Après l’annonce, l’attente ! Le 2 avril 2025 D. Trump annonçait le relèvement des droits de douane aux Etats-Unis… avant de signifier un report partiel de 90 jours. Malgré l’incertitude sur leur niveau final, les droits de douane constituent une menace sur l’activité, ce qui a mené le Fonds Monétaire International (FMI) à réviser ses prévisions de croissance pour 2025. Ce Killer Chart décrypte la situation.
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Pourquoi c’est intéressant ?
Les droits de douane (DD) ont perturbé l’exercice de prévision du FMI, dont les résultats sont notamment publiés chaque année en avril. Pour effectuer cette prévision, le FMI a utilisé les niveaux de DD annoncés par D. Trump le 2 avril 2025[1]. Par rapport aux prévisions de janvier 2025, le FMI a révisé la croissance mondiale de -0,5 point (pt) pour 2025, à +2,8 %. Si les ajustements ne sont pas inhabituels entre avril et janvier de la même année, celui de 2025 est toutefois plus de deux fois supérieur à la moyenne des dix dernières années (0,2 pt en valeur absolue)[2]. L’effet des DD serait donc inédit et particulièrement préjudiciable à l’échelle mondiale[3].
Ce Killer Chart tente de représenter l’impact des droits de douane en 2025 selon trois dimensions : l’ampleur de l’écart de prévision d’activité économique (abscisse), le niveau de DD qui entrerait en vigueur en juillet 2025 (ordonnée) et la dépendance au marché américain à l’export (taille des bulles). Plus une bulle est située dans la partie gauche en haut du graphique, plus un pays aurait des DD élevés sur ses exportations et l’impact en termes de recul de sa croissance serait significatif. Une grande hétérogénéité ressort de ce graphique. L’exposition directe à l’économie américaine permet d’expliquer ce phénomène, sans être pour autant la seule explication. Différents canaux semblent en effet expliquer l’impact des DD sur la croissance.
Qu’en penser ?
Tout d’abord il convient de noter qu’en dehors de certaines exceptions (Canada, Corée du Sud, Japon), plusieurs économies avancées ont vu leur prévision de croissance révisée à la baisse dans une moindre ampleur que la moyenne mondiale. Rien d’incohérent, ces économies sont généralement plus résilientes pour absorber des chocs. Ce qui différencie notamment les pays de la Zone euro de leurs pairs repose sur i) leur niveau de droits de douane relativement moins élevé (20 %[4]) et ii) une part des Etats-Unis relativement plus faible à l’export[5]. Deux aspects qui expliquent en revanche bien le cas des trois exceptions précitées : des DD plus élevés (près de 25 %), une exposition non négligeable au marché américain et un poids important de ces exportations dans le PIB[6]. D’ailleurs, la Corée du Sud et le Japon se sont rapidement positionnés pour négocier avec les Etats-Unis en espérant réduire leur DD.
Au sein des économies émergentes, l’impact serait plus important pour le Mexique (pour des raisons assez similaires au Canada, même si les deux pays bénéficient d’accord de libre échange qui protège certains produits exportés) et pour les pays asiatiques (Chine, Viet Nam, Thaïlande).
En Chine, l’incertitude demeure concernant le niveau final des droits de douane alors que le pays a riposté face aux Etats-Unis[7]. Pour les autres pays asiatiques, l’effet des DD est direct (limitation des débouchés américains à l’export) et indirect via l’accentuation du ralentissement chinois, économie dont ils sont très dépendants via le canal commercial. Cela n’est pas propre aux pays asiatiques mais relève d’un constat global (Afrique du Sud, Australie pour ne citer qu’eux).
Les pays présentant des droits de douane plus modérés (10 %, le minium) semblent moins exposés, ce qui peut expliquer de relativement plus faibles révisions de la croissance du PIB (Brésil, Turquie par exemple). Cependant, selon les pays, d’autres canaux de transmission peuvent être identifiés et menacer les perspectives de croissance : i) prix des matières premières, ii) envois de fonds des expatriés, iii) commercial bis, iv) financier[8].
Une baisse de la croissance mondiale pèserait mécaniquement sur les prix des matières premières. Les pays exportateurs de pétrole pourraient pâtir de cette situation (Nigeria, Angola par exemple), comme les pays de l’OPEP+qui tablaient sur une hausse significative de leur production d’hydrocarbures d’ici 2026 (surtout les Emirats Arabes Unis). Si les effets sont plus ambigus, un ralentissement de la croissance mondiale pourrait signifier une diminution des envois de fonds des expatriés[9]. Le troisième canal « commercial bis » s’apparente à des risques divers portant tant sur la compétitivité prix que sur une réorganisation des chaines de valeur internationales[10].
