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Souveraineté : vers un modèle de Zone Franche Industrielle ? (Note)

Utilité de l’article : Cet article explore une nouvelle stratégie de politique industrielle à court et à moyen terme : le développement des zones franches industrielles. L’article fait suite à une première partie qui a analysé l’évolution de la politique industrielle en France et les arguments qui alimentent les débats sur la souveraineté industrielle.

 

Résumé :

  • Des réformes structurelles au niveau de l’industrie seraient nécessaires et le plan de relance présente une opportunité pour activer certains leviers ;
  • De nouvelles stratégies capables de soutenir la compétitivité industrielle en France pourraient être envisagées, tout en assurant l’autonomie des collectivités territoriales ;
  • Les initiatives des zones franches urbaines (ZFUs) et des territoires d’industrie semblent s’inscrire dans cet objectif. Néanmoins, ces dispositifs révèlent certaines limites (manque d’un environnement d’investissement plus robuste des ZFUs, manque d’une fiscalité plus efficiente, manque de coordination, etc) ;
  • Le développement d’un modèle de zone franche industrielle pourrait représenter une stratégie viable, servant d’extension aux initiatives déjà existantes vers une territorialisation de la politique industrielle ;
  • La création d’un dispositif avec le potentiel de générer des externalités positives et des ressources suffisantes pour amortir ses propres coûts serait la clé pour garantir de la soutenabilité et la pérennisation du modèle.

 

 

Cet article est le second volet d’une série de deux articles traitant de la souveraineté industrielle. Le premier article, intitulé « Souveraineté industrielle : faut-il s’inquiéter ? », avait exploré les éléments qui alimentent actuellement le débat sur la souveraineté industrielle. Cet article propose quant à lui des pistes de réflexion et des stratégies à court et à moyen terme pour renforcer la souveraineté industrielle en France.

Sur le plan de la politique industrielle, il conviendrait de réfléchir à des stratégies capables de répondre aux besoins de l’industrie, sans négliger l’environnement, l’innovation et l’équilibre territorial. Des mesures qui augmenteraient le degré de dynamiste (en termes d’activité et d’emploi) et d’autonomie des collectivités territoriales pourraient être envisagées, tout en soutenant la reprise économique et la compétitivité industrielle en France. À cet effet, les initiatives des zones franches urbaines (ZFU) et des territoires d’industrie semblent s’inscrire dans cet objectif.

Cependant, ces dernières ouvrent la voie à une nouvelle stratégie plus ambitieuse : le développement des zones franches industrielles. Ce nouveau modèle pourrait représenter une stratégie viable, servant d’extension aux initiatives déjà existantes vers une territorialisation de la politique industrielle.

 

1. Les dispositifs des ZFU et des Territoires d’Industrie

En 1997, les pouvoirs publics français avaient mis en œuvre le dispositif des zones franches urbaines (ZFU), dans le cadre du pacte de relance pour la ville. Grâce à des exonérations de l’impôt sur les bénéfices[i], ce dispositif avait pour but de favoriser le développement économique et d’encourager l’implantation d’entreprises dans ces zones dites « sensibles », caractérisées notamment par un fort taux de chômage. Aujourd’hui, il existe 100 ZFUs en France, dont 7 dans les départements d’Outre-Mer (deux zones à Guadeloupe, Guyane et à La Réunion et une zone en Martinique).

Même si l’initiative a eu une impulsion durable sur l’activité, garantissant une variation du nombre d’entreprises et de l’emploi supérieure de 75 % à celle qui aurait prévalu sans les subventions fiscales, des inefficacités atténuent ces résultats positifs :

  • Premièrement, le dispositif est inefficace sur une partie de sa cible, à savoir les sociétésdéjà existantes dans ces zones avant le début des subventions (aucun effet sur le taux de survie, l’emploi ou la santé économique pour ces entreprises).
  • Une deuxième source d’inefficacité provient des types de sociétés les plus incités à se développer dans ces zonesgrâce aux remises fiscales :  celles des services.  Ces entreprises sont moins susceptibles d’encourager l’activité économique locale, car elles opèrent principalement en dehors des ZFUs.
  • Un troisième élément est en lien avec les facteurs de découragement auxquels les sociétés font face au moment de s’installer dans ces territoires : difficultés pour embaucher des travailleurs locaux avec les compétences demandées, faible potentiel de marché dans les quartiers à faible revenu, faible accessibilité pour les employés non locaux, taux de criminalité plus élevés. (Pour plus de détails sur l’évaluation des ZFU, voir l’annexe A.1 en fin d’article).

