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Doit-on toujours craindre de mettre en vente un logement à un prix élevé ? (Etude)

 

Résumé :

·        Des biais psychologiques peuvent conduire les vendeurs à mettre leurs biens à un prix trop élevé sur le marché immobilier ;

·        La théorie économique « classique » ne prévoit aucun impact du prix de mise sur le marché sur le prix de vente final. Des recherches plus récentes peuvent conclure soit à un effet positif, soit à un effet négatif sur le prix de vente final ;

·        Les agents immobiliers déconseillent fortement de mettre en vente à un prix trop élevé, toutefois leurs incitations ne sont pas nécessairement alignées avec leurs clients sur ce point.

·        Les études empiriques concluent généralement que le prix de mise en marché va avoir un impact positif sur le prix de vente final. Il augmentera également le temps de vente ;

·        Le choix du prix de vente initial doit donc plutôt répondre à un arbitrage entre temps de vente et prix de vente, plutôt qu’à la peur d’un « effet stigmate ».

 

 

La vente d’un logement est souvent une opération stressante pour un ménage car elle met souvent  en jeu une grande partie de sa richesse. Une question importante pour le vendeur est alors de déterminer le prix de mise en vente de son logement. Ce prix est d’autant plus important que ce prix est relativement rigide : les vendeurs ont tendance – comme l’ont constaté Merlo et Ortalo-Magné – à relativement peu changer ce prix une fois fixé.

En effet, pour 77 % des maisons dans leur base de données (1), le prix initial de mise en vente n’est jamais changé lors de la période de vente. Une explication à ce phénomène serait qu’un tel changement enverrait un mauvais signal sur la qualité du bien ou du moins, dévoilerait que le vendeur est pressé et donc dans une mauvaise position pour négocier. Knight (2002), montre par exemple que les maisons dont le prix de mise en vente a été baissé au cours du temps, se vendent généralement à des prix inférieurs que des maisons comparables

Le prix initial de mise en vente peut également influencer le prix final obtenu plus directement, sans qu’une révision du prix (généralement à la baisse) ne véhicule d’information. Par exemple, Cardella et Seiler (2016) montre en utilisant un cadre expérimental que la stratégie retenue, entre arrondir le prix de mise en vente initial (par exemple le fixer à 100 000€), mettre un prix juste en dessous d’un chiffre rond (99 000€) ou au contraire mettre un précis (102 530€) va impacter le reste de la négociation et son résultat.

 

Le prix de mise en vente peut-être surévalué

Plusieurs mécanismes stratégiques et biais psychologiques peuvent conduire les vendeurs à fixer un prix initial de vente élevé. Un de ces biais est « l’aversion à la perte » : la tendance psychologique à évaluer plus fortement les pertes que les gains. Genesove et Mayer (2001) ont mis en avant une large aversion pour la perte sur le marché immobilier. Les individus risquant de vendre leurs logements à perte – la valeur espérée sur la marché au moment de la mise en vente est inférieure à la valeur d’achat de leur bien, par exemple parce qu’ils ont acheté durant un boom et que le marché s’est retourné depuis – les mettent en vente à des prix supérieurs à ceux de logements comparables.

Un second biais cognitif peut rejoindre et accentuer l’aversion à la perte : l’effet d’ancrage-ajustement. Comme l’ont montré Tversky et Kaheman (1974), pour déterminer une valeur inconnue, les individus vont partir d’une première valeur, « une ancre »- qui peut être complètement arbitraire (la note (2) illustre les effets d’ancrages avec des exemples) – puis ajuster leurs évaluations à partir de celle-ci. Or, ces ajustements ont tendance à être trop faibles.

Les propriétaires de logements peuvent souffrir d’un biais similaire. En cas de retournement du marché, même s’ils accepteraient de vendre moins cher que le prix d’achat, ils risquent de ne pas réajuster suffisamment le prix de leur logement. Dans une étude consacrée au marché du logement à Hong-Kong, Leung et Tsang (2013) considèrent que ces deux effets, ancrage et aversions à la perte, sont importants et pourraient expliquer la corrélation entre prix et volume sur le marché immobilier.

Une autre étude menée par Benitez-Silva et al. (2015) suggère également que ces manques de réajustement pourraient expliquer pourquoi les propriétaires surestiment en moyenne de 8 % la valeur de leurs maisons.

L’aversion à la perte, parfois jumelée avec les effets d’ancrages peuvent pousser le vendeur à mettre son bien à prix trop élevés. Le vendeur doit-il toujours s’en inquiéter ?

 

Quel peut-être l’effet d’un prix trop élevé ?

Afin de mieux comprendre si mettre en vente un logement à un prix trop élevé est nuisible pour le vendeur, il peut être intéressant de s’interroger sur les mécanismes en jeu. En quoi le prix de mise en vente pourrait impacter le prix final ?

