Cette courte note propose de décrypter un graphique marquant, en lien avec l’actualité économique. Ce Killer Chart met en lumière le poids toujours significatif des obligations souveraines américaines dans les réserves de change des BRICS. Il revient sur les erreurs d’interprétation concernant l’impact de l’élargissement des BRICS évoqué au Sommet de Kazan sur un déclin annoncé du dollar.
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Pourquoi c’est intéressant ?
Le déclin annoncé du dollar américain (USD) est devenu un sujet de plus en plus récurrent ces dernières années. La fin annoncée de la prépondérance de l’USD aurait vocation à rebattre les cartes mondiales en redessinant les relations internationales non plus autour des Etats-Unis mais de la Chine.
A l’occasion du dernier sommet des BRICS à Kazan en octobre 2024, ce sujet a refait surface. Au vu des annonces d’élargissement à d’autres pays[1], pour certains, le processus de dédollarisation s’accélèrerait et le Yuan pourrait bien se substituer au billet vert, profitant de l’influence de la Chine au sein d’une communauté élargie des BRICS.
En effet, post adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2022, la Chine s’est imposée comme un acteur de premier plan dans les échanges commerciaux[2], avec une utilisation croissante du Yuan pour effectuer ses transactions (près de 25 % du total de ses échanges commerciaux contre 15 % en moyenne au début des années 2010, selon la Fed). Par ailleurs, l’internationalisation récente du Yuan[3] ainsi que les avancées autour d’un Yuan numériquesont perçus comme des éléments décisifs pour une forte expansion de la devise chinoise.
Pour autant, conclure que l’élargissement des BRICS va mener le Yuan à inéluctablement s’affirmer comme une alternative à l’USD à moyen / long terme semble, au mieux, hâtif et, plus probablement, erroné. Ces conclusions dénotent très probablement d’une méconnaissance des mécanismes financiers internationaux et des données.
Qu’en penser ?
Au-delà de l’utilisation croissante du Yuan dans les échanges internationaux, plusieurs indicateurs conduisent en effet à nuancer son rôle et potentiel impact.
La part de l’USD dans les réserves de change mondiale a effectivement tendance à diminuer ces dernières années. C’est indéniable mais cela reflète la prédominance historique de l’USD. Cette part est passée de près de 72 % des réserves de change en moyenne à la fin des années 1990 à 58 % au S1 2024[4] (COFER). Si le Yuan a vu sa part rapidement augmenter depuis 2016, celle-ci reste toutefois très faible (2,1 % des réserves de change mondiale) et elle a même diminué depuis 2022 (-0,7 ppt). De plus, selon les estimations du Fonds Monétaire International, la Russie détenait, en 2022, le tiers des réserves de change mondiale en Yuan, un effet de concentration qui relativise le poids réel du Yuan à l’international. Selon les données COFER, la diversification des réserves de change mondiales a été majoritairement tirée par d’autres devises (dollars canadien et australien, won coréen par exemple)[5].
La baisse de la part d’obligations américaines détenue par des non-résidents et plus particulièrement certains BRICS semble également inquiéter certains analystes (cf. cet autre Killer Chart publié sur BSI Economics). Dans les faits, il s’agit moins d’une défiance vis-à-vis de l’USD que i) de montants moins élevés de refinancement des obligations américaines arrivant à maturité par certains pays, et ii) d’évènements conjoncturels menant les banques centrales à céder leurs réserves de change en USD pour soutenir leur devise, de telle sorte que les achats nets d’obligations américaines deviennent parfois négatifs.
Par ailleurs, les BRICS n’ont en réalité que peu d’intérêts à vendre leurs réserves de change en USD pour accélérer la diversification, car ces réserves composent toujours une part très significative de leurs réserves de change : 43 % en moyenne (hors Russie) en comptabilisant uniquement les obligations souveraines américaines (cf. graphique) et près de 60 % en moyenne en comptabilisant l’ensemble des obligations américaines. Ces chiffres sont un peu inférieurs pour des pays qui pourraient potentiellement adhérés aux BRICS, mais restent également significatifs. Sans alternative crédible au dollar, céder massivement[6] des réserves de change les amputerait de marges monétaires significatives et généreraient nécessairement de l’instabilité financière.