L’analyse de ces éléments pourrait ainsi dissuader certains décideurs de politique publique à poursuivre un tel modèle. Néanmoins, l’évaluation des ZFUs ne devrait pas effacer le potentiel du dispositif, qui mériterait quelques ajustements pour atteindre un degré d’efficacité plus significatif. À cet effet, il faudrait un environnement d’investissement plus robuste, comparable à ce qui a été développé au sein de l’initiative des territoires d’industrie.

Lancé fin 2018 à l’occasion du Conseil national de l’industrie, le programme national « Territoires d’industrie » est une stratégie dite « de reconquête industrielle par les territoires ». Piloté par les régions en lien avec les intercommunalités, le dispositif vise à garantir un accompagnement renforcé afin de redynamiser l’industrie et d’atténuer les fractures territoriales. Comprenant 148 territoires, 500 intercommunalités, le programme s’articule autour de quatre enjeux majeurs : attirer, recruter, innover et simplifier (Figure 1). Le dispositif bénéficie également de plus de 1,3 milliard d’euros jusqu’en 2022, dédié prioritairement au financement d’un « panier de services », mis à disposition par l’État et ses opérateurs, pour développer des actions qui répondent aux quatre enjeux majeurs du programme (ANCT, 2020).

Figure 1. Périmètre des Territoires d’Industrie (2020)

Source : ANCT 2020

En 2020, en raison de la crise sanitaire, les Territoires d’industrie ont été appelés à réexaminer leurs plans d’actions fondés en 2019, pour les adapter à la situation économique et tenir compte des plans de relance régionaux. Le programme s’est ainsi inscrit au cœur du plan « France Relance » présenté par le Gouvernement en septembre 2020, profitant ainsi d’un budget supplémentaire de 400 millions d’euros d’ici 2022 du « Fonds d’Accélération des Investissements Industriels dans les Territoires»[ii].  Ce fonds entend financer les projets industriels les plus structurants pour les territoires (les créations et les extensions de sites, la modernisation, de nouveaux équipements, etc)[iii].

Malgré le fort potentiel des Territoires d’industrie, il présente quelques limitations. Premièrement, le dispositif aurait manqué de communications préalablesauprès des territoires ainsi que négligé des stratégies régionales déjà en place avant son arrivé. Par ailleurs, l’initiative ne propose pas non plus une solution à la problématique de la fiscalité du secteur industriel, manquant d’une vraie coordination entre l’État et les territoires dans la recherche d’une fiscalité plus efficiente. (Pour plus de détails sur les limitations des Territoires d’industrie, voir l’annexe A.2 en fin d’article).

Les modèles de ZFU et des territoires d’industrie révèlent ainsi leurs limites. Néanmoins, leur potentiel ne doit pas être négligé. Une nouvelle stratégie de politique industrielle pourrait être ainsi conçue, de manière à répondre à certaines vulnérabilités des dispositifs déjà mis en place.

 

2. Aller au-delà : un modèle de zone franche industrielle

La littérature souligne les avantages économiques des zones franches, perçues comme véritables instruments de politique industrielle[iv]. Bien que ce dispositif soit généralement assimilé à une stratégie de développement largement adopté par les économies émergentes et en voie de développement, il a également démontré sa capacité à générer des résultats positifs au sein d’économies développées (États-Unis, Royaume-Uni, France)[v].

