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Les grands défis de l’Afrique du Sud à la veille des élections générales (Note)

Utilité de l’article : Malgré le marasme économique et les scandales de corruption, le Congrès national africain (ANC) et son leader Cyril Ramaphosa sont donnés favoris des élections générales du 8 mai 2019. A la veille de ces élections, cet article revient sur l’ampleur des défis auxquels est confrontée la deuxième puissance économique africaine et sur les axes de réforme prioritaires pour le pays.

 

Résumé :

  • Malgré de récentes évolutions favorables (reprise de la croissance économique, stabilisation du taux de change), l’Afrique du Sud reste confrontée à de graves problèmes structurels, parmi lesquels une corruption endémique, des entreprises publiques mal gérées et une vulnérabilité externe accrue ;
  • Les fragilités de la compagnie nationale d’électricité Eskom (délestages massifs dus notamment aux problèmes de corruption et à des difficultés budgétaires) font peser des risques importants de surendettement et sur l’activité économique du pays, alors que la situation des finances publiques est d’ores et déjà préoccupante ;
  • L’économie n’étant pas en mesure de créer suffisamment d’emplois, la recherche d’une croissance inclusive reste difficile, faisant de l’Afrique du Sud l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde.

 

 

Vingt-cinq ans après la fin du régime de l’apartheid, l’Afrique du Sud se prépare à vivre des élections disputées, dans un climat économique et social particulièrement fragile. Le Congrès national africain (ANC) domine le paysage politique sud-africain depuis 1994 mais souffre de la désaffection de son électorat depuis les scandales de corruption.

L’arrivée à la Présidence de Cyril Ramaphosa en février 2018 a suscité de grands espoirs, à un moment où l’Afrique du Sud était fragilisée par une économie morose et des tensions sociales et raciales ravivées. Toutefois, l’optimisme s’est depuis rapidement affaibli, à mesure que les réformes structurelles visant à assainir les finances publiques, augmenter la croissance potentielle et favoriser une croissance plus inclusive tardaient à être mises en œuvre. Le Président devra ainsi s’attaquer à de nombreux défis, parmi lesquels l’amélioration de la situation du mastodonte de l’électricité Eskom, garantir une meilleure résilience aux chocs externes et la viabilité des finances publiques, ainsi que réduire la pauvreté, les inégalités persistantes et le chômage endémique.

 

 

1. Après une année 2018 chahutée par la volatilité des flux de capitaux, une reprise de la croissance ternie par les fragilités du géant de l’électricité Eskom

 

1.1 Une année 2018 marquée par des tensions…

Si l’Afrique du Sud bénéficie d’un important potentiel économique, grâce notamment à un sous-sol particulièrement riche en ressources naturelles (or, platine, charbon, diamant, argent) et à un secteur des services (financiers notamment) développé, elle peine néanmoins à exploiter pleinement ses capacités.

L’économie sud-africaine reste particulièrement dépendante aux flux de capitaux, comme l’ont révélé les tensions sur le marché des changes en 2018 (Figure 1). Ainsi, le resserrement des conditions financières mondiales courant 2018 a entraîné des sorties de capitaux dans les principaux pays émergents, notamment en Afrique du Sud, de nature à compromettre sa capacité à satisfaire ses importants besoins de financement extérieur. En effet, l’aggravation du déficit de la balance courante (de -2,4 % du PIB en 2017 à -3,4 % du PIB en 2018 selon le FMI), le niveau relativement faible des investissements directs étrangers (flux nets à -0,7 % du PIB en 2018) et les réserves de change limitées (5,2 mois d’importations en 2019) ont eu tendance à renforcer la vulnérabilité extérieure du pays. Cela s’est traduit par une dépréciation importante du rand sud-africain (-20% entre le 1er janvier et le 1er septembre 2018, Figure 1) et par une hausse des rendements obligataires (7,9 % sur les obligations souveraines à 10 ans au 1er mars 2018 contre 9,37 % au 31 octobre 2018).

 

1.2 …qui semblent être retombées…

Malgré un contexte international tendu, l’économie de l’Afrique du Sud est sortie de la récession au deuxième semestre 2018 après avoir enregistré une croissance du PIB de 2,2 % au troisième trimestre 2018, puis de 1,4 % au quatrième (Figure 2). Ce rebond de l’économie a pour origine une embellie dans l’industrie, l’agriculture et le secteur des transports.

