Utilité de l’article : A l’occasion de l’ouverture du salon de l’agriculture 2019 (le 23 février dernier), nous vous proposons de revenir sur le bilan morose de la production agricole 2018, dressé par le ministère de l’agriculture (Agreste). Les intempéries ont en effet impacté négativement les rendements céréaliers, ceux des fruits et légumes et les productions animales. Cette baisse de la production a provoqué une augmentation des prix ne couvrant pas l’ensemble des pertes.
Résumé :
- L’année 2018 est impactée par une météo chaotique ;
- La quasi-totalité des productions agricoles sont en baisse ;
- Les conséquences économiques sont hétérogènes sur la santé économique des filières ;
- Des répercussions, surtout dans la production laitière, pourraient être ressenties en 2019.
L’Agreste (le service de la statistique et de la prospective du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation) a publié le 18 décembre dernier le panorama de la production agricole de l’année 2018. Le monde agricole a subi une météo particulièrement chaotique avec des précipitations élevées en début d’année, et une sécheresse intense de juillet à septembre. Cette sécheresse a été d’autant plus importante que le manque d’eau s’est accompagné de températures au-dessus de la moyenne.
1. Climatologie
Les précipitations ont été inégales tout au long de l’année : de fortes précipitations en janvier (40 % plus élevées que la moyenne) font de l’hiver 2017-2018 l’un des plus pluvieux des annales météorologiques, de même qu’en mars et mai. La pluviométrie devient déficitaire en juillet, août et particulièrement en septembre (un tiers des précipitations normales). De plus, en dehors du mois de février, les températures ont été constamment supérieures de 2 à 3 degrés aux normales saisonnières.
Conséquences de ces intempéries, les pousses estivales et automnales des prairies, pâturées ou récoltées en foin, est en retard (-23 % en fin d’année).
De plus, la croissance des fruits et légumes est bouleversée.
2. Les céréales
Les récoltes n’avaient pas été aussi basses depuis 2007 (hors année 2016[1]). La production est en baisse de 8,8 % sur un an passant d’environ 68 à 62 millions de tonnes. Or, comme le montre le graphique ci-dessous, la France représente presque 30 % de la production céréalière européenne en 2017. Représentant plus de 50 % de la production céréalière française, les rendements en blé tendre diminuent de 5,4 % entre 2017 et 2018. Les rendements de maïs diminuent de 13 % alors que cette céréale représente plus de 20 % de la production céréalière[2]. La qualité des productions est en revanche au rendez-vous avec un taux de protéine dans le blé supérieur à la moyenne.
Graphique 1 : Evolution de la production céréalière des principaux producteurs
Note : données provenant du ministère américain de l’agriculture (USDA) et du ministère français de l’agriculture (Agreste)
L’évolution mondiale de la production diminuerait cependant de 2 % selon le Conseil International des Céréales passant de 2 186 à 2 142 millions de tonnes. D’après l’Agreste et les données de l’USDA présentées au graphique ci-dessus, la Russie produirait 16 à 17 % de moins, passant d’environ 120 à 100 millions de tonnes. En Europe, à la baisse de 8,8 % de la production française s’ajoute celle de l’Allemagne de 7,5% se stabilisant aux alentours de 30 à 35 millions de tonnes. Ces baisses provoqueraient, d’après l’Agreste, une chute des stocks mondiaux de céréales d’environ 10 %.
Compte tenu des précédents résultats, les prix augmentent : la tonne de blé tendre rendu Rouen augmente de 26 % en un an, l’orge rendu Rouen augmente d’environ 40 %, la tonne de maïs rendu Bordeaux augmente quant à elle de 15%.
3. Les productions animales
Alors que la production de viande de veau et de bovins mâles diminue, les abattages de bovins femelles augmente. La sécheresse incite en effet les agriculteurs à se séparer d’une partie de leurs animaux pour économiser du fourrage. Toutefois, ce comportement de décapitalisation aura des répercussions à long terme sur la production laitière des exploitations. Enfin, tirée par la restauration collective et non par la demande des ménages, la consommation globale de viande bovine augmente.
La production ovine diminue face à une demande intérieure réduite. Dans ce contexte, de janvier à juillet le cours de l’agneau était jusqu’à 16 % plus élevé qu’en 2018, mais il est revenu à la moyenne de 2013-2017 à partir du mois d’août (en deçà des prix de 2018).
La production porcine est dynamique (+1,3 % en Europe) malgré les incertitudes sur les conséquences de la peste porcine africaine en Europe et en Chine. Le commerce extérieur est toujours déficitaire avec une augmentation des importations d’Espagne qui représente la moitié de nos importations de viandes porcines. Pourtant, les exportations vers l’Italie, le premier acheteur de viande porcine française, augmentent davantage (+14 % sur un an). Enfin, le regain d’exportations de porc français vers la Chine pourrait s’expliquer par la mise en place de taxation de la viande porcine américaine par les autorités chinoises. La production importante continue de déprécier les cours qui sont inférieurs à ceux de 2017 (de -15 à -20 %).
