Pays Pauvres et Pression Fiscale (Partie 1)
Les déterminants de la pression fiscale dans les pays à faibles revenus
Résumé :
· Les ressources domestiques représentent aujourd’hui un élément majeur du développement économique des pays à faibles revenus (PFR) et seront amenées à jouer un rôle croissant au cours des prochaines années, notamment via le financement des ambitieux SDGs (Sustainable Development Goals) récemment définis par la communauté internationale.
· Ces ressources apparaissent d’autant plus importantes que les budgets d’aide au développement des pays donateurs se resserrent dans un contexte de « crise des finances publiques » et de renforcement des fonds alloués au secteur de la défense (notamment dans les pays récemment touchés par les attaques terroristes).
· Par conséquent, de nombreuses initiatives visant à améliorer la pression fiscale dans les PFR ont récemment été lancées. S’appuyant sur une littérature importante, elles visent à créer un environnement propice à la mobilisation fiscale.
· Le taux d’ouverture commerciale, le niveau de développement, la composition sectorielle de l’économie et la qualité du cadre institutionnel représentent les principaux facteurs permettant d’expliquer les différences inter-pays en termes de taxation.
« The importance of public revenue to the underdeveloped countries can hardly be exaggerated if they are to achieve their hopes of accelerated economic progress » (Kaldor, 1962). Depuis plus de 50 ans et cette citation de Nicolas Kaldor, les bailleurs financiers internationaux et les pays en développement (PED) n’ont cessé de marteler que la fiscalité et la capacité à collecter les ressources domestiques représentaient l’un des piliers fondamentaux du développement économique et social. Cependant, au sein des débats sur le financement du développement, ce sujet, bien qu’important, s’est souvent vu éclipsé par d’autres portant sur l’efficacité de l’aide, l’accumulation des dettes extérieures, où les transferts de fonds de migrants depuis les économies avancées.
Même si l’importance des revenus domestiques a été largement établie en 2002 lors de la conférence sur le financement du développement de Monterrey, une grande partie des actions jusqu’alors entreprises se sont en effet focalisées sur l’efficacité de l’aide dans les pays bénéficiaires et sur les mesures à adopter pour réduire le fardeau de la dette des pays pauvres très endettés. Néanmoins, au fur et à mesure des années, le problème de la mobilisation des ressources domestiques dans les PED a gagné en notoriété jusqu’à tenir les premiers rôles au sein du AAAA (Addis-Ababa Action Agenda) définit à la suite de la conférence sur le financement du développement qui s’est déroulée dans la capital Ethiopienne en juillet dernier.
Cependant, une première approche nécessaire à adopter avant de rentrer dans le détail des propositions visant à améliorer la pression fiscale dans les PFR et notamment dans ceux d’Afrique sub-Saharienne (ASS), est d’en identifier les déterminants économiques, sociaux, et politiques.
Niveau de développement et composition sectorielle
Bien que les questions portant sur la mobilisation des ressources domestiques bénéficient actuellement d’une plus grande exposition médiatique et suscitent un regain d’intérêt de la part des décideurs politiques, de nombreuses études apparues depuis les années 70 visent à identifier les déterminants de ces ressources au sein des PFR. Cette littérature, grandissante au cours des années 90, a ainsi permis de définir les principaux caractéristiques expliquant les différences entre pays en termes de taxation.
Un des premiers déterminants de la pression fiscale avancé par les études de Lotz and Morss [1967], Bahl [1971], Chelliah and al. [1975], Tait and al. [1979], and Leuthold [1991] a été le niveau de développement, approximé dans ces travaux par la valeur du PIB par habitant. La plupart de ces études ont montré que le niveau de taxation était positivement corrélé au revenu par habitant (Cf. graphique 1 ci-dessous) confirmant ainsi la loi de Wagner selon laquelle la demande de services publiques serait élastique (réagirait proportionnellement et de façon assez importante) au revenu, reliant ainsi le besoin de financement de ces prestations publiques (et donc de ressources domestiques supplémentaires) au niveau de revenu individuel.
