Résumé :
– Dans son communiqué du 17 octobre, la BCE a précisé les informations que les banques doivent lui fournir au vu de l’utilisation de l’ELA.
– L’utilisation prolongée de l’ELA pendant la crise de la zone euro a souligné la nécessité de mettre en place un mécanisme automatique, plus large et plus transparent, dans le soutien à la liquidité bancaire en période de stress.
– Parallèlement, le deuxième pilier de l’Union bancaire (SRM) semble désigné pour relayer l’ELA dans sa fonction « détournée » de fonds exceptionnel de sauvetage bancaire.
Dans une situation normale, la BCE assure la liquidité du marché interbancaire en fixant les taux directeurs (taux de refinancement, taux de facilité de prêt marginal et taux de facilité de dépôt) auxquels les banques vont obtenir (ou déposer) des liquidités, tout en veillant à la stabilité des prix. Les banques se refinancent directement auprès de la BCE principalement via les opérations d’open market et les facilités permanentes. Ces deux opérations sont accordées aux banques en échange de garanties (collatéral). La BCE, après l’étude de la qualité des actifs déposés en collatéral effectue des décotes. Or, malgré l’assouplissement des règles de collatéral en réponse à la crise de la zone euro, les collatéraux apportés par les banques des pays périphériques n’étaient plus acceptés par la BCE, ce qui a rendu impossible leur refinancement auprès de celle-ci. Par conséquent, les banques centrales nationales sont intervenues dans le cadre de prêteur en dernier ressort via l’Emergency Liquidity Assistance (ELA), qui leur permet de fournir temporairement de la liquidité aux banques qui n’ont plus accès aux marchés financiers et qui ne peuvent plus avoir recours au financement de la BCE. En revanche, compte tenu de la mauvaise qualité des collatéraux, de l’augmentation significatives des prêts non performants dans les actifs des banques, et des tensions globales sur les marchés monétaires, les taux d’intérêt sur les opérations d’ELA sont pénalisants de l’ordre de 100 à 200 points de baseau-dessus des taux d’intérêt de refinancement et de facilité de prêt marginal pratiqués par la BCE.
Jusqu’à présent le fonctionnement de l’ELA était opaque. La BCE expliquait que son utilisation se limitait à des « circonstances exceptionnelles » et concernait « des institutions ou des marchés temporairement illiquides mais pas insolvables».Toutefois, le mécanisme de l’ELA a été largement utilisé comme un fonds additionnel de sauvetage des banques durant la crise de la zone euro, là où les négociations avec la Commission européenne et le FMI ont été insuffisantes, notamment en Grèce, en Irlande et à Chypre. Les montants des opérations effectuées dans le cadre de l’ELA ont atteint 123 Mds EUR en Grèce (septembre 2012), 70 Mds EUR en Irlande (février 2011) et 11,7 Mds EUR à Chypre (mars 2013), ce qui implique que sans cet apport la situation des banques de ces pays aurait pu être bien différente. L’utilisation massive de l’ELA pendant la crise de la zone euro remet en question sa définition, notamment son caractère « temporaire », la solvabilité des institutions de crédits qui en ont bénéficié et surtout la « seule » responsabilité des Etats. Par exemple, la Banque centrale d’Irlande a utilisé l’ELA pendant plusieurs mois avant que la BCE lui aitpermis d’y mettre fin après avoir passé en février dernier un accord avec le gouvernement irlandais permettant l’échange de billets à ordre (promissory notes) en obligations d’état à long terme pour refinancer les banques.
La publication,vendredi 17 octobre,par la BCE des détails sur la régulation de l’Emergency Liquidity Assistance (ELA), rend compte de l’encadrement de l’ELA par la BCE.Les banques doivent lui fournir au vu de l’utilisation de l’ELA : les caractéristiques de l’opération (maturité, montant, devise, taux d’intérêt, nom de la contrepartie), un descriptif du collatéral adossé à l’opération, les motifs de l’opération et également les critères relatifs à l’analyse de la solvabilité ainsi qu’une analyse du risque systémique potentiel. En revanche qu’en est-il de la solvabilité des gouvernements garants des opérations d’ELA de leur banque centrale ? La BCE a déclaré que le risque de défaut associé aux créances déposées en collatéral et détenues par les banques centrales nationales était de la seule responsabilité des gouvernements. Or si le gouvernement n’était pas en mesure de combler les besoins de financement des banques locales, la BCE les laisserait-elle faire faillite au risque de déstabiliser la totalité du système bancaire européen ? Cette possibilité semble en contradiction avec « l’irréversibilité de l’euro » martelée par Mario Draghi et le programme de rachats d’actifs de la BCE (OMT), ce qui suggère que « l’unique » responsabilité des gouvernements pourrait être reconsidérée.
Une solution plus crédible pourrait être apportée par l’Union bancaire. La BCE va mener, dès novembre 2013, le Comprehensive Assessment, incluant une revue des bilans bancaires (AQR) et des stress tests sur les 130 plus grandes banques de la zone euro. De plus, l’Autorité Bancaire Européenne (EBA) développera le « règlement unique » du système bancaire visant à garantir la convergence et la cohérence des pratiques de supervision. In fine le Mécanisme de Supervision Unique (SSM) annoncé pour novembre 2014, préalable à l’introduction du SRM, devrait prévenir des situations de stress sur le marché interbancaire (voirl’article Le mécanisme unique de supervision est arrivé).Par ailleurs, le Mécanisme de résolution unique (SRM), le deuxième pilier de l’Union bancaire, devrait inclure la mise en place de fonds de résolution nationaux et européens pour limiter la mutualisation des risques, en cas de faillites bancaires. Ces fonds de résolution permettraient le refinancement des banques illiquides sans prendre le risque d’augmenter et de détériorer les bilans des banques centrales nationales qui sont de la responsabilité des Etats.Le SRM pourrait devenir le mécanisme de référence dans la gestion des crises bancaires, en permettant davantage de réactivité et de transparence d’une part, et en apportant un cadre juridique validé par l’ensemble des Etats membres d’autre part. Dans l’hypothèse où ce dispositif ne serait pas suffisant pour éviter une situation de stress extrême, le SRM et l’ELA pourrait être complémentaires.
Toutefois, les modalités d’application du SRM ainsi que la force de frappe de ces fonds de résolution nationaux ne sont pas encore connus à ce jour. Les négociations sur leur mise en place risquent d’être relativement longues malgré l’urgence, en raison de la dimension politique de la question de l’intégration financière et bancaire de la zone euro. Si les négociations européennes s’enlisaient et que le SRM ne voyait jamais le jour, alors les efforts de stabilité financière et d’intégration bancaire de la BCE seraient anéantis et l’Union bancaire serait vaine.