La production de volailles est en hausse, particulièrement grâce aux filières poulet (+5 % par rapport à la moyenne 2013-2017) et canard gras (+25 % sur un an). La bonne santé de cette dernière est cependant à relativiser car une partie des cheptels du Sud-Ouest a été abattu en 2017 préventivement suite à l’épizootie H5N8[3]. Le déficit commercial se creuse, même si les exportations vers l’UE sont plus importantes que durant la période 2013-2017. Les cours sont inférieurs de 5,2 % à la moyenne des prix entre 2013 et 2017, mais ils augmentent en fin d’année sous la pression des coûts de production (augmentation du cours des céréales).
La sècheresse a limité la pousse des prairies et du fourrage, qui est de moindre qualité. Ceci a pour conséquences de limiter la hausse de la production laitière à 0,8 % sur les 9 premiers mois de l’année 2018 (et aura des répercussions sur la production de début 2019 car le foin consommé au début de l’année 2019 est celui récolté en 2018). Ainsi, le prix du lait augmente de 1,4 % par rapport à 2017 (soit 334,5 euros les 1000 litres en moyenne). Cependant, les coûts de production ont augmenté de 12,5 % ce qui implique une diminution des marges des producteurs. La production de lait Bio augmente largement (+35 % sur un an) atteignant 3,5 % de la collecte totale. On observe une demande dynamique de produits laitiers au niveau mondial qui permet de maintenir les cours.
4. Fruits & légumes
Les conséquences des intempéries (gelées, orages, grêle, canicule) et des températures estivales élevées sont différentes d’une production à l’autre. Ainsi, le chiffre d’affaires (CA) national est bas mais stable pour l’abricot (dont la production recule de 30 % et le prix augmente de 43%) et chute pour la cerise (-29 % de chute du CA et -32 % de la production), alors qu’il augmente pour la pomme et la poire (respectivement +4,4 % et +3,3 % pour une production respectivement en baisse de -3,5 % et -1,5 %).
De même, les légumes pâtissent largement des intempéries et les prix tendent à augmenter (-4 % de production en concombre mais un CA qui augmente de 23 % ; -1 1% de production en laitue mais un CA qui augmente de 10 % ; -15 % de production des courgettes et -20 % du CA ; -20 % pour la production de chicorées et -9 % du CA ; -11 % de production de melon et un CA stable ; -12 % de production de tomates et -19 % du CA ; -8 % de production de carotte et un CA qui doublerait ; -9 % de production de poireaux et +27 % du CA ; -12 % de production de choux fleurs et -14 % du CA).
5. Les intrants
Pour la deuxième année consécutive, les coûts des moyens de production achetés par les agriculteurs ont augmenté de 2,9 % sur un an. Ceci s’explique par la hausse des coûts de l’énergie et des engrais. D’un point de vue macroéconomique, la hausse du prix des aliments pour les volailles (les céréales) est compensée par la baisse du prix des aliments des porcins. Le prix des semences ainsi que des produits phytosanitaires augmentent aussi légèrement (respectivement +0,2 et +0,7 %).
6. Le commerce extérieur
Le commerce extérieur de produits agroalimentaires est systématiquement excédentaire, bien que la tendance ait été à la baisse depuis 2010. En 2018, l’excédent s’accroît de 1,3 milliards d’euros, soit une augmentation de 37 % par rapport à 2017, alimenté par l’augmentation du solde d’échange des produits non transformés, même si celui des produits transformés s’améliore aussi légèrement. Ce sont les échanges vers les pays en dehors de l’Union Européenne qui tirent les exportations (88 % de la croissance de la balance commerciale), dont les céréales participent principalement à cette hausse (surproduction en 2017). Le sucre et le vin concourent aussi à l’amélioration de la balance commerciale. Les oléoprotéagineux réduisent leurs déficits grâce à moins d’importation. Les fruits et légumes impactent négativement le commerce extérieur, de même que la filière viande et les produits laitiers.
Compte tenu des récoltes en 2018 et de l’importance des céréales dans l’amélioration de la balance commerciale (diminution des importations et augmentation des exportations entre 2017 et 2018), il est probable que le mécanisme s’inverse (autrement dit, plus d’importations et moins d’exportations), ce qui impacterait négativement la balance commerciale de 2019.
Conclusion
La production 2018 a été largement impactée par les intempéries. Certains produits profitent de prix bien supérieurs permettant de couvrir le manque à gagner provenant d’une production moindre. Inversement, plusieurs produits ne profitent pas d’une augmentation aussi importante, ce qui fragilise donc les exploitations. L’augmentation du prix des intrants participe aussi à cette fragilisation. Enfin, la décapitalisation des cheptels de vaches laitières pourrait avoir un impact important à long terme sur les capacités productives des exploitations.
[1] La production de l’année 2016 a été particulièrement basse, la météo ayant été peu clémente.
[2] Pour une répartition de la production céréalière, voir par exemple cette note de FranceAgrimer ou cette infographie.
[3] Epidémie de H5N8, type de grippe aviaire peu risquée pour l’homme mais particulièrement dangereuse pour certaines espèces d’oiseaux sauvages et domestiques.