Résumé :
- L’Amérique latine bénéficie actuellement du « dividende démographique », généré par la baisse du ratio de dépendance (augmentation de la part de la population en âge de travailler, c’est-à-dire des 15-64 ans) ;
- En théorie le dividende démographique permet d’accroître le PIB/habitant. Néanmoins, cette fenêtre d’opportunité est limitée dans le temps et ses bienfaits ne sont pas automatiques ;
- Le dividende démographique n’a pas eu les effets escomptés en Amérique latine ;
- La région doit désormais mettre en place des politiques permettant d’améliorer la productivité, le climat d’affaires ainsi que la participation des femmes au marché du travail, avant que la fenêtre d’opportunité démographique ne se referme.
L’Amérique latine est aujourd’hui dans une phase démographique particulièrement favorable à son développement. En effet, la population en âge de travailler augmente plus rapidement que la population dépendante (jeunes et personnes âgées), permettant à la région de bénéficier du « dividende démographique ». Ce dernier « correspond à la croissance économique potentielle liée à l’évolution de la pyramide des âges d’une population » (UNFPA[1]). Le dividende démographique offre donc une opportunité de développement que l’Amérique latine ne doit pas laisser s’échapper.
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L’Amérique latine en pleine transformation démographique
La démographie latino-américaine est marquée par deux tendances : l’accroissement et le vieillissement de sa population. Ainsi, la région devrait compter 778 millions d’habitants en 2050 (23% de plus qu’en 2017). Parallèlement, l’Amérique latine est dans une phase démographique caractérisée par l’allongement de l’espérance de vie et la diminution du taux de fécondité. Ce dernier a fortement chuté, passant de 4 à 2 enfants par femme entre 1982 et 2012. Par conséquent, la structure démographique de la région a profondément évolué. Entre 1980 et 2016, la part des jeunes (0-14 ans) a sensiblement diminué, celle des personnes âgées (plus de 64 ans) a faiblement progressé alors que la proportion des 15-64ans a sensiblement augmenté (Figure 1).
Figure 1 : Répartition de la population latino-américaine par tranche d’âge
Source : CELADE (Centre latino-américain et caribéen de démographie)/ Elaboration : BSI Economics
Autrement dit, la population en âge de travailler (15-64 ans) augmente plus rapidement que la population dépendante (0-14 ans et plus de 64 ans). De ce fait, depuis 1980, l’Amérique latine a connu une baisse constante du ratio de dépendance (Figure 2), que l’on peut exprimer de la façon suivante :
Néanmoins, cette situation n’est que transitoire. A partir de 2025, la proportion de la population en âge de travailler devrait progressivement reculer au profit des plus de 64 ans, même si le ratio de dépendance restera encore relativement faible pendant plusieurs décennies. Ce retournement s’explique par le vieillissement de la population (faible taux de fécondité et allongement de l’espérance de vie). La part des plus de 64 ans dans la population totale devrait passer de 7,7 % en 2016 à 19,5 % d’ici 2050.
A noter tout de même que le processus de vieillissement en Amérique latine n’est pas homogène. Dans certains pays la relation de dépendance a déjà commencé à augmenter (Cuba, Chili et Panama) alors que dans le reste de la région, la hausse n’interviendra qu’après 2020 (Brésil, Colombie, etc.), 2030 (Pérou, Argentine, etc.) voire 2040 (Bolivie, Paraguay, Guatemala, etc.).
Figure 2 : Évolution du ratio de dépendance en Amérique Latine (1980-2050)
Source : CELADE (Centre latino-américain et caribéen de démographie)/ Elaboration : BSI Economics
2. Dividende démographique et PIB par habitant : une relation positive mais pas automatique
L’Amérique latine est actuellement dans une phase de transition démographique particulièrement favorable à son développement. Ce dernier peut être mesuré (de façon imparfaite) par le PIB/habitant :
Toute chose égale par ailleurs, la baisse du ratio de dépendance devrait générer une amélioration du bien-être, c’est ce qu’on appelle le dividende démographique. Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce dividende :
- L’augmentation de la proportion des 15-64 ans permet d’accroître les recettes fiscales et de diminuer les dépenses publiques. En effet, la population en âge de travailler est à l’origine de la création de valeur et paye davantage d’impôts (revenus supérieurs) alors que la population dépendante pèse sur les dépenses publiques (financement des systèmes de retraite, de santé et d’éducation). L’Etat a alors davantage de marge de manœuvre budgétaire pour investir.
- Le taux d’épargne privée progresse, ce qui peut générer une hausse de l’investissement. Effectivement, la baisse du nombre d’enfants augmente le revenu disponible des ménages alors que l’allongement de l’espérance de vie renforce la nécessité de constituer une épargne de prévoyance. De plus, la population en âge de travailler épargne davantage que les retraités et les jeunes qui eux, tendent à désépargner car leurs revenus sont généralement inférieurs à leurs dépenses.
- La baisse du taux de fécondité favorise l’insertion des femmes sur le marché du travail. Le taux d’emploi des femmes a tendance à augmenter car il devient plus facile de concilier vie privée et vie professionnelle.
