Résumé :
· Le Franc CFP désigne la monnaie des territoires français du Pacifique (la Polynésie Française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna) et il est en parité fixe avec l’euro avec une convertibilité illimitée garantie par le Trésor français ;
· L’adoption de l’euro dans ces territoires faciliterait les échanges commerciaux avec l’étranger et entrainerait une diminution du coût du crédit et un accès au marché international des capitaux qui favoriserait les investissements locaux et internationaux ;
· Le passage à l’euro envisagé dans ces territoires du Pacifique nécessite un accord unilatéral retardé par l’échéance du référendum de 2018 sur l’accession à la pleine souveraineté en Nouvelle-Calédonie.
Le Franc CFP[1] est la monnaie ayant cours légal en Polynésie Française, Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna. Cette monnaie a été créée après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, par décret le 26 décembre 1945 lors d’une dévaluation du franc français. Géré par l’Institut d’Emission d’Outre-mer (IEOM), le Franc CFP est lié au Franc français depuis 1949 et avec l’euro depuis janvier 1999 par un taux de change fixe mais ajustable, même s’il n’a jamais été dévalué jusqu’à présent. La parité du Franc CFP avec l’euro est de 1€ pour 119,33 FCP[2].
Le passage à l’euro est envisagé pour ces territoires du Pacifique à moyen terme.
Avantages et inconvénients du Franc CFP
Après la Seconde guerre mondiale le statut de l’empire colonial français a changé avec d’une part la loi de départementalisation en 1946 qui a modifié le statut de la Guadeloupe, Martinique, La Réunion et la Guyane en départements français devant respecter les lois et décrets de la France métropolitaine. D’autre part, les colonies françaises du Pacifique sont devenues des « Territoire d’Outre-Mer » avec leur propre monnaie créée par le gouvernement français, le franc des Colonies françaises du Pacifique (Franc CFP), créée au même moment que le franc des Colonies françaises d’Afrique (Franc CFA). La création de ces francs dits « coloniaux » avait pour objectif de permettre à ces territoires d’acquérir une certaine autonomie monétaire.
L’ancrage du Franc CFP à l’euro assure sa crédibilité et garantit une stabilité économique via la stabilité des prix assurée par la Banque Centrale Européenne et la convertibilité illimitée garantie par le Trésor français.
La convertibilité illimitée du Franc CFP s’établit à travers un compte d’opérations ouvert au nom de l’IEOM dans les livres du Trésor Public. Elle libère les territoires de la contrainte économique externe de la défense de la parité de la monnaie. Les déséquilibres macroéconomiques, tels que (déficit commercial, déficit courant, etc.) sont financés par l’Etat français via les transferts publics qui permettent d’équilibrer la balance des paiements en rééquilibrant l’offre et la demande de franc CFP.
En effet, la balance des paiements (constituée de la balance courante, du compte financier et des erreurs et omissions) doit toujours être équilibrée. En prenant le cas de la Polynésie Française, on remarque que l’excédent de la balance courante (31,3 milliards F CFP en 2015) cache un déficit élevé de la balance commerciale (-147,4 milliards F CFP), soit 26,7 % du PIB polynésien, qui est compensé par les transferts nets de l’Etat équivalent à 24,3 % du PIB (134 milliards F CFP en 2015).
Les Principaux postes de la balance des paiements de la Polynésie Française
Si la convertibilité illimitée du Franc CFP lui assure une certaine crédibilité, son utilisation limitée la rend peu crédible à l’échelle internationale. Le Franc CFP n’étant pas convertible en dehors de ses frontières, elle n’est pas reconnue dans les échanges internationaux. L’utilisation de cette devise entrave donc la compétitivité-prix de la Polynésie Française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna. D’où l’importance de changer de système monétaire de ces territoires.
Les conséquences d’un passage à l’euro
La possibilité d’un passage à l’euro est régulièrement évoquée en Polynésie Française[3] tandis que cette question fait toujours débat en Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna suivra la décision que prendra la Nouvelle-Calédonie.
Dans un premier temps, le passage à l’euro dans ces trois territoires du Pacifique entraînerait une diminution des taux d’intérêts grâce à l’introduction d’une concurrence bancaire au niveau européen. Ensuite, la baisse des taux d’intérêts couplée à la disparition de la prime de risque liéE au risque de dévaluation (bien que ce risque soit relativement faible) conduirait à une baisse du coût de l’endettement. De plus, l’accès direct aux marchés de capitaux internationaux, soit l’accès à des financements diversifiés, ainsi que la baisse du coût du crédit qu’induirait un passage à l’euro permettrait de faciliter les échanges et donc augmenterait les investissements locaux et les flux de capitaux étrangers vers les territoires du Pacifique. Le passage à l’euro faciliterait également les échanges commerciaux car l’euro est une monnaie stable, crédible et convertible à l’étranger (contrairement au Franc CFP). Elle pourrait donc favoriser les exportations de ces territoires. Mais l’adoption d’une monnaie forte comme l’euro pourrait également exacerber les difficultés du territoire, notamment le manque de compétitivité à l’exportation.
D’autre part, le changement de régime monétaire entrainerait un coût financier lié au risque de choc inflationniste qu’il faudrait surveiller en instaurant une surveillance crédible des prix dans ces territoires où le coût de la vie est particulièrement élevé (+ 39 % des prix à la consommation par rapport à la métropole en mars 2016[4]). L’introduction de l’euro conduirait également à un coût financier lié aux opérations matérielles telle que la modification de logiciels d’entreprises. Ensuite, le passage à l’euro mettrait fin à la convertibilité illimitée du Franc CFP et donc à la possibilité de la dévaluation (même si elle n’a jamais eu lieu) grâce aux transferts publics équilibrant la balance des paiements. Dans un premier temps, un passage à l’euro renforcerait l’importance des versements publics nets de l’Etat pour éviter une crise de la balance des paiements. Néanmoins, cet effet pourrait être compensé par le renforcement des échanges et la facilitation des échanges qu’entraînerait le passage à l’euro.
