OCDE: Les taux d’intérêt faibles et négatifs menacent la stabilité financière
Dans son dernier rapport, l’OCDE a alerté les marchés sur les conséquences des «taux d’intérêt exceptionnellement bas qui faussent le fonctionnement des marchés de capitaux et accentuent les risques à l’échelle du système financier dans son ensemble […] Les États sollicitent beaucoup trop la politique monétaire.». Comment les taux d’intérêt faibles et négatifs peuvent-ils constituer une menace pour la stabilité financière ?
Face à la crise financière, les banques centrales des pays développés ont mené des politiques ultra-expansionnistes en abaissant drastiquement les taux d’intérêt et en rachetant massivement des obligations d’Etat. Elles ont ainsi permis d’empêcher un effondrement du système bancaire mondial et l’économie mondiale de sombrer dans la dépression.Toutefois, l’action des banques centrales n’a pas été en mesure de relancer la croissance et l’inflation à des niveaux d’avant crise. Par exemple, les entreprises n’auraient pas suffisamment profité des taux bas pour investir dans l’économie réelle, et auraient principalement utilisé cet argent pour racheter leurs propres actions[1]. Désormais, l’économie mondiale semble prise au « piège de la croissance molle[2] », dans laquelle les taux d’intérêt sont extrêmement faibles, voire négatifs.
En effet, selon l’OCDE, plus de 35 % des dettes souveraines des pays développés ont un taux de rendement, à maturité, inférieur à 0 % (environ 10 trillions de dollars[3]). Un taux d’intérêt négatif sur une obligation souveraine signifie simplement que l’investisseur doit payer l’émetteur (l’Etat) afin de détenir sa dette. De façon analogue, dans un système de taux de dépôt négatif, les excédents de liquidité des banques auprès de la banque centrale leurs sont facturés. Un des objectifs étant de stimuler la croissance économique et d’augmenter l’inflation via le canal du change et notamment d’encourager les banques à prêter aux consommateurs et aux entreprises.
Cependant, les banques centrales[4] commencent à s’interroger sur l’efficacité marginale du quantitative easing[5] ainsi que sur les implications à moyen terme des taux d’intérêt négatifs sur l’industrie financière[6]. En effet, un environnement de taux bas érode les marges[7] des banques et augmente la valeur des engagements[8] des assureurs (passif du bilan). Ainsi, les bénéfices de la politique de taux d’intérêt négatifs pourraient s’estomper à moyen terme, les banques auront probablement tendance à réduire leurs offres de crédit si elles ne génèrent pas suffisamment de marges[9].
Par ailleurs, l’environnement des taux bas pousse les investisseurs[10] à prendre de plus en plus de risques dans le but d’obtenir des rendements plus élevés. Pour ce faire, les investisseurs achètent en masse des actifs plus risqués tels que les obligations des pays émergents et les obligations à haut rendement (high yield) faussant d’autant plus les prix de ces classes d’actifs[11]. Cette énorme déconnection entre la valeur des obligations et les fondamentaux est principalement basée sur la confiance des acteurs de marché en la capacité des banques centrales à intervenir en cas de choc. Par conséquent, les marchés ont tendance à réagir de façon excessive aux nouvelles, et ce d’autant plus lorsqu’ils craignent que les banques centrales ne soient à court de munitions. L’ensemble de ces facteurs «accentue la vulnérabilité des investisseurs en cas de forte correction des prix des actifs», comme souligné par l’OCDE.
Différentiel de rendement entre le Portugal et l’Allemagne (maturité 2 ans)
Prenons l’exemple des obligations souveraines portugaises qui ont subi une volatilité exceptionnelle en début d’année (voir graphique ci-dessus). En février, les taux 2 ans et 10 ans ont grimpé en l’espace de quelques jours de respectivement 0,34 % à 1,22 % et de 2,86 % à 4,09 %[12].Au cours d’une seule séance, l’écart en la valeur minimale et maximale du taux court a dépassé les 70 points de base, signifiant que les investisseurs s’attendent à un probable défaut de l’émetteur, ce qui est complétement irrationnel. Bien évidemment, les perspectives macroéconomiques du Portugal se sont assombries ces derniers temps, mais la perception du marché fut très largement exagérée. Les inquiétudes sur la notation de l’agence DBRS[13] ainsi que l’aversion des marchés au risque[14] ont toutes les deux pesé sur les obligations portugaises. Toutefois, en seulement quelques jours, les obligations ont effacé quelques pertes.
Les investisseurs ne sont pas à l’abri de nouvelles turbulences sur les marchés financiers, prudence étant mère de sureté. Il serait inapproprié de blâmer les banques centrales pour ce « désordre ». En effet, les banques centrales tentent en vain de remplir leur mandat de stabilité des prix alors que les gouvernements restent assez passifs face à des problèmes structurels que la politique monétaire n’est pas capable de résoudre seule.
