Résumé:
– La définition de la compétitivité d’une nation est plus large que celle d’une entreprise, ce qui peut susciter une confusion. Elle ne se limite pas à la capacité d’un pays à exporter, mais également à accroître l’emploi et le niveau de vie des populations.
– Le prix Nobel Paul Krugman dénonce dans un article célèbre une certaine obsession pour la compétitivité, qu’il juge moins primordiale que la productivité.
– Néanmoins, la compétitivité des échanges reste un enjeu majeur pour l’ensemble des économies, en particulier pour celles qui sont très sensibles au commerce international.
Devant la Fédération de l’industrie allemande à Berlin, le Président de la Banque Centrale Européenne Mario Draghi a déclaré le 16 septembre 2013 que restaurer la compétitivité de la zone euro dans son ensemble est « un élément clé pour améliorer la situation économique actuelle » avant de poursuivre « tandis que les ajustements sur les coûts n’augmentent la compétitivité que de manière relative, les gains de productivité (…) peuvent être absolus et profiter à tous les pays ». De même, la compétitivité est citée comme la priorité absolue par plusieurs organisations internationales comme l’OCDE (1) et le FMI (2).
La compétitivité peut être considérée par certains analystes comme la panacée, le moyen à privilégier pour relancer la croissance économique atone de la plupart des pays développés. Pourtant, si la nécessité de restaurer une compétitivité n’est généralement pas contestée, l’importance qui lui est accordée peut faire débat : Paul Krugman, dans un article de 1994, dénonçait ainsi ce qui lui semblait être « une dangereuse obsession » (3) de la part des décideurs économiques.
En réalité, une lecture attentive de l’article de Paul Krugman révèle que le danger provient surtout d’une mauvaise compréhension ou d’une simplification excessive des ressorts de la compétitivité (4) qui peuvent se traduire par des décisions de politique économique non-optimales. En effet, cette notion est complexe, vaste et protéiforme : une conception néophyte de la compétitivité la concevra simplement comme la capacité d’un pays à gagner des parts de marché à l’exportation, ce qui est beaucoup trop limitatif. Cette contribution vise donc à bien comprendre ce qu’est la compétitivité, et à voir dans quelle mesure elle constitue une nécessité pour relancer l’économie des pays avancés.
La compétitivité, une dangereuse obsession ?
Quand Paul Krugman dénonce dans son article « la dangereuse obsession de la compétitivité » de la part de dirigeants et d’économistes en Europe et aux Etats-Unis, il regrette surtout une vision souvent erronée de la compétitivité, principalement perçue à travers le prisme de la balance commerciale et la logique d’une compétition commerciale des nations où s’affrontent des « gagnants et des perdants » à l’échelle internationale. Une confusion existe donc entre la compétitivité des entreprises, où le gain de parts de marché de Coca-Cola se fera au détriment de Pepsi, et la compétitivité des Etats qui fonctionne différemment. Selon la théorie, le commerce international n’est pas un jeu à somme nulle. Un Etat exportateur est un marché pour un autre pays et une meilleure compétitivité des Etats-Unis peut se révéler devenir bénéfique pour l’Europe. Selon Paul Krugman, le risque d’une mauvaise compréhension de la compétitivité aboutit non seulement à des politiques inadéquates, mais également à une utilisation abusive de ce terme par des hommes politiques qui recherchent parfois des termes forts et martiaux pour rassembler des soutiens derrière leur politique.
Quelle définition ?
Il convient donc de rappeler ce qu’est en réalité la compétitivité. Selon l’OCDE, il s’agit de « la capacité d’entreprises, d’industries, de régions, de nations ou d’ensembles supranationaux de générer de façon durable un revenu et un niveau d’emploi relativement élevés, tout en étant et restant exposés à la concurrence internationale » (5). Il existe également une autre définition similaire de l’OCDE : « la compétitivité est la latitude dont dispose un pays, évoluant dans des conditions de marché libre et équitable, pour produire des biens et services qui satisfont aux normes internationales du marché tout en maintenant et en augmentant simultanément les revenus réels de ses habitants dans le long terme »
Ces définitions mettent en évidence deux dimensions majeures de la compétitivité d’une nation : elle traduit non seulement sa capacité à exporter mais également à accroître le niveau de vie de la population. Ainsi, la compétitivité prendra en compte à la fois les prix (compétitivité-prix) et les coûts (compétitivité-coûts) mais aussi la qualité du produit, l’innovation, l’état de la concurrence et de la réglementation, le capital humain, la cohésion sociale, etc. (compétitivité hors-coûts).
