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Killer Chart : Inquiétude sur la transmission des baisses de taux d’intérêt en 2025

Cette courte note propose de décrypter un graphique marquant, en lien avec l’actualité économique. Alors que les banques centrales des économies développées poursuivent leur cycle de baisse des taux, ce Killer Chart met en lumière la transmission inégale de la baisse des taux directeurs aux taux longs au sein de ces économies.

Kctransmissiontaux

Téléchargez le PDF : killer-chart-transmission-taux.pdf

Pourquoi c’est intéressant ?

Les taux directeurs des Banques centrales sont des vecteurs de transmission de la politique monétaire et servent de référence pour tout calcul de taux d’intérêt et déterminent dès lors les conditions de financement au sein des économies[1]. Les évolutions de taux directeurs jouent directement sur les taux d’intérêt de court terme (par exemple les rendements obligataires souverains de maturité inférieure à 1 an), qui exercent à leur tour une influence sur les taux d’intérêt de long terme, en cohérence avec la structure par terme de la courbe des taux[2].

Entre 2022 et fin 2023, les pressions inflationnistes ont conduit les Banques centrales à resserrer leurs conditions de financement, ce qui a mécaniquement provoqué une hausse plus ou moins proportionnelle des taux longs, perceptible via l’augmentation des rendements obligataires souverains à 10 ans (cf. points jaunes dans le graphique ci-dessus). Depuis le deuxième trimestre 2024, les économies développées entament un nouveau lent cycle de desserrement des conditions de financement, propice en principe à une baisse des taux longs (cf. par symétrie les points bleus sur le graphique ci-contre). Cependant, pour le Royaume-Uni et la France (entourés en rouge dans le graphique ci-contre), cela n’est pas le cas tandis que d’autres pays (Allemagne, Belgique, Etats-Unis) ne bénéficient que de réduction limitée des taux longs à ce stade.

Ce phénomène laisse à penser que le nouveau cycle de baisse des taux pourrait s’avérer particulièrement long, en fonction notamment des paramètres macroéconomiques (inflation et croissance). A ce titre, les choix d’orientation de politique monétaire des principales banques centrales seront particulièrement scrutés. Ce phénomène pourrait par ailleurs être inégal, avec des effets plus limités sur les taux longs selon les pays, soit une plus faible transmission de la baisse des taux directeurs, au détriment du financement de l’économie.

Qu’en penser ?

S’il est à ce stade délicat de tirer des conclusions de ces premières observations, ces dernières constituent néanmoins de signaux d’alerte pour certains pays et mettent en exergue des fragilités.

En premier lieu, il convient de constater que la transmission de la baisse des taux semble « correctement » s’opérer dans plusieurs économies (les points bleus les plus à gauche sur le graphique) : Danemark, Grèce, Suède et Suisse par exemple. Un point rassurant, qui laisse à penser que la diffusion des taux d’intérêt bas continue de fonctionner et que les économies qui n’en profitent pas, ou peu, représentent plus des cas spécifiques qu’une norme.

Le cas de la France semble particulièrement équivoque. Malgré la manifestation d’un risque politique durant l’été 2024 (retard pour nommer un Premier Ministre post élections anticipées en juin-juillet), la France a bénéficié d’une forme de sursis ou de « période de grâce » pendant laquelle le pays n’a pas subi de hausse sur ses rendements obligataires souverains. Cependant, la tendance s’est inversée depuis septembre 2024 où les errements pour valider un Budget pour 2025, dans un contexte de déficit public très creusé, génèrent de l’incertitude et sont aujourd’hui pénalisés par des taux longs qui se tendent[3] .

Or, au vu du poids économique de la France dans la Zone euro, une dégradation du risque souverain français, et / ou de sa perception, présente un risque de contagion, qui pourrait potentiellement conduire à une hausse des rendements souverains pour des pays de la Zone euro avec des niveaux d’endettement public significatif (Belgique, Italie par exemple). Ce serait d’autant plus le cas dans un contexte où les perspectives de croissance en Zone euro apparaissent comme mitigées.

La perception du risque souverain se retrouve également au centre des préoccupations au Royaume-Uni, où la capacité du gouvernent à concilier stimulation du potentiel de croissance et préservation des finances publiques est questionnée.

Si les risques politiques et budgétaires joueraient un rôle clé en 2025 pour garantir ou non une transmission efficace des baisses des taux directeurs aux taux longs, d’autres thématiques offrent également un lot d’incertitude non négligeable. Parmi eux, les tensions commerciales constituent une menace grandissante, où le relèvement des droits de douane, surtout aux Etats-Unis, engendrerait une spirale protectionniste globale. Une telle spirale aurait autant des effets négatifs à court terme sur les volumes d’échanges commerciaux, affectant de facto les pays fortement intégrés dans les chaînes de valeur internationales (l’Allemagne ou les Pays-Bas par exemple).

De plus, le protectionniste aura tendance à renchérir les prix des biens et services importés et s’avèrerait donc probablement inflationniste. Par ailleurs, aux Etats-Unis, les annonces d’importants stimulus budgétaires du nouveau Président D. Trump pose la question de la trajectoire d’inflation. Le financement des futurs déficits publics américains interroge également[4] et a tendance à générer certaines tensions sur les rendements souverains.

Les marges de manœuvre des économies développées ont été éprouvées par la succession de crises des dernières années. Plus que jamais, un relâchement des conditions de financement par les Banques centrales constituerait une source de soulagement. Cependant, l’incertitude autour de pressions inflationnistes durablement plus élevées dans certains pays (notamment aux Etats-Unis avec les annonces de politiques économiques de D. Trump) pourrait bien contrarier les espoirs d’une baisse rapide des taux directeurs.

Par ailleurs, la perception à la hausse de plusieurs risques (politique, souverain, protectionniste) pourrait bien réduire, voire annihiler en partie, les effets du cycle actuel de baisse des taux directeur dans certains pays. Un tel phénomène limiterait ainsi l’efficacité à venir des prochaines baisses de taux. Il pourrait donc bien compromettre les perspectives de rebond de l’activité à court terme et devra faire l’objet d’une attention particulière en 2025.

Article rédigé le 27/11/2024

 

[1] Très schématiquement, lors d’un resserrement monétaire (respectivement desserrement), les taux directeurs ont tendance à augmenter (baisser) et se diffusent dans l’ensemble de l’économie, que cela soit via une hausse (diminution) des taux de prêts interbancaires, prêts bancaires, taux d’intérêt sur le remboursement de la dette publique, etc.

[2] Selon cette logique, les taux longs sont constitués de taux courts auxquels s’ajoutent une prime de terme qui évolue selon la perception du risque d’insolvabilité propre à chaque pays à différents horizons de temps. Cette prime de terme repose sur différents critères : prévision d’inflation, risque de change, risque de liquidité, environnements économique et politique, etc.

[3] +19 pdb entre mi-septembre et fin novembre 2024 pour l’OAT à 10 ans contre une réduction de taux directeurs par la Banque centrale européenne de -110 pdb entre mai et novembre 2024. Le spread par rapport au Bund allemand à 10 ans s’est également creusé augmentant de + 10,7 pdb sur cette même période. Ce sujet a fait l’objet d’un autre Killer Chart publié par BSI Economics.

[4] Cf. ce Killer Chart publié par BSI Economics.

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