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La Minute BSI Economics : « Toutes les grandes économies soutiennent l’offre de crédit via des programmes de garantie d’Etat » (Interview)

 

 

Simon Ray, économiste chez BSI Economics, répond à 3 questions sur la crise financière liée à la pandémie de COVID-19.

 

BSI Economics – La crise financière liée au COVID-19 est-elle comparable à celle de 2008 ?

 

Simon Ray – Le fait générateur est sans conteste différent. La crise survenue en 2008 est communément analysée comme une crise de confiance entre les acteurs de la sphère financière qui a menacé de mettre à bas l’édifice de la finance mondiale et a engendré un arrêt brutal du financement de l’économie réelle. La crise économique qui se déploie actuellement tire son origine d’un choc non anticipé sur le revenu des activités marchandes résultant des mesures de distanciation et de l’arrêt de pans entiers de l’économie. La durée de ce choc est encore très incertaine. De cette durée dépendront largement l’ampleur des effets plus structurels de cette crise, notamment en termes de redéploiement sectoriel et de recomposition des chaînes de valeur ; même si des évolutions semblent d’ores et déjà acquises. Si la sphère financière semble pour l’heure tenir sous l’effet du soutien des politiques monétaires – au point que certains s’étonnent de la relative bonne santé de certaines classes d’actifs ; le S&P500 est aujourd’hui au même niveau qu’il y a 1 an ! – il n’est pas acquis que l’onde de choc ne l’ébranle pas davantage dans les prochains mois. On pourrait alors voir se superposer à la crise actuelle les développements de la crise de 2008. Cette perspective est particulièrement lugubre au vu du peu de marges de manoeuvre des politiques fiscales et monétaires.

 

La crise actuelle peut-elle entrainer une raréfaction des crédits (credit crunch) ?

 

Les dernières statistiques de crédit de la banque centrale européenne témoignent du dynamisme du crédit aux entreprises au mois de mars (+5,2 % sur un an à l’échelle de la zone euro). Plusieurs facteurs expliquent cette hausse. Premièrement la demande des entreprises. Les entreprises sollicitent des crédits de trésorerie pour éviter un assèchement de leurs disponibilités face au tarissement des revenus ou pour renforcer leur coussin de trésorerie en réponse au choc d’incertitude. Ensuite, les mesures de soutien de l’offre de crédit. Toutes les grandes économies soutiennent l’offre de crédit via des programmes de garantie d’Etat. Par ailleurs, les superviseurs ont très largement relâché les exigences en capital des banques, notamment par le biais des coussins contracycliques et des exigences au titre du pilier 2, libérant ainsi du capital mobilisable pour accroître l’offre de crédit (jusqu’à 5 trillions de dollars à l’échelle globale d’après une analyse récente de la BRI). La politique monétaire soutient également l’offre de crédit en permettant aux banques d’accéder à des conditions améliorées à la liquidité des banques centrales et donc de diminuer leur coût de financement lorsqu’elles prêtent aux entreprises. Du fait de ces mesures de politiques économiques le « credit crunch », c’est-à-dire une contraction massive de l’offre de crédit, est jusqu’à présent évité mais le risque demeure à moyen terme. Les marges de manoeuvre des banques en termes de capital pourraient s’étioler face à la hausse du coût du risque et à la dégradation de la profitabilité du secteur bancaire, notamment en Europe. Par ailleurs, l’inévitable extinction des programmes de garantie d’Etat posera inévitablement la question de l’accès au financement, hors mécanismes (tacitement) subventionnés, des entreprises fragilisées par la crise.

 

Le niveau des dettes des entreprises non financières est-il inquiétant ?

 

À l’occasion de cette crise, beaucoup d’entreprises transforment le manque à gagner en engagements futurs, principalement via la dette bancaire. Ce mécanisme, soutenu par les autorités publiques, est une réponse d’urgence permettant d’éviter une vague massive et indiscriminée de défaillances. Il résultera de cet épisode une hausse substantielle de l’endettement des entreprises, en valeur absolue et a fortiori rapporté à leur production ou à leur profit. A titre d’exemple, en France, le montant agrégé des crédits garantis annoncé par le Gouvernement, dont la dynamique de l’octroi laisse à penser qu’il sera très largement voire entièrement distribué, pourrait accroître les crédits bancaires des entreprises de près de 30 % d’ici la fin de l’année, si l’on retient l’hypothèse que ces crédits garantis ne sont pas mobilisés pour rouler la dette préexistante. La question de savoir si cela est inquiétant renvoie, pour les créanciers, à la solvabilité des entreprises endettées et, pour l’économie plus généralement, à l’impact de ces niveaux de dette sur l’investissement et l’emploi. Il est inévitable que la hausse de la dette dans le climat actuel de flou durable quant au rythme et aux conditions de reprise de la production et à l’état de la demande engendre un accroissement des défauts et une baisse de l’investissement. Dans ce contexte, deux enjeux structurels pour la croissance de moyen terme prédominent. Premièrement, un nombre important d’entreprises auront à l’avenir besoin de financement en capitaux propres, que ce soit pour rendre de nouveau soutenable la structure de leur passif ou pour investir en dépit du stock des dettes accumulées. Il faudra que les écosystèmes de financement en capital soient au rendez-vous et adaptent leurs offres à de possibles nouvelles typologies d’entreprises. Deuxièmement, il existe un risque de divergence exacerbée entre les entreprises ayant abordé la crise avec des marges de manœuvre importantes – du fait de leur niveaux de dette, de leurs liquidités, de leurs capitaux propres, de leurs profitabilité ex-ante – et les autres, qui est de nature à accroître le pouvoir de marché des acteurs les plus solides. Il s’agit là de veiller à l’efficacité des politiques de concurrence et à ne pas accentuer ces difficultés par des politiques de soutien très hétérogènes entre pays membres de l’UE27.

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