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Quel partage des risques dans la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ? (Note)

Utilité de l’article : Cet article identifie les canaux de partage des risques qui fonctionnent dans la CEDEAO (Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest) afin de pouvoir faire face aux éventuels chocs asymétriques que la création d’une union monétaire dans la CEDEAO pourrait exacerber.

Résumé :
•    L’hétérogénéité des pays de la CEDEAO (Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest) ne devrait pas être un obstacle au projet de création d’une union monétaire s’il existe des mécanismes autres que le taux de change, afin de faire face à des chocs asymétriques (choc pétrolier, choc de politique monétaire, etc.).
•    L’aide publique au développement, le transfert de fonds des émigrés et l’épargne brute sont les principaux canaux de partage des risques dans la région.
•    L’inefficacité du canal des revenus primaires  à lisser les chocs asymétriques pourrait s’expliquer par la procyclicité des taxes sur les produits et la production.
•    Au regard du faible degré de partage des risques dans la région, la mise en place d’un fonds budgétaire pour accompagner les canaux de partage des risques apparaît nécessaire.

 

 

 


Selon Frankel et Rose (1998), le non-respect des critères ex-ante décrits dans les théories traditionnelles des Zones Monétaires Optimales (ZMO) n’interdit aucunement la réussite ex-post d’une union monétaire à condition toutefois d’observer une synchronisation progressive des cycles économiques.
Toutefois, Krugman (1993) montre que l’intégration monétaire pourrait conduire les pays à se spécialiser dans les secteurs où ils détiennent des avantages comparatifs . En effet, avec le risque de change il est difficile par exemple pour des entreprises ivoiriennes de délocaliser une partie de leur production au Ghana (main d’œuvre de qualité et à moindre coût) afin d’être plus compétitives sur le marché international .
Avec l’élimination du risque de change et l’intensification de la concurrence, les entreprises seront incitées à délocaliser leurs activités là où la dotation factorielle est la plus avantageuse afin d’être plus efficaces. Ainsi, une spécialisation interbranche des régions se développe. Les structures productives des pays membres tendraient donc à diverger après la création de l’union monétaire. Les échanges interbranches, conduiraient inévitablement à un accroissement des chocs asymétriques .
C’est dans cette lignée que se situe la théorie du risk-sharing (partage des risques) qui explique que le renforcement de l’intégration économique et financière tend à augmenter l’hétérogénéité des structures productives des pays de la zone. Mais dans un contexte de financiarisation croissante des économies, la détention interrégionale de titres ou revenus dans d’autres régions permet un meilleur partage des risques parallèlement à la montée de la spécialisation (Clévenot et Duwicquet,2011).
Cet article identifie les canaux de partage des risques dans la CEDEAO dans un contexte où les chefs d’Etat étudient la création d’une union monétaire.
En effet, la stabilité d’une union monétaire dépend de sa capacité à faire face aux chocs asymétriques en l’absence de politique monétaire indépendante. En outre, la rigidité des prix et salaires, la faible mobilité des facteurs de production entre les pays, que ce soit en raison de contraintes juridiques ou de facteurs culturels, comme les différences linguistiques, réduisent également la capacité d’un pays à s’adapter aux chocs asymétriques. Dans ce contexte, l’existence de mécanismes de partage des risques pour lisser les chocs asymétriques sur le revenu et la consommation devienne essentielle (Furceri et Zdzienicka ,2013).  
Le partage des risques modifie les contours du débat sur les zones monétaires optimales (ZMO). Le critère principal n’est plus la symétrie des cycles mais la décorrélation entre le bien-être des agents économiques (mesuré par la consommation) et le revenu domestique.

