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Et si le genre avait un impact sur les politiques économiques ? (Note)

Résumé :

  • Malgré de notables progrès, les femmes demeurent sous-représentées parmi les élus.
  • Le genre semble jouer un rôle en termes dans la prise de décision de politique publique, notamment en termes d’investissement public.
  • Au niveau de la banque centrale, une plus grande représentativité féminine est associée à un niveau d’inflation plus bas.
  • Les pays où les femmes sont les plus représentées se retrouvent majoritairement dans le haut du classement mondial en termes de gouvernance, de niveau des inégalités de revenus, ou de dépenses publiques (R&D, éducation), soit des variables économiques en lien direct avec la mise en œuvre des politiques publiques.
  • Les femmes élues font office de modèle pour les femmes dans les pays où elles sont au pouvoir.

Bien que les femmes demeurent globalement sous-représentées au sein des Parlements et des gouvernements, de plus en plus de femmes font leur apparition à la tête des gouvernements à l’instar d’Indira Gandhi en Inde dans les années 1960-1980 ou de Jacinda Ardern en Nouvelle-Zélande et Mette Frederiksen au Danemark plus récemment.

En 2022, les femmes occupaient 26,5 % en moyenne des sièges dans les Parlements dans le monde contre 19,2 % en 2010. Les pays nordiques, tels que la Suède, la Norvège, la Finlande, le Danemark et l’Islande, se distinguent en la matière en enregistrant des taux de représentativité particulièrement élevés, dépassant les 45 % (Carte 1). Simple fait stylisé ou implications économiques réelles ? Il semblerait que le genre des dirigeants politiques ne soit pas anodin, que cela soit au niveau de la prise de décision en termes de politiques publiques ou dans la manière où ces politiques sont mises en œuvre et perçues.

 

Le genre jouerait clairement en termes de décisions de politiques publiques

L’association entre le genre et son impact en matière de politiques publiques repose sur le fait que les hommes et les femmes ont des croyances politiques, des préférences sociales et une éthique sociale différentes. En ce sens, il a été notamment démontré en Suisse que les femmes seraient plus altruistes et davantage préoccupées par les questions de justice sociale et d’accès aux services publics (Funk et Gathmann, 2006).

En ce sens, Chattopadhyay et Duflo (2004) ont constaté qu’une augmentation de la participation des femmes à la vie politique dans les villages indiens entraînait une hausse significative des dépenses dans les infrastructures publiques, notamment en termes de fourniture d’eau potable. Pour établir un effet causal, les auteurs ont utilisé l’introduction d’un quota dans les conseils de village au Bengale occidental et au Rajasthan. L’étude de Beaman et al. (2012), également basée sur cet événement, tend à démontrer qu’une plus grande représentation des femmes dans les conseils municipaux conduit à un investissement accru dans l’éducation et la santé des enfants. D’un point de vue agrégé, Baskaran et al. (2018) suggèrent que les circonscriptions indiennes sujettes aux quotas présentent de meilleures performances en termes de croissance économique et de niveau de corruption que les autres. Ces différences de corruption sont probablement à mettre en lien avec les résultats de travaux de Grosh et Brau (2017), qui montent une propension des femmes à être plus honnêtes que leurs homologues masculins.

Le constat est similaire dans les pays développés : Besley et Case (2003) constatent qu’une plus grande représentation des femmes dans les assemblées législatives des États américains augmente les dépenses publiques consacrées aux programmes d’aide à la famille, tout en renforçant l’application des lois sur les pensions alimentaires pour les enfants. Enfin, les femmes élues ont un impact moyen positif et significatif sur la mise en œuvre de politiques liés aux femmes elles-mêmes, notamment celles qui sont liées au congé maternité ou le doit à l’avortement dans les pays membres de l’OCDE (Kittilson, 2008).

