Résumé
– A l’heure où les BRICS, à l’exception de la Chine, connaissent un ralentissement de leur croissance et font preuve d’une certaine vulnérabilité, un intérêt commence à poindre concernant les « nouveaux émergents ». Focus sur ces potentiels exceptionnels.
– Malgré des profils différents, trois puissances démographiques aux ressources naturelles considérables sortent du lot : l’Indonésie, le Nigéria et le Mexique.
– En dépit de l’actuelle crise institutionnelle turque et des tensions sécuritaires causées par la guérilla colombienne, la Turquie et la Colombie ont également un potentiel de croissance substantiel.
– Malgré leurs faiblesses en termes d’infrastructures, de gouvernance, et, pour certains, de spécialisation exacerbée de leur économie, ces cinq pays ont tous les atouts pour devenir les BRICS de demain.
Bien que le concept de BRIC, apparu sous la plume de Jim O’Neill de Goldman Sachs dès 2001 et devenu BRICS dix ans plus tard avec l’ajout de l’Afrique du Sud, soit désormais plus qu’imparfait face à l’hétérogénéité de ses membres, celui-ci a regroupé pendant près d’une décennie la nouvelle génération de pays « émergents », censés prendre le relai des pays avancés. La littérature économique s’est alors énormément penchée sur le sujet. Les publications traitant du potentiel et des modèles de développement brésilien, indien, russe et, surtout, chinois sont légions. La distinction commune a alors été « pays avancés- pays émergents (BRICS)- pays en développement », sans réelle distinction entre les pays en développement.
Toutefois, ces BRICS, à l’exception notable de la Chine, ont affiché une certaine fragilité au cours de l’année 2013, notamment suite aux annonces de la FED en mai. La déclaration d’intention de Ben Bernanke, alors président de la FED, de réduire le rythme des rachats de Bons du Trésor américain (qui entraînerait une hausse de leur rentabilité et donc une baisse relative de celle des placements dans les pays émergents) avait entraîné d’importantes fuites des capitaux dans ces pays. La conjugaison du ralentissement de leur croissance, qui semble durable, des tensions sociales et de la baisse relative de la rentabilité des investissements dans ces pays a donc entraîné cette fuite des capitaux, et in fine une dépréciation brutale de leurs monnaies. Aussi, les investisseurs recherchent de nouveaux Eldorados, et un intérêt commence à poindre concernant les « nouveaux émergents », ces pays qui tireront la croissance mondiale dans les vingt prochaines années. Des « Next Eleven » aux « BENIVM », les acronymes se multiplient, et les membres de ce nouveau club des émergents divergent selon les analystes, compte tenu des fragilités et des incertitudes qui pèsent sur ces pays.
Avant toute chose, il semble primordial d’établir les atouts indispensables à l’accession d’un pays au statut d’ « émergent ». Ceux –ci varient, selon les papiers. Quatre caractéristiques semblent néanmoins primordiales : une population importante et dynamique, une croissance durable et, surtout, bien supérieure au taux de croissance démographique au cours des cinq prochaines années, un système financier développé et solide et des comptes publics assainis permettant une marge de manœuvre budgétaire
Sans toutefois prétendre en faire une liste exhaustive, cinq pays semblent réunir tous les critères pour être les « nouveaux émergents » de demain : l’Indonésie, le Mexique, le Nigéria, la Turquie et la Colombie. Focus sur ces potentiels futurs géants aux pieds d’argile.
L’Indonésie, géant démographique imperméable au ralentissement de l’économie mondiale
L’Indonésie, parfois intégrée même aux BRIICS, connaît une forte croissance, qui devrait perdurer, à hauteur de 6% par an (pour un taux de croissance démographique inférieur à 1,5%) à l’horizon 2020. Le pays est un des seuls à ne pas avoir souffert de la crise mondiale (+4,6% de croissance en 2009, année de récession dans les économies avancées), preuve de sa résilience. Celle-ci s’explique essentiellement par sa faible ouverture, et sa faible exposition à la conjoncture des pays occidentaux. Ses exportations représentaient ainsi moins du quart de son PIB en 2013, et étaient majoritairement (70%) destinées au continent asiatique. Par ailleurs, l’Indonésie possède des ressources naturelles exceptionnelles lui permettant d’avoir une offre extrêmement diversifiée : pétrole, gaz, charbon, cuivre, mais également textile, électronique, caoutchouc et un tourisme croissant.
Cette faible exposition s’explique, en outre, par le très important marché intérieur indonésien. Avec près de 250 millions d’habitants, le marché indonésien représente un débouché extrêmement important et en pleine expansion. Plus de 1,7 millions d’automobiles devraient ainsi être vendus en Indonésie, à l’horizon 2020. Aussi, la consommation des ménages est le principal moteur de l’économie et tire la croissance de secteurs comme les transports ou les communications. L’investissement privé, dont le taux de croissance annuel avoisine les 10%, est également particulièrement dynamique, notamment dans le secteur de la construction. Bien capitalisé et peu risqué, le secteur bancaire, dont l’offre de crédit au secteur privé croît fortement (+26% en 2012), soutient ce dynamisme. Enfin, la population en âge de travailler continuera de progresser à moyen terme, 45% de la population ayant moins de 25 ans.
