Résumé :
- La négociation menée actuellement par la Commission européenne et le gouvernement italien génère de grandes inquiétudes et une forte volatilité sur les marchés financiers ;
- Si certaines inquiétudes semblent légitimes (comme la capacité de l’Italie à respecter ses objectifs de déficit public), d’autres sont plutôt d’ordre spéculatif (fin de l’éligibilité des obligations italiennes au programme d’achats d’actifs publics mené par la BCE) ;
- Les faiblesses structurelles de l’économie italienne ainsi que sa croissance potentielle quasi nulle justifient une politique budgétaire de relance. Toutefois, ce sont les moyens utilisés qui divisent ;
- Les enjeux à la fois économiques et politiques pour la Commission européenne et le gouvernement italien devrait pousser les parties à tempérer leurs propos et mener une négociation plus conciliante.
Cet article propose un éclairage sur la situation budgétaire en Italie, qui est devenue un sujet de tensions avec la Commission Européenne. Des éléments sont également fournis pour comprendre que les perspectives économiques ont tendance à se dégrader et que des risques économiques se manifestent.
La nouvelle coalition actuellement à la tête du gouvernement italien, comprenant le mouvement Cinq étoiles et la Ligue, s’est lancée dans un bras de fer avec la Commission européenne. Élus en mai dernier sur des programmes budgétaires expansionnistes, qui avaient déjà inquiété les marchés, la coalition souhaite tenir ses promesses et les appliquer dans le projet de loi et de finances (PLF) pour l’année 2019. Le PLF 2019 proposé par le gouvernement italien a été rejeté en totalité par la Commission européenne, une situation qui inquiète fortement les marchés.
Comment les marchés réagissent-ils ?
Les marchés sont fortement concentrés sur le risque italien, qui se manifeste notamment par une forte sous-performance des marchés obligataires italiens et des marchés d’actions (-20 % pour les valeurs bancaires italiennes, -11,8 % pour le FTSE MIB[1]) depuis l’annonce du gouvernement le 27 septembre. En effet, depuis que le gouvernement italien a annoncé qu’il entendait avoir un objectif de déficit à 2,4 % du PIB les marchés financiers ont fortement réagi. Le spread BTP-Bund à 10 ans[2] a augmenté de 75 points de base, atteignant ainsi un plus haut niveau depuis juin 2013 à 327 points de bases.
Depuis la première annonce officielle du gouvernement italien sur le budget 2019 (27 septembre) l’euro s’est aussi déprécié de 3 % face à l’USD et la parité EUR/US s’avère fortement corrélée à l’évolution du spread BTP-Bund à 10 ans, signifiant que le marché est principalement focalisé sur le risque italien. Les marchés d’actions en Zone euro sont aussi pénalisés par ce risque avec notamment une forte sous-performance. Les valeurs bancaires de la Zone euro et particulièrement les banques italiennes ont été fortement pénalisées.
Au moment des tensions extrêmes sur les taux italiens les investisseurs se sont davantage protégés contre un risque de sortie de la Zone euro de l’Italie (risque de redénomination) que sur un risque de défaut. L’effet de contagion sur les autres pays périphériques de la Zone euro (Espagne, Portugal) a pour l’instant été limité comme l’a rappelé le Président de la BCE, M. Draghi, lors de la conférence de presse sur la décision de politique monétaire du 25 octobre dernier. Autrement dit, les taux d’intérêt souverains espagnol et portugais ont peu réagi à la hausse des taux italiens par rapport au mois de mai dernier.
Pourquoi les investisseurs s’inquiètent-ils de la situation actuelle autour du budget italien ?
Les investisseurs jugent que la proposition du budget 2019 annoncée par le gouvernement italien est pour l’instant peu crédible et identifient plusieurs risques :
- L’Italie est la troisième économie de la Zone euro et représente donc un risque systémique pour le fonctionnement de l’UEM ;
- Les investisseurs anticipent que le déficit public soit plus élevé que prévu. Le déficit public étant le ratio entre l’évolution de la dette et celle du PIB, les prévisions de croissance du PIB semblent trop optimistes, et ce, à juste titre. La croissance potentielle de l’Italie étant proche de 0 % et la croissance moyenne du pays étant de 0,1 % depuis 2010, les prévisions de croissance avancées par le gouvernement italien à 1,5 % (2018), 1,4 % (2019) et 1,6 % (2020) semblent irréalisables. Des prévisions de croissance trop optimistes, accompagnées d’une augmentation des dépenses publiques auront inévitablement comme principal effet une augmentation de la charge d’intérêts, ce qui in fine, pénalisera la croissance ;
- Les marchés doutent également de l’efficacité des mesures annoncées par gouvernement. Selonl’article de l’économiste O. Blanchard, qui calcule à la fois les retombées de la relance publique par l’effet du multiplicateur budgétaire, tout en y ajoutant l’augmentation du poids de la dette du fait de l’augmentation des taux d’intérêts, toutes choses égales par ailleurs, l’application de ce programme économique aurait un impact négatif sur la croissance de – 0,1 % ;
- Si l’augmentation de la charge d’intérêts, qui pèsera inévitablement sur la croissance est un risque élevé, la soutenabilité de la dette italienne l’est beaucoup moins. En effet, il est important de rappeler que la dette italienne a une maturité moyenne de près de 7 ans et que 70 % de la dette à des taux d’intérêt fixes ;
- La dégradation de la notation de l’Italie inquiète également les marchés d’une éventuelle non-éligibilité des obligations italiennes au programme d’achats d’actifs publics mené par la BCE. Il est cependant important de rappeler les règles de fonctionnement. La BCE achète des titres de pays dont la notation doit être égale ou supérieure à l’investment grade. Toutefois, un pays doit perdre son investment grade auprès de quatre agences de notations définies par la BCE (Moody’s, Fitch, S&P et DBRS) pour que l’achat d’actif publics prenne fin.