Graphique 1 : Recettes fiscales et niveau de développement
Note : Toutes les observations au sein des graphiques de cet article sont des moyennes calculées pour chaque pays sur la période 1990-2012. L’échantillon d’étude comprend les pays définis comme pays à faible revenu (LIC) ou à faible revenu intermédiaire (LMIC) par la Banque Mondiale.
Sources : BSI Economics. Données FMI, WDI. Calcul de l’auteur.
En parallèle du niveau de développement, d’autres études ont exposé que le degré d’ouverture commerciale pouvait également expliquer les disparités fiscales au sein des PED (Burgess and Stern [1993], Agbeyegbe and al. [2006], Khattry and Rao [2002], Baunsgaard and Keen [2010]). Historiquement, les revenus douaniers ont toujours représenté une manne financière importante pour ces pays du fait de la facilité d’identifier les transactions aux frontières et d’en prélever un impôt. Néanmoins d’importantes barrières douanières, bien que génératrices de revenus, représentent également un obstacle à l’échange pouvant potentiellement conduire à une réduction du volume total des transactions, diminuant in fine l’ensemble des recettes douanières. Dans les faits, le Consensus de Washington adopté à la fin des années 80 prônant l’abaissement de ces barrières tarifaires a contribué à réduire l’impôt collecté par unité échangée. Cependant, cette libéralisation commerciale a également permis d’intensifier les échanges pour les PED (et donc le nombre de transactions imposables), compensant dans certaines situations la perte de recettes douanières par unité échangée due à l’abaissement des droits de douane. Mais dans les cas contraires, certaines études ont également montré que la baisse des recettes liées aux activités commerciales contraignait les pays dépendants de ces revenus à chercher d’autres sources de taxation permettant ainsi d’accroitre le niveau d’impôts prélevés sur les revenus, le patrimoine, les bénéficies d’entreprises, ou encore sur la valeur ajoutée.
Si le niveau de développement et le taux d’ouverture commerciale constituent deux des plus importants déterminants de la pression fiscale dans les PED, d’autres indicateurs contribuent également à la définition de la frontière fiscale de ces pays. Plusieurs travaux empiriques ont en effet démontré que la composition sectorielle de l’économie pouvait aussi expliquer l’évolution des recettes fiscales. Gupta en 2007 montre ainsi que les pays encore très dépendants de l’agriculture parviennent difficilement à lever des taxes. Cela s’explique par l’importante exonération de TVA sur les biens agricoles (Chambas 2005) et par la difficulté d’identifier et de soumettre les contribuables agricoles à l’imposition, compte tenu notamment du caractère relativement informel de l’agriculture dans les pays à faibles revenus. En revanche, une importante part du secteur industriel au sein de l’économie permet d’enregistrer un niveau plus élevé de recettes fiscales du fait que ces activités sont le plus souvent de grande envergure, assurées par un nombre limité d’entreprises qui sont donc facilement identifiables, ce qui permet de prélever l’impôt sans grande difficulté.
De plus, au sein des PED et notamment de ceux d’Afrique sub-Saharienne, le secteur industriel inclut quelques grandes entreprises opérant dans le secteur des ressources naturelles (lorsque le pays en question en est doté). Dans ce cas, la manne financière est d’autant plus importante que ces ressources naturelles sont généralement exportées. En outre, les bénéfices qui en découlent sont manifestes et lorsque l’exploitation de ces ressources n’est pas assurée par une entreprise privée, elle l’est par une entreprise d’Etat dont les bénéfices vont directement alimenter le budget du gouvernement. Cependant, une dépendance trop accrue des revenus provenant de l’exploitation des ressources naturelles peut également conduire à un désengagement de l’Etat sur les autres formes de taxes, exposant in fine les recettes publiques aux fluctuations du prix des matières premières et donc le budget de l’Etat à de potentiels chocs extérieurs fortement imprévisibles. Le graphique 2 ci-dessous corrobore les conclusions des études de Bornhorst et al. [2009], Thomas and Trevino [2013], et Crivelli and Gupta [2014]) exposant que les pays fortement dotés en ressources naturelles sont également ceux qui enregistrent le plus faible taux de taxation (hors revenus issus de l’exploitation de ces ressources) parmi les pays en développement.