Le dernier canal, financier, est probablement le plus important mais également le plus incertain. Il est essentiellement lié aux nouvelles trajectoires d’inflation, d’activité économique et de déficit public aux Etats-Unis (cf. cette tribune de BSI Economics). Ces changements de trajectoires pourraient bien impliquer un revirement dans la conduite de la politique monétaire de la Federal Reserve (Fed), avec des répercussions globales non négligeables tant sur les marchés de la dette souveraine, les marchés boursiers (déjà à l’œuvre en avril) que sur les flux de capitaux, et les devises. A ce stade, le dollar et les obligations du Trésor américain « perdent de leur superbe ». Cela a deux principales conséquences : la recherche de valeurs refuges alternatives[11] et une forte volatilité sur les taux d’intérêt long terme. Ces tensions sur les taux longs compromettent la transmission des baisses des taux directeurs et pèsent sur les conditions de financement (en Europe notamment). Les économies émergentes sont également exposées, plus particulièrement celles qui ont des besoins de financement externe élevées (Afrique du Sud, Egypte, Turquie par exemple).
Si pour certains pays, soucieux de disposer de temps pour négocier au mieux un accord avec les Etats-Unis, l’attente d’ici juillet risque d’être courte, elle sera probablement très longue pour l’ensemble de la planète et malheureusement propice à une hausse indésirable de la volatilité. Durant cette période, les autorités américaines auront fort à faire pour clarifier de nombreux sujets (droits de douane, avenir de J. Powell à la tête de la Fed, rôle du dollar, efficacité du DOGE, etc. les thèmes ne manquent pas !) et limiter l’incertitude.
V.L, article rédigé le 24/04/2025
[1] Le FMI a aussi considéré des scénarios alternatifs pour refléter les possibles évolutions des politiques commerciales.
[2] -0,1 pt en valeur relative. Seule la révision de 2022 a été supérieure (-0,8 pt), causée par l’impact inflationniste de la guerre en Ukraine. Ces comparaisons sont effectuées hors crise sanitaire en 2020 (-6,3 pts) et 2021 (+0,5 pt).
[3] Révision à la baisse pour 64 % des pays en 2025 et pour 48 % d’entre eux cette révision est de plus de -0,5 pt.
[4] Comme évoqué en introduction, les droits de douane en vigueur jusqu’à la fin du délai de 90 jours s’établissent à 10 % pour l’ensemble des pays (hors Chine, voire ndbp 7). Sans accord, ces droits passeraient à 20 %.
[5] 8,7 % en moyenne entre 2020 et 2024 pour les quatre premières économies de la Zone euro (Allemagne, France, Italie, Espagne) contre près de 14,4 % en moyenne en Suisse et au Royaume-Uni.
[6] A ce titre, un pays comme Singapour, même avec des DD de « seulement » 10 %, enregistrerait un impact négatif étant donné des exportations vers les Etats-Unis qui représentent 6,3 % de son PIB.
[7] Selon les récentes déclarations du Secrétaire d’Etat américain S. Bessent, les DD sur la Chine pourraient revenir à des niveaux, certes toujours très élevés, mais plus raisonnables et proches de 50 % (contre 145 % sinon).
[8] Le canal des aides financières aurait pu également apparaitre ici mais ne rentre pas en compte dans cette analyse, car il n’est pas lié directement à la politique commerciale de D. Trump.
[9] Selon la zone de dépendance des pays, comme l’Amérique latine avec les Etats-Unis, où les effets seraient accentués par la nouvelle politique migratoire.
[10] Par exemple : la quête de débouchés hors Etats-Unis avec des risques de dumping (surtout en provenance de Chine) qui affecteraient la compétitivité prix de certains pays (cf. ce Killer Chart de BSI Economics pour en savoir davantage avec l’exemple de l’acier), la course à des nouveaux accords de libre-échange afin de moins dépendre des Etats-Unis (comme au Viet Nam), une réorganisation des chaines de valeur mondiales (comme au Maroc), une modification du cycle de reprise des échanges de composants électroniques (cf. cette note de BSI), etc.
[11] Avec un effet positif sur les pays exportateurs d’or par exemple, comme l’Afrique du Sud.