DISCLAIMER : Les opinions exprimées par l’auteur sont personnelles et ne reflètent en aucun cas celles de l’institution qui l’emploie.
Utilité de l’article : Ce papier analyse la résilience de l’Afrique face à la crise sanitaire de la Covid-19. Les mesures précoces mises en place afin d’endiguer la propagation n’empêcheront pas une forte crise sociale et économique en raison de l’impact sur la demande mondiale en matières premières et agricoles. Il est à craindre une forte augmentation de la faim et de la pauvreté, outre la progression des dettes nationales.
Résumé :
· Les prévisions étaient alarmistes pour le continent Africain s’agissant de la Covid-19, où les systèmes de santé sont réputés fragiles. Pourtant, les systèmes de santé ont –à ce stade- tenu, en raison notamment d’une action précoce, et d’une population jeune, peu dense et potentiellement aussi grâce à la chaleur du continent.
· Au-delà, les différents confinements, sur le continent et dans le monde, ont fait chuter la demande en matière premières, notamment des énergies fossiles, des mines et des produits agricoles, poumon de l’économie africaine.
· Ainsi, la résilience africaine doit désormais affronter une crise sociale et financière qui s’annonce –là aussi selon des prévisions pessimistes- sans précédent.
Dès le 22 février dernier, la situation en Afrique laissait craindre une vague épidémique très forte. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, affirmait que leur » principale préoccupation demeure le risque que le Covid-19 se propage dans des pays dont les systèmes de santé sont plus fragiles. » lors d’une réunion exceptionnelle avec les ministres de la santé des pays de l’Union africaine (UA). Pourtant, la vague épidémique reste en deçà de toutes les prévisions, notamment celle de la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM)[1] où tous les pays africains auraient dépassé la barre des 10 000 cas fin avril. Un résultat 10 fois supérieur à la réalité. Alors que l’Europe et les États-Unis ont dépassé le million de cas, le nombre officiel de contaminations en Afrique s’élève, à la mi-mai, à 70 000, selon l’agence de santé publique de l’Union africaine (Africa CDC)[2].
Pour autant, si la situation sanitaire demeure à ce stade plutôt positive eu égard celle des autres continents, la situation économique, financière et sociale demeure préoccupante. Les fragilités du continent sont exacerbées à l’aube d’une crise sur les matières premières et agricoles de l’Afrique. D’autant plus que la soutenabilité des dettes publiques pourrait être obérée si les dépenses additionnelles en matière de santé sont doublées par des dépenses sociales afin de prévenir les pénuries et famines qui s’annoncent. Quelles sont les pistes dès lors pour que l’Afrique applique sa résilience de la crise sanitaire à celle de la crise économique, financière et sociale ?
1. L’Afrique fait preuve à ce stade d’une forte résilience face à la crise sanitaire
1.A) Une réponse précoce à une épidémie plus faible, et certainement plus lente en Afrique
Les chiffres montrent qu’à ce stade, l’épidémie est plus faible en Afrique que sur les autres continents. Mi-mai, alors que l’Europe et les États-Unis ont dépassé le million de cas, le nombre officiel de contaminations en Afrique s’élève à 70 000, selon l’agence de santé publique de l’Union africaine (Africa CDC). Début juin, l’Afrique se dirige vers les 200 000 cas comme l’illustre le graphique ci-dessous, contre deux millions aux États-Unis, et plus de 1 million en Amérique du Sud et sur le Vieux continent.
Figure 1– Évolution de l’épidémie en Afrique au 8 juin 2020
En effet, la réponse de l’Afrique fut précoce. La plupart des pays n’ont mis que quelques jours après leur premier cas avant de fermer les frontières et d’imposer un confinement à leur population. Dès février, le nombre de laboratoires pouvant effectuer des tests sur le continent est passé de deux à 26, selon l’OMS. En parallèle, plusieurs pays ont étendu leurs capacités d’accueil de malades dans l’hypothèse d’une propagation rapide de la maladie. C’est le cas notamment du Ghana, du Cameroun ou bien encore du Nigeria, qui a converti le stade Balogun de Lagos en centre d’isolation des malades. Enfin, des mesures ont été mises en place de manière préventive, comme les contrôles renforcés dans les aéroports internationaux, des campagnes de dépistage ou le port du masque obligatoire. Début avril 32 pays africains sur 55 avaient déjà totalement fermé leurs frontières terrestres.
1.B) Des facteurs endogènes qui contiennent à ce stade la propagation du virus
Plusieurs facteurs propres à l’Afrique expliquent en outre la résilience de la propagation du virus. D’abord, en matière démographique, il s’agit d’un continent qui constitue peu de déplacements internationaux et demeure peu dense : il y a moins de déplacements internationaux en Afrique qu’ailleurs. Moins de déplacement, moins d’échanges internationaux : l’Afrique n’est pas non plus soumise à des flux intenses de touristes et de voyageurs. Sur les 50 aéroports les plus fréquentés au monde, un seul est africain, celui de Johannesburg. Selon une étude de The Lancet, l’Afrique est environ dix fois moins exposée à l’Europe à l’importation de la Covid-19 [3].
