Résumé :
– Les game changers sont les éléments et les facteurs clés qui vont soutenir ou freiner la croissance mondiale en 2014 ;
– Les 4 premiers game changers identifiés sont inévitablement la stabilisation de la croissance en Chine, la réindustrialisation des Etats-Unis, la timide reprise en Zone Euro et les turbulences dans les pays émergents. Pour la Chine, il s’agira de réussir la transformation de son modèle économique, tandis que pour les Etats-Unis et la zone euro, l’objectif est d’assurer la reprise ; pour les émergents il sera question de corriger les déséquilibres internes et externes ;
– 3 autres game changers concernent les politiques monétaires dissonantes, notamment le rôle des Banques Centrales pour les économies avancées comme émergentes, entre risque désinflationniste et crise de liquidité;
– Les 3 derniers reflètent davantage les risques nouveaux politiques, l’apparition de blocs économiques et de nouvelles formes de protectionnisme, et pour finir les conditions d’un rééquilibrage de l’économie mondiale.
2014 est annoncée comme l’année qui marquera un tournant pour l’économie mondiale, qui devra probablement voir le bout du tunnel après plusieurs années particulièrement difficiles. Tous les risques ne sont pourtant pas éliminés et 2014 sera une année certes de reprise mais pas de retour à une croissance forte et pérenne. Quels seraient alors les game changers, ces facteurs qui vont jouer un rôle significatif en 2014 ? Ludovic Subran et l’équipe de la recherche économique d’Euler Hermes soumettent 10 règles du jeu pour comprendre l’économie en 2014.
Transformation du modèle économique chinois sous contrôle
A l’occasion du troisième Plénum du 18ième Congrès du Parti Communiste et la Conférence centrale sur le travail économique, le gouvernement chinois a posé les bases de ses futures réformes et des objectifs qu’il se fixe, afin d’assurer la transition de son modèle économique tout en soutenant sa croissance à moyen terme. Ce projet d’envergure sera cependant accompagné d’une croissance du PIB moindre par rapport à 2013, au vu de l’ampleur de la transformation du modèle : +7,5% et +7,3% en prévision pour 2014 et 2015 contre 7,6% en 2013.
La croissance, avec ce nouveau modèle, reposera moins qu’auparavant sur les exportations et s’appuiera sur la consommation, grâce à une hausse des revenus et de l’emploi. La place du secteur privé dans le système financier sera renforcée et les marchés se verront confier un rôle « décisif » dans l’allocation des ressources. Ce processus de libéralisation concernera également les taux d’intérêt et la convertibilité du compte de capital en renminbi (RMB). Cette dernière est conforme à l’objectif de faire du RMB une monnaie utilisée mondialement dans les échanges et comme monnaie de réserve.
La Chine aura aussi comme objectif de renforcer sa répression financière dans la lutte contre le shadow banking, via notamment le contrôle de l’endettement des gouvernements locaux et des flux de crédits. Ces derniers seront dès lors redirigés vers de nouveaux relais de croissance, afin de soutenir la demande intérieure face à la mutation du modèle chinois.
Les Etats-Unis se réindustrialiseront avec ou sans argent facile
Au vu des derniers résultats fournis par les indicateurs et des récentes données statistiques, la situation économique aux Etats-Unis s’est légèrement améliorée. Ce regain de santé justifie le ralentissement progressif de tapering de la Federal Reserve (FED). Cependant sa politique reste et restera en 2014 très accommodante, afin de soutenir l’activité économique.
Peu d’inquiétudes à avoir par rapport à la politique monétaire, en revanche beaucoup plus d’incertitudes planent au dessus de la politique budgétaire, même si les tensions se sont quelque peu atténuées. En 2014, les Etats-Unis éviteront un nouveau shutdown, étant donné que le Congrès a approuvé le premier budget en quatre ans. Toutefois la question du plafond de la dette risque de générer des soucis dès le mois de février pour le gouvernement d’Obama.
