Utilité de l’article : Cet article propose d’étudier le développement local sous plusieurs dimensions : capitaux humain, économique et naturel et les liens qui les façonnent. Pour cela, il s’appuie sur le concept d’effet d’agglomération d’individus. A travers un diagnostic de l’Île-de-France sur la période 2016-2019, il présente les atouts et les défis inhérents à ce modèle de développement.
Résumé :
· La population francilienne est la plus dense d’Europe et la plus jeune de France. Son potentiel est d’autant plus élevé qu’elle est la plus qualifiée de l’Hexagone. Ainsi, le tissu de production francilien est le plus important d’Europe et le plus productif de France ;
· L’attractivité de la région est renforcée par sa capacité à former et attirer de jeunes talents et proposer les salaires les plus élevés ;
· Toutefois, l’Île-de-France fait face à de nouveaux défis. Elle concentre et attire aussi de nombreux travailleurs peu qualifiés. Ainsi, les inégalités vis-à-vis des plus qualifiés sont les plus fortes du territoire national ;
· La concentration de franciliens et leurs conditions de vie, bien que disparates, en font une population vulnérable en cas de pandémie, comme l’a montrée celle de la COVID19 ;
· Sur le plan environnemental, la région est victime de son attractivité. Son air est l’un des plus pollués de France malgré un niveau de pollution local par tête plus faible.
L’Île-de-France est un cas d’école pour comprendre le phénomène de métropolisation. Le projet du Grand Paris témoigne de la volonté des pouvoirs publics locaux à développer l’attractivité du territoire. L’effet « taille de marché » développé par Krugman et Helpman en 1985 permet d’aborder l’impact économique de la métropolisation, qui donne lieu à une concentration d’individus.
De manière synthétique, plus la taille de marché est grande par son nombre de consommateurs, plus les potentialités de production sont importantes, tant dans les besoins récurrents que nouveaux. Ce phénomène s’entretient par un cercle vertueux sur le territoire concerné puisque les entreprises ont besoin de main d’œuvre, qui travaille et consomme, ce qui attire de nouvelles entreprises, donc de nouveaux consommateurs, etc.
A travers un diagnostic socio-économique de la région sur la période 2016-2019, nous proposons d’illustrer l’effet d’agglomération et d’en saisir ses externalités. Ce processus est une aubaine pour l’économie locale et le développement territorial mais doit composer avec de nouveaux défis écologiques, sanitaire et économique.
I/ Effet d’agglomération : une aubaine pour le développement local
1. La population la plus dense d’Europe et la plus jeune de France
La région francilienne est la plus dense de France avec une densité dix fois supérieure à la métropole[1]. Les départements de la petite couronne ont une densité 50 à 70 fois supérieure à la moyenne française tandis que la capitale se distingue par une densité 200 fois supérieure à la moyenne dans l’Hexagone. En 2016, Paris était la capitale la plus dense d’Europe avec 20 780 habitants au km². Pourtant, elle n’est que la 6ème ville la plus dense en France[2], devancée par quatre communes de la petite couronne.
L’Île-de-France concentre également la population la plus jeune de France métropolitaine. Les départements de petite et grande couronnes ont les indices de vieillissement les plus faibles de métropole. Le département parisien est quant à lui celui qui concentre le plus d’habitants âgés de 20 à 39 ans, avec près d’une personne sur trois contre un peu moins d’un sur quatre en Métropole.
2. Le tissu de production le plus créateur de richesse en Europe
D’après les données NUTS2 d’Eurostat, l’Île-de-France était la région la plus créatrice de valeur ajoutée d’Europe avec 734 Mds d’euros. C’est presque deux fois plus que la Lombardie, deuxième région la plus productrice de valeur ajoutée d’Europe avec 388 Mds d’euros. A elle seule, la région a produit 30 % de la richesse nationale en 2016. D’abord, sa main d’œuvre est la plus abondante mais aussi la plus active de France[3]. Les entreprises sont ainsi plus grandes et plus nombreuses qu’en moyenne nationale. La Seine-et-Marne et le Val d’Oise sont les deux exceptions à ce constat et sont aussi les deux seuls départements de la région dont le PIB/habitant est plus faible qu’en métropole.
En outre, les franciliens sont les plus productifs de France dans tous les secteurs, hormis l’agriculture. De surcroît, l’économie francilienne est la plus spécialisée dans les activités à forte valeur ajoutée comme la recherche, l’information et la communication, la finance (cf Tab.1). Le PIB réel/hab est aussi révélateur de ces disparités. En 2016[4], Paris et les Hauts-de-Seine ont des niveaux respectivement 2,9 et 3,1 fois supérieurs à la moyenne française.