Comment la situation actuelle affecte l’économie réelle italienne et quelles sont les perspectives ?
L’économie réelle italienne est affectée par le canal bancaire. Plus de 60 % de la dette italienne est détenue par les banques, une augmentation des taux souverains oblige les banques à limiter leur exposition au risque. En effet, une baisse des prix des obligations provoque une hausse des provisions en fonds propres, obligeant les banques à réduire la distribution de crédit vers l’économie réelle à cause de l’augmentation du risque sur les actifs déjà détenus dans le portefeuille. Ce ralentissement affectera négativement la croissance par le ralentissement de la consommation des ménages et de l’investissement des entreprises. Selon le Bank lending survey du mois d’octobre, les banques italiennes ont d’ores et déjà commencé à resserrer leurs conditions d’octroi de crédit.
L’Italie a besoin d’une politique économique de long terme pouvant renforcer sa croissance à long terme. L’estimation de la croissance potentielle de l’Italie s’élève quant à elle à 0,5 % selon la Banque d’Italie, ce qui montre bien que les perspectives de l’économie italienne sont moroses. En effet,l’économie italienne connaît des problèmes structurels profonds : un chômage des jeunes élevés, un coût du travail élevé et une faible productivité. L’investissement public représentait 3,4 % du PIB en 2009 et se retrouve désormais inférieur à 2 %. Il apparait donc comme essentiel de stimuler la croissance à long terme via des dépenses supplémentaires, ce que semble vouloir faire le gouvernement.
Si le besoin de mise en place d’un programme de relance économique en Italie fait plutôt l’unanimité, ce sont les canaux utilisés qui sèment la discorde. D’un point de vue social, la mise en place d’un revenu universel semble justifiée à la fois par le taux de risque de pauvreté ou d’exclusion ainsi que par le taux de chômage des jeunes :
- Le risque de pauvreté ou d’exclusion en Italie est de 28,9 %, soit largement supérieur aussi bien à celui de l’union européenne (22,5 %) qu’à celui de la France (17,1 %) ou encore à celui de l’Allemagne (19, %) ;
- Le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) est ressorti 31 % en août 2018 (contre un taux de chômage global de 9,7 %)
La mise en place d’un revenu universel est une politique de relance de la croissance par le biais de la consommation. Toutefois mettre en place ce genre de politique dans un pays ayant enregistré une faible croissance économique et dans un contexte de méfiance européen et financière, constitue un double risque. Le premier risque étant que cette relance par la consommation soit orientée vers des importations supplémentaires, qui viendraient dégrader la balance commerciale et rogner l’excédent courant italien. Le deuxième risque, moins quantifiable mais tout aussi néfaste, pourrait venir des anticipations négatives concernant la croissance de la part des ménages, qui avec ce revenu supplémentaire ne consommeraient pas, mais préféreraient épargner.
Conclusion
La façon frontale de mener actuellement les négociations par les deux parties (gouvernement d’une part et Commission européenne de l’autre) est loin d’être optimale, alors que les deux parties ont intérêt à ce que les négociations se déroulent de façon apaisée.
Si au niveau européen la Commission européenne doit protéger l’union monétaire de l’aléa moral et veiller au respect des règles de Maastricht, il y a néanmoins deux enjeux importants : les élections européennes et le bilan du système monétaire européen. Une négociation trop frontale et peu conciliante de la part de la Commission européenne pourrait continuer à alimenter les partis anti-européens et extrémistes dans tous les pays membres, générant ainsi un risque non négligeable lors des élections en mai prochain.
Pour l’Italie les risques sont principalement économiques, comme nous l’avons évoqué. Cette négociation provoque une augmentation des taux d’intérêt sur les obligations souveraines dont le risque est d’affaiblir la croissance par deux canaux : le ralentissement de la distribution de crédit et l’augmentation de la charge d’intérêts.
Les parties pourraient s’accorder sur le besoin de relance de l’économie italienne, tout en réorientant les dépenses vers plus d’investissement public et de formation, pour stimuler la croissance à long terme. Elles pourraient également s’accorder sur une diminution des charges patronales (politiques menées par l’ancien Premier Ministre M. Renzi et qui ont permis une progression de l’emploi) ou encore des politiques de soutien au secteur bancaire pour soutenir les banques dans la baisse amorcée des prêts non performants, afin de soutenir la croissance à court terme.
Article co-écrit avec Théophile Legrand
Sources :
https://www.istat.it/it/archivio/221818
http://www.camera.it/temiap/documentazione/temi/pdf/1130413.pdf?_1539224471075
https://www.imf.org/~/media/Files/Publications/CR/2017/cr17237.ashx
http://www.mef.gov.it/inevidenza/documenti/Lettera_Ministro_Tria_Alla_Commissione_22-10-2018.pdf