C’est le secteur industriel et des entreprises qui devraient booster la croissance américaine, non seulement grâce au programme d’assouplissement quantitatif (QE) de la FED, mais grâce aux prix de l’énergie et à l’exploitation du gaz de schiste. Effectivement la production énergétique s’accroit aux Etats-Unis, réduisant donc sa dépendance vis-à-vis des importations de pétrole brut et stimulant ses exportations de produits raffinés. La baisse de la facture énergétique devrait constituer un élément clé de la reprise des entreprises américaines.
La Zone Euro panse ses plaies et entame sa cicatrisation
La Zone Euro a été minée ces dernières années par sa forte fragmentation, caractérisée par ses déséquilibres internes (problème de compétitivité et dérapage des finances publiques) et externes (déficits courants). Des récentes améliorations laissent à penser que 2014 sonne le début d’une nouvelle ère.
Dans les pays dits de la périphérie (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne), les réformes mises en place ces dernières années commencent à fournir des résultats encourageants. Les politiques de dévaluation compétitive, permises par un ajustement brutal de la masse salariale et par un niveau de chômage élevé, contribuent à stimuler les exportations et à réduire les importations. En France la faible capacité à réformer, la fiscalité et la rigidité du marché du travail constituent un poids trop important pour espérer une croissance supérieure à +0,6% en 2014. La consommation des ménages en Allemagne contribuera positivement à la croissance de son PIB, ces effets étant renforcés par les politiques publiques (instauration d’un salaire minimum, dépenses publiques en faveur des retraites).
Alimenter l’économie réelle en liquidité présentera un enjeu majeur pour amorcer une reprise durable dès 2014 en Zone Euro. L’action de la Banque Centrale Européenne (BCE) pourrait s’avérer décisive mais l’urgence est de trouver une solution pour financer les entreprises via la création de structures pour épauler le canal du crédit. Sans liquidité, les économies auront du mal à faire repartir la confiance et l’investissement, pourtant deux facteurs incontournables pour stimuler la croissance.
Les pays émergents, entre reprise et fragilités
A partir de mai 2013, les pays émergents sont rentrés dans une véritable spirale, alimentée par des tensions financières et des déficits courants importants. En 2014, plusieurs pays suscitent encore l’inquiétude alors que ces pays avaient réussi à traverser la crise de la fin des années 2000 sans trop d’encombres et en portant l’activité mondiale. Tous les pays ne sont pas affectés de la même manière et deux groupes de pays peuvent être désignés : ceux dont la vulnérabilité est déterminée par un risque cyclique et les autres à cause du risque de liquidité.
Le premier type de vulnérabilité est fonction de faiblesses à court terme : (i) risques liés aux prix et au taux de change ; (ii) risque inhérent aux valeurs financières et (iii), dépendance au secteur énergétique. La seconde catégorie reflète la capacité d’une économie à résister à une crise de liquidité et dépend du solde du compte courant et de l’évolution du crédit dans le secteur privé. Un groupe de 8 pays, très vulnérables, est exposé à un risque cyclique élevé et sujet à des faiblesses structurelles : l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, le Maroc, la Turquie et le Venezuela.
Les fluctuations des taux de change risquent de poser des problèmes, même si les Banques Centrales des pays concernés ont su réagir rapidement pour éviter que certaines monnaies dévissent. Ce risque de change affectera particulièrement les entreprises exposées au commerce extérieur en 2014. Le risque d’impayés et les défaillances risquent d’augmenter si les autorités ne parviennent pas à garder le contrôle de leur monnaie. Le secteur qui pourrait être le plus affecté étant celui de la construction en cas de hausse des prix des produits importés dont elle dépend.
Les Banques Centrales : mousquetaires monétaires face à la désinflation et à la crise de liquidité
Comme nous l’avons vu précédemment les Banques Centrales ont joué dans le monde entier un rôle déterminant pour enrayer les crises et trouver des solutions adaptées. Le remplacement de Ben Bernanke par Janet Yellen à la tête de la FED ne devrait pas entrainer de modifications majeures. La BCE aura pour objectif d’ancrer les anticipations d’inflation, la politique monétaire devant rester accommodante. La mise en place d’un nouveau programme d’aide aux banques reste conditionnée aux résultats de la Revue de la qualité des actifs (AQR), publiés courant 2014. Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre (BoE) poursuivra sa politique monétaire très accommodante tant que le taux de chômage dépassera les 7%. C’est au Japon, où la politique monétaire ultra-accomodante est un des principaux piliers de l’Abenomics, que la Banque Centrale du Japon (BoJ) poursuivra en 2014 un assouplissement quantitatif d’envergure.