Or, l’élaboration d’un modèle de zone franche industrielle pourrait servir d’extension aux initiatives des ZFUs et des territoires d’industries, les adaptations proposées répondant aux limitations des deux dispositifs. Une proposition serait de maintenir les 148 territoires d’industrie, en y apportant les ajustements nécessaires, mais également d’intégrer progressivement ces adaptations aux ZFUs actuellement existantes.

Le nouveau modèle pourrait ainsi se baser sur certains piliers de base, qui pourraient s’inspirer par les enjeux des territoires d’industrie, s’ajustant au cas par cas aux besoins spécifiques de chaque région. Il pourrait également viser les trois priorités du plan de relance, fondés sur la transition écologique, la compétitivité et l’innovation, et la cohésion sociale et territoriale (Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, 2020).

Un premier pilier concernerait un conseil entre l’État et les collectivités afin de garantir le dialogue et la coordination des différentes mesures adoptés. Il analyserait et déterminerait les besoins de chaque territoire et clarifierait les rôles et responsabilités de chaque acteur impliqué. A titre d’exemple, tandis que les collectivités locales pourraient déterminer les types de projets et les zones prioritaires, selon leurs capacités et besoins, l’État pourrait notamment se charger de la coordination entre les territoires, de la garantie de l’équilibre et du respect des objectifs préalablement établis par les piliers de base. Ce conseil pourrait également ajuster, en cas de besoin, la découpe de chaque zone, en lien avec les ZFUs et les territoires d’industrie déjà existants, et compterait avec le support de spécialistes, notamment dans le domaine industriel.

Un deuxième pilier concernerait le développement d’une fiscalité plus efficiente et autonome, tournée principalement vers le secteur industriel, caractéristique clé de ces « zones franches industrielles ». Cette fiscalité devrait comprendre le ciblage d’exonérations fiscales spécifiques et le choix d’éventuelles activités prioritaires et des projets à être développées dans chaque région. Ce choix devrait prendre en compte les capacités locales et le potentiel à la création d’emplois et à la dynamisation de l’activité économique, répondant ainsi aux freins constatés avec les ZFUs.

À titre d’exemple, ce ciblage pourrait viser le développement d’une production nationale de certains secteurs prioritaires tels que la pharmacie et les matériaux médicaux, renforçant la résilience et garantissant l’autosuffisance sanitaire. Il pourrait également cibler les secteurs avec un fort potentiel à l’exportation et ceux où la France dispose d’avantages comparatifs (l’automobile, la chimie, la mécanique – dont l’aéronautique, l’électricité, l’agroalimentaire, etc.), ainsi que des projets pro environnement et innovation (en rapport avec le cinquième pilier).

De plus, une autre idée à développer serait d’éventuellement réduire ou éliminer certains impôts de production perçus comme des impôts « inefficients » (notamment la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S)et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), et/ou même des impôts fonciers, pour les remplacer par une nouvelle et unique contribution, dite « contribution à la zone franche industrielle ». Elle serait appliquée en fonction des bénéfices des sociétés, comme une sorte d’impôt sur les sociétés local, collectée directement par la zone et sa collectivité.

L’objectif serait de permettre l’élimination des impôts de production déjà ciblés par le gouvernement, sans pour autant menacer l’autonomie territoriale ni faire disparaitre un lien perçu comme indispensable entre les entreprises et les territoires[vi]. En outre, l’impact de cette mesure éviterait les distorsions liées à la double imposition et les « effets de cascade », engendrés par des impôts basés sur le chiffre d’affaires tels que la C3S. Par ailleurs, cela allégerait la pression fiscale sur les entreprises réalisant des faibles bénéfices, comme celles en difficulté ou celles en processus d’expansion par de nouveaux investissements.

Le troisième, quatrième, cinquième et sixième pilier seraient inspirés par les quatre enjeux des territoires d’industrie (pouvant ainsi profiter des infrastructures et des budgets déjà existants).

Ainsi, le troisième pilier concernerait le pilotage de ces territoires, garanti par les régions en lien avec les intercommunalités, fournissant les bases et le support nécessaire en termes d’infrastructures et d’accompagnement des projets.