Toutefois, les faibles niveaux de dépenses publiques d’éducation (2% du PIB en 2013) et d’investissement (3% du PIB) pourraient représenter un frein à l’émergence définitive du pays. Le manque d’infrastructures, tant routières que portuaires (l’archipel compte plus de 10 000 îles), est un obstacle certain à un développement encore plus important. A ce sujet, le World Economic Forum a classé le pays à la 78èmeplace sur 144, derrière le Sri Lanka ou la Thaïlande. Enfin, la roupie indonésienne s’est dépréciée de plus de 20% depuis les annonces de la FED en mai 2013, qui ont dévoilé sa relative fragilité. L’affirmation de l’économie indonésienne ne devrait néanmoins pas être, pour autant, remise en cause.
L’inéluctable ascension du Nigéria, entre or noir et potentiel de consommation
Pays le plus peuplé d’Afrique, avec plus de 170 millions d’habitants, dont 70% ont moins de 40 ans, le Nigéria est incontestablement, face au ralentissement sud-africain, un des pays les plus dynamiques du continent avec l’Angola, le Mozambique ou l’Ethiopie, dont la taille des économies n’est cependant pas comparable. Forte de ressources gazières et pétrolières considérables, le PIB nigérian croît à un taux annuel moyen tutoyant les 7%, soit un rythme bien supérieur à celui de sa population, estimé entre 2,5% et 3%. Le Nigéria possède les plus grandes réserves de pétrole d’Afrique. Le pétrole nigérian est particulièrement prisé par les raffineries américaines, si bien que 40% des exportations du pays sont à destination des USA.
A l’image de l’Indonésie, la population nigériane, et notamment la classe moyenne grandissante, représente une masse considérable de consommateurs qui tire l’économie et lui offre l’opportunité de se diversifier. Ainsi, les secteurs des télécommunications (+34% par an), des services (dont le taux de croissance annuel dépasse les 10% et la part dans le PIB tutoie les 30%), en particulier dans la distribution et la finance, et du commerce (+14% par an) sont en pleine expansion. Les subventions publiques à l’investissement dans les secteurs non-pétroliers illustrent la volonté des autorités de favoriser cette diversification. En outre, le système bancaire nigérian, développé et assaini depuis les réformes de 2009 ayant permis de lutter contre la corruption et de recapitaliser les banques en grande difficulté, est désormais en mesure de soutenir cet effort par une offre de crédit croissante. Par ailleurs, bien qu’actuellement relativement inexploité, le potentiel agricole du Nigéria est immense, 80% du territoire étant en terres cultivables et très fertiles. A cet égard, un des objectifs annoncés par les autorités est le doublement de la production de cacao, dont le pays est le 4èmeproducteur mondial.
Le pays est le premier bénéficiaire d’IDE sur le continent (20%), étant également le premier destinataire des IDE français en Afrique sub-saharienne. Les investissements de portefeuille, plus volatils, ne représentant qu’une faible partie des investissements (23%) contrairement à l’Afrique du Sud où ils sont prépondérants, le Nigéria est bien moins vulnérable aux mouvements brutaux de capitaux. Ceux-ci ne sont, en outre, pas nécessairement destinés au secteur pétrolier. Les IDE chinois sont ainsi notamment ciblés sur les télécommunications (où les sociétés sud-africaines sont également très présentes), l’énergie ou les transports, et les entreprises de BTP chinoises participent énormément au développement des infrastructures du pays.
Sans pour autant remettre en question son émergence qui semble inéluctable, des incertitudes pèsent sur le Nigéria. La population est notamment composée d’environ 200 ethnies différentes et est en proie aux tensions interreligieuses. Par ailleurs, la corruption reste endémique et les inégalités extrêmement fortes. La réussite du processus de diversification de l’économie, dont le pétrole représente près de 80% des exportations, sera déterminante à moyen terme, notamment dans la perspective d’une probable indépendance énergétique des Etats-Unis à l’horizon 2025.
Le Mexique vers une croissance durable, dans le sillage de la résilience américaine
En dépit de l’inconstance de sa croissance depuis les années 2000, le Mexique possède d’indéniables atouts qui le rendent incontournable dans l’évocation des « nouveaux émergents ». A l’instar de l’Indonésie et du Nigéria, sa masse démographique, d’environ 117 millions d’habitants, est considérable. En outre, par sa position géographique et son appartenance à l’ALENA, le Mexique est un partenaire privilégié des Etats-Unis, si bien que le marché américain représente 78% des exportations du pays. Par ailleurs, les transferts de migrants mexicains vivant aux Etats-Unis sont une manne substantielle, et les « maquiladoras », zones franches d’assemblage de pièces où se concentrent de nombreuses entreprises américaines, à la frontière nord, emploient plus d’un million de personnes.