La définition est finalement très large et concernerait finalement la quasi-intégralité de la politique économique. Elle traduit bien la nécessité de prendre en compte une multiplicité de critères dans la description de la compétitivité. Cela présente en même temps l’inconvénient de l’imprécision. « La compétitivité serait donc condamnée à être soit un concept mou de l’analyse économique, soit un concept redondant de celui de productivité »comme le remarque un rapport du CAE de 2003 (6).
Ne faut-il pas plutôt se focaliser sur la productivité pour relancer la croissance ?
Quand il est question de compétitivité, les économistes ont tendance à surtout insister sur la productivité globale des facteurs (7) qui est à même d’accroître la croissance potentielle. Ce point est d’ailleurs amplement mis en avant par Krugman, qui explique que les différences de niveau de vie entre les pays proviennent principalement de facteurs domestiques, parmi lesquels l’évolution de la productivité. Celle-ci a un impact à la fois sur la compétitivité des échanges, mais également sur la progression du niveau de vie.
Une capacité accrue à exporter resterait malgré tout un révélateur de la capacité d’un pays à créer des richesses et à disposer d’entreprises de taille suffisamment importante pour se projeter à l’international. On peut cependant nuancer ce propos, la corrélation n’étant pas évidente entre croissance du PIB et des exportations :
Croissance du PIB et des exportations de la zone euro avant la crise (1999-2007) :
Source : CEPII (8), Eurostats. BSi Economics
La compétitivité des échanges n’aura pas la même importance sur les économies nationales selon leur degré d’ouverture. Le taux d’ouverture évalue le poids du commerce extérieur dans l’économie nationale. On constate que les Etats-Unis, malgré leur statut de 2ème exportateur mondial, possèdent un taux d’ouverture de 13%, qui s’explique par la présence d’un vaste marché intérieur. L’Irlande possède quant à elle un taux d’ouverture en 80 et 90%. De plus, la progression du niveau de vie et de la consommation au sein des pays émergents, qui contraste avec la stagnation de la demande intérieure des pays avancés, renforce la nécessité pour les entreprises de la zone euro d’élargir leurs débouchés à l’international et donc de renforcer leur capacité d’innover et d’exporter.
Taux d’ouverture de pays de l’OCDE en 2000, 2008 et 2009:
Source : OCDE, National Accounts Database, June 2011
Le terme de compétitivité est une notion à manier avec précaution. Il traduit non seulement une capacité à gagner des parts de marché sur les marchés extérieurs, mais également la capacité d’un pays à innover et à gagner en productivité, tout en veillant à accroître le niveau de vie. La compétitivité des échanges présente un enjeu majeur pour les économies avancées, en particulier pour celles sensibles aux fluctuations du commerce mondial comme l’Allemagne et les Pays-Bas. Elle reste un objectif pour l’ensemble des économies, mais ne doit pas se faire au détriment d’autres sources significatives de croissance.
Notes:
(1) http://www.oecd.org/fr/presse/la-france-doit-faire-davantage-pour-stimuler-sa-competitivite-et-creer-des-emplois.htm
(2) http://www.imf.org/external/French/pubs/ft/survey/so/2013/CAR080513BF.htm
(3) Paul Krugman, « Competitiveness, a dangerous obsession ». Magazine: Foreign Affairs Issue: March/April 1994 (volume 73, nbr 2)
(4) Ce qui n’est pas le cas pour Mario Draghi et les organisations citées en introduction.
(5) Hatzichronoglou, T. (1996), “Globalisation and Competitiveness: Relevant Indicators”, OECD Science, Technology and Industry Working Papers, 1996/05, OECD
(6) CAE (2003), « Compétitivité », Michèle Debonneuil et Lionel Fontagné, La Documentation Française
(8) Guillaume Gaulier, « compétitivité, obssession dangereuse ou nécessaire ? », conférence-débat du CEPII, septembre 2012.
Références:
– Paul Krugman, « Competitiveness, a dangerous obsession ». Magazine: Foreign Affairs Issue: March/April 1994 (volume 73, nbr 2)
– Hatzichronoglou, T. (1996), « Globalisation and Competitiveness: Relevant Indicators », OECD Science, Technology and Industry Working Papers, 1996/05, OECD
– CAE (2003), « Compétitivité », Michèle Debonneuil et Lionel Fontagné, La Documentation Française