Graphique 2 : Recettes fiscales et importance du secteur des ressources naturelles
Sources : BSI Economics. Données FMI, WDI. Calcul de l’auteur.
L’importance du secteur informel et du cadre institutionnel
Par la suite d’autres travaux ont mis en lumière l’importance des facteurs démographiques dans l’explication du niveau de prélèvement fiscal au sein de ces économies. Bien qu’étudiés pour la première fois par Bolnick en 1978, quelques articles relativement récents (Madhavi [2008], Mkandawire [2010]) ont ajouté à la liste des déterminants de la pression fiscale dans les PED, la densité de la population, le taux d’urbanisation et enfin le ratio de dépendance. Intuitivement, il est assez logique d’observer de moindres recettes fiscales dans les pays où la population est extrêmement dispersée et où la collecte de l’impôt se révèle couteuse et peu efficace. Cependant, une concentration importante de la population dans les PED peut également conduire à un accroissement du secteur informel qui le plus souvent échappe à l’imposition (du moins à l’imposition directe) et contribue à l’érosion de l’assiette fiscale. Cependant, d’après les études de Khattry and Rao [2002] et de Thomas and Trevino [2013], il semblerait qu’une urbanisation accrue, bien que favorisant le développement d’activités informelles, tende néanmoins à impacter positivement les recettes fiscales dans les pays en développement (Cf. Graphique 3 ci-dessous).
Graphique 3 : Recettes fiscales et urbanisation
Sources : BSI Economics. Données FMI, WDI. Calcul de l’auteur.
Du côté des facteurs politiques et institutionnels, un nombre imposant de travaux a finalement souligné le rôle prépondérant joué par la qualité des institutions et donc de la gouvernance sur la mobilisation des ressources domestiques (Tanzi and Davoodi (1998), Ghura (1998), Teera and Hudson (2004), Gupta (2007), Madhavi (2008), Bird and al. (2008), Bornhorst and al. (2009), Thomas and Trevino (2013)). De façon assez intuitive, un gouvernement efficace et bienveillant parvient à prélever davantage de ressources domestiques qu’un Etat empreint d’une forte corruption et faiblement impliqué dans le respect des lois fiscales de son pays. Graphiquement, nous observons ainsi une relation positive entre le niveau de taxes collectées et l’indice CPIA se concentrant sur le degré de transparence, de responsabilité et de contrôle de la corruption au sein du secteur publique (cf. Graphique 4 ci-dessous).
Graphique 4 : Recettes fiscales et prévalence de la corruption
Sources : BSI Economics. Données FMI, WDI. Calcul de l’auteur.
Conclusion
Toutes ces études ainsi que d’autres non-citées ici ont donc permis de mieux comprendre comment la fiscalité fonctionnait dans les PED et notamment dans ceux d’Afrique sub-Saharienne. De plus l’identification des déterminants propres à la mobilisation des ressources domestiques dans ces pays a également permis aux décideurs politiques de modeler leur réformes fiscales en les adaptant au contexte particulier de leur pays. Mais qu’en est-il vraiment des performances fiscales des PED et de ceux d’Afrique sub-Saharienne ? A-t-on observé un accroissement significatif des ressources domestiques dans ces pays ? Un bref état des lieux de l’évolution de ces revenus au sein des pays d’ASSsur la dernière décennie est proposé dans la seconde partie de cet article pour mieux comprendre où ces pays se situent et mesurer le chemin qui leur reste à parcourir.
