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La crise de la dette souveraine en zone euro : leçons des pays émergents (Note)

 

 

 

Résumé :

·       Habituellement, une crise souveraine est la conséquence d’une panique bancaire ou d’un effondrement temporaire du taux de change.

·       Une union monétaire et bancaire est conçue pour résoudre les risques bancaires et de change, le risque souverain pur tend donc à être moins fréquent dans la zone euro.

·       Selon notre analyse, en fréquence normale de business cycle (c.à.d. en supposant que les crises ne durent pas plus de cinq ans, les booms pas plus de sept ans), le défaut ne devrait pas se produire.

·       Quand il a effectivement lieu, nous montrons qu’il est le résultat d’une absence de consolidation de la dette pendant le boom qui a précédé la crise souveraine.

 

 

Depuis 2010, la zone euro a été heurtée par une crise de la dette souveraine sans précédent, qui a mené trois de ses membres à être écartés des marchés financiers. La Grèce, le Portugal et l’Irlande ont dû demander l’aide des autres pays membres de la zone afin de refinancer leur dette. En réponse à cette crise inattendue, l’Europe a imposé une discipline budgétaire stricte, avec pour but une règle de déficit quasi nul (0,5% de déficit selon le TSCG et la réforme du « Six-Pack »). Comment la zone euro est-elle devenue si brusquement sujette au risque souverain ? L’Europe ne serait-t-elle pas en train de sur-réagir en imposant des contraintes budgétaires trop contraignantes ?

 

1.   Quand un pays fait-il défaut ? L’analyse des cycles financiers

Comprendre pourquoi les pays font défaut est un thème important de la littérature macroéconomique. Reinhart et al. (2003)[1] ont étudié la nature de ce qu’ils appellent « l’intolérance à la dette » dans de nombreux pays au cours des siècles : ces pays, émergents notamment, seraient inaptes à gérer certains montants de dette extérieure, qui, dans les mêmes circonstances, seraient parfaitement gérés par des pays développés. La Grèce, ayant fait défaut déjà plusieurs fois dans le passé avant son entrée dans la zone euro, fait certainement partie de cette catégorie.

La crise grecque de 2010, au sein d’une union monétaire, illustre une première chose : généralement, les pays ne veulent pas faire défaut unilatéralement, le choix de faire défaut est un choix que le pays doit faire sous la pression d’une crise ; le défaut devient un moindre mal. En effet, comme l’a montré la Inter-American Development Bank (2007)[2] et Lévy-Yéyati et Panizza (2011)[3], la décision de faire défaut n’a jamais été vraiment une décision unilatérale du pays, et ce dans tous les cas de crises de la dette souveraine au cours du siècle dernier ; le défaut est venu après que la crise a eu lieu et quand le pays était sous pression. Le seul cas d’un « défaut stratégique »[4]est l’Equateur en 2009. Il semble donc que le défaut soit étroitement lié aux crises, financières, de change, ou bancaires.

Il s’agit donc de savoir quand un pays fait défaut, quelles sont les conditions purement macroéconomiques qui entrent en jeu, et quelles politiques sont à mettre en place pour éviter de précipiter celui-ci.

Dans une étude en cours avec Daniel Cohen[5], nous analysons les données des crises souveraines dans les pays émergents depuis 1970. Nous partons d’un constat émis par Tomz & Wright (2007)[6] : le défaut n’arrive pas nécessairement en période de récession (38% des défauts ne sont pas en période de récession) et la relation économétrique entre le PIB et le défaut est étonnamment faible.

