La réponse à cette question est très simple dès lors qu’on ignore les confusions souvent véhiculées sur le net. Pour comprendre pourquoi une banque dépose ses liquidités à la facilité de dépôt de la BCE, il faut s’intéresser directement à la gestion des liquidité pour une banque en zone euro. Vous avez certainement un compte dans une banque. Les banques, elles, ont un compte auprès de la banque centrale, appelé compte courant. Sur ce compte courant, une partie des liquidités d’une banque (autrement appelées « réserves ») doivent être obligatoirement maintenues: c’est ce qu’on appelle les réserves obligatoires. Le montant des réserves obligatoires est proportionnel aux dépôts qu’a cette banque : plus elle a de dépôts, plus elle devra avoir un montant important de réserves sur son compte courant. En zone euro, le taux de réserves obligatoires est depuis janvier 2012 à 1%. Pour simplifier, cela signifie que 1% du montant des dépôts d’une banque doit être détenu sous forme de réserves sur son compte courant [1]. Le reste, les réserves excédentaires, peut aller sur la facilité de dépôts de la BCE. En pratique, comment cela se passe-t-il ?
Le service de la banque qui va s’occuper de cela sera le service de la gestion des liquidités (souvent: ALM). Le Trésorier saura que pour un mois donné, disons septembre, le montant moyen des réserves sur le compte courant de la banque en fin de journée devra être égal à X au minimum. X est le montant des réserves obligatoires, et il est en réalité calculé sur le montant des dépôts (suivant la règle des 1% expliquée ci-dessus) qu’avait la banque deux mois avant, c’est-à-dire en juillet dans notre exemple.
A la fin de chaque journée, le Trésorier va donc devoir faire des choix : les transactions avec le système de paiement actuel (Target 2) se terminant à 18h, le Trésorier devra faire en sorte que les montants sur le compte courant de sa banque ne soient ni trop inférieurs ni trop supérieurs au montant nécessaire au respect des réserves obligatoires [2]. En fonction de ses prévisions sur les transactions en fin de journée, des taux d’intérêts en vigueur et d’autres facteurs spécifiques, le Trésorier va décider ou bien de ne rien faire et autoriser la banque à clôturer son compte pour la journée, ou bien de modifier à la hausse ou à la baisse la quantité de liquidités qu’il détient. Si la banque anticipe qu’elle aura un besoin de liquidités à la fin de la journée, elle va logiquement chercher à emprunter des liquidités aux autres banques sur le marché interbancaire. Si la banque anticipe qu’elle aura beaucoup trop de réserves à la fin de la journée, elle va logiquement chercher à s’en débarrasser en temps normal, car les réserves excédentaires sur son compte courant ne lui rapportent aucun intérêt. Elle cherchera alors à rendre ces réserves financièrement productives. Elle aura pour cela deux options principales: les prêter à d’autres banques, les placer sur la facilité de dépôt de la BCE (en temps normal les montants placés à la facilité de dépôt de la BCE sont rémunérés, c’est le fameux « taux de rémunération des dépôts »)[3]. Comme, en temps normal, la BCE ajuste le montant des liquidités de sorte à ce qu’il n’y ait qu’un minimum de réserves excédentaires, habituellement les montants placés sur la facilité de dépôt de la BCE sont minimes et les montants placés sur le compte courant des banques correspondent seulement au niveau nécessaire pour le respect des obligations en terme de réserves obligatoires. C’est ce que l’on peut observer sur le graphique ci-dessous avant 2008.
Entre 2008 et 2012, les interventions de la BCE ayant conduites à une augmentation des réserves excédentaires, celles-ci se sont toutes logiquement orientées vers la facilité de dépôt, elle rémunérée (en bleu), et les montant placés sur les comptes courants sont restés « minimums ».
En Juillet 2012, le taux de rémunération des dépôts est passé à 0%, ce qui correspondait de facto au même taux de rémunération que les réserves excédentaires sur le compte courant (l’égalité a été conservée depuis avec les baisses de taux de Juin et Septembre 2014, concernant l’ensemble des réserves excédentaires). Cela a eu pour effet de rendre les montants sur le compte courant et sur la facilité de dépôts complètement arbitraires. Et donc non pertinents pour dégager de quelconques conclusions sur l’activité des banques ou sur les conditions économiques comme certains le font.
Julien Pinter
Notes:
[1] En réalité les choses sont plus complexes : certains dépôts ne sont pas éligibles, des modalités différentes s’appliquent suivant le type de dépôts. Des détails qui sont négligeables dans le cadre de notre approche.
[2] Notons pour être plus précis que comme les réserves obligatoires se calculent comme un montant moyen sur le mois, le trésorier aura donc la possibilité de « moyenner » les montants qu’il laisse sur son compte courant. Il pourra ainsi laisser des montants très faibles certaines journées qui seront compensés par des montants très importants les jours suivants.
[3] Une autre option serait d’acheter des titres liquides, ce qui se traduit par un transfert de liquidités à une autre banque, qui à son tour in fine, si elle juge qu’elle a suffisamment de réserves sur son compte courant, devra choisir entre les deux options principales (prêt des liquidités ou dépôt à la facilité de dépôt).