Comme le font remarquer Bucchianeri et Minson (2013), la théorie économique standard ne considère pas le prix de mise en vente comme un facteur devant influencer les prix sur le marché immobilier. Celui-ci ne devrait dépendre que d’éléments « objectifs » comme l’emplacement d’une maison, sa taille, etc., et le marché devrait corriger les choix « stratégiques » ou les erreurs du vendeur. Toutefois, cette explication ne prend pas en compte le fait que le prix de vente peut également transmettre de l’information, servir de signal pour guider les acheteurs à sélectionner des logements candidats à considérer d’avantages dans l’ensemble de ceux disponibles sur le marché (par exemple, choisir lesquels visiter).

Un prix trop élevé pourrait alors détourner des acheteurs potentiels. Il conduirait à moins de visites et finalement, peut-être un prix moins élevé si le bien développe une mauvaise réputation après avoir été mis en vente trop longtemps (si les acheteurs se mettent à penser que : s’il n’a pas été vendu, c’est que le bien doit avoir un problème).

Au contraire, un faible prix initial attirerait plus d’acheteurs, les mettraient en concurrence et permettrait finalement d’obtenir un meilleur prix. Cet effet de « guerre entre acquéreurs »est un phénomène parfois observé, du moins dans les études consacrées aux enchères.

Un autre pan de la littérature fait également intervenir les effets d’ancrage. Si ce dernier peut influencer le vendeur, il peut aussi impacter l’acheteur. Pour ce dernier, le prix de mise en vente pourrait servir d’ancre. Afin de déterminer une estimation de la valeur de la maison, l’acheteur potentiel réajusterait ses évaluations à partir du prix de mise sur le marché. Mais encore une fois, les ajustements pourraient être insuffisants. Cela le conduirait à ne pas négocier suffisamment le prix et donc, à payer un prix plus élevé pour le bien immobilier.

On peut donc trouver des mécanismes prédisant soit une absence de corrélation entre prix de mise sur le marché et prix de vente, soit un impact négatif, soit un impact positif. Lequel semble le plus probable ?

 

Que conseillent les agents immobiliers ? Que font-ils ?

Pour vendre un logement, de nombreux vendeurs décident de recourir à un agent immobilier car celui-ci dispose souvent d’une meilleure information sur l’état du marché. Aussi peut-il être intéressant d’étudier les conseils et comportements des agents immobiliers.

Les agents immobiliers sont souvent les premiers à mettre en garde contre des prix de vente trop élevés. Par exemple, Bucchianeri et Minson (2013), expliquent qu’en recherchant sur google la stratégie conseillée par des professionnels sur 297 conseils, 46 % semblaient conseiller de mettre en vente à un prix inférieur à celui du marché tandis que 96 % des pages webs mettaient en garde contre une mise en vente au-dessus du prix du marché. Cette stratégie dissuaderait les acheteurs, diminuerait le nombre de visites et, avec le temps, « stigmatiserait » la maison. A en croire les agents immobiliers, il faudrait donc éviter les prix trop hauts.

Toutefois, il ne faut pas oublier que les agents immobiliers, s’ils sont plus informés que le vendeur sur l’état du marché et la valeur de son bien, n’ont pas nécessairement des intérêts parfaitement alignés sur ceux du vendeur. Ainsi, Levitt et Syverson (2008 (2)) montrent que les agents immobiliers vendent leurs maisons à des prix plus élevés que celles de leurs clients et après l’avoir mise en vente plus longtemps.

L’article n’étudie pas la stratégie choisie pour le « prix de mise en vente », il semblerait toutefois que les agents immobiliers ne craignent pas toujours « l’effet stigmate » puisqu’ils gardent leurs biens plus longtemps sur le marché que leurs clients. L’interprétation favorisée par Levitt et Syverson (2008) est que les incitations des agents les incitent à vendre rapidement les maisons de leurs clients car il est plus profitable pour eux de suivre une stratégie de volume qu’une stratégie de « meilleur prix ». C’est peut-être ce phénomène qui les pousse à déconseiller de mettre en vente à un prix élevé, les agents sur ce point, ne seraient pas nécessairement de bons conseils. Bucchianeri et Minson (2013) confirment cette idée en révélant que, lorsqu’anonymement interrogés, les agents immobiliers prédisent que des prix de mise en vente plus élevés conduisent à des prix de ventes plus élevés.

Evidemment, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse en refusant d’écouter un agent, ces derniers possèdent effectivement plus d’informations que le vendeur et ils n’ont pas non plus intérêt à faire s’écrouler les prix de l’immobilier, il faut simplement garder en mémoire qu’ils peuvent pousser à légèrement sous-estimer la valeur d’un bien.

 

Que disent les études empiriques

Les études empiriques font face à un problème majeur pour étudier l’impact du prix initial de mise en vente sur le prix de vente final : les caractéristiques non observables (pour l’économétricien). En effet, un prix de mise en vente plus cher peut soit refléter une décision stratégique (mettre en vente la maison A à un prix plus élevé que la maison B alors que les deux biens sont strictement identiques), ou alors refléter une différence de qualité (la maison A est « meilleure » que la maison B, mais le chercheur n’observe pas cette différence de qualité).

