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Quels effets des décisions des banques centrales concernant les taux d’intérêt ? (Note)

Cette présente note est rédigée dans le cadre de notre partenariat avec ANCRE.

Les récentes crises liées à la pandémie et l’invasion de l’Ukraine, et leurs conséquences sur l’économie mondiale, ont remis sur le devant de la scène économique les banques centrales et leur politique monétaire. Bien que leurs objectifs principaux concernent l’économie réelle, leurs actions ont également des conséquences sur les marchés financiers.

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Les objectifs des politiques monétaires menées par les banques centrales

Les banques centrales sont des institutions économiques publiques en charge de la monnaie d’un pays, ou relèvent d’une organisation de plusieurs pays. Si leur principal objectif est celui d’assurer la stabilité des prix dans une économie[1], notamment dans les économies avancées, certaines se voient attribuer des responsabilités supplémentaires, telles que celle de viser le plein-emploi, ou encore de soutenir la stabilité du système financier. Elles sont ainsi responsables du pilotage de la politique monétaire.

Ces responsabilités leur sont conférées par des mandats, fixés par les Etats desquels elles dépendent. Les dirigeants des banques centrales sont généralement nommés par un gouvernement, leurs candidatures devant être validées par le Parlement, devant lequel ils sont responsables et auquel ils doivent régulièrement rendre des comptes. Néanmoins, la majorité des banques centrales disposent d’une indépendance politique et économique des gouvernements de leurs pays. Cela leur permet de rester indépendantes des considérations politiques de court terme, qui pourraient nuire à leurs objectifs de moyen ou long-terme et remettre en cause la crédibilité de leurs interventions.

Afin de mener leur politique monétaire, les banques centrales agissent principalement sur la quantité de monnaie en circulation dans l’économie. En restreignant cette quantité, elles brident l’activité économique, dans le but de limiter la demande afin de réduire les pressions à la hausse sur les prix. A l’inverse, en l’augmentant, elles stimulent la demande et ainsi poussent les prix à la hausse. Plusieurs outils sont à leur disposition afin de poursuivre leurs objectifs. Si les banques centrales disposent de tout un arsenal pour piloter la politique monétaire[2], la manière la plus connue d’influencer les prix est celle des taux directeurs. Une politique de taux directeurs bas (élevés) a vocation à assouplir (resserrer) les conditions de financement et contribue en principe à stimuler (comprimer) l’activité et donc à maintenir des pressions à la hausse (baisse) sur les prix.

Le taux de référence correspond couramment au taux d’intérêt fixé par une banque centrale, auquel une banque commerciale se refinance auprès d’elle (généralement en échange de titres mis en garantie). Dans certains cas, le taux de dépôt peut être considéré comme le taux de référence ; ce taux d’intérêt correspondant au niveau de rémunération de certaines catégories de dépôts des banques commerciales auprès d’une banque centrale[3].

Le graphique ci-dessous permet d’observer l’évolution des taux de référence en Zone euro, longtemps au niveau plancher, avant d’augmenter avec les poussées inflationnistes en 2022-2024, et qui s’inscrivent désormais dans un nouveau cycle de baisse, maintenant que les craintes concernant la croissance des prix se dissipent.

Quels Effets Des Decisions Des Banques Centrales Concernant Les Taux Dinteret 1

Source: Banque Centrale Européenne, Banque de France

Ces taux, servant de référence, ont tendance à se diffuser à l’ensemble de l’économie, les banques commerciales ajustant notamment les taux pratiqués lors de la distribution de crédit sur le niveau des taux directeurs. Si les banques commerciales peuvent également se financer ou prêter auprès du marché interbancaire, sur lequel elles s’échangent des actifs financiers de court-terme, celui-ci est également influencé par les décisions des banques centrales. En effet, les banques commerciales pouvant emprunter ou prêter auprès d’une banque centrale ou sur le marché interbancaire, l’arbitrage entre l’offre et la demande assure que les taux d’intérêts interbancaires fluctuent autour des taux directeurs fixés par une banque centrale.

Par ailleurs, les actions sur les taux directeurs jouent également sur le taux de change. En augmentant les taux directeurs, les banques centrales rendent les placements dans la devise dont elles sont en charge relativement plus attractifs. Ainsi, la demande pour cette devise s’accroît, ce qui génère une hausse du taux de change et donc, en principe, une appréciation de la devise.

Néanmoins, il arrive que les banques centrales soient contraintes dans leur utilisation des taux d’intérêt, notamment lorsqu’une croissance particulièrement faible les empêche de trop augmenter leurs taux afin de lutter contre l’inflation, ou encore quand des taux plus bas ne suffisent pas à relancer l’économie et insuffler une croissance saine des prix. Depuis plusieurs années, elles se sont munies de plusieurs outils complémentaires dont elles font usage quand les politiques conventionnelles atteignent leurs limites.