 

Parallèlement, le rand sud-africain tend désormais à se stabiliser. La devise sud-africaine a en effet fluctué entre 13,3 et 14,7 rands pour un dollar américain depuis le début de 2019 (contre une fourchette allant de 11,6 à 15,5 rands pour un dollar américain entre février et septembre 2018), en partie en raison des développements nationaux (reprise de la croissance, discours annuel sur l’état de la nation rassurant vis-à-vis des investisseurs) et de l’amélioration de la situation extérieure (réduction du déficit courant de -3,7 % du PIB au troisième trimestre 2018 à 2,2 % du PIB au quatrième trimestre 2018). En outre, la Réserve fédérale américaine s’étant montrée plus accommodante depuis le début de l’année, les marchés émergents ont profité d’un regain d’attractivité.

 

1.3 …mais la reprise reste entravée par des problèmes structurels, notamment les difficultés rencontrées par la compagnie d’électricité Eskom

Malgré la reprise de l’économie, la croissance du PIB reste nettement insuffisante (0,8 % sur l’ensemble de l’année 2018) pour réduire significativement le chômage (27 % en 2018), la pauvreté[1] et les inégalités. Le chef de l’Etat sud-africain a par conséquent annoncé en septembre 2018 un plan de relance de l’économie, via le développement du tourisme et un vaste programme d’infrastructures, afin de relancer une économie qui se débat depuis plusieurs années avec une croissance molle et un taux de chômage record (27 %).

Mais depuis février 2019, l’Afrique du Sud est de nouveau soumise, par intermittence, à de longues coupures d’électricité qui plongent dans le noir, pendant plusieurs heures et à tour de rôle, des quartiers entiers du pays. Des magasins, des bureaux, des usines et des maisons ont été touchés par ces délestages massifs qui ont provoqué une colère devenue l’une des principales menaces politiques pour le Président C. Ramaphosa. La compagnie publique Eskom, qui gère la fourniture en électricité de plus de 90 % du pays, explique ces délestages par des défauts techniques simultanés dans les centrales, des stocks de gazole épuisés et le cyclone Idai qui a frappé le Mozambique voisin, où l’entreprise s’approvisionne partiellement. Mais le mastodonte sud-africain est surtout un terrain propice au détournement d’argent et à la corruption depuis plus de 10 ans, après une gestion calamiteuse sous la présidence de J. Zuma. Son budget est également mis à mal par la culture du non-paiement qui règne toujours dans le pays. En effet, durant le régime de l’apartheid, le non-paiement des factures était utilisé comme moyen de protestation. Cette méthode persiste au sein de groupes d’individus démunis ou considérant que l’eau et l’électricité devraient être des biens gratuits.

Outre ses effets potentiellement dévastateurs sur l’activité économique, le cas d’Eskom pèsera également sur des finances publiques déjà fragiles.

 

 

2. Des finances publiques sous tensions

 

2.1 Des finances publiques fragiles et vulnérables

La croissance des dépenses publiques a contribué au creusement du déficit public (-5,1 % du PIB en 2019 contre -4,4 % du PIB en 2018, un niveau record depuis 2010), conduisant à quasi doubler le niveau de la dette publique au cours de la dernière décennie (57 % du PIB en 2018 contre 27 % en 2008, Figure 3). Le gouvernement prévoit que la dette publique augmentera à 60,2 % du PIB en 2023/24. Étant donné les piètres résultats obtenus par le gouvernement au cours des dernières années en matière de surestimation des recettes fiscales dans les examens du budget, les recettes pourraient encore une fois être inférieures aux projections du gouvernement, surtout si le PIB croît plus lentement que prévu au cours des trois prochaines années. Des risques pèsent également sur les réductions de dépenses, en particulier la réduction prévue de la masse salariale. Des déficits budgétaires plus larges que prévu pourraient miner les efforts déployés par le gouvernement pour stabiliser la dette publique. Par ailleurs, l’Afrique du Sud reste exposée au resserrement des conditions de financement mondiales, plus de 40% des obligations d’État -la principale source de financement- étant détenues par des non-résidents. Ces derniers sont en effet plus enclins à retirer leurs capitaux du pays en cas d’incertitudes accrues ou de rendements plus sûrs et rentables dans le reste du monde.

Cela est d’autant plus préoccupant que les agences de notation ont menacé le pays d’une nouvelle dégradation en cas de faillite d’Eskom. Moody’s pourrait ainsi suivre Standard & Poors et Fitch en dégradant la note souveraine de l’Afrique du Sud en catégorie spéculative . Un tel scénario viendrait contraindre toute une série d’investisseurs institutionnels et fonds de pension à se détourner de la dette sud-africaine, ces derniers ne pouvant pas détenir pour leurs clients des placements jugés spéculatifs. Cela entraînerait par conséquent des sorties de capitaux massives du marché obligataire sud-africain et conduirait, à court terme, à une nouvelle dépréciation de la monnaie et à une inflation plus élevée.