1. Faire face aux chocs asymétriques : Au-delà de l’épargne
Le coût national de la participation à une union monétaire provient principalement de la renonciation à une politique spécifique et de la perte de l’instrument du taux de change comme variable d’ajustement aux chocs extérieurs . Cette perte peut s’avérer d’autant plus préjudiciable que les pays membres sont touchés par des chocs asymétriques. Toutefois, l’union n’est pas sans défense si elle arrive à identifier d’autres mécanismes capables de faire face aux chocs asymétriques. C’est dans cette optique que de nombreux travaux se sont intéressés aux mécanismes de partage des risques  (Afonso et Furceri, 2008 ; Astrubali et al. 1996; Sorensen et Yosha, 1998 ; Tapsoba ,2009).
Cependant à notre connaissance, seul Tapsoba (2009) analyse les canaux de partage des risques dans la CEDEAO. Sur la période 1970-2004, il montre que l’épargne est le seul canal de partage des risques dans la région, car elle contribue à lisser 22 % et 21 % des chocs asymétriques dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et dans la CEDEAO respectivement. En outre, il trouve que les revenus primaires et secondaires nets n’ont pas d’impacts significatifs sur le lissage des chocs dans la région .
Selon la théorie du risk-sharing, l’épargne joue un rôle important dans le lissage des chocs asymétriques car elle augmente lorsque la situation économique est favorable et diminue lorsqu’elle ne l’est pas. Ce comportement procyclique contribuerait à lisser les chocs asymétriques dans la région.
Ces résultats sont confirmés par des estimations économétriques portant sur une période plus récente (Zouri,2020) . Toutefois nous pensons qu’au-delà de l’épargne, ils existent d’autres canaux de partage des risques qui fonctionnent dans la CEDEAO.

2. L’aide publique au développement  
La figure 2 montre que l’aide publique au développement (APD)  a atteint son pic vers la fin des années 1980. Cela n’est pas surprenant car la période allant de 1986 à 1993 est caractérisée par l’ampleur croissante des déséquilibres financiers, avec des conséquences désastreuses sur l’endettement des Etats, la croissance économique et, plus globalement, la viabilité économique et financière des Etats ouest africains (Revue d’économie financière, 2013). La période post-dévaluation du franc CFA en 1994 connait une accélération de la croissance économique dans la CEDEAO. Cette croissance s’est accompagnée d’une baisse de l’APD.  L’APD repart à la hausse depuis l’adoption des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en 2000.


Figure 2 : évolution de l’aide publique au développement dans la CEDEAO
 
Source :  Zouri (2020), BSI Economics.

L’APD peut ainsi représenter un mécanisme de lissage des chocs car elle joue un rôle majeur dans le financement des besoins des gouvernements ouest-africains. En effet, lorsqu’un pays est confronté à une récession, le montant de l’APD augmente afin de stimuler la croissance économique et réduire la pauvreté. L’augmentation de l’APD est capable de fournir une assurance contre les chocs asymétriques.
Dans ce sens, nous montrons à travers des estimations économétriques (Zouri,2020) que l’APD contribue à lisser les chocs asymétriques à hauteur de 11,65% entre les pays de la zone Non-UEMOA . Nous pensons que l’inefficacité de l’APD à lisser les chocs asymétriques dans l’UEMOA vient à la fois du caractère contracyclique et procyclique de l’APD qui contribue à neutraliser le pouvoir d’absorption de l’aide publique au développement.
En effet, l’APD peut être procyclique au sens où elle augmenterait lorsque l’environnement économique est favorable et peu lorsqu’il ne l’est pas. En effet, les bonnes performances économiques d’un pays facilitent la mise en œuvre de certaines conditionnalités et le rend plus attractif aux yeux des donateurs. A l’inverse des circonstances économiques difficiles nécessitent un ajustement du programme des reformes provoquant des interruptions dans les programmes d‘aides.

3. Transfert de fonds des émigrés
Au cours de la dernière décennie, les envois de fonds des émigrés ont crû beaucoup plus rapidement que les autres flux privés de capitaux et que l’aide publique au développement (APD), et sont ainsi devenus une source essentielle de financement extérieur pour les pays en développement (Ebeke et Le Goff,2010). Dans la CEDEAO, la figure 3 montre que les transferts de fonds nets des émigrés ont augmenté depuis le début des années 1980.


