Colloque COFACE Risque Pays 2015
Derrière la morosité ambiante se cache la reprise
Le 27 janvier 2015, COFACE tenait son Colloque annuel « Risque Pays 2015 ». Lors de cet événement, les différents intervenants ont tenté de définir un scénario de croissance pour l’économie mondiale tout en mettant en garde contre les risques potentiels pour cette année.
J. M. Pillu, Directeur Général de COFACE, a identifié trois causes des maux qui minent l’économie mondiale. En premier lieu, la macroéconomie : la reprise se veut longue, laborieuse et disparate pendant que le spectre de la déflation s’installe dans de nombreuses régions du globe. Deuxièmement, la microéconomie : les PME doivent se montrer solides et innovantes à l’heure où les défaillances d’entreprises restent fréquentes. Enfin, le monde traverse une crise de confiance à de multiples égards : la crise russo-ukrainienne, la baisse drastique du prix du pétrole, la dépréciation de l’euro face au dollar, les manifestations hongkongaises, etc.
La zone euro à l’épreuve de la déflation
Avant de poser la question du piège de la déflation en zone euro, nous pouvons nous demander pourquoi la BCE – comme ses homologues du monde développé – arbore un objectif d’inflation positive. En théorie, cet objectif permet de mieux absorber les chocs déflationnistes et de permettre une croissance du revenu nominal pour que, ceteris paribus, le poids de la dette diminue et que les prix relatifs s’ajustent plus aisément.
Mi-2009, la zone euro connaît son premier épisode de déflation. En décembre 2014, la zone euro replonge techniquement dans un épisode de déflation mais la situation est, cette fois-ci, bien différente. Que faire pour contraindre l’inflation à revenir vers la cible de 2% de la BCE ? L’objectif étant également de ne pas tomber dans la stagnation séculaire qui caractérise le Japon depuis deux décennies en dépit des politiques mises en place, encore aujourd’hui avec les Abenomics. Selon J. Pisani-Ferry, Commissaire général à la stratégie et à la prospective, la réponse se trouve dans la coordination des politiques monétaire et budgétaire de la zone euro ainsi que dans un calendrier de réformes structurelles de grande ampleur. La politique monétaire, sous l’impulsion de la BCE, agit contre la déflation. Elle le fait avec retard, dans la limite de son mandat mais avec détermination. La politique budgétaire devrait être mobilisée à court terme pour que ses effets soient visibles à moyen terme. Cependant, les efforts consentis par chacun des pays de la zone euro peinent à convaincre et manquent de coordination. Le plan Juncker est une première réponse à ce manque de fédéralisme budgétaire. Ce programme d’investissements est néanmoins d’une ampleur limitée et mise sur un effet de levier considérable. Pour être utile, le plan Juncker ne doit pas être un simple instrument financier. En effet, il doit financer des investissements d’envergure présentant un certain degré de risque afin de réconcilier les banques avec le risque, notamment grâce au levier. Au-delà de ce policy-mix, les pays de la zone euro ont besoin de réformes structurelles pour augmenter leur potentiel de croissance à moyen terme. En revanche, certaines de ces réformes peuvent avoir des effets néfastes sur l’inflation à court terme et sont difficiles à mettre en œuvre dans un climat économique terni par les différentes crises que le Vieux Continent a traversé depuis 2007. De plus, la coordination de ces réformes à l’échelle de l’union monétaire bute sur des agendas politiques très différents et sans unité supranationale – la montée des partis politiques extrémistes en est un bon exemple.
Dans le monde développé, les PME et l’innovation sont synonymes de croissance
Depuis la crise financière de 2007-08, les entreprises, notamment les PME européennes, se sont vues infliger une double peine : l’absence de demande domestique d’une part et l’absence de demande à l’échelle mondiale d’autre part. En outre, les PME qui ont survécu à ces années difficiles sont désormais plus résistantes. A l’aube de la reprise, les PME sont dans une situation assez paradoxale. En effet, elles ont besoin de davantage de croissance pour se renforcer mais, sans elles, il n’y aura pas de franche reprise car elles représentent une part importante de la valeur ajoutée dans le PIB. Cependant, en zone euro, la situation diffère selon les pays. Les PME allemandes sont plus grosses, plus spécialisées et plus internationalisées que leurs homologues françaises, italiennes ou encore espagnoles. D’autres disparités existent, notamment concernant le financement, l’investissement, la formation professionnelle, la législation, la fiscalité, etc. Les entreprises italiennes éprouvent plus de difficultés à trouver des financements que les entreprises françaises ; l’apprentissage en Allemagne est en meilleure adéquation avec les besoins des entreprises qu’en France ; les délais de paiement qui varient d’un pays à l’autre peuvent représenter des freins au développement des PME ; le besoin de réformes fiscales devient urgent, notamment en Italie où la fiscalité est très lourde et en France où les PME manquent de visibilité. En France, les réformes du CICE et CIR pourraient bien faire des émules dans d’autres pays européens afin de favoriser l’innovation.