A ce stade, dans le cadre du système monétaire international mondialisé, aucun membre des BRICS, actuels ou futurs, n’est en mesure de proposer une piste d’alternative crédible à l’USD. Si le Yuan sera amené à jouer un rôle plus important dans les décennies à venir, il ne présente cependant pas une alternative fiable, ni à court terme ni à long terme, au point de détrôner l’USD.
Un chapitre du dernier ouvrage de BSI Economics revient sur les principales raisons : i) le contrôle des capitaux en Chine implique une ouverture que très progressive du compte financier du pays et ne favorise pas une expansion internationale d’ampleur du Yuan ; ii) les titres chinois sont accessibles en quantité limitée, en lien avec un marché financier local de taille relativement réduite par rapport à celui des Etats-Unis ; iii) la stabilité financière est fragilisée par le prolongement de la crise immobilière (endettement élevé des ménages, des entreprises et des gouvernements locaux), et iv) l’aversion grandissante de certains investisseurs étrangers vis-à-vis de la Chine s’avère grandissante.
Si le poids international du dollar américain devrait naturellement diminuer sur le moyen / long terme au profit d’autres devises, dont le Yuan, la prépondérance du dollar ne devrait pas être remise en cause. Il existe encore de nombreuses interrogations sur la capacité et la rapidité du Yuan à s’imposer comme une réelle alternative à l’USD et l’élargissement des BRICS ne serait pas un évènement à mê
[1] Emirats Arabes Unis, Ethiopie, Iran, Egypte voire Turquie, Malaisie, Indonésie, Arabie Saoudite
[2] Les exportations chinoises représentaient près de 6 % du total des exportations en 2002 contre près de 15 % actuellement.
[3] Cf. chapitre 6 du livre de BSI Economics paru chez Dunod en 2024 « 12 clés économiques pour aborder 2030 », avec un chapitre dédié à la Chine où les économistes V. Lequillerier et E. Banh traite le sujet spécifique des enjeux de l’internationalisation du Yuan.
[4] L’ampleur récente de la baisse serait même plus importante une fois déduit l’effet change lié à l’appréciation de l’USD ces derniers trimestres.
[5] Plusieurs éléments expliquent cette tendance : diversification des réserves pour lisser l’impact des variations de l’USD, recherche de rendements plus élevés, accessibilité accrue des autres devises et des outils de couverture du risque de change par rapport au passé, etc. Par ailleurs, étant donné que les pays émergents voient la part de leurs échanges augmenter entre eux, avec la multiplication des accords de swaps de devises entre Banques centrales les règlements des transactions dans d’autres devises que l’USD sont facilités. Ce processus de diversification s’inscrit dans un cycle naturel d’évolution des échanges et mène de facto à une baisse du poids de l’USD par rapport aux autres devises. De plus, la diversification des réserves de change s’est aussi traduite par l’augmentation des achats d’or, menant à des prix records sur l’once du métal jaune.
[6] La gamme de réserves libellées dans d’autres devises, présentant des avantages similaires à celles en USD, reste réduite. Les réserves libellées en euro, en livre sterling, en yen offrent des caractéristiques proches et font déjà office de référence à l’international. Malgré cela, elles n’ont pas été en mesure de remettre en cause la prédominance de l’USD (même dans le cas de l’euro). Des devises plus « exotiques », comme celles des économies émergentes, n’offrent pas nécessairement les mêmes avantages. Leur détention expose notamment à des surcoûts, liés à des primes de risque plus élevées en raison de fondamentaux macroéconomiques souvent moins robustes (risque de change, prime d’inflation, risque souverain, etc.). En définitive, céder progressivement des réserves de change en USD, en substituant ces réserves par d’autres présentant des niveaux de liquidité proches, parait viable si i) leur détention n’expose pas à des surcoûts divers et si ii) ces actifs sont disponibles dans des volumes similaires à ceux en USD.