Le continent affiche parallèlement une faible densité de population avec seulement 43 habitants par kilomètre carré. Des chiffres qui se situent à 181 habitants au km² en Europe de l’Ouest et 154 par km² en Asie du Sud-Est.
La population africaine est en outre plus jeune que sur les autres continents, et ce qui explique qu’à l’inverse, la proportion de plus de 65 ans soit très faible (environ 5 % de la population d’Afrique subsaharienne par exemple). Avec 60 % de la population africaine âgée de moins de 25 ans, un âge médian de 19,4 ans[4], le virus circulerait, mais sous les formes asymptomatiques. Les formes sévères concernent surtout les personnes âgées ou à risque, avec des comorbidités de type obésité, diabète, des problèmes cardiovasculaires. Or en Afrique la prévalence de ces comorbidités demeure inférieure à celle des pays d’Europe ou d’Amérique du Nord.
Enfin, l’impact de la chaleur demeure à prouver, mais il semblerait que le mode de vie, davantage à l’extérieur, et les températures affectent la stabilité du nouveau coronavirus. Une étude a conclu que la maladie à coronavirus est possiblement moins stable à des températures plus élevées, la température optimale de transmission se situant probablement autour de 8,72 °C. Les températures dans la plupart des pays africains sont rarement inférieures à 15 °C. Ceci ne veut pas dire que le Covid-19 ne peut se transmettre dans des climats plus chauds, mais uniquement qu’il est peut-être plus aisé de le contenir en milieu tropical », estime Denis Chopera, médecin virologue et directeur administratif de programme pour le réseau d’excellence en recherche sur la tuberculose et le VIH en Afrique subsaharienne (SANTHE)[5]. Pour autant, tout reste à prouver quant à la résistance à la chaleur, le virus se transmet dans des pays chauds tel que le Niger ou encore le Burkina Faso, où les températures peuvent atteindre les 40 °C.
2. Vers une crise économique, sociale et financière sans précédent
A. L’Afrique est touchée par une crise des matières premières et agricoles
Les prévisions, sont comme pour le reste du monde, pour une récession sans précédent en Afrique. La Banque mondiale estime que la chute du PNB de l’Afrique subsaharienne de 2 % à 5 % en 2020, plus exactement autour de 2,8%, tandis que le Nigeria, l’Angola, l’Algérie et l’Afrique du Sud subiraient une récession de presque 7 %. Le Nigeria, le Gabon et l’Angola, demeurent en effet très dépendantes de leurs exportations de pétrole dont le prix a été divisé par trois en trois mois, la situation est similaire pour les pays exportateurs de produits miniers, Namibie, Zambie, Mozambique, Niger et Bostwana en premier lieu.
Selon la Communauté Est-Africaine, la CEA[6], la COVID-19 pourrait faire chuter les recettes d’exportation de combustibles de l’Afrique à environ 101 milliards de dollars en 2020. En outre, la CEA ajoute que les envois de fonds et le tourisme sont également touchés. Cette analyse est complétée par une baisse drastique des flux financiers en général : une diminution des flux d’IDE, une fuite des capitaux, un resserrement du marché financier intérieur et un ralentissement des investissements – entraînant possiblement à terme des pertes d’emplois.
Enfin, outre l’arrêt brutal des transactions de matières premières et financiers, la plupart des Africains qui vivent en milieu rural dépendent des activités agricoles pour leur subsistance. La part du secteur primaire est en effet prépondérante en Afrique. Le cabinet Mckinsey & Company décrit que plus de 60 % des populations d’Afrique subsaharienne sont des petits exploitants agricoles et qu’environ 23 % du PIB de la région provient de l’agriculture[7].
Tableau 1– Prévisions de croissance de la Banque Mondiale pour les marchés émergents (Juin 2020)
B. La pauvreté et la faim gagnent du terrain sur tous les fronts, tandis que les autres épidémies endémiques résistent…
L’Afrique est le continent où l’extrême pauvreté est la plus présente : selon l’Institut Brookings, un Africain sur trois – 422 millions de personnes – vit en dessous du seuil de pauvreté mondial. Cette crise arrive alors que la faim dans le monde progresse continuellement depuis 2015. L’ONU s’alarme particulièrement de la situation en Afrique, où les chiffres de la faim sont les plus élevés du monde. Ces derniers continuent par ailleurs d’augmenter, lentement mais régulièrement, dans presque toutes les sous-régions. En Afrique de l’Est en particulier, près d’un tiers de la population (soit 30,8 %) est sous-alimenté[8]. Outre le climat et les conflits, les périodes de récessions et de crises économiques sont à l’origine de cette hausse. La question de la résilience des populations les plus fragiles est donc posée.
