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Killer Chart : fausse alerte sur le marché obligataire aux Etats-Unis, mais des menaces persistantes

L’annonce de D. Trump sur le relèvement des droits de douane le 2 avril 2025 a provoqué une chute des cours boursiers à travers le monde.  Après les marchés actions et le repli du S&P500 aux Etats-Unis, l’onde de choc s’est diffusée aux obligations souveraines. Si un report des droits de douane (DD) de 90 jours semble soulager les marchés, la politique de DD renforcés resterait source de tensions. Ce Killer Chart propose de décrypter cette situation.

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Pourquoi c’est intéressant ?

Malgré les errements de l’administration Trump, les Etats-Unis ont posé les jalons d’une nouvelle ère de « guerre commerciale », qui pose de nombreuses questions : quels modes et quels coûts d’approvisionnement aux Etats-Unis, quelles répercussions sur l’activité économique, quel impact sur l’inflation, sur le dollar, etc. ?

Dans un contexte d’incertitudes élevées, les investisseurs sont très sensibles aux décisions de politiques économiques. Pré annonces de report des DD, les investisseurs se sont détournés des marchés actions, qui ont plongé[1] (cf. courbe bleu foncé sur le Killer Chart). Dans un premier temps, les investisseurs se sont repliés sur les valeurs refuges classiques comme l’or, des actifs en franc suisse ou encore les obligations souveraines américaines, ce qui a conduit à une baisse de leurs rendements…

Baisse qui n’a été que de courte durée car depuis le lundi 7 avril, les titres de dette souveraine américaine sont entrés dans une zone de turbulence. Entre le 7 et le 9 avril, un rapide redressement des rendements souverains à 10 ans a été observé[2] (cf. courbe en bleu clair sur le Killer Chart) : les investisseurs se sont détournés des obligations souveraines[3]. Par le passé, des hausses similaires ont été observées lors : de resserrement de la politique monétaire par la Federal Reserve (2013, 2015), de phases d’incertitudes très élevées (poussées inflationnistes en 2022, campagne présidentielle en 2024), voire de crise financière (crise de 2008-2009, crise sanitaire début 2020).

Qu’en penser ?

L’explication à un tel phénomène est financière et liée au marché de mise en pension, ou repo, et aux stratégies des Hedge Funds (fonds d’investissement spéculatifs).

Dans une opération classique de financement de type repo, un emprunteur se voit accorder des fonds d’une valeur de X par un prêteur en contrepartie de titres, d’une valeur également de X, qui servent de collatéral[4]. Si ces titres perdent de la valeur au cours de l’opération, il y a un « appel de marge », qui consiste à apporter de nouveaux titres, jusqu’à ce que la valeur X soit de nouveau atteinte. Lorsque les marchés boursiers se contractent fortement, la valeur des actions a tendance à se replier. Dès lors, les emprunteurs font face à des appels de marges de plus en plus élevés. Pour y répondre, ils doivent apporter de nouveaux actifs et pour les acquérir ils ont tendance au préalable à céder des actifs liquides pour dégager des fonds. Dans un contexte de repli des cours boursiers et de liquidation des portefeuilles d’actions, ils en viennent à céder les actifs les plus liquides par définition, à savoir des obligations souveraines de long terme.

Des ventes importantes et simultanées d’obligations de long terme peuvent mener à des tensions sur les rendements souverains. C’est le mécanisme qui a été à l’œuvre dernièrement. En principe, le report des droits de douane réciproques (DDR) constituerait un réel soulagement et y mettrait un terme… Toutefois, ce mécanisme aurait vocation à se remanifester le jour où les DDR seront appliqués et / ou tant qu’un doute subsistera quant à leur application effective et l’ampleur de leur impact sur l’activité économique.

Récemment, les Hedge Funds (HF) ont particulièrement été concernés par des liquidations de leurs portefeuilles d’actions et des appels de marge élevés. Ces HF lèvent de la dette à court terme afin de placer les montants empruntés en espérant ainsi maximiser leur effet de levier. Pour certains HF[5], ces montants de dette levée ont servi à adopter des positions à l’achat sur le marché obligataire, via des contrats à terme, pariant ainsi sur une hausse du prix des obligations[6]. Or le prix des obligations baissant, leur effet de levier a rapidement diminué selon Morgan Stanley, les exposant à des pertes substantielles. Dans une telle configuration, le choix est soit de déboucler les positions (ce qui joue à la baisse sur les prix des obligations), soit de se couvrir.