Du point de vue de la banque centrale, une part de femmes plus élevée dans les comités en charge des politiques monétaires contribue à réduire le taux d’inflation dans neuf pays de l’OCDE (Farvaque et al., 2011). Une réduction de l’inflation a généralement des effets vertueux sur les équilibres macroéconomiques et se montre conforme au mandat des banques centrales. Dès lors le facteur de genre semble positif en contribuer à davantage de stabilité économico-financière. Selon Farvague et al., une fois nommées, les femmes doivent se montrer encore plus « conservatrices » que leurs homologues masculins pour conserver leur crédibilité au sein du comité en question. Un tel résultat semble révéler qu’il pourrait y avoir ici un effet de genre défavorable. La crédibilité d’une Banque centrale repose sur une utilisation efficace de ses outils pour atteindre les objectifs fixés par son mandat. Si le manque de reconnaissance des membres féminins des comités monétaires les pousse à se montrer trop « conservatrices », cela peut mener à des politiques monétaires également trop « conservatrices ». Le risque ici est qu’une politique monétaire trop « conservatrice » vienne inutilement peser sur les équilibres économico-financiers voire entacher à terme la crédibilité de la Banque centrale[1].

Toutefois, contrairement à la croyance populaire selon laquelle les femmes auraient mieux géré l’épisode du COVD-19, aucune différence en termes de gestion de crise n’a pu être mise en exergue entre les hommes et les femmes dirigeants (Aldrich and Lotito, 2020).

Les 14 pays où la part des femmes élues au Parlement représente plus du tiers des sièges[2] ont tendance à se retrouver parmi les meilleurs pays sur un ensemble de critères relevant des politiques publiques (cf . graphique ci-dessous). Cela est d’autant plus vrai pour les pays développés, plus particulièrement sur des critères de gouvernance établis par la Banque Mondiale (qualité de la règlementation, efficacité du gouvernement, contrôle de la corruption). S’il est difficile de tirer de réelles conclusions sur ces corrélations, elles permettent néanmoins d’observer là où les pays semblent disposer d’un arsenal de politiques publiques efficaces pour faire face à certaines problématiques et là où ces politiques se doivent d’être conçues et appliquées de manière plus efficientes.

 

Si une majorité des 14 pays enregistrent des résultats relativement positifs sur certains critères économiques (inégalités de revenu, dépenses en R&D et dans l’éducation en % du PIB), ils ne sont néanmoins que 4 (les pays d’Europe du Nord hors Finlande) à réussir à mener des politiques publiques particulièrement efficaces pour lutter contre la vulnérabilité des emplois (le constat est similaire pour l’emploi des femmes). Il est également intéressant d’observer si l’intégration des femmes à la vie des entreprises est particulièrement répandue parmi ces 14 pays avec une part de femmes élues au Parlement relativement plus élevée. Les résultats se montrent ici assez décevants. Contrairement aux idées reçues, ce sont souvent des pays émergents qui enregistrent des ratios particulièrement plus élevés, indépendamment de la représentation des femmes au Parlement : les pays d’Afrique Subsaharienne concernant le taux de participation des femmes au marché du travail ; une majorité de pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale pour la part d’entreprises avec des femmes dans le top management ; ou encore une petite majorité de pays d’Amérique Latine (plus la France !) avec une part plus élevée de femmes qui détiennent des parts dans leur compagnie. Néanmoins, une telle représentativité peut dans certains cas de figure s’expliquer par une politique dite de « purplewashing », dans le sens ou l’impact décisionnel des femmes dans les instances politiques en question en pratique est parfois quasi nul.

 

Les dirigeantes en guise de source d’inspiration

En somme, l’exposition aux femmes politiques peut avoir un effet significatif sur la manière dont les électeurs perçoivent les femmes et sur celle dont les femmes se voient elles-mêmes. Wolbrecht et Campbell (2007) ont démontré que, dans les pays où la part de femmes parlementaires est plus élevée, les adolescentes et les femmes adultes sont plus susceptibles de prendre part à la vie politique. Par exemple en Inde, l’exposition aux dirigeantes politiques incite également les adolescentes à devenir plus ambitieuses en matière d’éducation (Beaman et al., 2012).