Le quatrième pilier concernerait le développement de programmes de formation et de recrutement (qui pourraient être principalement destinés aux jeunes travailleurs). Cela garantirait aux employeurs une offre de main-d’oeuvre adaptée à leurs besoins tout en permettant aux travailleurs locaux de bénéficier des avantages en termes de création d’emplois. Composant un des enjeux majeurs des territoires d’industrie, le financement de ce pilier pourrait profiter de l’enveloppe déjà établie de 1,3 milliard d’euros, dédiés au « panier de services » des territoires d’industrie. Il pourrait également exploiter les retombées fiscales des ZFUs.

Le cinquième pilier serait la garantie d’un véritable suivi des entreprises vers l’innovation (transition numérique et écologique). Les entreprises seraient incitées à poursuivre cette transition à travers d’un ciblage des exonérations et de subventions à des projets pro environnement et bénéficiant à la transition numérique ainsi qu’à l’innovation de rupture (rapport avec le deuxième pilier).

Le sixième pilier concernerait la simplification et accélération des procédures administratives dans ces zones. (ANCT, 2020; Banque des Territoires, 2020).

La figure 2 propose un schéma de ces piliers de base.

Figure 2. Piliers de base du modèle de Zone Franche Industrielle

Il est impératif de signaler que le degré d’efficacité du modèle dépendrait des performances de la coordination entre les principaux acteurs : États-collectivités. Il dépendrait également d’une bonne clarification des rôles de chaque partie impliquée dans le développement des piliers de base.

Par ailleurs, le financement des exonérations ne devrait pas être négligé. Il nécessiterait un budget de la part de l’État dédié à la mise en place et au développement du dispositif. À cet effet, à court et à moyen terme, une partie du ciblage financier du plan de relance, ainsi que les missions et les moyens du nouveau Haut-Commissariat au Plan, pourraient être dédiés à ce genre de dispositif. En outre, il pourrait également compter avec le support de la Caisse des Dépôts en tant que Banque des Territoires, qui a déjà démontré son engagement dans le développement industriel au sein des territoires (à titre d’exemple, le financement des Territoires d’Industrie).

À long terme, une évaluation de la performance de ce nouveau dispositif devrait prendre place de manière à capter le degré d’efficacité du modèle et la viabilité de sa pérennisation. Or, un modèle de zone franche soutenable à long terme est celui capable de générer assez d’activité économique et d’emploi pour s’autofinancer, avec la création de valeur et des nouvelles bases d’imposition (Cavalcanti Teixeira, 2020).

Un autre point important concerne la règlementation de la politique de concurrence au sein de l’Union Européenne. Pour éviter de se voir interdire au titre des mécanismes d’aide d’État, dans un premier moment il conviendrait que le dispositif soit consacré aux très petites entreprises (TPE), aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de tailles intermédiaires (ETI). Néanmoins, à long terme cette limitation pourrait décourager certaines entreprises de se développer. Ainsi, pour une plus grande efficacité, des grandes entreprises des secteurs prioritaires (sanitaire, secteurs avec fort potentiel exportateur et des avantages comparatifs, etc.) ne devraient pas être mises à l’écart. Or dans un second moment il serait approprié qu’un tel modèle soit envisagé au niveau européen[vii].

 

Conclusion

In fine, une nouvelle stratégie pourrait naître de l’union d’un modèle de zone franche urbaine et d’un modèle de territoires d’industrie. Toutefois, l’État et les collectivités devraient assumer le rôle de véritables « actionnaires incitateurs », capables de concevoir un environnement d’investissement et d’incitations fiscales efficient et robuste.

La création d’un dispositif disposant d’un vrai potentiel à générer des externalités positives et des ressources suffisantes pour compenser ses propres coûts serait la clé pour garantir la soutenabilité et la pérennisation du modèle.