Ce fait est confirmé par le PNUD qui a déclaré que la crise du COVID-19 menace de frapper de manière plus forte les pays en développement – les pertes de revenus pourraient dépasser les 220 milliards de dollars et près de la moitié des emplois en Afrique pourraient être perdus[9].
À la malnutrition s’ajoute parfois une vulnérabilité accrue due à la co-circulation avec les autres maladies infectieuses (VIH, paludisme, tuberculose, infections respiratoires, Ebola…). Cela pourrait être problématique dans le cas de l’épidémie de la Covid-19. D’autant plus que celle-ci risque de perturber les programmes de vaccination, rendant encore les populations plus fragiles face aux maladies à prévention vaccinales. Les programmes de lutte contre les autres pandémies vont ainsi être affectés.
C. … entraînant une augmentation des dettes publiques, à la limite de la soutenabilité, et la nécessité d’une politique monétaire accommodante et robuste
Il semblerait alors que continent aurait besoin de 10,6 milliards de dollars d’augmentation imprévue des dépenses de santé pour freiner la propagation du virus selon la CEA, alors que d’autre part, les pertes de revenus pourraient conduire à une dette insoutenable, notamment en raison d’e la baisse de revenu des matières premières. Dans la lancée du moratoire sur les dettes publiques des pays les plus pauvre, le G7 n’a pas non plus fermé la porte à une annulation simple, pour les parties multilatérales et bilatérales tout du moins. La demande doit ainsi être renforcée aussi à travers un investissement public massif qui appelle à une suspension des dettes des pays les plus fragiles
Au-delà d’un soutien au financement souverain, la période qui s’ouvre appelle à un renforcement des mesures aux PME, notamment agricoles, à travers principalement une politique monétaire plus directive et accommodante. Celle-ci devra toutefois équilibrer offre et demande afin de contenir les tensions inflationnistes. Alors que fin 2019 s’illustrait par sa stabilité quant aux fondamentaux macroéconomiques de l’Afrique, les zones monétaires peuvent se permettre une baisse importante de ses taux directeurs. Pour autant, avec un accès plus facile au crédit et des instruments monétaires directifs se traduirait par un choc d’offre, cela pourrait entrainer une hausse de l’inflation.
Conclusion
Ces répercussions dans des secteurs économiques clés de l’Afrique auront de graves répercussions sur la prospérité de ses habitants et entraveront les efforts visant à réaliser respectivement le plan de développement continental, l’Agenda 2063, et le plan de développement mondial, l’Agenda 2030. Pour autant, un gain d’optimisme récent s’est fait sentir. L’Afrique résiste pour l’instant avec force à la crise sanitaire. Il faudra désormais la crise sociale et économique à venir qui s’accompagnera certainement d’une augmentation de l’extrême pauvreté et de la faim, qui pourrait être contrée si elle opte pour reprendre l’économiste Kako Nubukpo[10], un modèle de développement endogène : solidaire et respectueux de l’environnement. À ceci s’applique aussi une possible – ou du moins nécessaire- annulation des dettes des pays les plus endettés et un renforcement de la politique monétaire, qui devrait soutenir directement les PME africaines, notamment agricoles. Dans ce contexte en outre, les financements sur les marchés internationaux seront facilités par la forte présence de liquidité mise à disposition des banques centrales du globe.
Sources :
Scénario et études Covid et sanitaires en Afrique:
https://africacdc.org/covid-19/
http://cmmid.github.io/topics/covid19/reports/COVID10k_Africa.pdf
https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30411-6/fulltext
https://www.santheafrica.org/news/covid-19-afrique-vous-avez-dit-myst%C3%A8re-0
Impacts économiques et sociaux:
https://www.banquemondiale.org/fr/publication/global-economic-prospects#firstLink31666
https://www.mckinsey.com/industries/agriculture/our-insights/winning-in-africas-agricultural-market
[4] https://www.un.org/development/desa/publications/world-population-prospects-2019-highlights.html#:~:text=The%20world’s%20population%20is%20expected,United%20Nations%20report%20launched%20today.
[6] https://www.un.org/africarenewal/fr/derni%C3%A8re-heure/coronavirus/la-cea-estime-des-milliards-de-pertes-en-afrique-en-raison-de-l%E2%80%99impact-du-covid-19
[7] https://www.mckinsey.com/industries/agriculture/our-insights/winning-in-africas-agricultural-market
[8] https://fr.wfp.org/communiques-de-presse/rapport-de-lonu-la-faim-dans-le-monde-persiste-alors-que-lobesite-continue-de