Figure 3 : évolution des transferts de fonds nets des migrants (net remittances) dans la CEDEAO  


Source :  Zouri (2020), BSI Economics.

Au regard de son importance dans la région, les transferts de fonds des migrants méritent une attention particulière des dirigeants de la CEDEAO car ils peuvent contribuer à stabiliser les fluctuations économiques. En effet, l’effet stabilisateur des transferts de fonds se justifie par l’hypothèse que ces derniers sont guidés par des “comportements altruistes”. Sous cette hypothèse, les transferts de fonds sont contracycliques car les migrants tendent à envoyer davantage lorsque l’économie d’origine subit ou a subi un choc.
A cet effet, nous montrons à travers des estimations économétriques (Zouri,2020) que les transferts de fonds des émigrés contribuent à lisser les chocs asymétriques entre les pays de l’UEMOA (à hauteur de 3,6 %). Cependant nous montrons que ce canal n’a malheureusement aucun pouvoir de lissage significatif dans la zone Non-UEMOA et dans la CEDEAO car dans ces 2 régions, les transferts de fonds jouent à la fois un rôle contracyclique et procyclique ce qui contribue à annuler l’effet d’absorption des chocs asymétriques. Les transferts de fonds des émigrés peuvent être procycliques au sens où les migrants enverraient de l’argent pour investir dans des projets rentables. Ils enverraient plus lorsque la situation économique serait favorable et peu lorsqu’elle ne le serait pas.

4. Taxe sur les produits et la production
Tapsoba (2009) justifie l’inefficacité du canal des revenus primaires par la faible mobilité des facteurs. En se basant sur la décomposition des agrégats nationaux (balance des paiements, BPM6), nous désirons montrer que les comportements contracycliques et procycliques des composantes des revenus primaires limitent également l’efficacité du canal des revenus primaires.


Figure 4 : corrélation glissante sur 10 ans entre la taxe nette sur les produits et la production (USD constant par habitant) et le PIB réel par habitant
 
Source :  Zouri (2020), BSI Economics.

Dans cette optique, nous nous intéressons aux impôts sur les produits et la production (taxe sur la valeur ajoutée, droit à l’importation, taxe sur les exportations, etc.) en raison de la disponibilité des données. Pour que le canal des revenus primaires nets soit efficace, il faudrait que toute variation du PIB (à la suite d’un choc) n’ait pas de répercussion sur le Revenu National . Par conséquent, le canal des revenus primaires nets (ou ses composantes) doit être contracyclique.  
Cependant, la figure 4 montre qu’en moyenne, la taxe nette sur les produits et la production (USD constant par habitant) et le PIB réel par habitant évoluent dans le même sens en raison de leur coefficient de corrélation positif. Cela n’est pas étonnant car les impôts augmenteront en période d’expansion et diminueront en période de récession.   Ce comportement procyclique contribuerait à rendre le canal des revenus primaires inopérant dans la région.  
A cet effet, nous montrons à travers des estimations économétriques (Zouri,2020) que les impôts sur les produits et la production contribueraient à exacerber (respectivement lisser) à hauteur de 6 % les chocs asymétriques dans l’UEMOA (respectivement dans la zone Non-UEMOA).
Au regard de l’inefficacité du canal des revenus primaires nets, la création d’un fonds budgétaire pourrait fournir un outil supplémentaire pour lisser les chocs asymétriques. Un fonds budgétaire à l’échelle de la CEDEAO peut être créé, où sera collecté des impôts proportionnels au PIB de chaque Etat membre et qui viendrait en aide aux pays en difficulté.
Chaque fois qu’un pays de la CEDEAO est touché par un choc à conséquence désastreuse, il recevra une aide budgétaire proportionnelle à la taille du choc, à la taille de son économie et aux ressources disponibles dans le fonds de stabilisation. Si aucun membre subit de choc à effet désastreux, les impôts collectés seront préservés intégralement dans le fonds budgétaire. Pour que ce dernier soit optimal, il doit être simple et automatique pour réduire l’aléa moral ; non régressif c’est-à-dire la contribution au fonds budgétaire et le montant de l’aide allouée aux pays en difficultés ne devraient pas diminuer à mesure que le PIB par habitant diminue (Von et Hammond, 1998).