 

 

ANNEXES

 

A.1 Évaluation du dispositif des Zones Franches Urbaines

Givord et ali. (2011)et Trevien et ali (2012), dans leurs études empiriques d’évaluation des ZFUs, démontrent un certain degré d’efficacité du dispositif pendant les premières années. Les exonérations auraient permis l’implantation de 9 700 à 12 200 entreprises, soit 41 500 à 56 900 emplois créés entre 1997 et 2002. Néanmoins, à partir de 2002, à l’issue de la période de cinq ans des premières exonérations, leurs effets auraient été plafonnés, l’augmentation des créations d’entreprises étant contrebalancée par des disparitions plus fréquentes. Pour les zones crées en 2004, les effets sur les implantations et la création d’emplois auraient été beaucoup plus modestes. Par ailleurs, près de la moitié de ces nouvelles implantations correspondrait en effet à des transferts d’activités déjà existantes en dehors des ZFUs. Selon l’INSEE, le nombre de relocalisations d’entreprises dans les ZFUs était 2,5 fois supérieur au niveau qui aurait prévalu sans les exonérations fiscales, alors que le nombre de véritables créations d’entreprises était 2 fois plus élevé que son niveau contrefactuel.

L’étude souligne que si d’un côté la première vague des ZFUs a pu avoir une impulsion durable sur l’activité, garantissant une variation du nombre d’entreprises et de l’emploi supérieure de 75 % à celle qui aurait prévalu sans les subventions fiscales, d’un autre côté plusieurs arguments atténuent ces résultats positifs. Si les entreprises déjà existantes bénéficient de réductions d’impôts similaires aux entreprises nouvellement implantées, les ZFUs n’ont néanmoins aucun impact sur l’emploi dans les entreprises déjà existantes. Le niveau d’emploi plus élevé par rapport au niveau qui aurait prévalu en l’absence de la politique de ZFUs semble être uniquement lié à la localisation des nouvelles entreprises. Givord et ali. (2011)suggèrent ainsi que le dispositif était inefficace sur une partie de sa cible, à savoir les entreprises qui étaient situées dans les « zones traitées » avant le début du traitement. Pour ces entreprises, aucun effet sur le taux de survie, l’emploi ou la santé économique n’est observé. Cet élément de preuve remet clairement en question la pertinence d’accorder l’éligibilité aux entreprises préexistantes. Il serait ainsi nécessaire d’étudier quels types d’exemptions seraient les plus appropriés pour chaque type de société (à titre d’exemple, des mesures telles que des exonérations ou des crédits d’impôt à l’embauche pourraient élargir l’efficacité du dispositif à des entreprises déjà préinstallées).

De plus, cet impact positif sur l’emploi a tendance à s’affaiblir fortement après la première période de cinq ans d’exonération fiscale, dès lors que le flux de nouvelles entreprises dans les ZFUs ne conduit pas à une augmentation significative de l’emploi. Cela peut être expliqué par les types d’activités les plus incités à se développer dans ces zones, grâce aux remises fiscales. L’impact des ZFUs variant fortement selon les secteurs, l’effet des exonérations est considérable pour les sociétés de services[viii]. Ces sociétés sont moins susceptibles d’encourager l’activité économique locale, car elles opèrent principalement en dehors des ZFUs (Trevien et ali, 2012). Un ciblage vers le secteur manufacturier pourrait être ainsi envisagé.

Finalement, si les entreprises implantées dans ces territoires, rencontrant des difficultés pour embaucher des travailleurs locaux avec les compétences demandées, renoncent à s’y installer, cela met en évidence que des politiques d’exonérations d’impôts seules ne suffisent pas pour résoudre les problèmes de chômage dans des régions ciblées. Le développement de programmes de formation et de recrutement s’impose. Par ailleurs, certains éléments caractéristiques des zones urbaines en difficulté, tels que le faible potentiel de marché dans les quartiers à faible revenu, la faible accessibilité pour les employés non locaux et le taux de criminalité plus élevés sont également de facteurs qui peuvent décourager l’installation de certaines entreprises dans ces territoires.

