., Parente, S., & Rogerson, R. (2002). The role of agriculture in development. American Economic Review, 160-164.

Repec : http://web.williams.edu/Economics/wp/Gollin_The_Role_of_Agriculture_in_Development.pdf

 

[4]http://www.momagri.org/FR/chiffres-cles-de-l-agriculture/Avec-pres-de-40%25-de-la-population-active-mondiale-l-agriculture-est-le-premier-pourvoyeur-d-emplois-de-la-planete_1066.html

 

[5] Yang, D. T., & Zhu, X. (2013). Modernization of agriculture and long-term growth. Journal of Monetary Economics, 60(3), 367-382.

Repec : https://www.economics.utoronto.ca/public/workingPapers/tecipa-472.pdf

 

[6] Berthelier, P., & Lipchitz, A. (2005). Quel rôle joue l’agriculture dans la croissance et le développement?. Revue Tiers Monde, 183(3), 603-624.

Repec : http://www.persee.fr/doc/tiers_1293-8882_2005_num_46_183_5595

 

[7] Notons que ces propositions n’ont pas vocation à être initiées directement par les puissances publiques. En effet, à la suite des travaux de W. Easterly, il semble que les individus réagissent massivement aux incitations et que la meilleure manière de faire est donc de designer des politiques incitatives plutôt que directives (Easterly, W. R. (2006). Les pays pauvres sont-ils condamnés à le rester?  Eyrolles-Ed. d’Organisation.)

 

Notes :

* Les régressions proposées sont faites sur de très petits échantillons, néanmoins en relançant l’analyse sur le maximum de pays avec des données issues de la base WDI de la banque mondiale, nous obtenons l’équation suivante pour l’année 2012 : Emplois = -14.1*** PIB + 153***, et un R2 de 0.6 (106 observations). Ceci montre que notre analyse est cohérente.

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