Résumé :
- Parmi les événements météorologiques susceptibles d’affecter les chaînes de valeur, les événements extrêmes (inondations, tempêtes, sécheresses) sont les plus à même de causer des dommages et des pertes.
- L’exposition sectorielle aux risques physiques peut être estimée sur la base d’une analyse tenant compte à la fois des propriétés de la chaîne de valeur et de la localisation géographique de ses composantes.
- Cette exposition repose principalement sur deux angles d’analyse : 1) L’angle sectoriel permet d’établir une catégorisation des secteurs voire des caractéristiques de leurs chaînes de valeurs ainsi que de leur interdépendance, 2) L’angle géographique requiert la sélection d’une maille adaptée à la typologie d’événement considéré.
- La méthode d’estimation des dommages liés aux risques physiques la plus répandue est celle proposé par le GIEC en 2012, avec une approche en trois étapes : hasard, exposition et vulnérabilité.
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Les événements climatiques extrêmes tels que les inondations, tempêtes ou sécheresses, représentent un risque de perturbation significatifs pour les opérations commerciales pouvant engendrer un accroissement des coûts opérationnels, des dommages sur les infrastructures, et compromettre la stabilité financière des entreprises d’un secteur.
Compte tenu de l’interdépendances entre secteurs, qui a été mise en exergue par la crise de la COVID-19, une estimation de la transmission future du risque représente un enjeu considérable, dont nous dresserons un rapide état des lieux dans cet article. Nous nous intéresserons en particulier à la transmission de ce risque sur une chaîne de valeur.
1) Complexité des chaînes de valeurs : facteur aggravant ou élément de diversification du risque ?
1.1 Complexité d’une chaîne de valeur
Pour évaluer l’exposition d’une entreprise aux risques physiques, un défi important à relever consiste à localiser les composantes des chaînes de valeur. En effet, cette donnée stratégique est très peu disponible dans les bases de données globales.
Alors que les disparités géographiques entre les régions encouragent à resserrer l’échelle, les canaux de transport pour relier les composantes des chaînes de valeur suggèrent plutôt d’élargir l’échelle. Deux intuitions paradoxales influencent donc l’analyse :
- D’une part, la concentration du risque : plus un réseau est concentré, plus des dommages liés à un événement extrême seront élevés. Cependant, les dommages causés en cas d’occurrence seraient plus élevés que si la chaîne était moins concentrée.
- D’autre part, la diversification du risque : dans le cas d’un réseau peu concentré, même en cas de probabilité élevée d’occurrence d’un événement sur l’une de ses composantes, plus les dommages sur l’intégralité du circuit peuvent être limités.
Pour court-circuiter ce paradoxe, une solution serait de distinguer les composantes de production et les composantes hors production. L’approche du Forum économique mondial catégorise cinq composantes de la chaîne de valeur (WEF, 2020 to 2024), en gardant à l’esprit trois facteurs clés conditionnant la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement : (1) le marché, (2) la chaîne d’approvisionnement et (3) les actifs et les opérations (M.Wagner & Neshat, 2010).
Un outil intéressant développé par la banque mondiale propose une approche pour évaluer l’exposition d’un projet au risque en quatre étapes : exposition, impact, adaptation et score final.
- Approches et challenges sectoriels pour évaluer de la vulnérabilité d’une chaîne de valeur
La vulnérabilité aux risques physiques pourrait être décrite comme : i) un ensemble de caractéristiques du système qui pourraient être utilisées pour évaluer le niveau d’exposition aux risques et ii) la gravité de ses impacts en mesurant la sensibilité du système et sa capacité à faire face aux événements perturbateurs. Quatre dimensions sont alors à prendre en compte (Lahmar, Chabchoub, Galasso, & Lamothe., 2018) :
- Exposition : La nature de l’événement physique et le degré auquel un système est exposé à un risque important. Cela pourrait se traduire par une cartographie des variables physiques potentielles, des événements ou des indicateurs définis tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
- Sensibilité : Mesure dans laquelle une chaîne d’approvisionnement ou ses composants sont susceptibles de subir des risques et correspond au degré auquel une chaîne d’approvisionnement est affectée par des risques. Cela dépend de la criticité des composants de la chaîne d’approvisionnement, qui pourrait être mesurée par son positionnement, sa mission ou son objectif au sein du réseau. Cette sensibilité pourrait se traduire par une cartographie des composantes de la chaîne d’approvisionnement et de leur rôle au sein du réseau (cf. section « Localisation des chaînes de valeur des contreparties »).
- Susceptibilité : Mesure dans laquelle une chaîne d’approvisionnement ou ses composants sont susceptibles de subir des pertes en raison d’une exposition à des perturbations ou à des risques. Elle pourrait être évaluée en fonction de l’exposition et de la sensibilité.
- Niveau de préparation : L’ensemble des attributs qui permettent à la chaîne d’approvisionnement de s’adapter ou de surmonter les perturbations potentielles. Il peut être lié aux tendances de la chaîne d’approvisionnement ou au niveau de maturité (le degré de sensibilisation à la gestion des risques de la chaîne d’approvisionnement au sein des réseaux de la chaîne d’approvisionnement).