Le concept de crise souveraine retenu dépasse le seul cas du défaut pour englober toutes les situations dans lesquelles les pays connaissent des difficultés de management de leur dette (voir Cohen et Valadier, 2011[7]). Dans cette analyse, les cas suivants sont considérés comme « crise de la dette souveraine » :

·       La somme des intérêts des principaux arriérés de paiement sur le stock de dette de long-terme excède 5 % du stock total de dette ;

·       Le pays a reçu des allègements de dette de la part du Club de Paris ;

·       Le pays reçoit une aide conséquente sur sa balance des paiements de la part du FMI, sous la forme de Stand By Arrangements ou Extended Fund Facilities. Nous définissons comme support exceptionnel du FMI un évènement pendant lequel le pays utilise plus de 50 % de son quota en un an (voir Kraay et Nehru, 2006[8]).

Nous analysons le cycle financier (business cycle) des pays ayant fait défaut, afin de tracer le profil de leur business cycle (pics et creux) autour du défaut (voir Graphique 1, exemple du Mexique). Il s’avère alors que le défaut a lieu lorsque le pays vit un changement de régime de croissance. Un point marquant ressort de cette analyse : la grande majorité des défauts (71 %) ont lieu dans un mauvais état de la nature, défini comme un épisode pic-à-creux. Ce nombre atteint 86 % après correction des erreurs de mesure des cycles.

Graphique 1 – Business cycle du Mexique, défaut en 1983 (en rouge)

 

Source : Cohen and Valadier (2011)

 

De plus, quand on prête attention aux exceptions à cette règle de pic-à-creux (13 défauts sur 93), ceux-ci sont toujours des défauts liés à des facteurs non-économiques :

–        Elections, grande instabilité politique (République Dominicaine 1983, Moldavie 2003, Géorgie 2001, Haïti 2006, Honduras 1979 et 1996, Kirghizstan 2002, Paraguay 1987, Iles Salomon 1995, Tunisie 1991)

–        Guerres, conflits civils (Guyane 1979, Liban 1984, Sri Lanka 2005)

Ainsi, on peut considérer que tous les défauts économiques ont eu lieu lors d’un (mauvais) changement de régime de croissance.

En outre, la plupart des crises souveraines s’accompagnent d’autres crises : dans 30 % des cas d’une crise de change, dans 7 % des cas d’une crise bancaire et dans 36 % d’une « twin crisis » (crise bancaire et de change). Ainsi, dans près de 75 % des cas, la crise souveraine vient en parallèle de difficultés bancaires ou de change qui créent ou exacerbent cette dernière. Cela constitue une bonne nouvelle pour la zone euro, qui a ainsi effacé les crises de change, réduit le risque bancaire et donc réduit significativement (de 73 %) le risque souverain.

 

2.   Pourquoi un pays fait-il défaut ? Comparaison des cycles sains et des cycles menant à un défaut

Afin de connaître les conditions macroéconomiques d’un défaut, plusieurs variables clés (dette extérieure, compte courant, etc.) sont observés dans le cycle autour du défaut.

Tout d’abord, on peut supposer qu’un pays fait défaut quand il fait face à une crise des finances publiques : afin de financer son déficit budgétaire, un pays s’endette, ce qui creuse ce déficit ; plus son stock de dette est important, plus les investisseurs considèrent le pays comme risqué, donc plus la charge des intérêts est importante. Quand le pays considère que le service de sa dette et le risque souverain qu’il porte sont trop importants, il peut parfois choisir de faire défaut (a fortiori si une part importante de sa dette échoit à court terme, ce qui accroît le risque souverain en limitant les capacités de refinancement). En outre, on peut aussi supposer que si une grande partie de sa dette est libellée en monnaie étrangère, lorsque que la monnaie locale se déprécie fortement (en cas de crise de change, souvent liée à de l’hyperinflation dans le pays en question), la dette gonfle mécaniquement, et le défaut peut être précipité. Il s’agit donc de vérifier si ces mécanismes sont en œuvre dans notre échantillon de défauts.