 

2.2 Des ressources budgétaires considérables nécessaires pour soutenir la compagnie d’électricité Eskom

Ancien fleuron de l’économie sud-africaine, l’entreprise publique Eskom est désormais proche de la faillite, avec une dette abyssale de 420 milliards de rands (26,5 milliards d’euros, soit 15 % de la dette d’Etat en septembre 2018). La dégringolade d’Eskom inquiète politiquement le Président C. Ramaphosa et l’ANC. C’est la raison pour laquelle le gouvernement sud-africain a annoncé un plan de sauvetage de 69 milliards de rands sur trois ans  (soit 0,4 % du PIB par an) pour le géant de l’électricité, ainsi que sa séparation en trois entités distinctes (production, transport et distribution) afin d’isoler les coûts et d’avoir une responsabilité propre pour chaque entité.

Mais le cas d’Eskom est révélateur d’un problème plus large de l’économie sud-africaine. En effet, la plupart des entreprises publiques sont profondément endettées et ont été gangrenées par la corruption. Transnet, South African Airways (SAA), la South African Broadcasting Corporation et de nombreuses autres entreprises nationales affichent une santé financière inquiétante. Ces entreprises font ainsi peser un risque non négligeable sur le budget de l’Etat.

Dans son examen du budget 2019 annoncé en février, le gouvernement a budgétisé l’aide financière en faveur d’Eskom, tout en introduisant des mesures compensatoires qui comprennent de modestes augmentations d’impôts et de fortes réductions des dépenses. Ces mesures étant insuffisantes pour compenser le financement du sauvetage d’Eskom, le gouvernement s’est montré plus pessimiste sur ses objectifs de déficit budgétaire pour les trois prochaines années. Les investissements publics dans les projets d’infrastructure pèseront également sur le budget. 

 

 

3. Hausse de la pauvreté et record mondial des inégalités

 

La nécessité de renforcer la croissance potentielle est également indispensable pour tendre vers une amélioration des conditions de vie au sein du pays. En effet, la croissance économique reste trop faible pour générer suffisamment d’emplois. En 2019, le FMI prévoit une croissance du PIB de seulement 1,2 %. S’attaquer aux défis posés par les fortes inégalités passera notamment par la création d’emplois, tandis que les politiques de redistribution seront favorisées par une croissance plus dynamique. 

Le Plan national de développement 2030 « Notre avenir – Réussir » (lancé en 2012) vise à éliminer la pauvreté et à réduire les inégalités. Il identifie le triple défi de la pauvreté élevée, des inégalités et du chômage comme un enjeu majeur pour le pays. La persistance de ces enjeux, plus de deux décennies après la fin de l’apartheid, amène à nous interroger sur l’ampleur et les causes de la pauvreté et des inégalités.

 

3.1 Un pays marqué par un chômage endémique

L’importance et l’augmentation du taux de chômage (passé de 21,5 % en 2008 à près de 28 % aujourd’hui, avec une proportion de chômeurs de longue durée de 69 %)et la faible création d’emplois, constitue le principal défi de l’Afrique du Sud. Héritage durable de l’apartheid, les disparités raciales et de genre restent prédominantes sur le marché du travail sud-africain. Il existe par ailleurs une inadéquation structurelle entre la demande et l’offre de main-d’œuvre pour les travailleurs non qualifiés.Parallèlement, la main d’œuvre qualifiée est souvent difficile à trouver dans la plupart des secteurs, en raison notamment de la faiblesse du système éducatif public. En outre, le sous-développement des infrastructures de transports, le coût élevé des trajets domicile-travail et la criminalité rendent la recherche d’emploi plus difficile et augmentent les dépenses et les salaires de réserve (salaire en deçà duquel un chômeur n’accepte pas l’offre d’emploi correspondante). L’environnement réglementaire rigide contribue à des niveaux élevés de chômage et de disparités salariales. Enfin, la part des petites et moyennes entreprises (PME) a diminué avec le temps, tout comme la proportion de salariés y travaillant. Or les PME constituent un élément clé pour la création d’emplois, l’innovation et la compétitivité. En outre, la probabilité de trouver un emploi dans une petite entreprise après avoir été inactif ou sans emploi est plus de trois fois supérieure à celle d’une grande entreprise[2]. L’ensemble de ces défis ralentit considérablement la capacité du marché du travail à participer à la réduction de la pauvreté et des inégalités, alors même que la participation au marché du travail est plus faible et le taux de chômage plus élevé parmi les ménages pauvres.