En 2014 les Banques Centrales des économies avancées devront faire face au risque désinflationniste qui plane depuis 2012, suite à la baisse progressive de l’inflation. Ce phénomène s’explique à la fois par la baisse des prix des matières premières (qui seront stables en 2014), une appréciation du dollar suite au FED tapering et plus particulièrement en Zone Euro par la montée du chômage et par le recul du crédit. Le risque déflationniste constituant une véritable menace pour ces économies (notamment sur la reprise et pour la viabilité de la dette publique et privée), les Banques Centrales devront prendre en 2014 les mesures adéquates pour y remédier tout en guidant les anticipations.
Chez les pays émergents les risques sont différents mais ils nécessiteront également une intervention des Banques Centrales. Les problèmes liés au change, que cela soit dû au ralentissement du programme d’assouplissement de la FED ou encore aux déficits courants considérables de certains, amèneront la politique monétaire à être très vigilante et réactive en 2014. L’objectif des Banques centrales est double : il faudra couvrir le besoins de financement extérieurs (Europe émergente surtout) et maintenir le change tout en contenant l’inflation (essentiellement en Amérique Latine).
Risques politiques et sociaux, apparition de blocs et rééquilibrage de l’économie mondiale
Les risques politiques et sociaux n’épargneront à priori aucune partie du monde en 2014. Dans les pays développés, ces risques seront essentiellement liés aux résultats obtenus suite à la mise en place de nombreuses réformes ces dernières années. Si la reprise tarde à se manifester il ne serait pas surprenant de voir les populations des pays concernés montrer leur mécontentement. Des scrutins électoraux sont également prévus dans les pays émergents (Afrique du Sud, Brésil, Inde, Indonésie, Turquie et Ukraine), où les tensions peuvent être fortes. Mais les régions qui seront les plus affectées par les troubles politiques et sociaux resteront l’Afrique du Nord, le Proche et le Moyen-Orient, où les conflits (géopolitiques et/ou religieux) minent l’économie.
L’apparition de nouveaux blocs (Alliance du Pacifique en Amérique du Sud, l’ANASE en Asie du Sud Est ou encore le GCC dans une moindre mesure dan la péninsule arabique) pourrait à l’avenir favoriser une nouvelle forme de protectionnisme, dans la mesure où les pays de ces nouveaux blocs cherchent à dynamiser leurs échanges commerciaux entre eux. Leur objectif étant de lever les dernières barrières commerciales et créer des plateformes favorisant l’intégration régionale, tant au niveau commercial que financier.
Actuellement les économies avancées et émergentes contribuent de manière quasi-similaire à la croissance mondiale (à hauteur de 55% en 2014 pour les pays émergents). Parallèlement, le niveau de vie continuera de progresser dans les pays émergents (en guise d’exemple : Slovénie, Malaisie, Chili, Uruguay). Le rééquilibrage de l’économie mondiale en 2014 passera par une meilleure stabilité politique et institutionnelle dans les pays émergents, afin d’être plus robuste et de tirer profit de leur potentiel tout en rassurant les investisseurs.
Conclusion
En 2014, les économies avancées continuent le « sevrage » de leurs finances publiques et de leur politique monétaire, pendant que les pays émergents renouent avec leurs démons : des déséquilibres causant dévaluations et fuite de capitaux. Même si chaque année de nouveaux pays entrent dans la liste des marchés à forte croissance, pour les investisseurs et les exportateurs, les risques persistent. Quid des entreprises face à ces risques-pays ? Le risque desevrage brutal (credit crunch, envolée du risque de non-paiement, de confiscation et d’expropriation) semble écarte mais le temps leur manque pour restaurer leurs marges, le financement de leurs investissements, et leurs perspectives de croissance.
Références
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– J. Moussavi (2013), Investissements de portefeuille vers le Brésil : quels enjeux ? , BSI Economics.
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