Plusieurs méthodes ont été proposées afin de résoudre cette difficulté (utiliser des ventes répétées, parvenir à un encadrement de l’effet estimé, etc.) et les résultats d’études récentes indiquent généralement que le prix de mise en vente impacte positivement la durée de vente (pour deux maisons identiques, si l’une est mise en vente à un prix élevé, elle se vendra moins vite), mais aussi que le prix de vente sera lui aussi positivement impacté (la maison mise en vente au prix le plus élevé sera également vendue plus cher).

Par exemple, les études déjà cités, Genesove et Mayer (2001) trouvent que les vendeurs craignant une perte, en plus de mettre en vente leur bien à un prix plus élevé, vont le vendre à un prix plus élevé (mais aussi mettent plus longtemps pour vendre). Plus directement intéressé par le prix de mise sur le marché, Bucchianeri et Minson (2013) trouvent également un effet positif (bien que relativement modeste).

Cardella et Seiler (2016) trouvent un résultat similaire dans leur étude expérimentale : un prix de mise en vente haut et précis conduit à un prix de vente plus haut et une transaction plus profitable pour  le vendeur qu’un chiffre précis mais bas. Ainsi, si une maison vaut environ 100 000€, la mettre en vente à 103 530€ serait plus profitable (pour le vendeur) que 98 457€ (ces exemples sont arbitraires).

 

Conclusion

Contrairement aux prédictions de la théorie économique classique, qui considère que le prix d’un logement ne dépend que de ses caractéristiques « objectives », le prix de mise en vente d’un logement va impacter le prix auquel il est finalement vendu.

Il est donc crucial de bien choisir ce prix. S’il existe encore relativement peu d’études sur l’impact de ce prix, il semblerait toutefois que le pessimisme des agents immobiliers, prédisant un « effet stigmate » (les biens mis en vente trop cher sont finalement vendus à un prix moindre) n’est pas pleinement confirmé par les travaux récents.

 

 

Notes:

(1)    Leurs base de données est d’une taille relativement modeste (780 observations), mais extrêmement détaillée.

(2)    Tversky et Kaheman ont entre autre mis en évidence un effet d’ancrage avec l’expérience suivantes. Après avoir divisés les participants de leurs expériences en deux groupes, ils leurs ont demandés de calculer en 5secondes un arrondis du produit suivant :

Groupe 1 : 8 X 7 X 6 X 5 X 4 X 3 X 2 X 1

Groupe 2 : 1 X 2 X 3 X 4 X 5 X 6 X 7 X 8

En moyenne, le groupe numéro 1 a proposé des valeurs largement supérieures que le groupe numéro 2. L’explication avancée est la suivante. Puisqu’il est difficile de donner la réponse exacte dans le temps impartie, les sujets arrondissent en utilisant la première information disponible : le premier chiffre du produit. Pour le groupe numéro 1, il s’agit d’un « 8 », tandis que le groupe numéro 2 observe un « 1 ». Ces deux chiffres forment des ancres et les individus vont ajuster leurs estimations de la valeur du produit en fonction de celles-ci, c’est pourquoi le groupe observant un premier chiffre plus élevé va proposer un résultat plus grand.

(3)    L’étude est également reprise dans Freakeconomics de Steven Levitt.

 

Référence :

Hugo Benitez-Silva, SelcukEren, Frank Heiland, Sergi Jimenez-Martin, How well do individuals predict the selling prices of their homes, Journal of Housing Economics, vol 29, 2015.

Grace W. Bucchianeri, Julia A. Minson, A homeowner’s dilemma: Anchoring in residential real estate transactions, Journal of Economic Behavior & Organization, Volume 89, May 2013, Pages 76–92

Eric Cardellaet Michael J. Seiler, The effect of listing price strategy on real estate negotiations: An experimental study, Journal of Economic Psychology, Volume 52, February 2016, Pages 71–90.

Tin Cheuk Leung, Kwok Ping Tsang, Anchoring and loss aversion in the housing market: Implications on price dynamics, China Economic Review, Volume 24, March 2013, Pages 42–54

David Genesove et Christopher Mayer, Loss Aversion and Seller Behavior: Evidence from the Housing Market, The Quarterly Journal of Economics(2001) 116 (4): 1233-1260.

Daniel Kahnemanet Amos Tversky, « Prospect Theory: An Analysis of Decision under Risk », Econometrica,vol. 47, no 2,‎ mars 1979, p. 263-291

Kahneman, D. and Tversky, A.(1984).« Choices, Values, and Frames ». American Psychologist 39 (4): 341–35

Amos Tversky; Daniel Kahneman, Judgment under Uncertainty: Heuristics and Biases, Science, New Series, Vol. 185, No. 4157. (Sep. 27, 1974), pp. 1124-1131.

John R. Knight, Listing Price, Time on Market and Ultimate Selling Price: Cause and effect of Listing Price Change, Real Estate Economics, V30, 2, pp213-237, 2002.

Steven D. Levitt, Chad Syverson, Market Distortions when Agents are Better Informed: The Value of Information in Real Estate Transactions, the Review of Economics and Statistics, November 2008 Vol XC, number 4

A.Merlo, F. Ortalo-Magné, J.Rust, The Home Selling Problem: Theory and EvidenceInternational Economic Review, Vol. 56, Issue 2, pp. 457-484, 2015

 

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