 

3.2 Une pauvreté en hausse et des inégalités sociales et raciales omniprésentes

Si la tendance de long terme témoigne des progrès dans la réduction de la pauvreté, ces dernières années révèlent des résultats mitigés (Figure 4). En effet, malgré la baisse générale de la pauvreté entre 2006 et 2011, le taux de pauvreté en Afrique du Sud a augmenté entre 2011 et 2015, passant de 53,2 % à 55,5 %[3]. Cette situation est le résultat d’une croissance économique morose, d’un taux de chômage toujours élevé, d’une hausse des prix à la consommation (notamment l’énergie et les produits alimentaires), d’une baisse des investissements, d’une dépendance accrue des ménages au crédit et des incertitudes politiques. Les enfants âgés de moins de 17 ans, la population noire, les femmes, les habitants des zones rurales et les personnes peu ou pas scolarisées sont les principales victimes de la pauvreté.

Les inégalités sont quant à elles restées considérablement élevées (Figure 5). et se sont creusées depuis 1994.. L’indice de Gini, qui mesure le niveau d’inégalité de répartition des revenus (0 signifiant l’équi-répartition et 1 l’inégalité parfaite), était de 0,63 en 2014, faisant de l’Afrique du Sud le pays le plus inégalitaire au monde. L’existence d’un marché du travail polarisé engendre une forte disparité salariale. La mobilité intergénérationnelle est relativement faible et constitue un obstacle à la réduction des inégalités.

Le 1er janvier 2019, l’Afrique du Sud a lancé la mise en œuvre d’un salaire minimum national de 3 500 rands (environ 220 euros) par mois, sur la base de 42 heures de travail par semaine. Cette réforme devrait avoir un effet non négligeable, puisque ce salaire minimum va concerner près de la moitié de la population du pays (47 % selon la plus grande centrale syndicale du pays, la Cosatu). Cette mesure bénéficiera notamment à 70 % des travailleurs agricoles, qui touchent moins de 2 000 rands, et à 90 % du personnel de maison qui gagne moins de 3 120 rands, selon le gouvernement. Le revenu moyen reste toutefois encore cinq fois supérieur au salaire minimum. Outre cette réforme, favoriser la création d’emplois, soutenir l’éducation pour améliorer les compétences et promouvoir une croissance inclusive seront des éléments clés dans l’objectif de réduire la pauvreté et les inégalités.

Par ailleurs, malgré la fin de l’apartheid en 1994, les tensions raciales restent prégnantes en Afrique du Sud, où Noirs et Blancs s’opposent actuellement sur la réforme agraire. A l’heure actuelle, la minorité blanche (8 % de la population) possède 72 % des fermes, contre 4 % seulement pour les population noires (80 % de la population). C. Ramaphosa prévoit donc des expropriations sans indemnisation au profit de la majorité noire, afin de réparer ce qu’il dénonce comme une injustice grave découlant du régime de l’apartheid. Cette réforme, qui inquiète la population blanche, a cristallisé les tensions durant l’ensemble de la période électorale.

 

Conclusion

S’il veut sortir l’économie sud-africaine de sa torpeur, le prochain Président devra rapidement s’atteler à endiguer la corruption, promouvoir une croissance inclusive, lutter contre le chômage et redresser les finances publiques. S’attaquer à ces quatre grands défis sera en outre indispensable à la réduction de la pauvreté et des inégalités.

 

Bibliographie

FMI, Article IV, Juillet 2018

Banque Mondiale: “Overcoming Poverty and Inequality in South Africa, An Assessment of Drivers, Constraints and Opportunities”, Mars 2018

Banque Mondiale: “South Africa Economic Update: Increasing South Africa’s Tertiary Enrollment Requires Rebalancing Resources”, Janvier 2019

Statistics South Africa “Five facts about poverty in South Africa”, Avril 2019

Institute of International Finance: “The 2019 Budget leaves a narrow path”, Février 2019

Institute of International Finance: “Economic Views – South Africa’s External Risk”, Octobre 2018

South African Government: “Our future – make it work” National development plan 2030, 2012

 


[1] Selon la Banque Mondiale, 57 % de la population sud-africaine vivait avec moins de 5,5 USD par jour en 2014 (dernier chiffre disponible)

[2] Selon la « National Income Dynamics Study » sud-africaine

[3] Ces chiffres sont calculés sur la base du seuil supérieur de pauvreté de 922 rands – 58 euros – par personne et par mois en 2015(valeurs mesurées en parité de pouvoir d’achat)

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