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Ecole, stratification sociale et prix de l’immobilier (Note)

Résumé :

·        La qualité des établissements scolaires impactent la stratification des populations au sein d’une zone ainsi que les prix de l’immobilier.

·        Dans la baie de San Francisco aux Etats-Unis, près de 25 % de la surexposition des plus riches aux plus riches (c.-à-d. un individu aisé tend à vivre entouré d’individus aisés) serait in fine attribuable aux préférences pour la « qualité » des établissements scolaires.

·        Il faut toutefois distinguer un effet direct (dû aux préférences pour des établissements scolaires de « bonne qualité »), des effets indirects (du fait des préférences qui nous poussent à vivre au milieu d’individus qui nous ressemblent). Ce second effet étant plus prononcé que le premier.

·        La qualité des établissements scolaires impacte également  les prix de l’immobilier. En 2004 à Paris, un logement permettant l’accès au collège avec les meilleurs résultats au brevet se vendait 13 000€ plus cher que le même logement (c.-à-d. même taille, caractéristiques, emplacement, etc.) s’il permettait l’accès au collège le moins bon.

 

 

La rentrée scolaire offre toujours l’occasion de discuter de l’école et de la manière dont elle influence les variables économiques. Les médias ont par exemple rapporté le coût (direct) d’une rentrée scolaire (190,24€ en moyenne pour une rentrée en sixième selon l’association Famille de France), et il existe un débat permanent sur le coût de fonctionnement de l’éducation nationale (65,72 milliards € selon le projet de loi de finance 2016), sur son efficacité et notamment la question de savoir si et comment, l’école doit préparer à la vie professionnelle, etc.

L’école et les établissements scolaires influent également sur la vie économique via leurs impacts sur les marchés immobiliers et la stratification résidentielle des populations. En effet, le prix d’un logement reflète les aménités, la qualité des biens et services publics locaux, etc. qu’un individu peut consommer en résidant dans ce logement. La qualité des établissements scolaires occupe une place non négligeable dans ce processus de capitalisation.

Concrètement, les parents souhaitent le plus souvent scolariser leurs enfants dans des écoles, collèges ou lycées avec de bonnes réputations, de bons résultats aux examens, etc. ce qui augmente la demande pour les logements facilitant la scolarisation dans les meilleurs établissements. La quête de l’accessibilité aux meilleurs établissements scolaires, déclenche des mouvements de populations qui in fine peuvent aboutir à renforcer un entre soi résidentiel. En parallèle, si l’offre de logements ne peut réagir, le prix des logements avec les bonnes adresses peut augmenter.

Cet article se propose de mettre en lumière ces deux phénomènes en s’appuyant sur deux articles économiques qui étudient la baie de San Francisco et la ville de Paris.

 

Ecole etstratification résidentielle des populations

La « qualité des établissements scolaires » (par exemple, le niveau de réussite à un examen) est-il un facteur de mobilité des ménages ?

S’il peut sembler naturel que les parents cherchent à scolariser leurs enfants dans les meilleurs établissements, quitte à devoir déménager, il est en revanche difficile de mesurer l’impact précis de la qualité des établissements scolaires sur les mouvements de populations. En effet, cela exige de comprendre et de modéliser comment un individu effectue son choix de lieux résidence afin d’en isoler les différents facteurs et parmi ceux-ci, l’influence des écoles.

Dans un article de 2007, Bayer, Ferreira et McMillan utilisent une méthode innovante afin de comprendre le rôle des écoles dans les choix de lieux de résidence dans la baie de San Francisco  et de simuler qu’elle serait la répartition de la population si la qualité des écoles ne jouait aucun rôle dans ces choix. L’article procède donc en deux étapes : (1) estimer à partir du choix réel des individus, leurs préférences (potentiellement hétérogènes) pour les biens publics locaux, les aménités, la proximité au lieu de travail, etc. ainsi que leurs préférences pour l’homogénéité sociale (c.-à-d. vivre près d’individus qui leurs ressemblent). (2) A partir des préférences estimées, simuler la nouvelle répartition de la population dans l’hypothèse où la qualité des écoles n’aurait jamais eu aucune influence sur le choix des individus.