Tableau 1 : Valeur ajoutée par salarié en 2016 exprimée en EUR constants[5]
Source : données OCDE, compilation et calculs La Banque Postale et BSI Economics.
3. Un effet réseau propice à la pérennité de la force d’agglomération
Une spécialisation dans les activités à forte valeur ajoutée et un travail plus productif nécessitent une main d’œuvre qualifiée et la réciproque est vraie. (cf graph.1). L’offre de formation francilienne est très attractive et concentre bon nombre de grandes écoles réputées aux échelles nationale et internationale dans tous les domaines[6], dont les trois premières (Paris-Saclay, La Sorbonne et l’ENS Paris), se trouvent en Île-de-France.
Graph.1 : Niveau de qualification de la population non scolarisée âgée de 15 ans et plus
Source : données INSEE, compilation et calculs La Banque Postale et BSI Economics
Ces concentrations d’écoles et d’entreprises favorisent celles de moyens humains et financiers. [7], l’Île-de-France cumule à elle-seule plus d’un chercheur français sur trois dans le public et quatre sur dix dans le privé. .
II/ Les nouveaux défis inhérents à l’effet d’agglomération
1. Défi économique : la région la plus inégalitaire de France
En Île-de-France, les 10 % les plus riches ont un niveau de vie 4,5 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres en 2016 (cf Graph.2). Paris et les Hauts-de-Seine ont les deux revenus médians les plus élevés de la métropole, tandis que la Seine-Saint-Denis a celui le plus faible. En outre, la proportion de séquano-dionysiens (habitants de Seine-Saint-Denis) vivant sous le seuil de pauvreté[8] est la plus élevée de métropole (respectivement 28 % contre 14,5 %). A échelle plus locale, Aubervilliers, commune limitrophe à Paris, a le taux de pauvreté le plus élevé de métropole avec 45 %. Paris est le département le plus inégalitaire de France au regard du rapport interdécile[9].
Le marché du travail contribue à ces fortes disparités inter et intrarégionales. Premièrement, presque tous les départements franciliens avaient un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale (8,4%) en 2019, sauf le Val d’Oise (8,5%) et la Seine-Saint-Denis (10,8%). Secondement, les travailleurs de la région sont les mieux rémunérés de l’Hexagone en 2016. Les parisiens et alto-séquanais ont même respectivement un salaire net horaire moyen de 23,1 et 22,3 EUR/H tandis qu’il est estimé à 14,7 en France métropolitaine d’après l’INSEE.
Graph.2 : Pauvreté et inégalités en 2016
Source : données INSEE et CNAF, compilation et calculs La Banque Postale et BSI Economics
A contrario, la Seine-Saint-Denis est le seul département de la région avec un taux de chômage et un salaire moyen respectivement supérieur et inférieur à la moyenne nationale. C’est aussi le plus concerné de la région par les contrats précaires (CDD et temps partiel). Il faut préciser que 38 % des séquano-dionysiens n’ont aucun niveau de qualification reconnue, soit la plus forte part observée en métropole. La tendance tend à se détériorer puisque
Enfin, l’accès au marché du logement francilien est difficile, notamment à Paris. D’après l’INSEE, 1,2 % de la population parisienne a quitté la capitale entre 2017 et 2020, soit la plus forte baisse métropolitaine sur cette période. Pourtant, les prix des loyers ont augmenté bien plus rapidement que l’inflation, reflétant une demande très forte pour les logements parisiens. En somme, il faut bien comprendre que l’attractivité de la capitale ne tend pas non plus à décroitre même si la population tend à décliner.
Ainsi, le défi économique consiste à garantir un développement plus inclusif. La population séquano-dyonisienne est la plus jeune de l’Hexagone mais elle est aussi la moins bien formée au sein du marché du travail le plus compétitif de France. Alors que l’exploitation de ce potentiel humain pourrait être une voie vers un développement plus inclusif et plus important, il peut aussi devenir une autoroute vers un développement plus exclusif et moins important. Le manque de qualification dans un marché du travail qui en demande davantage restreint l’accès à un emploi et à un salaire suffisant. De facto, les individus concernés seront moins à-même de soutenir l’économie locale privée par la consommation et seront plus dépendants des aides publiques, soit des dépenses supplémentaires pour l’Etat, au moment où le poids de la dette est de plus en plus important.
2. Défi sanitaire : des conditions de vie propices à la contagion
D’après l’INSEE, en 2016, Paris et la petite couronne sont les quatre départements où le taux de suroccupation[10] des logements est le plus élevé de France avec plus d’un logement sur trois dans chacun de ces territoires. A Paris et les Hauts-de-Seine, cela s’explique par la taille des logements. En Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, cela s’explique, en plus, par la taille des ménages, puisque ces deux départements ont le plus grand nombre de personnes par résidence principale en France pour la même année.