Le Tableau 1 résume les situations de défaut (le PIB est mesuré en dollars courants afin de pouvoir comparer les dettes nominées en dollar, le défaut a lieu à la date t, t-3 signifie donc que le pic a eu lieu 3 ans avant le défaut) :

Tableau 1 – Crises (pic-à-creux) menant à une crise souveraine

 

Nous observons que la détérioration de la dette extérieure est bien plus sévère quand elle est mesurée par rapport au PIB que par rapport aux exports, ce qui laisse apparaître un problème de change (en volume, les exports et le PIB suivent le même chemin). En particulier, le pays résout son problème de compte courant pendant la récession.

Nous pouvons comparer ce premier tableau à celui des cycles ne menant pas à des crises souveraines :

Tableau 2 – Crises (pic-à-creux) ne menant pas à une crise souveraine

 

Nous voyons que les niveaux de dette au début des pics sont sensiblement comparables, les ratios de dette / exports et compte courant étant pratiquement identiques. Au moment du défaut, le ratio de dette sur export n’est pas si différent de celui dans le creux de la crise « saine » précédent le défaut. Le choc sur le PIB nominal est lui cependant bien plus sévère, ce qui confirme notre hypothèse d’une crise de change (en volume, le PIB est bien plus proche des exports, non-reporté ici). Malgré le fait que le pays tente de restaurer son ratio de dette sur exports pendant le boom menant à la crise (197 %), il échoue à le restaurer son ratio de dette sur PIB. A 32 % au début du cycle « sain » (Tableau 2), il grimpe à 43 % au début du cycle du défaut (Tableau 1).

Enfin, nous pouvons regarder le cas des pays qui ne connaissent pas de crise bancaire ou de change en parallèle de leur crise souveraine. Ils couvrent 26 % des défauts des pays émergents et correspondent le mieux au cas de la zone euro :

Tableau 3 – Crises souveraines pures

Dans ce cas, on trouve un mouvement parallèle des ratios dette/exports et dette/PIB. La différence majeure avec l’échantillon global du Tableau 1 apparaît dans l’impossibilité du pays à ajuster suffisamment rapidement son compte courant ; nous sommes dans un cas de crise des finances publiques, dans lequel le pays a à la fois un problème de stock de dette et de flux de dette, difficiles à gérer en récession.

 

Conclusion

L’analyse des crises des pays émergents apporte plusieurs implications pour le risque souverain au sein de la zone euro. En premier lieu, l’un des principaux déclencheurs des crises souveraines (définies comme des stress financiers liés à la dette, incluant les défauts, partiels ou totaux) étant le risque de change, on peut supposer que les défauts souverains dans la zone euro tendent à être moins fréquents que sur les marchés émergents. Ensuite, même si elles sont moins importantes quand elles ne sont pas accompagnées par des crises de change, les crises bancaires génèrent du risque souverain.

Enfin, le risque souverain apparaît en récession mais tiendrait plus de la déconnexion entre croissance du PIB et croissance des exports pendant cette période que la croissance du PIB uniquement. En dehors du risque de change, une consolidation fiscale en récession plutôt qu’en boom pourrait être la cause de défauts souverains ; le principal défi du management du risque souverain est de planifier la consolidation de la dette en périodes d’expansion, plutôt que trop tard, quand la récession débute.

 

 

 


[1] https://ideas.repec.org/a/bin/bpeajo/v34y2003i2003-1p1-74.html

[2] https://ideas.repec.org/b/idb/idbbks/79419.html

[3] https://ideas.repec.org/a/eee/deveco/v94y2011i1p95-105.html

[4]  Un défaut stratégique correspond à la décision de la part d’un emprunteur (ici un pays) de ne pas rembourser sa dette alors qu’il a les moyens financiers de le faire.

[5]The Eurozone Debt Crisis: Lessons from Emerging Markets, MacFinRobods Policy Brief, 2015.

[6]https://ideas.repec.org/p/fip/fedfwp/2007-17.html

[7]https://ideas.repec.org/p/cpr/ceprdp/8269.html

[8]https://ideas.repec.org/p/wbk/wbrwps/3200.html

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