En ce sens, Perrin (2023) montre qu’une femme cheffe de gouvernement tend à pousser les femmes à lancer leur propre entreprise. En effet, l’exposition des femmes en position de pouvoir permettrait aux femmes de s’identifier et de s’inspirer de ces dernières. En outre, la présence de cheffes de gouvernement augmente la probabilité de réduire les inégalités en termes de droit, permettant aux femmes de gagner en autonomie et de choisir leur carrière professionnelle. Similairement, plus de femmes nommées aux conseils municipaux en Inde augmente la part de femmes engagées sur le marché du travail. Enfin, l’accession des femmes au pouvoir politique présente des effets à long terme sur ces dernières : De Paola et al. (2010) montrent que les municipalités italiennes ayant été sujettes à des quotas par le passé élisent une part plus élevée de femmes en tant que maires, même après l’abolition du quota en question.

Cependant, étant donné le nombre restreint des femmes dirigeantes, il demeure compliqué d’identifier des liens de causalité robustes quant à la politique mise en œuvre dans les pays en concernés. En effet, la probabilité qu’une femme accède à la tête d’un gouvernement dépend fortement du niveau de développement d’un pays et de la qualité de ses institutions (Jalalzai, 2013). En somme, un processus de sélection s’opère dans le processus électoral, si bien que les femmes candidates présentent beaucoup de similarités avec les hommes politiques et ne sont pas représentatives de la femme moyenne (Schwindt-Bayer, 2011). Il demeure donc encore difficile de généraliser ces conclusions.

 

Références :

Aldrich, A., & Lotito, N. (2020). Pandemic Performance: Women Leaders in the COVID-19 Crisis. Politics & Gender, 16(4), 960-967.

Baskaran, T., Bhalotra, S., Min, B., & Uppal, Y. (2018). Women legislators and economic performance. WIDER Working Paper 2018/47.

Beaman, L., Duflo, E., Pande, R., & Topalova, P. (2012). Female leadership raises aspirations and educational attainment for girls: A policy experiment in India. Science, 335(6068), 582-586.

Besley, T., & Case, A. (2003). Political institutions and policy choices: evidence from the United States. Journal of Economic Literature, 41(1), 7-73.

Chattopadhyay, R., & Duflo, E. (2004). Women as policy makers: Evidence from a randomized policy experiment in India. Econometrica, 72(5), 1409-1443.

De Paola, M., Scoppa, V., & Lombardo, R. (2010). Can gender quotas break down negative stereotypes? Evidence from changes in electoral rules. Journal of Public Economics, 94(5-6), 344-353.

Farvaque, E., Stanek, P., & Hammadou, H. (2011). Selecting your inflation targeters: Background and performance of monetary policy committee members. German Economic Review, 12(2), 223-238.

Funk, P., & Gathmann, C. (2006). What women want: Suffrage, gender gaps in voter preferences and government expenditures. Gender Gaps in Voter Preferences and Government Expenditures (July 2006).

Grosch, K., & Rau, H. A. (2017). Gender differences in honesty: The role of social value orientation. Journal of Economic Psychology, 62, 258-267.

Jalalzai, F. (2013). Shattered, cracked, or firmly intact?: Women and the executive glass ceiling worldwide. Oxford University Press.

Kittilson, M. C. (2008). Representing women: The adoption of family leave in comparative perspective. The journal of Politics, 70(2), 323-334.

Perrin, C. (2023). You’re the One That She Wants (To Be)? Female Political Leaders and Women’s Entrepreneurial Activity. SSRN (June 2, 2023).

Schwindt-Bayer, L. A. (2011). Women who win: Social backgrounds, paths to power, and political ambition in Latin American legislatures. Politics & Gender, 7(1), 1-33.

Wolbrecht, C., & Campbell, D. E. (2007). Leading by example: Female members of parliament as political role models. American Journal of Political Science, 51(4), 921-939.



[1]Une politique monétaire trop « conservatrice » consistant par exemple à relever les taux directeurs avec une amplitude et une fréquence trop élevée peut mener à un resserrement des conditions de financement trop dur et générer davantage d’instabilité économico-financière que souhaité (risque de récession, risque de liquidité, risque de vulnérabilité lié à l’endettement public et/ou privé etc.).

[2]En moyenne depuis 25 ans, 14 pays se distinguent : 9 pays développés (Suède, Finlande, Norvège, Danemark, Islande, Pays-Bas, Espagne, Belgique, Nouvelle Zélande) et 5 pays émergents (Rwanda, Afrique du Sud, Argentine, Mozambique, Costa Rica).

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