 

A.2 Territoires d’Industries : limitations

L’initiative des territoires d’industrie a certes un fort potentiel pour ramener des externalités positives et garantir un vrai dynamisme au sein de ces territoires. Néanmoins, malgré le caractère récent du dispositif et l’inexistence d’études empiriques d’évaluation, il fait déjà l’objet de critiques. Certains élus locaux auraient regretté le manque de communications préalables auprès des territoires et le caractère « surprise » de son implémentation, qui aurait négligé la redécoupe des territoires ainsi que des dispositifs et des stratégies régionales déjà en place avant son arrivée (Banque des Territoires, 2019).

Par ailleurs, l’initiative ne propose pas non plus une solution à la problématique de la fiscalité du secteur industriel. En 2020 le gouvernement avait annoncé la baisse de certains impôts de production (la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la contribution économique territoriale (CET), destinées aux collectivités) de l’ordre de 20 milliards d’euros en deux ans. Cependant, pour les élus locaux, cette mesure représente la disparition d’un lien indispensable entre les entreprises et les territoires[ix]. Ce lien permettrait autant aux entreprises de revendiquer des services et des infrastructures pour leur activité qu’aux collectivités d’être incitées à accueillir des nouvelles entreprises. Même si le gouvernement s’est engagé à compenser la perte financière assumée par les territoires, la mesure pourrait compromettre l’autonomie fiscale des collectivités territorialesà la suite de la suppression de leur fiscalité locale et de leur pouvoir d’établir leurs propres taux.

Face à cela, certains élus locaux ont dénoncé le fait que la suppression de ces impôts de productionaieune incidence sur des impôts locaux et pas sur des impôts de l’État tels que la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Cet impôt de production quant à lui, étant basé sur les chiffres d’affaires, est considéré comme l’un des plus grands créateurs de distorsions(notamment des « effets de cascade »).

 

Bibliographie

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Givord, P., R. Rathelot, and P. Sillard (2011): Place-based tax exemptions and displacement effects: An evaluation of the Zones Franches Urbaines program. Documents de travail de la DESE N°G2011/13. Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE), DESE.

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[i]Exonération de l’Impôt sur les sociétés (IS) ou sur le revenu (bénéfices industriels et commerciaux – BIC ; bénéfices non commerciaux – BNC) à 100 % pendant 5 ans ; Exonération de 60 % la 6ème année ; Exonération de 40 % la 7ème année ; Exonération de 20 % la 8ème année. Peuvent bénéficier de l’exonération, les entreprises, quels que soient leur statut juridique et leur régime d’imposition, installées en zones franches urbaines – territoires entrepreneurs (ZFU-TE), ayant : 1) Activité industrielle, commerciale, artisanale ou libérale ; 2) Implantation matérielle ; 3) 50 salariés au maximum ; 4) 10 millions d’euros de chiffres d’affaires annuel maximum ; 5) Dont le capital et les droits de vote ne doivent pas être détenus à plus de 25 % par des entreprises dont l’effectif dépasse 250 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxe excède 50 millions d’euros ou le total du bilan annuel excède 43 millions d’euros (DILA – Premier ministre, 2021).

[ii] Compte tenu du rythme des projets, supérieur à ce qui était anticipé, cette enveloppe de 400 millions d’euros devrait être engagée en totalité d’ici la fin 2021. En effet, 620 projets industriels de ce programme ont déjà été pré-identifiés pour un montant provisoire de 411 millions d’euros de subventions. Ces projets représenteront des investissements estimés à plus de 2,3 milliards d’euros et la création de plus de 13 350 emplois.

[iii] À l’occasion de la troisième assemblée générale des 148 territoires d’industrie en décembre 2020, un premier bilan a été dressé : 253 projets industrielsont déjà été soutenus par « France Relance ». L’investissement global de ces 253 premiers projets retenus représente 1,4 milliard d’euros, et vise plus de 5 000 créations d’emplois. Les projets concernent à 90% des PME et ETI et 69% sont situés dans des zones jugées « fragiles » (quartiers prioritaires de la politique de la ville, zones de revitalisation rurale, etc.).