Cependant, le coût des couvertures de change a également eu tendance à fortement augmenter dernièrement, c’est ce que semble révéler la hausse très marquée du spread de taux de swap à 10 ans[7] aux Etats-Unis (courbe en jaune sur le Killer Chart). Lorsque ce spread, ou écart de taux, a tendance à se creuser, il signale i) que la perception du risque de taux d’intérêt se dégrade, et ii) qu’il y a des cessions importantes de titres obligataires souverains.

Une dégradation du risque de taux est assez délicate à interpréter. Souvent associée à une dégradation des finances publiques, elle apparait plutôt être liée à une évolution des anticipations d’inflation dans le cas des Etats-Unis. En effet, l’ampleur inattendue du relèvement des droits de douane américains pourrait finalement s’avérer plus inflationniste qu’anticipé. Dès lors, la Federal Reserve pourrait réviser son calendrier de baisses des taux en 2025, voire envisager des hausses en cas de nouvelle trajectoire haussière de l’inflation. Un tel revirement provoquerait des tensions sur les taux courts et se diffuseraient aux taux longs (d’où la perception de risque de taux). Une anticipation de hausse des taux d’intérêt pourrait même engendrer une augmentation des positions nettes vendeuses sur les obligations souveraines (c’est déjà le cas sur l’USD depuis plusieurs semaines) et ainsi avoir des effets auto-réalisateurs sur le risque de taux en tendant davantage les rendements obligataires.

Au-delà des aspects commerciaux, les effets indésirables des droits de douane de l’administration Trump se font déjà ressentir sur les marchés financiers[8]. Une contagion de la chute des actions vers les obligations souveraines semble désormais écartée avec la pause sur les DDR. La situation incite toutefois à une forte vigilance car les mécanismes exposés ici pourraient de nouveau être activés à l’approche de juillet 2025. En cas de nouvelles tensions, les Banques centrales, bien qu’en pleine phase de réduction de leurs bilans, pourraient bien être remises à contribution pour éviter un krach obligataire.

 

V.L, article rédigé le matin du 10/04/2025

[1] Plus importants montants vendus depuis 2010 selon Goldman Sachs

[2] Entre le 7 et le 9 avril 2025, les rendements ont augmenté de +11,2 pdb par jour en moyenne, soit largement plus que la moyenne sur longue période (environ la moyenne augmentée de deux écarts types).

[3] Une hausse des rendements intervient simultanément lorsque le prix de ces obligations baisse, caractéristique d’un excédent d’offre (de ventes) par rapport à la demande (d’achats).

[4] Ces titres collatéralités permettent au préteur de ne pas subir de pertes en cas de défaut de l’emprunteur. En cas de défaut, les titres mis en pension deviennent la propriété du prêteur (cf. cet article sur les chambres de compensation).

[5] Les fonds spéculatifs long-short prennent généralement des positions longues (à l’achat) sur des titres dont la valeur augmenterait et des positions courtes (à la vente) sur des titres dont ils anticipent la baisse.

[6] Anticipant une baisse des taux obligataires (une hausse des prix), ces HF prennent des options pour l’achat de titres qu’ils lèvent lorsque les prix augmentent en tablant sur une revente à un prix plus élevé ultérieurement.

[7] Le spread de taux de swap correspond à la différence entre le taux de swap et le rendement d’une obligation souveraine, pour une même maturité. Le taux de swap est un outil de couverture de risque de de taux d’intérêt, soit un contrat financier qui détermine le coût lié à l’échange d’un taux fixe contre un taux variable.

[8] Les Etats-Unis se passeraient pourtant bien d’un retournement de son marché obligataire en 2025 ; d’autant plus qu’un risque de shutdown en fin d’année apparait comme non négligeable avec la nécessité de relever le plafond de la dette publique avant de faire valider le très ambitieux budget annoncé par D. Trump durant sa campagne.

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