Les capacités des hôpitaux franciliens en hospitalisation longue sont inférieures à la moyenne métropolitaine en 2017 (cf graph.3). La Seine-et-Marne et la Seine-Saint-Denis en sont respectivement les premier et troisième départements les moins dotés de métropole. De plus, la région a une part deux fois plus forte d’hôpitaux du secteur privé lucratif relativement à la métropole. En Seine-Saint-Denis, près de 4 hôpitaux sur 10 sont privés à but lucratif, soit quatre fois plus qu’en métropole. Enfin, d’après les données INSEE, la région est en déficit de médecins généralistes. Aucun de ses départements, à l’exception de Paris, ne satisfait la recommandation de l’OMS d’un médecin pour 1 000 habitants
Graph.3 : Capacités des hôpitaux en hospitalisations courte et longue en 2018
Source : Panorama de la santé de la DREES, compilation et calculs la Banque Postale et BSI Economics
Quoi qu’il en soit, la densité exceptionnelle de franciliens et leurs conditions de vie, bien que disparates, sont des facteurs aggravants de la vitesse de contagion d’un virus. Les capacités d’admission des hôpitaux sont une réponse au moment des soins et non une solution contre l’endiguement de la pandémie. Seulement, il est en pratique très difficile d’estimer le nombre suffisant de places. A titre d’exemple, Paris a été l’un des départements le plus touché par la COVID[11] en termes de décès, alors que le département parisien est le mieux doté de France en capacités d’admission par tête dans les hôpitaux. Ainsi, les autorités publiques locales et les acteurs du privé doivent se coordonner et réfléchir ensemble à des solutions pour faire respecter la distanciation sociale et réorganiser la tenue de rassemblements de personnes.
3. Défi écologique : une pollution locale très forte mais des atouts favorables à une transition
La capitale et sa petite couronne se caractérisent par des concentrations très fortes de particules fines et d’azote[12]. Sur la période 2000-2018, bien que la qualité de l’air se soit améliorée, Paris et ses trois départements limitrophes ont toujours franchi les seuils recommandés par l’OMS pour le dioxyde d’azote et les PM10. Ces polluants résultent d’activités humaines comme se déplacer (automobiles, avions…) et se loger (chauffage, électricité…).
La population d’Île-de-France est, par tête et à échelle locale, la moins pollueuse de France [13]. Les franciliens sont les moins consommateurs d’électricité au sein de leur foyer et les plus faibles producteurs de déchets ménagers de toute la France en 2018[14]. En outre, ils sont les moins consommateurs de carburants routiers. Le réseau local de transports publics permet à près d’un travailleur francilien sur deux de se déplacer avec les transports en commun pour aller travailler. Un parisien sur trois a un véhicule en 2016 d’après l’INSEE, soit la plus faible part en France.
Pour autant, l’Île-de-France n’en demeure pas moins l’une des régions les plus polluées de France. Grâce à la capitale, elle est un « mastodonte » du tourisme. La région concentre à elle seule 25 % des chambres d’hôtel de toute la métropole[15] et l’aéroport Paris-Charles de Gaulle est le 2ème plus fréquenté d’Europe[16]. Le marché francilien est immense par sa densité, de sorte que la demande y est très élevée. Son degré d’ouverture l’amène aussi à satisfaire une demande extérieure. Son trafic routier est ainsi très important et même souvent engorgé.
Ainsi, la question est de savoir comment concilier un accroissement de la consommation de biens et services tout en réduisant l’émission de polluants. On peut d’abord s’interroger sur la spécialisation de l’économie francilienne. L’agriculture est quasi-inexistante au sein de la région et elle est moins industrielle qu’en moyenne métropolitaine. Cela complique la production à échelle locale de biens, comme ceux de première nécessité (alimentaires ou d’hygiène). La politique touristique est aussi une question épineuse. Moins de tourisme, c’est moins de pollution et moins de revenus dans les caisses publiques ou « les poches des particuliers ». Ainsi, réduire les flux touristiques ne se feront pas sans coût social comme augmenter ces flux ne se feront pas sans impact écologique. Quoi qu’il en soit, la transition écologique doit être « viable, vivable et durable […] pour les générations présentes et futures »[17]. Le secteur touristique doit chercher à moins dépendre d’une clientèle très éloignée comme le secteur aérien doit réduire son empreinte carbone, que ce soit par l’innovation dans ses appareils ou le financement de projets visant à cet effet[18].