2) Des entreprises aux secteurs aux pays
2.1 Quelques exemples
Le meilleur moyen de comprendre la transmission du risque climatique sur les chaînes de valeurs est de l’étudier à travers des exemples concrets. Pour cela, nous avons sélectionné une série d’exemples couvrant plusieurs secteurs de l’économie :
Secteurs | Type d’évènements | Description de l’exemple |
Agriculture, Alimentation. | Sécheresse au Canada (1999-2005). | Une sécheresse très grave a balayé le Canada entre 1999 et 2005 et a causé des dommages considérables sur les plans agricole, environnemental, économique et sociétal. L’étendue de cette sécheresse a été massive, s’étendant de la Colombie-Britannique aux provinces de l’Atlantique et plus au nord que les autres grandes sécheresses. Les pertes de production agricole pendant cette sécheresse ont été de près de 3 Mds USD dans les provinces des Prairies canadiennes et 3 Mds supplémentaires à l’échelle du pays. |
Production de pétrole et de gaz. | Ouragan (2005). | Les trajectoires de cinq ouragans majeurs ont traversé le golfe du Mexique, perturbant considérablement la production de pétrole et de gaz naturel. Les ouragans Katrina et Rita ont traversé le cœur de la région productrice du Golfe, entraînant une fermeture généralisée des sites de production. |
Fabrication de matières premières, assemblage de voitures, production alimentaire. | Inondations en Chine (2021). | Les inondations massives en Chine (notamment dans la région du Henan, important producteur céréalier et des composants électroniques pour la téléphonie mobile), perturbent la chaîne d’approvisionnement du pays, y compris la production de nourriture, de voitures et de charbon. Même si l’électricité et les infrastructures de transport ont été rétablies dans le pays, les dommages causés par plusieurs jours d’averses ont pesé sur la production et la distribution de marchandises dans plusieurs régions. |
Assurance, automobile, fabrication électronique. | Précipitations en Thaïlande (2011). | En 2011, pendant des mois, des pluies torrentielles ont saturé la campagne thaïlandaise, inondant plus des deux tiers du pays, tuant des centaines de personnes et dévastant l’économie. L’impact de la catastrophe ne s’est pas limité à la Thaïlande et selon le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe, ces inondations ont réduit la production industrielle mondiale de 2,5 % ; et les dommages ont coûté aux trois plus grandes compagnies d’assurance non-vie du monde 5,3 Mds USD en sinistres, un montant supérieur au coût du tremblement de terre et du tsunami au Japon plus tôt la même année.
Les fabricants d’électronique et les constructeurs automobiles ont été particulièrement touchés : Western Digital – producteur d’un tiers des disques durs du monde – a perdu 45 % de ses expéditions, tandis que Toyota, Honda et Nissan ont perdu respectivement 240 000, 150 000 et 33 000 véhicules. |
Transport | Inondations en Allemagne (2021). | De fortes pluies et des inondations ont fortement touché certaines parties de l’Europe occidentale, où les inondations les plus graves se sont produites en Allemagne et en Belgique.
Selon Huxley, les chemins de fer venant de la République tchèque et de la Slovaquie vers les ports allemands de Rotterdam et de Hambourg, ont été sérieusement perturbés. |
2.2 Le financement de l’adaptation et le coût des dommages
Parmi les décisions de la COP28, un fonds « pertes et dommages » avec un plancher de financement à 200 M USD a été créé et sera géré par la Banque Mondiale durant une période transitoire de quatre ans. L’objectif de ce fonds est de financer l’adaptation des pays vulnérables aux risques climatiques ainsi que de renforcer la coopération internationale sur le sujet.
Finalement, les promesses de financement des Etats se sont élevées à 700 M USD (contributions majoritairement européennes) à comparer aux engagements initiaux de 2009 de fournir 100 Mds USD par an pour couvrir un besoin estimé de 500 Mds USD de pertes subies par les 55 pays les plus vulnérables sur les deux dernières décennies d’après l’ONU. Un conseil d’administration sera constitué afin de définir les règles de fonctionnement.
Parmi les bases de données mises à disposition par la commission européenne, l’Inform Risk Index contenant des indicateurs développés conformément à l’approche du GIEC. L’approche de référence repose sur trois composantes : exposition, vulnérabilité et risque. Les notes de vulnérabilité pays peuvent être cartographiée pour comprendre la concentration des risques dans les zones les plus exposées et les moins adaptées (cf. Figure1).
Figure 1 Vulnérabilité pays au risque physique selon les données du GIEC
Conclusion
La structure actuelle des chaînes de productions globalisées complexifie l’estimation des dommages indirects des événements climatiques sur les chaînes de production. En effet, la complexité des chaînes de valeur globalisées et la localisation diversifiée du risque nécessite la sélection de bases de données diverses pour une bonne mesure de l’exposition au hasard.
Le montant alloué par le fonds des dommages pour donner suite à la COP28 a été vivement critiqué par la communauté scientifique car jugé insuffisant pour couvrir l’ampleur du risque. La conclusion majeure de ces analyses est que l’exposition aux dommages climatiques ne dépend pas seulement de la localisation du pays ou de l’entreprise concernée, mais de l’exposition des secteurs et pays connectées à cette même structure.