Cette courte note propose de décrypter un graphique marquant, en lien avec l’actualité économique. Ce Killer Chart revient sur la hausse impressionnante des investissements directs chinois à l’étranger (IDE) au deuxième trimestre 2024, un phénomène qui est tout sauf anodin.
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Pourquoi c’est intéressant ?
Autant que la hausse brutale des IDE chinois à l’étranger, c’est le timing qui est intéressant. Une telle augmentation des IDE chinois sortants a déjà été observée au troisième trimestre 2015. A cette époque, un krach boursier touchait l’économie chinoise et la hausse des IDE chinois correspondait autant une volonté des entreprises chinoises de sortir des capitaux du pays autant qu’à s’implanter à l’étranger.
En 2024, le contexte est sensiblement différent. Comme le révèlent les données de Global Trade Alert, la Chine fait face depuis 2019 à une hausse des mesures restrictives contre ses exportations. Le modèle de subventions publiques chinoises et de dumping chinois pour écouler ses surcapacités de production (acier, aluminium, batteries et véhicules électriques, panneaux solaires, etc.) constituent un sujet de tensions constantes, amenant les partenaires commerciaux du pays à introduire ou rehausser leurs barrières douanières (Etats-Unis, Zone euro, Brésil, Turquie, etc.).
Cependant, ces dernières années ce type de mesures commerciales se sont avérées plutôt inefficaces, en lien avec la réorganisation des chaines de valeur internationales, où des pays servent d’intermédiaires pour importer avant de réexporter. Les cas les plus emblématiques sont le Mexique et le Viet Nam dans le cadre des relations commerciales Sino-américaines, forçant les Etats-Unis à désormais mieux connaitre l’origine de ses importations mexicaines. La Chine semble anticiper ce type de réaction et cette hausse des IDE pourrait bien signifier que l’Empire du Milieu déploie une nouvelle stratégie visant à acquérir des entreprises, plus particulièrement en Asie du Sud Est[1], en capacité de produire puis exporter des biens d’entreprises chinoises.
Simple hausse passagère ou réelle stratégie de moyen/ long terme ? Si jamais cette tendance vise à s’inscrire dans la durée, elle viendrait probablement consolider le mouvement de mondialisation observé depuis la fin de la pandémie de 2019 avec un allongement des chaines de valeur (contrairement au raccourcissement attendu post sortie de pandémie). Elle soulève néanmoins plusieurs questionnements de fond sur les perspectives économiques en Chine.
Qu’en penser ?
Un des premiers sujets à évoquer est l’ouverture de la Chine aux flux de capitaux. A la suite des hausses des investissements chinois à l’étranger en 2015, les autorités du pays y ont vu une perte de contrôle sur les flux de capitaux et ont dès lors renforcé leur contrôle en 2016. Si d’ici les prochains trimestres les IDE avaient vocation à augmenter continuellement pour répondre aux besoins de parer les mesures commerciales restrictives, il ne semble pas improbable que les autorités chinoises veilleront à ne pas reproduire les mêmes erreurs qu’en 2015. Cela limiterait probablement les secteurs éligibles à de tels investissements et plaiderait donc pour une hausse passagère des IDE ou du moins des montants plus modestes qu’une stratégie généralisée.
Cette politique viendrait également dégrader le compte financier du pays, alors que le pays peine déjà à conserver ses investisseurs étrangers (flux d’IDE entrants négatifs fin 2023, cf. cet autre Killer Chart publié sur BSI Economics) voire en à attirer d’autres[2]. Ce phénomène pourrait même s’aggraver, au profit des pays d’Asie du Sud Est qui bénéficient déjà de la stratégie « China +1 ». Si la Chine dispose de confortables marges financières, une telle stratégie marquerait néanmoins un sérieux coup d’arrêt à sa politique d’accumulation de réserves de change. Des ressources d’autant plus précieuses que le Renminbi est toujours plus exposé à des pressions baissières (environnement de taux d’intérêt bas, signaux de ralentissement de l’activité, perception du risque géopolitique, etc.).
De plus, la contrepartie d’une stratégie de hausse des IDE chinois serait probablement synonyme d’une décélération des exportations chinois. La transition souhaitée par les autorités d’un modèle économique chinois, non plus basé sur l’investissement dans les infrastructures et les exportations au profit d’un renforcement de la consommation privée, est loin d’être finalisée. Au contraire, les exportations jouent actuellement un rôle pivot et sont venues à la rescousse pour porter la croissance économique au premier semestre 2024, pour combler l’essoufflement de la demande interne.
Par ailleurs, une telle stratégie d’expansion à l’étranger semble en contradiction avec les objectifs de la stratégie « Circulation Duale », qui vise à s’appuyer davantage sur le marché domestique et à assurer une hausse des revenus de la population. Or, cette politique de hausse des IDE se ferait au détriment du marché domestique et aurait tendance à accroitre les tensions sur le marché de l’emploi. En outre, cela accentuerait le recul de l’excédent courant chinois et serait également contradictoire avec la volonté de la Chine de s’affirmer comme un champion à l’export des hautes technologies, si jamais une partie de celles-ci sont délocalisées.
Depuis 2021, la réorganisation des chaines de valeur internationale est en marche et la Chine tire à ce stade son épingle du jeu en conquérant des parts de marché. La montée languissante du protectionniste la force à innover et il sera intéressant d’observer dans les mois à venir si la Chine se situe à la croisée des chemins et que la hausse de ses IDE correspond bel et bien à une nouvelle stratégie à moyen / long terme. Difficile de se faire une idée claire au vu des autres défis majeurs auxquels l’économie chinoise est confrontée et des incohérences que poserait une telle stratégie. A suivre !
[1] Mais également dans d’autres régions comme l’Afrique du Nord avec le cas emblématique du Maroc ou encore l’Asie du Sud avec le Pakistan.
[2] Dans un contexte de marchés financiers chinois tancés par le prolongement crise immobilière ou encore de perception à la hausse des risques (ralentissement de l’activité, faiblesse des profits industriels des entreprises étrangères, dégradation du climat des affaires, etc.).