Le dividende démographique a eu un impact positif sur le PIB par habitant de l’Amérique latine (Tableau 1) mais la région n’a pas connu de décollage économique spectaculaire comme en Asie de l’est dont l’évolution démographique est similaire. De plus, le dividende devrait progressivement se tarir et même devenir négatif sur la période 2010-2040 pour Cuba et le Chili. Il est donc urgent pour la région de mettre en place des politiques permettant d’exploiter pleinement le dividende démographique, sans quoi, l’Amérique latine risque de devenir « vieille » avant d’être riche.
Tableau 1 : évolution du dividende démographique en Amérique latine (1997-2007)
Source : Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes / Elaboration : BSI economics
3. Les impacts du dividende démographique peuvent être maximisés par la mise en oeuvre de politiques adaptées
a. Accroître la productivité
Les Etats devraient profiter des marges de manœuvre budgétaires offertes par la baisse du ratio de dépendance pour augmenter leurs investissements en capital humain (éducation et santé). Ces derniers permettraient d’améliorer les revenus et les conditions de travail de la population active. En effet, investir dans l’éducation favorise l’augmentation du niveau de qualification des jeunes étudiants qui seront les travailleurs de demain. Il est également indispensable de former les étudiants aux métiers d’avenir. L’offre de travail doit être adaptée aux besoins de l’économie (métiers dans les secteurs des nouvelles technologies, des énergies renouvelables, etc.). Cependant, force est de constater qu’en Amérique latine, les systèmes éducatifs sont peu performants. Aucun pays de la région ne figure dans le top 40 du classement PISA[2], ni en sciences, ni en lecture, ni en mathématiques.
La productivité passe également par une population en bonne santé. Les investissements dans lessoins médicaux, la prévention et la promotion d’habitudes de vie saine permettent d’augmenter la productivité des actifs (moins d’arrêts maladie, etc.) et de diminuer les taux d’échec scolaire. Or, en 2014, les dépenses de santé en Amérique latine représentaient seulement 7,2 % du PIB contre 10 % au niveau mondial.
b. Améliorer le climat des affaires
Les pays latino-américains doivent engager des réformes pour améliorer le climat des affaires et gagner la confiance des investisseurs, qu’ils soient nationaux ou internationaux. Il s’agit d’une condition importante pour générer suffisamment d’emplois et permettre au marché du travail d’absorber l’augmentation du nombre d’actifs.
Dans le cas contraire, le dividende démographique pourrait être décevant voire contreproductif du fait de l’augmentation massive du chômage (marginalisation, troubles sociaux, etc.). Dans cette optique, beaucoup d’efforts restent à faire sachant qu’en 2018 sur 190 états, le Mexique (1er pays latino-américain) se hissait seulement à la 47ème position du classement easedoing of business de la Banque Mondiale, loin devant l’Argentine (117ème) et le Brésil (125ème). Par ailleurs, la lutte contre la corruption est indispensable afin que la hausse de l’épargne et de l’investissement finance des projets utiles pour la société. Or, la corruption en Amérique latine reste à des niveaux préoccupants. Ainsi, selon le rapport de l’ONG Transparency international, portant sur 180 états ; le Brésil, le Pérou et la Colombie n’apparaissent qu’à la 96ème position (exæquo) du classement des pays les moins corrompus. Le constat est encore plus accablant pour la Bolivie (112ème), l’Equateur (117ème), le Mexique (135ème) et le Venezuela (169ème).
c. Améliorer l’insertion des femmes sur le marché du travail.
Les Etats doivent implémenter des mesures visant à lutter contre les discriminations et à aider les femmes à concilier vie professionnelle et vie familiale (construction de crèches, congés parentaux, flexibilité horaire, etc.). En Amérique latine, le taux de participation des femmes au marché du travail stagne aux alentours de 51,5 % depuis 2006.
A noter également que ces politiques sont indispensables pour faire face au vieillissement accéléré de la population qui succèdera à la période de dividende démographique. En effet, le financement des retraites et de l’assurance maladie pèsera de plus en plus lourd dans le budget des états. Entre 2010 et 2070, la part du budget consacrée aux dépenses de santé devrait tripler dans la plupart des pays de la région. Si aucun progrès n’est réalisé en matière de productivité et d’insertion des femmes sur le marché du travail, l’Amérique latine connaîtra probablement une hausse de l’endettement ainsi qu’une stagnation du bien-être.
Conclusion
Le dividende démographique n’est que transitoire et ses bienfaits ne sont pas automatiques. Jusqu’à aujourd’hui, son impact en Amérique latine s’est avéré décevant. La région doit donc rapidement inverser cette tendance avant que la fenêtre d’opportunité ne se referme, sous peine de devenir « vieille » avant d’être riche. Les Etats devraient profiter des marges de manœuvre budgétaires générées par la baisse du ratio de dépendance pour investir davantage dans le capital humain (éducation et santé) et générer des gains de productivité.
Parallèlement, l’amélioration du climat des affaires favoriserait la création de nouveaux emplois indispensables pour absorber l’augmentation massive de la population active.
Enfin, la baisse du taux de fécondité favorise l’insertion des femmes sur le marché du travail. Cette tendance devrait être amplifiée par des politiques incitant les femmes à travailler (construction de crèches, lutte contre les discriminations, etc.).
Bibliographie
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