Notes:
[1]« Les rachats d’actions sont utilisés par les entreprises cotées pour augmenter le prix des actions en réduisant le nombre total d’actions disponibles sur le marché, augmentant ainsi le bénéfice par action. Dans la mesure où une partie de la rémunération des dirigeants est sous forme d’actions, ces rachats augmentent leurs salaires sans bénéficier aux ouvriers amplifiant ainsi les inégalités de revenus. » University of Michigan http://michiganross.umich.edu/rtia-articles/how-corporate-america-can-curb-income-inequality-and-make-more-money-too
[2]Global economy stuck in low-growth trap: Policymakers need to act to keep promises,OECD Economic Outlook
[3]Source: JPMorgan Negative Yield Index Monitor, October 2016
[4]https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2016/html/sp160728.en.html
[5]Notamment sur l’efficacité marginale du programme : certains économistes pensent qu’augmenter la taille du programme de rachat d’obligations n’aurait pas un impact aussi important sur l’économie qu’il y a quelques années
[6] La forte chute des taux nominaux est le résultat de plusieurs facteurs structurels, tels que le vieillissement de la population, les faibles gains de productivités et non uniquement une conséquence de la politique monétaire menée par les banques centrales ces dernières années
[7]De manière simplifiée, les banques génèrent un profit en empruntant des fonds à court terme (dépôts bancaires) tout en prêtant des fonds à long terme (par l’octroi d’un prêt immobilier par exemple). Les courbes des rendements étant extrêmement plates (i.e., l’écart entre les taux de court et long terme est très faible, le différentiel 10ans-2ans est d’environ 0,60 % contre 1,20 % en moyenne depuis 1993) les banques ont de plus en plus de mal à être rentables sur ce secteur d’activité
[8]Les assureurs investissent dans des obligations de longue maturité dans le but de couvrir leurs engagements auprès des assurés à long terme. Il est ainsi de plus en plus compliqué pour les assureurs d’honorer ses engagements futurs lorsque les taux ont considérablement baissé
[9] Pour Bill Gross « Le capitalisme n’est pas en mesure de fonctionner correctement avec des taux proches de zéro ou négatifs ».
[10] Les banques, assureurs, fonds de pension, sociétés de gestion d’actifs
[11]En effet, en achetant de plus en plus des obligations à rendement plus élevés, les investisseurs les rendent de plus en plus coûteuses sans pour autant que les fondamentaux de l’émetteur se soient améliorés.
[12] Le prix des obligations à maturité 10 ans a chuté d’environ 11,3% de 100,068 à 89,908 (29/01 / 2016-11 / 02/2016)
[13]DBRS est la seule agence de notation à attribuer un statut de « titre investissable » pour le Portugal rendant le pays admissible au programme de rachat de dette de la BCE. Ainsi, si DBRS décide d’abaisser la note du Portugal dans la catégorie « investissement spéculatif », les obligations portugaises ne seront plus éligibles au programme du QE de la BCE.
[14]Les obligations portugaises sont perçues comme l’un des investissements les plus risqués dans l’univers souverain de la zone euro. Cela signifie que lorsque les marchés perçoivent un risque élevé, les investisseurs ont tendance réduire leurs expositions aux actifs risqués (Portugal) au profit des actifs sûrs (Allemagne).
Source:
http://www.marketwatch.com/story/oecd-negative-rates-threaten-financial-stability-2016-09-21
http://www.wsj.com/articles/negative-rates-and-insurers-be-afraid-1457030114
http://www.bloomberg.com/news/videos/2016-09-22/what-is-the-future-for-qe-and-the-boj
http://www.riksbank.se/Documents/Rapporter/PPR/2016/160421/rap_ppr_ruta1_160421_eng.pdf
http://www.bis.org/publ/work435.pdf
English version:
OECD: Low and negative rates threaten financial stability
In its latest report, the OECD warned that “exceptionally low interest rates are distorting financial markets and raising risks across the financial system […] monetary policy is becoming over-burdened.” How could low and negative rates pose a threat to financial stability?
In response to the global financial crisis, central banks from developed countries launched ultra-expansionary policies dragging down interest rates and printing money to buy sovereign bonds. They succeeded in preventing a complete collapse of the banking system and the global economy to fall into depression. However, monetary easing has probably failed to prop up growth and inflation at a decent rate. For instance, corporates did not fully benefit from cheap money provided by central banks to invest into the real economy, but instead they bought back their equity stocks[15]. Now, global economy seems stuck in a “low growth trap”[16] where interest rates are extraordinarily low or even negative.
