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L’Australie et la crise agricole

Résumé :

– Le secteur agricole australien fait face historiquement à une main d’œuvre peu nombreuse, d’où le développement de fermes productivistes gigantesques.

– La spirale entre baisse des prix, baisse des rendements et investissements toujours plus lourds réduit la rentabilité d’un secteur très peu subventionné en Australie contrairement à la France.

– La crise climatique en Australie achève de fragiliser le secteur avec des exploitations surendettées contraintes à la faillite.

– Le modèle de l’agriculteur-paysan cède la place à celui d’agriculteur-chef d’entreprise multi-compétent face à des risques multiples.

 

Le monde agricole en France est en crise, coincé entre la hausse des investissements et la baisse de la rentabilité. Cette colonne donne un aperçu des difficultés d’une autre grande nation agricole, l’Australie, pour mettre en lumière certains défis du monde agricole. Le modèle du fermier traditionnel laisse la place à celui de chef d’entreprise agricole, tout à la fois ingénieur agricole et capital-risqueur.

La valeur ajoutée du secteur agricole australien était de 22 milliards d’euros en 2013, contre 32 milliards en France, soit 1 % de la production mondiale.1 Un grand succès pour une agriculture productiviste tournée vers l’export.

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) prédit que d’ici 20502, la production mondiale de produits alimentaires devra augmenter de 70 % pour satisfaire aux besoins de près de 10 milliards d’humains. C’est le défi principal du monde agricole aujourd’hui. L’agriculture devrait donc être un secteur en plein essor. Toutefois, en Australie, le monde agricole est sous pression et fait face à une triple crise, de l’emploi, du système productiviste mais aussi climatique.

 

Crise de l’emploi: les fermes deviennent gigantesques

Le secteur agricole australien emploie, en 2011, près de 320 000 personnes pour 135 000 fermes, soit 1,7 % de la population totale, contre 960 000 personnes en France réparties sur 515 000 fermes. Toutefois le monde agricole australien a dû faire face à une pénurie de main d’œuvre contraignant son développement.

  1. D’une part la densité de population australienne est historiquement très faible avec en moyenne 3 personnes par kilomètre carré contre 121 en France ;

  2. D’autre part les travailleurs qualifiés ne sont pas attirés par l’agriculture et sont davantage attirés par le secteur minier qui propose de meilleures conditions de vie, malgré la crise que traverse actuellement l’industrie minière.

  3. Les travailleurs non-qualifiés saisonniers sont surtout des jeunes de moins de 31 ans ayant obtenu un visa « tourisme et travail » (165 000 visas en 2013). En effet, pour pouvoir rester plus d’un an en Australie avec ce visa, il est impératif de travailler au moins 3 mois comme saisonnier sur des emplois principalement agricoles.

Dès lors les principes économiques élémentaires suggèrent une augmentation de l’intensité capitalistique, c’est-à-dire une hausse des investissements en infrastructures et outils de production afin de substituer du capital au travail qualifié trop rare et donc trop cher.

Ainsi, la taille moyenne d’une exploitation agricole australienne est de 2950 hectares, tous types de production confondus, contre 55 hectares en France. Il s’en suit une baisse inexorable du nombre d’agriculteurs, lequel a baissé de 21 % entre 1996 et 2011.

 

Crise du modèle productiviste, entre baisse des rendements et hausse des investissements

En 2013, les exportations agricoles australiennes représentent près de 60 % de sa production totale pour une valorisation de 27 milliards d’euros soit 2,3 % du PIB. En France, les exportations agricoles représentent 60 milliards soit 2,1 % du PIB. Les marchés et les prix sont donc largement internationaux, la Chine étant le plus gros partenaire de l’Australie avec 22 % des exportations agricoles. Les exploitations australiennes sont à majorité des exploitations d’élevage (48 %), mais aussi céréalières (24 %) ou alliant les deux (20 %).3

Diversification des cultures agricoles australiennes et françaises

 

Dans le sillage de la baisse du prix des matières premières sur fond de crise de la croissance chinoise, les débouchés sont devenus incertains avec des prix des produits agricoles volatiles. Les indices DJCI sur les prix du blé et du bétail4 ont ainsi baissé respectivement de 50 % et 25 % depuis fin 2005.