Cet exercice permet de distinguer un impact direct des établissements scolaires sur le choix du lieu de résidence – les préférences pour vivre dans une zone permettant de scolariser ses enfants dans des écoles de qualités – et un impact indirect de ces établissements. En effet, si les individus préfèrent vivre au sein d’un groupe qui leur ressemble (par exemple, les personnes aisées préfèrent vivre au milieu de personnes aisées), alors les préférences de certains individus pour les écoles de bonne qualité (par exemple, les parents aisés d’enfants scolarisés) vont avoir un impact sur les choix d’autres individus. L’ouverture d’une école de bonne qualité dans un quartier peut motiver les plus riches à s’y installer afin d’y inscrire leurs enfants, ce qui peut inciter d’autres parents de s’y installer à leur tour. Ils  profiteront ainsi de l’école et de la présence des premières familles aisées. Enfin, des individus qui n’ont pas d’enfant mais souhaitent vivre aux milieux de personnes aisées pourraient vouloir résider à cet endroit.

Afin de mieux illustrer leurs principaux résultats, Bayer, Ferreira et McMillan commencent par montrer qu’une personne sans diplôme vit dans un quartier avec bien plus de personnes sans diplôme que si la population était répartie de façon homogène. De même, les personnes avec diplômes universitaires vivent dans des quartiers ou les personnes avec diplômes universitaires sont surreprésentées. S’intéresser au revenu plutôt qu’au diplôme conduit à des conclusions similaires.

Maintenant, dans un monde où la qualité des écoles ne jouerait aucun rôle, les taux de surexposition à son propre groupe (c.-à-d. d’une personne sans diplômes aux personnes sans diplômes, des « riches » aux riches, etc.) seraient drastiquement impactés. Dans un premier temps, en neutralisant l’impact direct des écoles (c.-à-d. les préférences pour vivre à proximité des meilleures écoles), nous observerions une diminution de 11 % de la surexposition des personnes sans diplômes entre elles, ainsi qu’une réduction de 6 % de la surexposition des personnes avec un diplôme universitaire entre elles. Similairement, la surexposition des plus riches à leur propre groupe diminuerait de 12 %.

Dans un second temps, lorsque l’on prend en compte l’impact de la préférence pour vivre au milieu de ces pairs dans les choix résidentiels, la réduction de la surexposition des plus éduquées à leur propre groupe atteindrait 26 %, celle des plus riches aux plus riches de 27 %.

Les paragraphes précédents témoignent de l’impact, potentiellement extrêmement fort des établissements scolaires sur les choix de résidence et ses conséquences sur les stratifications de population. Malheureusement, il est difficile de savoir si ces chiffres peuvent être appliqués à la France, même s’il fait peu de doute que la recherche de la proximité des meilleurs établissements scolaires y favorise également un entre soi résidentiel.

 

Estimer l’impact de la réussite scolaire sur les prix immobiliers

Quel est maintenant l’effet sur les prix immobilier d’une bonne école ? Ici le challenge empirique est d’isoler l’impact de la qualité des établissements scolaires des autres dimensions impactant la qualité de vie dans un quartier et donc, le marché immobilier.

Par exemple, une maison « a » dans un quartier « A » peut-être vendue plus cher qu’une maison « b » dans un quartier « B ». L’école dans le quartier « A » peut être également meilleure que celle située en « B », toutefois, il est abusif d’attribuer la différence de prix seulement aux différences de qualité entre écoles, d’autres facteurs peuvent jouer : la quantité ou la qualité des espaces verts, la présence d’équipements sportifs, le désir de l’entre soi résidentiel, etc. Ces facteurs influencent les prix immobiliers et s’ils peuvent avoir des interactions complexes avec la qualité des écoles (notamment l’entre soi résidentiel), il ne s’agit pas là d’effet directement attribuable aux écoles.