Bibliographie
Lotz, J. R. and Morss, E. R. (1967). Measuring « tax effort » in developing countries. Staff Papers, International Monetary Fund, pages 478-499.
http://www.jstor.org/stable/3866266?origin=pubexport
Bahl, R. W. (1971). A regression approach to tax effort and tax ratio analysis. Staff Papers, InternationalMonetary Fund, pages 570-612.
http://www.jstor.org/stable/3866315?origin=pubexport
Chelliah, R. J., Baas, H. J., and Kelly, M. R. (1975). Tax ratios and tax effort in developing countries,1969-71. Staff Papers, International Monetary Fund, pages 187-205.
http://www.jstor.org/stable/3866592?origin=pubexport
Tait, A. A., Grätz, W. L., and Eichengreen, B. J. (1979). International comparisons of taxation for selecteddeveloping countries, 1972-76. Staff Papers, International Monetary Fund, pages 123-156.
http://www.jstor.org/stable/3866567?origin=pubexport
Leuthold, J. H. (1991). Tax shares in developing economies a panel study. Journal of development economics,
35(1):173-185.
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/0304-3878(91)90072-4
Burgess, R. and Stern, N. (1993).Taxation and development. Journal of economic literature, pages 762{830.
Agbeyegbe, T. D., Stotsky, J., and WoldeMariam, A. (2006). Trade liberalization, exchange rate changes,and tax revenue in Sub-Saharan Africa. Journal of Asian Economics, 17(2):261-284.
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1049-0078(06)00015-7
Khattry, B. and Rao, M. J. (2002). Fiscal faux pas? An analysis of the revenue implications of tradeliberalization. World Development, 30(8):1431-1444.
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0305-750X(02)00043-8
Baunsgaard, T. and Keen, M. (2010). Tax revenue and (or?) trade liberalization. Journal of PublicEconomics, 94(9):563-577.
http://www.imf.org/external/pubs/cat/longres.aspx?sk=18252
Gupta, A. S. (2007). Determinants of tax revenue efforts in developing countries. International MonetaryFund.
http://www.imf.org/external/pubs/cat/longres.aspx?sk=21040
Bornhorst, F., Gupta, S., and Thornton, J. (2009). Natural resource endowments and the domestic revenue
effort. European Journal of Political Economy, 25(4):439-446.
http://www.imf.org/external/pubs/cat/longres.aspx?sk=22115
Thomas, M. A. H. and Trevino, M. J. P. (2013).Resource Dependence and Fiscal Effort in Sub-SaharanAfrica. Number 13-188. International Monetary Fund.
Crivelli, E. and Gupta, S. (2014). Resource blessing, revenue curse?Domestic revenue effort in resource-richcountries. European Journal of Political Economy, 35:88-101.
http://www.imf.org/external/pubs/cat/longres.aspx?sk=41205
Bolnick, B. R. (1978). Demographic effects on tax ratios in developing countries. Journal of developmenteconomics, 5(3):283-306.
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/0304-3878(78)90032-9
Mahdavi, S. (2008). The level and composition of tax revenue in developing countries: Evidence fromunbalanced panel data. International Review of Economics & Finance, 17(4):607-617.
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1059-0560(08)00002-6
Mkandawire, T. (2010). On tax efforts and colonial heritage in Africa. The Journal of Development Studies, 46(10):1647-1669.
http://www.framtidsstudier.se/wp-content/uploads/2011/01/20100909124338filLOoq1WlW53k34oag3KWn.pdf
Tanzi, V. and Davoodi, H. (1998). Corruption, public investment, and growth. Springer.
http://www.imf.org/external/pubs/cat/longres.aspx?sk=2353
Ghura, M. D. (1998). Tax Revenue in Sub-Saharan Africa.Effects of Economic Policies and Corruption(EPub). Number 98-135. International Monetary Fund.
Teera, J. M. and Hudson, J. (2004). Tax performance: a comparative study. Journal of InternationalDevelopment, 16(6):785-802.
http://hdl.handle.net/10.1002/jid.1113
Bird, R. M., Martinez-Vazquez, J., and Torgler, B. (2008). Tax effort in developing countries and high income countries: The impact of corruption, voice and accountability. Economic Analysis and Policy,38(1):55.