Evolution des indices Dow Jones Commodity du blé et du bétail


Les aides directes: 2% des revenus bruts des agriculteurs australiens contre 18% en Europe

Face à des rendements incertains, les agriculteurs australiens sont très peu subventionnés. Les aides directes aux agriculteurs représentent en moyenne seulement 2 % des revenus bruts des agriculteurs australiens, contre 18 % en Europe. La totalité des aides au monde agricole représente 0,1 % du PIB en Australie contre 0,7 % en Europe. L’avenir de l’agriculture australienne passe donc par une augmentation de sa productivité pour dégager des marges suffisantes.

Soutien aux producteurs agricoles en Australie et dans l’Union Européenne


Pour être rentables, ces grandes exploitations doivent être à la pointe de la technologie avec de gros investissements à la clef et donc une rationalisation de la production. Toutefois, le monde agricole est directement concerné par la loi des rendements décroissants. Par exemple l’usage d’engrais ne permet d’augmenter la production d’un champ qu’un temps et des engrais de plus en plus puissants et coûteux sont nécessaires pour éviter une trop forte érosion des rendements après quelques années. Dès lors l’investissement en outils de haute précision pour contrôler et ajuster les quantités d’engrais devient nécessaire pour limiter les coûts. Mais afin de réaliser des statistiques croisant production et quantité d’engrais nécessaire sur chaque mètre carré, il faut des travailleurs qualifiés capables de maitriser des outils complexes… et notamment les statistiques !

Dès lors la spirale entre augmentation de la taille des exploitations agricoles, hausse des investissements et baisse des rendements contraint à un endettement des agriculteurs australiens toujours plus important et accentue la pression sur les profits. S’il s’agit là d’un mouvement inexorable, il transforme les agriculteurs en capital-risqueurs.


La ctise climatique achève de fragiliser l’équation économique

Si les aléas climatiques ont toujours existés dans un pays au climat majoritairement chaud et sec, le changement climatique qui réduit l’intensité et la durée des pluies fragilise l’équation économique de certaines exploitations. De petits imprévus peuvent désormais mener plus facilement à des situations de surendettement : le montant des dettes contractées pour de nouveaux investissements peut se révéler plus élevé que la valeur de la ferme. D’où, depuis un an, la multiplication du nombre de fermes saisies, les fermiers ne pouvant plus faire face aux remboursements d’emprunts avec des revenus réduits du fait de la sécheresse.

 

Conclusion

Le modèle d’agriculteur-paysan que nous connaissons disparait progressivement, en Australie comme en France, avec des causes parfois diverses mais qui se rejoignent au moins sur un point : le travail physique du fermier laisse la place au travail de bureau du chef d’exploitation, véritable chef d’entreprise aux compétences multiples. L’augmentation des besoins en produits issus de l’agriculture tend à rendre cette mue inexorable.

Mais cette fuite en avant peut-elle durer ? Il semble qu’en Australie, sans subventions directes, seuls les agriculteurs qui se révèleront être des investisseurs avisés pourront rester sur le marché.

Mais si le marché s’avère être plus fragmenté qu’anticipé, avec pour certains consommateurs finaux des exigences de qualité plus élevées, des modèles de production moins productivistes (agriculture biologique, circuits courts…) peuvent se développer sans être forcément en concurrence directe avec les grandes exploitations. Dès lors le problème du monde agricole est peut-être celui-ci : choisir entre investir pour grossir, ou investir pour rapetisser. L’un se positionne sur les marchés mondiaux, l’autre sur des marchés plus hauts de gamme. Mais, à la fin, il faudra nourrir 10 milliards d’êtres humains.

 

Annexe : Statistiques clefs sur l’agriculture en France versus Australie

1 La valeur ajoutée correspond à la production du secteur agricole moins la valeur des entrées intermédiaires utilisées lors de la production. Les chiffres du département statistique des Nations Unies s’entendent comme comprenant la valeur ajoutée de la foresterie, de la chasse, de la pêche ainsi que des cultures et la production animale.

2 Les projections de productions agricoles doivent satisfaire « l’ensemble des besoins en denrées alimentaires de toutes les populations en s’assurant que toutes ont un accès physique, social et économique à de la nourriture de qualité en quantité suffisante, correspondant à leurs habitudes alimentaires et leurs préférences, et permettant une vie active et saine. » (Nations Unies, FAO, déclaration du sommet mondial sur la sécurité alimentaire, 2009).

3 Source : Bureau Australien des Statistiques (2011).

4 L’indice « Dow Jones Commodity Index all cattle Total Return» reflète le prix du bétail et des bovins d’engraissement via les contrats futurs. L’indice « Dow Jones Commodity Index all wheat Total Return » reflète le prix des différents types de blé sur les marchés de Chicago et du Kansas via les contrats futurs.

 

 

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