Dans certains cas très particuliers, il est toutefois possible d’obtenir une bonne estimation de l’effet d’une école sur les prix immobiliers. Reprenons l’exemple ci-dessus mais supposons maintenant que la maison « a » et la maison « b » sont situées dans la même rue, l’une en face de l’autre et que la carte scolaire coupe cette rue en deux. Ainsi, les deux maisons sont situées presque exactement au même endroit (il suffit de traverser la rue), mais un enfant résidant dans la maison « a » fréquentera un autre établissement scolaire que celui résidant dans la maison « b ». En comparant les prix de ces logements, on peut donc déterminer l’impact d’une école sur les prix immobiliers.

Comparer deux logements très proches mais séparé par « une frontière » (la carte scolaire dans l’exemple précédent) est l’essence du Boundary Discontinuity Design aujourd’hui utilisée par de nombreux économistes (dont Bayer, Ferreira et McMillan dans l’article décrit plus haut). Gabrielle Fack et Julien Grenet (2010) ont pu appliquer une approche similaire avec des données parisienne couvrant la période 1997-2004. Ils montrent ainsi qu’un logement dont le collège de rattachement permet à 67 % de ses étudiants de rejoindre un cursus général sera vendu 1,6% à 1,9% moins cher qu’un autre permettant à 82 % de ses élèves de rejoindre le cursus général. De même, les auteurs calculent qu’un appartement permettant l’accès au collège parisien avec les moins bons résultats au brevet en 2004 serait vendu 7 % moins cher (soit 13 000€ pour l’appartement moyen dans l’échantillon – le prix moyen dans l’échantillon est de 183 000€) qu’un appartement exactement identique (même taille, même emplacement, etc.) qui lui ouvrirait l’accès au meilleur collège.

Un autre point intéressant soulevé par Fack et Grenet (2010) est la substituabilité entre les écoles publiques et les écoles privées, provoquant un impact hétérogène de la « qualité » des établissements sur les prix immobilier. En effet, vivre « du bon côté de la carte scolaire » apporte un avantage moindre s’il y a beaucoup d’établissements privés à proximité. Ainsi, l’augmentation du prix de 1,6-1,9 % discuté précédemment serait de fait de 2,5 % dans les zones où les écoles privées sont rares et seulement 0,8-1,2 % dans les quartiers comptant de nombreuses écoles privées.

 

Conclusion

La « qualité » des écoles alentours peut avoir une influence capitale sur l’endroit où nous vivons. Cet impact peut-être direct, nous souhaitons nous rapprocher des meilleurs établissements, ou indirect : même si nous n’avons pas d’enfant et ne prenons pas en compte ce facteur, nous pouvons souhaiter vivre au milieu de nos pairs (en matière de niveau de richesse, d’éducations, etc.) qui eux, choisissent leur lieux de résidence en fonction de la qualité des établissements scolaires. Ainsi, selon Bayer, Ferreira et McMillan (2007), plus de 25 % de la surexposition des plus aisés à leurs groupes pourrait être expliqué par la quête de la proximité des meilleurs écoles.

Si la qualité des écoles est un facteur influençant nos choix de lieux de résidence, elle va également impacter les prix immobiliers. Ainsi, Fack et Grenet (2010) estiment qu’en 2004 à Paris, un même logement peut avoir un différentiel de prix de 13 000€ en fonction de s’il permet l’accès au meilleur ou au plus mauvais collège. Cet impact sur les prix dépend également de la présence d’écoles privées dans le voisinage qui agissent comme des substituts à un bon établissement public.

 

 

Références :

Patrick Bayer, Fernando Ferreira et Robert McMillan , A Unified Framework for Measuring Preferences for Schools and Neighborhoods, Journal of Political Economy, 2007, vol.115. 

Gabrielle Fack et Julien Grenet, When do better schools raise housing prices? Evidence from Paris public and private school, Journal of Public Economics, 2010, vol.94.

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