[iv]Au début des années 60, Heller et Kauffman (1963) avaient déjà commencé à discuter de l’importance des exonérations fiscales dans l’industrie et de son potentiel dans la création de valeur. À la fin des années 80, Freitas Pinto (1987) menait déjà le débat sur la création des zones économiques spéciales au tournant du siècle. Rodrik et Aiginger (2020) soulignent que des pays d’Asie de l’Est (notamment la Corée du Sud, la Chine et le Taiwan) ont réussi à combiner la planification avec les forces du marché. Ces pays donnent la priorité à des secteurs perçus comme stratégiques et définissent les technologies à être développées. Les entreprises qui suivent ces stratégies obtiennent des facilités d’accès au crédit, des subventions et des exonérations d’impôts, grâce à des dispositifs spécifiques de politique industrielle tels que les zones franches. D’autres études tels que Cling et al. (2005), Farole (2011), Siroën et Yucer (2014), Cavalcanti Teixeira (2013; 2014; 2020),d’entre autres, ont aussi mis en évidence l’efficacité socioéconomique des dispositifs de zone franche.

[v] Même si la littérature sur l’impact des zones franches au sein des économies développés demeure limitée, certaines études attestent le potentiel de ces modèles dans certains pays tels que les États-Unis, le Royaume-Unis et la France. Ham et al. (2011) et Busso et al. (2013) ont analysé les programmes Nord-Américainsdes « State Enterprise Zones (ENTZs) », des « Federal Empowerment Zones (EMPZs) » et des « Federal Enterprise Community (ENTC) », indiquant des effets positifs et significatifs sur le taux d’emploi et les salaires locaux ainsi que sur la baisse du taux de pauvreté.Par ailleurs, le gouvernement britannique a annoncé en 2019 la création de jusqu’à 10 Ports Francs à travers le Royaume-Uni. Ces zones franches spécifiques, situées à proximité des principaux centres de fret, devraient attirer plusieurs centaines de millions de livres d’investissement et créer des dizaines de milliers d’emplois. Dans le cadre du post-Brexit, cette stratégie pourrait garantir la permanence du Royaume-Uni au centre des canaux de fret, notamment des États-Unis vers l’Union européenne (British Ports Association, 2021).De plus, le potentiel des Zones Franches Urbaines françaises dans la création d’emploi et l’accroissement du niveau d’activité est également souligné par Givord et ali. (2011) et Trevien et ali, (2012).

[vi] Pour plus de détails sur la baisse des impôts de production par le gouvernement et le lien entre les entreprises et les territoires, voirl’annexe A.2 en fin d’article.

[vii] La territorialisation de la politique industrielle répondrait ainsi aux spécificités de chaque pays et territoire de l’Union. Une véritable coordination des politiques entre les territoires européens pourrait être conçue pour renforcer la compétitivité et la souveraineté industrielle en Europe. À cet effet, le modèle pourrait intégrer les nouvelles initiatives de la politique industrielle européenne post COVID-19, dans le cadre des réflexions sur la reprise économique et le renforcement de la capacité de résilience des pays de l’Union (Parlement Européen, 2020 ; FNAU, 2020 ; Ledroit, 2020 ; 2021).

[viii]D’après l’INSEE, l’impact estimé pour le nombre de sociétés de services dans la région culmine à 1,5 en 2001, ce qui signifie que le niveau observé de ces entreprises dans la zone est supérieur de 4,6 au niveau contrefactuel. En revanche, l’impact estimé sur le commerce de détail est beaucoup plus faible et n’atteint que 0,43 à son niveau le plus élevé. Cela signifie que le nombre de commerces de détail est 50% plus élevé que son niveau contrefactuel.

[ix] Malgré la proposition gouvernementale en faveur de la réduction de cette charge fiscale sur la production, il manque encore une véritable coordination et le dialogue entre l’État et les territoires dans la conception d’une fiscalité plus efficiente.

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