Conclusion
Dans cet article, il semblerait que l’aide publique au développement, les transferts de fonds des migrants et l’épargne brute soient les principaux canaux de partage des risques dans la CEDEAO. En outre, la taxe sur les produits et la production limiterait l’efficacité des revenus primaires nets dans le lissage des chocs asymétriques.
Ainsi pour un meilleur partage des risques dans la région, les pays devraient donc en priorité mettre l’accent, en termes d’innovation financières, sur le rôle de l’épargne et des institutions financières en participant activement à l’expansion des marchés régionaux de crédit. La lutte contre la corruption dans la région devrait être à l’ordre du jour afin de contribuer à l’efficacité de l’aide publique au développement dans le lissage des chocs asymétriques. Au regard du faible degré de partage des risques dans la région, la création d’un fonds budgétaire pourrait fournir un outil supplémentaire pour atténuer les chocs asymétriques dans la région.

Bibliographie
•    Afonso,A.&Furceri,D.2008.EMU enlargement, stabilizationcosts and insurancemechanisms. Journal of International Money and Finance, 27, 169-187.
•    Asdrubali, P., Sorensen, B. &Yosha, O. 1996. Channels of Interstate Risk-sharing: United States 1963-90. Quarterly Journal of Economics, 111 (4), 1081-1110.
•    BCEAO. 2013. Synthèse des résultats des enquêtes sur les envois de fonds des travailleurs migrants dans les pays de l’UEMOA. Direction Générale des Etudes Economiques et de la Monnaie.
•    Clévenot, M. & Duwicquet, V. 2011. Partage du risque interrégional. Une étude des canaux budgétaires et financiers aux États-Unis et en Europe. Revue de l’OFCE, 119.
•    Ebeke, C., E. & Le Goff, M. 2010. Impact des envois de fonds des migrants sur les inégalités de revenu dans les pays en développement, Revue économique, 61(6),1051-1074.
•    Furceri, D.& Zdzienicka, A.2013.The euro area crisis:need for a supranational fiscal risk sharing mechanism? International MonetaryFund–Working Paper No. 13/198. 2013.
•    Frankel, J. A. & Rose, A. K.1998. The Endogeneity of the Optimum Currency Area Criteria. Economic Journal, 108 (449), 1009-1025.
•    Krugman, P.1993. Lessons of Massachusetts for EMU. In Francisco Torres et Francesco Giavazzi, eds, Adjustment and Growth in the EuropeanMonetary Union, Cambridge UniversityPress.
•    Revue d’économie financière.2013. Les fusions-Acquisitions, 50 ans d’unions monétaires africaines, crises immobilières et crises financières, Revue trimestrielle de l’association d’économie financière, (110).
•    Sorensen,B.&Yosha, O. 1998. International risk-sharing and EuropeanMonetary Unification. Journal of International Economics, 45, 211-238.
•    Tapsoba, S. J-A. 2009. Hétérogénéité des chocs et viabilité des unions monétaires en Afrique de l’Ouest. Revue Economique et Monétaire, (5), 38-63.
•    Von, H. & Hammond, G. 1998. Regional insurance against asymmetric shocks: An empirical study for the European Community. The Manchester School,  66(3), 331–353.
•    Zouri, S.2020. New Evidence on International risk-sharing in the Economic Community of West African States (ECOWAS). https://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3541780.

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