Les mesures non-conventionnelles, armes des banques centrales en périodes de crise

Au cœur de la crise financière de 2008, en complément d’une baisse de son taux directeur à un niveau historiquement bas (proche de 0 %, zero lower bound) pour soutenir son économie, la banque centrale américaine (Federal Reserve), suivie par d’autres banques centrales de pays développés, a entamé un programme d’achat d’actifs financiers, dont l’objectif était de poursuivre leur relâchement des conditions de financement, malgré des taux au plancher, et ce en pesant sur les taux d’intérêt des obligations de court et de long terme.

Cette technique dite d’assouplissement quantitatif (ou quantitative easing, QE), initialement introduite au Japon au début des années 2000, consiste pour une banque centrale à racheter ou refinancer sur les marchés secondaires une large quantité d’actifs financiers, notamment des obligations souveraines, pour en faire augmenter le prix et ainsi diminuer le taux d’intérêt[4]. En faisant baisser le rendement de ces actifs, les banques centrales poussent les investisseurs à se rediriger vers d’autres actifs financiers, tels que les marchés actions voire du crédit, les rendant relativement plus rentables. Ainsi, les marchés actions deviennent souvent plus attractifs en période d’assouplissement monétaire, et les valorisations augmentent.

Le graphique ci-dessous montre que les cycles de resserrement monétaire de 2015-2019 et de 2022-2024 aux Etats-Unis ont été associés à une croissance annuelle moyenne de l’indice de référence S&P 500 plus faible que lors du cycle d’assouplissement monétaire de 2019-2022. Cette tendance d’une meilleure performance des indices actions en période d’assouplissement monétaire s’observe fréquemment au cours du temps.

Quels Effets Des Decisions Des Banques Centrales Concernant Les Taux Dinteret 2

Source: Federal Reserve Bank of St. Louis

Inversement, la récente période inflationniste a conduit les banques centrales à ralentir leurs achats, voire les cesser et laisser les obligations arriver à échéance sans en réinvestir la valeur du titre. Ce resserrement quantitatif (ou quantitative tightening, QT) a un effet attendu inverse à celui de l’assouplissement quantitatif sur les marchés.

Les banques centrales peuvent également influencer les marchés financiers en jouant sur les anticipations grâce à la forward guidance (cf. cet article de BSI Economics), c’est-à-dire une communication claire de leur part sur leurs actions à venir afin de guider et stabiliser les attentes des agents économiques. Pour que ce canal des anticipations fonctionne, il faut que la politique monétaire soit jugée crédible et que les banques centrales soient considérées comme indépendantes. Ainsi, si une banque centrale considérée comme crédible annonce qu’elle n’augmentera pas ses taux directeurs pendant une certaine période, les taux d’intérêt à cet horizon devraient s’aligner avec ceux de court terme dans la mesure où les agents s’attendent à ce que les taux à cette échéance restent inchangés.

La fin du QT et ses conséquences indéterminées

Si les principales banques centrales ont appris à naviguer les crises récentes, d’abord en assouplissant significativement leurs politiques pendant la pandémie, puis en les resserrant pendant la période inflationniste, et ont déployé de nombreux outils pour faire face à ces épisodes, elles se retrouvent désormais dans une situation inédite dans laquelle se croisent une baisse des taux directeurs et un resserrement quantitatif, soit deux phénomènes en principe opposés. Un tel évènement interroge sur les réactions selon les différentes classes d’actifs concernées au cours des mois à venir.

Le cas des Etats-Unis questionne particulièrement au vu des annonces de creusement du déficit public par le président élu D. Trump alors même que la Federal Reserve est engagée dans une réduction accélérée de la taille de son bilan (cf. ce Killer Chart de BSI Economics). Un chapitre entier du dernier ouvrage de BSI Economics (paru chez Dunod en 2024), intitulé « Quel avenir pour la politique monétaire ? » explore ce sujet afin de fournir des clés de lecture sur le futur rôle de nos banques centrales, qui seront probablement amenées à jouer un rôle toujours plus déterminant et ce dans des domaines finalement plus larges que la seule sphère monétaire.

 

[1] Dans les économies développées, les banques centrales visent généralement que la croissance des prix à la consommation soit proche d’une cible de +2 % en évolution annuelle.

[2] Les banques centrales peuvent aussi mener leur politique monétaire en ajustant le niveau des réserves obligatoires, mais aussi jouer sur leur portefeuille de titres via des opérations d’open market, ou encore en utilisant la forward guidance pour orienter les attentes des marchés.

[3] En zone euro, par exemple, les réserves obligatoires sous forme de dépôts ne sont pas rémunérées contrairement aux réserves excédentaires, cf. cet article de BSI Economics sur le sujet).

[4] Pour rappel, les rendements et les prix des obligations évoluent toujours en sens inverse.

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