According to the OECD, more than 35% of sovereign debts from developed countries are now trading below 0% (around USD 10trillion[17]). Negative rates on government bonds mean that investors have to compensate sovereign debtors for holding their debt. Similarly, a negative deposit rate implies that banks have to pay to park their money at the central bank. Negative interest rates can be considered as taxes on savers. The aim is to stimulate economic growth and raise inflation by encouraging banks to lend money instead of keeping it at the central bank.
However, the effectiveness of quantitative easing going forward[18] is becoming increasingly questionable while the adverse implication of negative interest rates on the financial services industry[19] are widely debated by central bankers[20]. Low and negative yield environment constrain bank’s margins[21] while insurers’ liabilities increase[22]. In that context, banks will refrain from lending if they don’t generate enough profit on their retails activity. That is the reason why the Bank of Japan recently decided to change its monetary policy (see BSI article) in order to avoid excessive flattening of the yield curve as it negatively affects earnings of financial institutions. These side effects from negative interest rates may weaken the net profitability of financial and banking institutions and so the whole financial industry[23], particularly if interest rates remain negative for a long time.
Against this backdrop, investors[24] take more and more risk in search for higher returns. They invest in emerging markets, high yield companies and other risky assets in order to improve their returns, distorting further financial market prices[25].That huge difference between asset valuation and fundamentals is based on faith in central banks’ ability to mitigate any adverse shock. As a result, markets tend to overreact to any news, especially when they perceive that central banks are running out of ammunition. All of these factors tend to increase “the vulnerability of investors to a sharp correction in asset prices” as highlighted by the OECD.
2-Year Portugal-Germany spread
For instance, Portuguese sovereign bonds have been subject to exceptional volatility (see chart below). In February, 2-year and 10-year government bond yields soared from 0.34% to 1.22% and from 2.86% to 4.09% respectively. These are huge movements for fixed income markets[26]. Intraday moves were also spectacular with a peak to trough near +70bp[27] meaning that markets were pricing a default, which is completely irrational. Of course, the macro picture has deteriorated in Portugal but probably much less than market’s perception. Concerns over DBRS rating[28] and the risk-off[29] mood have exacerbated pressure on Portuguese bonds but few days later bonds already erased losses.
That kind of market turmoil may recur in the future, that is the reason why investors should remain very cautious. One should not blame central bankers for that mess. At least, they are trying to fulfill their mandate while politicians have done nothing to deal with structural issues that monetary policy cannot fix.
Source:
http://www.marketwatch.com/story/oecd-negative-rates-threaten-financial-stability-2016-09-21
http://www.wsj.com/articles/negative-rates-and-insurers-be-afraid-1457030114
http://www.bloomberg.com/news/videos/2016-09-22/what-is-the-future-for-qe-and-the-boj
http://www.riksbank.se/Documents/Rapporter/PPR/2016/160421/rap_ppr_ruta1_160421_eng.pdf
Note
1]“These are used by public companies to boost their stock prices by reducing the total number of shares, which in turn increases earnings per share. However, because this enhances stock-based executive compensation without benefiting workers, stock buybacks amplify income inequality.” University of Michigan http://michiganross.umich.edu/rtia-articles/how-corporate-america-can-curb-income-inequality-and-make-more-money-too
2]Global economy stuck in low-growth trap: Policymakers need to act to keep promises, OECD Economic Outlook
3]Source: JPMorgan Negative Yield Index Monitor, October 2016
4]Some economists think that more stimulus, more QE is likely to have much less impact than few years ago
5]The sharp decrease in yields is a result of several structural factors, such as ageing population, lower productivity growth and not solely due to central bank’s intervention
6]https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2016/html/sp160728.en.html
7]Banks typically make money by borrowing short term money through deposits (bank account) while lending in the long term (loan to buy a house). Nowadays, yields curves are extremely flat (the differential between long and short term rates is very small, 10y-2y differential is about 60bps vs. 120bps on average since 1993), making it harder for banks to be profitable
8]Insurers invest in long dated bonds in order to match with long-term promises to policyholders. When yields go down, it becomes harder to honor future promises.
9]According to Bill Gross “Capitalism, almost commonsensically, cannot function well at the zero bound or with a minus”.
10]Banks, insurers, pension funds and asset managers
11]Indeed, by investing more and more in higher yielding bonds, investors make them more and more expensive distorting further asset prices from fundamentals
12]The 10-year bond price tumbled by around 11.3% from 100.068 to 89.908 (29/01/2016-11/02/2016)
13]70 basis points equals to 0.70%, meaning yields rose from 0% to 0.70%.
14]DBRS is the only rating agency assigning an investment grade status for Portugal making it eligible for ECB’s QE program. If DBRS decides to downgrade the country’s notch, Portuguese bonds will lost the support from the ECB.
15]Portuguese bonds are perceived as one of the most risky investment within the Eurozone sovereign universe. It means that when markets perceive risk as high, investors tend to switch from higher risk investments (Portugal) towards lower risk investments (Germany).