Enfin, le passage à l’euro conduirait à la disparition des procédures de financement privilégiés accordé par l’IEOM (mécanisme de réescompte à taux privilégiés pour aider au refinancement des établissements de crédit, prêts bancaires aux PME à des taux privilégiés), bien que ces mécanismes ne concernent qu’une minorité des crédits (2 % des crédits totaux en Polynésie Française).
Par ailleurs, ces territoires garderaient la neutralité fiscale dont ils bénéficient en cas de passage à l’euro car ils ne sont pas soumis aux critères de Maastricht qui concernent la France (déficit public inférieur à 3 % du PIB, dette publique inférieure à 60 % PIB) en raison de leur statut juridique spécifique.
Les conditions du passage à l’euro
La Polynésie Française et la Nouvelle-Calédonie remplissent la plupart des critères d’une zone monétaire optimale pour pouvoir intégrer l’Union Monétaire Européenne, à savoir l’intégration économique et financière avec la métropole, via les transferts publics, et l’intégration commerciale. Les critères endogènes sont également respectés, en particulier la crédibilité de la Banque Centrale. Les critères manquant à ces territoires incluent une faible flexibilité des prix et des salaires, une faible mobilité du facteur travail ainsi qu’un manque de diversification de la production.
Le passage à l’euro nécessite un accord unilatéral de ces trois territoires français du Pacifique. En cas d’accord de ces trois territoires pour adopter l’euro, le processus de transfert des compétences monétaires de la France vers l’Union Européenne prendrait alors au minimum trois ans.
La Polynésie s’est exprimée favorablement au passage à l’euro à travers l’adoption d’une résolution le 19 janvier 2006 demandant l’introduction de l’euro sous trois conditions :
– Ne pas modifier la parité actuelle Franc CFP-Euro, soit assurer la pleine convertibilité de tous les actifs sans décote lors de l’introduction de l’euro ;
– Assurer la préservation des compétences statutaires de la Polynésie Française relative à la loi statutaire du 27 février 2004 renforçant le statut d’autonomie de la Polynésie Française en lui confiant une compétence de droit commun. Avec ce statut, l’Etat conserve une compétence d’attribution sur ce territoire dans ses missions régaliennes, notamment en matière de défense, justice, politique étrangère, sécurité ou d’accompagnement des communes ;
– Une aide financière de l’Etat à la Polynésie Française pour supporter les coûts liés au passage à l’euro afin de limiter un choc inflationniste. Plusieurs études ont montré que le passage à l’euro a eu un impact inflationniste dans les pays de la zone euro (0,2 % dans l’ensemble de la zone euro selon Eurostat[5]) avec un décalage important entre l’inflation perçue et l’inflation constatée. L’inflation perçue étant supérieure à l’inflation constatée en raison d’une hausse des prix affectant surtout les produits d’achats courants. Or, les collectivités françaises du Pacifique sont particulièrement vulnérables avec un coût de la vie très élevé et de fortes inégalités. Ainsi, une hausse des prix – même limitée – impacterait particulièrement les populations les plus pauvres et creuserait davantage les inégalités.
Conclusion
Si la Polynésie Française et Wallis et Futuna semblent favorables à un passage à l’euro, la question n’est pas tranchée pour la Nouvelle-Calédonie qui est inscrite dans un processus institutionnel d’émancipation par rapport à la métropole depuis la signature des accords de Nouméa en 1998.
Le passage à l’euro est difficilement envisageable avant l’issu du référendum sur l’accession à la pleine souveraineté prévu en 2018. En cas d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, le territoire pourrait adopter une monnaie propre, symbole fort de souveraineté nationale.
D’autres options monétaires pourraient alors être envisagées, telles que le currency board (ou « caisse d’émission ») qui instaure une parité quasi fixe avec une monnaie d’ancrage/panier de devises ou une Union Monétaire Australe avec les partenaires commerciaux du Pacifique (Australie, Nouvelle-Zélande).
Bibliographie
Dropsy V. (2007), La Polynésie Française et l’Euro
IEOM (2017), La Balance des Paiements de la Nouvelle-Calédonie, Rapport Annuel 2015
IEOM (2017), La Balance des Paiements de la Polynésie Française, Rapport Annuel 2015
IEOM (2014), L’histoire du Franc Pacifique
Lagadec G. (2010), Nouvelle-Calédonie : entre émancipation, passage à l’euro et recherche de ressources nouvelles, Région et développement n°31-2010
Markusen B. (2008), Quel ancrage monétaire pour le Franc Pacifique ?
La dépêche de Tahiti (2017), Fenua verra-t-il un jour circuler l’euro ?
La tribune (2016), La Polynésie Française passera-t-elle à l’euro ?
[1] CFP = « Franc des colonies françaises du Pacifique » avant de devenir «Franc Change Franc Pacifique »
[2] Décret n°98-1152 du 16 décembre 1998 arrêtant les modalités de fixation de la parité du franc CFP avec l’euro.
[3] http://www.latribune.fr/economie/france/la-polynesie-francaise-passera-t-elle-a-l-euro-600316.html , sept 2016
[4] Institut Statistique de la Polynésie Française (ISPF), http://www.ispf.pf/docs/default-source/publi-pf-bilans-et-etudes/pf-etudes-01-2016-comparaison-spatiale-des-prix.pdf?sfvrsn=6
[5] Eurostat, L’euro a-t-il fait monter les prix ?; Conseil d’analyse économique, « Mesurer le pouvoir d’chat »