Actualité : C’était le dernier événement politique crucial de 2016. Après le Brexit et la victoire surprise de Trump, les marchés financiers sont tournés vers l’Italie qui vient de rejeter massivement la réforme de la Constitution (à près de 60 %), plongeant le pays dans une nouvelle période d’incertitude politique. Le premier Ministre Renzi a annoncé sa démission qu’il a présentée au Président de la République Mattarella. Ce dernier est donc chargé de consulter les représentants du Parlement afin de tenter de former un nouveau gouvernement en évitant des élections anticipées qui pourraient pousser au pouvoir le mouvement populiste Cinq Etoiles. L’euro n’a presque pas réagi à la nouvelle, les rendements des obligations italiennes à 10 ans n’ont pas autant bondi qu’attendu, et le spread par rapport au rendement de l’obligation allemande s’est creusé de 3 points seulement. A croire que les marchés attendent de voir les prochaines étapes avant de se montrer plus averses aux risques. Dans cette note, nous revenons sur l’enjeu de ce référendum et ses implications, dans un contexte macroéconomique fragile et un système bancaire extrêmement vulnérable.
Les faiblesses de l’Italie
Les problèmes qui font de l’Italie une économie très vulnérable sont multiples : le pays cumule une faible productivité (même avant la crise, la croissance de la productivité était de 0,1 % contre 0,4 % pour la moyenne de la zone euro), un niveau de dette publique record (133 % du PIB, soit le deuxième pays le plus endetté après la Grèce), et par-dessus tout, un système bancaire fragilisé par des ratio de capitalisation insuffisants et un fort niveau de prêts non productifs (18 % du total des prêts contre 5 % en moyenne en zone euro). Les fragilités bancaires pèsent surtout sur la banque Monte Dei Paschi, qui est sur le point d’obtenir un accord sur sa recapitalisation et l’échange d’une partie de la dette en actions. Cet environnement fragile pèse sur la confiance des consommateurs et des investisseurs, et ralentit le processus de relance : la croissance du PIB reste timide, et les niveaux de chômage élevés (11,7 % en octobre), surtout pour les jeunes (qui subissent un taux de chômage supérieur à 35%).
Si l’Italie est si vulnérable, son système institutionnel n’y est pas pour rien. En Italie, une loi met trois ans et demi en moyenne avant d’être adoptée, et ce pour deux raison : d’une part, les lois électorales poussent à la formation de coalitions qui rendent les partis principaux dépendant du bon-vouloir de petits partis, rendant l’ensemble du système politique instable. D’autres part, à cause d’un bicamérisme parfait entre l’Assemblée Nationale (la camera dei deputati) et le Sénat (Senato), toute réforme subit un va-et-vient incessant et fastidieux entre les deux chambres jusqu’à son adoption définitive.
Les réformes ambitieuses de Renzi
C’est à ces deux freins institutionnels que le premier ministre Renzi souhaite s’attaquer, via deux réformes se situant au cœur de son mandat. La première est une réforme de la loi électorale de l’Assemblée, mais nous y reviendrons plus tard. La deuxième est une réforme de la Constitution, qui prévoit (entre autres), de réduire l’étendue des prérogatives du Sénat afin de donner le pouvoir de décision à l’Assemblée sur les questions clés. La combinaison de ces deux réformes, dont le processus d’adoption s’est mené séparément, aurait permis de rendre le Parlement plus efficace, en confiant le pouvoir au parti élu à l’Assemblée.
C’est cette dernière réforme qui a fait l’objet d’un référendum dimanche dernier, la loi n’ayant pas atteint le seuil requis du deux tiers des votes au Parlement. Matteo Renzi avait suggéré qu’il démissionnerait s’il perdait le référendum, refusant de rester au pouvoir dans un cadre institutionnel bancal qu’il l’empêcherait d’agir.
Au-delà de son enjeu pour le fonctionnement institutionnel italien, ce référendum revêt aussi une importance pour la stabilité politique du pays. Victime d’instabilité chronique (comme en témoigne le dernier épisode de 2013), le pays semblait enfin avoir trouvé le chemin de la stabilité en nominant Renzi. Pourtant, en liant son destin au résultat du vote, le premier ministre plonge à nouveau le pays dans un flou politique inquiétant, dans un contexte où la mouvance populiste et anti-système fleurit partout dans les pays développés. En Italie, cette mouvance est incarnée par le Mouvement Cinq Etoiles.
Et maintenant… ?
La première étape est de trouver un nouveau premier ministre. Les partis en place ont tout intérêt à éviter des élections anticipées et remplacer Renzi par un autre membre de la coalition existante, étant donnée la percée du Cinq Etoiles dans les sondages… Si toutefois le Président Mattarella ne parvient pas à récolter assez de soutien auprès du Parlement pour la formation d’un nouveau gouvernement, il devra dissoudre le Parlement et procéder à des élections anticipées dans un système institutionnel peu robuste, à cause de lois électorales divergentes dans les deux chambres. D’où l’urgence liée à la deuxième étape, pour ne pas alimenter à court terme du risque politique qui pourrait se traduire par une réaction des marchés financiers.
La deuxième étape pour le prochain premier ministre sera de rapidement modifier la loi électorale en vigueur à l’Assemblée. Comme dit précédemment, la première réforme institutionnelle de Renzi concerne la loi électorale de la chambre basse (Camera dei deputati), appelée Italicum. Elle donne un bonus de sièges au parti vainqueur, lui assurant la majorité absolue, et évitant ainsi de pousser les partis à former des coalitions. Cette loi a été adoptée par le Parlement et est en place depuis juillet 2016. Pourtant, Renzi s’est dit prêt à l’amender quelle que soit l’issue du référendum[1]. La nouvelle loi électorale continuerait d’apporter un bonus, mais il serait attribué non plus au parti mais à la coalition gagnante.
Avec la victoire du non, la nécessité d’amendement devient encore plus évidente : comment imaginer un Parlement avec deux chambres équivalentes, mais régies par deux lois électorales ne conduisant pas à la même majorité ? Ce serait une situation ni souhaitable, ni durable. De plus, cette loi est soumise à une revue de la Cour Constitutionnelle, qui devrait paraitre dans les prochaines semaines, et pourrait pousser à l’ajustement de la loi, certainement en accord avec les propositions d’amendements déjà faites par Renzi.
Conclusion
Etonnement et contrairement aux votes de Trump et du Brexit, ce sont les jeunes qui ont massivement rejeté la réforme Constitutionnelle : les résultats montrent que 81 % des 18-34 ans ont rejeté la réforme, contre 47 % pour les plus de 54 ans. En refusant cette réforme, non seulement le système institutionnel existant demeure inefficient, mais en plus, la période d’instabilité politique qui s’annonce contraindra l’implémentation d’autres réformes structurelles, pourtant essentielles au renforcement de l’économie italienne.
Dans les mois à venir, ni le système financier ni la politique budgétaire ne pourront permettre d’absorber entièrement les implications du choc politique survenu le 4 Décembre. Mais l’Italie pourra sans doute compter sur la BCE, qui devrait se montrer conciliante à sa réunion de jeudi, en étendant son programme d’achat d’actifs de plusieurs mois.
[1] Afin de satisfaire les intérêts des plus petits partis et assurer aux partis traditionnels un rempart contre le parti populiste, dont les fondements reposent sur le refus absolu de s’associer à une coalition.