L’innovation, autre thème phare de ce Colloque, devrait elle-aussi être synonyme de croissance. Les transformations technologiques dont nous avons été témoins ces dernières années sont très rapides, plus rapides que les organes décisionnaires qui doivent les encadrer… L’innovation peut être scindée en quatre catégories distinctes : (i) les technologies de l’information (automatisation de l’économie du savoir, internet mobile, cloud computing, etc.) ; (ii) la robotique (impression 3D, véhicules autonomes, etc.) ; (iii) les nouvelles technologies (nanotechnologies, nouvelles compétences, etc.) ; (iv) le stockage de l’énergie (batteries électriques, énergies renouvelables, etc.). Certains enjeux sont associés à ces innovations : la vitesse de développement et leur monétisation pour ne citer qu’eux. Depuis quelques années, les objets connectés ont envahi notre quotidien mais seulement une petite partie de ces innovations est arrivée dans nos foyers car beaucoup de projets se sont soldés par des échecs. Au-delà de ces objets connectés, la révolution digitale fait progresser l’industrie ou encore le secteur de la santé, notamment grâce au « big data ». En revanche, l’innovation n’a pas toujours été accompagnée d’externalités positives. La destruction créatrice, processus défini par J. Schumpeter en 1942, est un exemple d’externalité négative liée à l’innovation. Par ailleurs, le principe de précaution a souvent été mis en avant en France, notamment dans l’économie du digital ou encore dans les techniques d’extraction de pétrole non-conventionnel. Dans certains pays comme les États-Unis, où l’on tend à privilégier les intérêts du consommateur à ceux du citoyen, des innovations comme le « big data » se sont rapidement développées alors qu’elles se sont heurtées aux principes de protection des données personnelles en Europe. En Europe, l’accent est mis davantage sur les dangers éventuels des innovations.
Dans le monde émergent, les tensions politiques entament la confiance
Selon Y. Zlotowski, Economiste en chef de COFACE, les problèmes dont ont souffert les économies émergentes en 2014 devraient persister en 2015. Les déficits courants vont continuer à se creuser et l’incertitude politique dans certaines régions du globe devrait se répercuter sur les taux de change. L’Amérique Latine devrait continuer de décevoir sur le plan macroéconomique alors que la croissance de l’Asie émergente restera vigoureuse. Les pays d’Europe émergente seront dans une situation intermédiaire, profitant des externalités positives liées à un euro faible alors que dans le même temps, l’évolution de la situation en Russie pourrait leur être préjudiciable.
En 2014, la Russie a rejoint le club des pays fragiles, aux côtés de l’Afrique du Sud, du Brésil, de l’Inde, de l’Indonésie et de la Turquie. La situation russe ne devrait pas s’améliorer en 2015 car les difficultés rencontrées par le Kremlin restent présentes : Standard & Poors’ a dégradé la dette souveraine russe en catégorie spéculative le 26 janvier dernier. En effet, au-delà d’un manque d’investissement et d’une démographie déclinante, la chute du prix du pétrole va continuer de grever les recettes de l’État russe. Par ailleurs, les sanctions occidentales pourraient pousser à un tropisme oriental des exportations vers la Chine et l’Inde. Toutefois, le renforcement des relations économiques avec la Chine ne représente pas une solution pérenne pour la Russie car c’est bel et bien avec l’Union Européenne (UE) que les relations doivent être améliorées. En effet, l’UE est le premier partenaire commercial de la Russie mais aussi son premier investisseur – près de 75% des investissements directs étrangers en Russie proviennent de l’UE. De fait, les entreprises européennes qui exportent en Russie sont très touchées par les sanctions économiques. L’Ukraine est l’autre grand perdant de cette crise russe car son industrie est fortement exposée au marché russe. Cette situation instable, notamment dans l’est de l’Ukraine, ne plaide pas en faveur de réformes structurelles pourtant urgentes pour le pays.
La table ronde dédiée à la problématique du ralentissement chinois, a mis en avant les questions microéconomiques (endettement des entreprises, surcapacités, etc.) plutôt que celles portant sur la macroéconomie. La croissance du PIB chinois a atteint 7,4% en 2014 et pourrait baisser en deçà de 7% dès cette année. Ce ralentissement peut s’expliquer à travers plusieurs phénomènes. Premièrement, le marché immobilier est en perte de vitesse alors qu’il était l’un des plus gros contributeurs à la croissance durant les deux dernières décennies. Deuxièmement, les surcapacités dans le secteur manufacturier et la hausse du coût du capital devraient aussi peser sur la croissance. De plus, les autorités chinoises ont fait part de leur volonté de basculer vers un modèle de croissance davantage tourné vers la consommation domestique que vers les exportations et l’investissement. C’est bien dans cette phase de transition que l’économie chinoise se trouve et les craintes que suscite son atterrissage ne doivent pas être excessives. Cependant, la Chine est en proie à des pressions désinflationnistes qui ne l’aideront pas à juguler la montée du taux de créances douteuses. Par ailleurs, le shadow banking, qui pourrait représenter jusqu’à un tiers de l’endettement privé, ne facilite pas l’assainissement du marché du crédit chinois. Au-delà de ces considérations économiques, la Chine doit également progresser sur le plan de la transparence et de la lutte contre les conflits d’intérêts, point sur lequel le Président Xi Jinping promet des avancées dans la cadre de sa campagne anti-corruption. Toujours sur le plan intérieur, la montée des inégalités, les contestations naissantes de la jeunesse hongkongaise, les réformes des systèmes de santé, d’éducation et de justice, et la crise environnementale sont autant de défis que la Chine devra relever les uns après les autres pour croître avec son peuple et non sans ce dernier.
Conclusion
L’année 2015 sera placée sous le signe de la reprise. Cependant, les trajectoires de croissance continueront à diverger. Le monde développé devrait, sous l’égide des États-Unis, connaître une reprise laborieuse mais manifeste tandis que le monde émergent pourrait évoluer dans un environnement où la confiance restera mise à l’épreuve. La zone euro devra composer avec la déflation pendant que les États-Unis seront amenés à trancher la question du resserrement de leur politique monétaire. La Chine, quant à elle, devrait être à même de piloter son atterrissage en douceur alors que la Russie pourrait chercher à affirmer davantage sa souveraineté.
BSI Economics (Julien Moussavi)