Conclusion
L’Île-de-France, région la plus densément peuplée du Vieux Continent, attire et concentre la population la plus jeune et qualifiée de France. Cette force d’agglomération lui permet d’être la région la plus productive d’Europe, avec notamment une spécialisation de l’économie davantage tournée vers les activités à plus forte valeur ajoutée. De fait, les entreprises produisent plus de richesses et proposent de meilleurs salaires, à tel point que les franciliens ont le niveau de revenu disponible le plus élevé de l’Hexagone.
Néanmoins, l’effet d’agglomération fait face à des défis majeurs. Sur le plan sanitaire, un territoire très ouvert et très densément peuplé est aussi un territoire vulnérable en cas de pandémie comme celle de la COVID19. Sur le plan environnemental, la région francilienne est davantage victime de sa propre attractivité et de sa concentration d’individus que des modes de consommation locale de ses habitants. Enfin, sur le plan économique, l’afflux d’entreprises tend aussi à une compétitivité du marché du travail très forte qui pénalise les moins bien qualifiés et renforce les inégalités. La Seine-Saint-Denis est l’allégorie de ce phénomène en étant le département le plus pauvre de métropole au sein de la région la plus riche de France.
[1] Les calculs et postulats ont été réalisés à partir des données de l’INSEE sauf si mention contraire
[2] Elle est, dans l’ordre, derrière Levallois-Perret (92), Vincennes (94), Le Pré-Saint-Gervais (93), Saint-Mandé (94), Montrouge (92). Cependant, neuf des vingt arrondissements parisiens sont plus denses que Levallois-Perret (le 11ème arrondissement étant le plus densément peuplé avec 40 059 habitants au km² contre 26 332 dans Levallois-Perret).
[3] Au regard du taux d’activité (nombre d’actifs / population totale) fourni par l’INSEE. Il est de 76,3 % en IDF contre 74 % en moyenne nationale.
[4] Chiffre calculé d’après les données de Valeur Ajoutée Brut en volume de l’OCDE et la population INSEE pour la même année
[5] Attention : les activités immobilières tiennent compte des loyers fictifs (= loyer que les propriétaires paieraient chaque mois pour loger dans leur propriété)
[6] D’après le classement “Academic Ranking of World Universities” de Shangai pour l’année 2019
[7] Chiffre calculé par l’auteur d’après les données régionales de recherche et développement en 2017 et semi-définitives de la direction du Système d’Information et des Études Statistiques (SIES) disponibles sur l’INSEE
[8] Au seuil relatif de 60 % du revenu disponible médian par unité de consommation (= par tête en tenant compte de la structure des ménages, c’est-à-dire nombre d’adultes et enfants) en France. Chiffre INSEE du fichier FiLoSoFi.
[9] Rapport entre le revenu médian des 10% les plus riches à celui des 10 % les plus pauvres. A Paris, il est à 6,3 en 2016, ce qui signifie que les 10 % les plus riches vivent avec un revenu supérieur de 6,3 fois à celui des 10 % les plus pauvres. Ce ratio est de 3,5 en France.
[10] Nombre de résidences principales (hors studios de 1 personne suroccupées) / nombre de résidences principales hors studios de 1 personne. Indicateur créé par l’INSEE. Un logement est suroccupé dès lors qu’il manque une pièce relativement à la norme d’occupation définie par l’institution (un séjour, une pièce par adulte, une pièce par enfant de plus de 7ans)
[11] D’après l’INSEE, il s’agit du 10ème département qui a connu la plus forte accélération du nombre de morts entre le 1er mars et le 30 avril 2020 (+ 64% du nombre de décès sur cette période par rapport à 2019 contre+27% sur la même période en moyenne nationale)
[12] D’après le rapport annuel « Qualité de l’air et bilan des activités en 2018 » d’AirParif publié en novembre 2019.
[13] On note 3 échelles de pollution : local, national et international. Ici, ce constat ne décrit que les activités qui jouent sur la pollution locale. Sur les deux autres échelles, rien ne dit que la population francilienne restera la moins pollueuse de France.
[14] Les données sont issues du Ministère de l’environnement pour la consommation de carburants, de l’INSEE pour l’utilisation de transports en communs et l’ADEME pour la production de déchets
[15] Calculs La Banque Postale et BSI Economics d’après les données d’infrastructures INSEE pour 2018
[16] D’après le classement 2018 du Conseil International des Aéroports publié chaque année.
[17] Termes présents dans le rapport Brundtland de 1987 et repris par le Sommet de Rio en 1992 pour définir le développement durable.
[18] Air France a déjà pour objectif d’ici 2030 de réduire ses émissions de CO² par client /km de 50% par rapport à 2005