Cette forte dépendance vis-à-vis de la conjoncture américaine peut s’avérer néfaste lorsque cette dernière se dégrade, comme en 2009 où l’activité productive, et notamment automobile, s’est écroulée. Toutefois, la notable reprise économique dont fait actuellement preuve l’économie américaine, qui affiche des indicateurs nettement meilleurs que l’ensemble des autres pays avancés, laisse à penser que ce lien du Mexique avec les Etats-Unis est un précieux atout. Ainsi, en 2011 la production automobile au Mexique dépassait déjà de 30% son niveau d’avant-crise. Relativement diversifiée, l’économie mexicaine allie d’importantes ressources pétrolières et aurifères et une base industrielle solide (production automobile, télécommunications, boissons, matériaux de construction). Enfin, d’importantes réformes structurelles (« Pacto por Mexico ») ont été menées par le président Nieto avec le soutien des principaux partis d’opposition. Concernant tant le marché du travail, particulièrement concerné par le segment informel, que les télécommunications, l’éducation ou la fiscalité, ces réformes devraient être porteuses de croissance, durable et stable (autour de 3,5% pour une croissance démographique de 1%), à moyen terme.
Toutefois, le Mexique, bien que possédant un tissu sectoriel diversifié, est pour le moment relativement spécialisé dans l’assemblage de pièces importées. Par ailleurs, l’offre de crédit au privé est assez faible, à hauteur de 25% du PIB, lorsque comparée au Brésil (50%), au Chili (90%) et à la Chine (plus de 100%). Cette frilosité des banques mexicaines, pourtant solides, dont pâtissent tout particulièrement les PME s’explique par la crise économique de 1994-1995. Le boom de crédit au secteur privé (+25% par an à cette période) avait alors exercé de fortes pressions inflationnistes et fragilisé l’économie qui était ensuite entrée en crise suite à la dévaluation soudaine du peso. Aussi, la montée en gamme de la production mexicaine et le financement de l’investissement seront des enjeux importants pour le pays.
Le dynamisme du secteur privé turc à l’épreuve de la crise politique
Les annonces de la FED, en mai dernier, et les révoltes populaires contre le premier ministre Erdogan, depuis juin, ont fait trembler la Turquie et ont également révélé la vulnérabilité de sa monnaie, dont la valeur s’est dépréciée de plus de 20% sur la période. Cependant, sous condition de ne pas s’enliser dans une crise politique profonde et durable, le pays a toutes les cartes en main pour faire partir des nouveaux émergents.
Le secteur privé turc est extrêmement dynamique et diversifié. Ainsi, le secteur industriel est particulièrement compétitif dans la production automobile et de biens de consommation durable. Les services, dont le développement est soutenu par la forte consommation domestique, représentent 62% du PIB, soit un niveau supérieur à la Chine (43%), la Russie (59%) ou le Mexique (60%). La vitalité démographique turque, un quart des 76 millions d’habitants ayant moins de 14 ans, est un atout considérable pour le pays, dont la classe moyenne représente désormais près de 60% de la population. L’investissement privé et la consommation, moteurs de la croissance turque, sont largement financés par le secteur bancaire turc, assaini depuis les réformes de 2002.
Cependant, à cet égard, l’endettement des entreprises dépasse le seuil des 100% du PIB, et sera donc une variable à surveiller. De plus, le déficit courant structurellement élevé, autour de 7% du PIB, accroît la vulnérabilité du pays aux financements étrangers. La volatilité des investissements étrangers en Turquie, car essentiellement de court terme, a ainsi été à l’origine de la dépréciation de la lire en 2013. Ce déficit courant s’explique par la dépendance énergétique du pays, vis-à-vis du gaz russe et iranien, et de la faible épargne des ménages, qui consomment donc ou thésaurisent en raison de l’importance du secteur informel, estimée à un quart de l’économie. L’issue de la crise politique que traverse actuellement le pays déterminera ses perspectives économiques, et in fine son émergence, pour les prochaines années.
Colombie, discrète émergence entre ressources naturelles, démocratie et classe moyenne
Rarement mise en lumière comparativement aux quatre pays traités précédemment, l’économie colombienne, dont le PIB est comparable à celui de l’Afrique du Sud, possède pourtant un potentiel de croissance considérable. Et ce d’autant plus depuis les avancées, au cours des derniers mois, dans les négociations de paix entre la guérilla et les autorités colombiennes. Parmi les rares pays à être ouverts sur deux océans, la Colombie bénéficie d’une position géographique privilégiée, favorisant particulièrement les échanges commerciaux.
Le pays possède d’importantes ressources agricoles (café, fleurs, bananes), minérales (charbon, or, cuivre, fer,..) et, surtout, pétrolières (40% de ses exportations). Sa population, bien qu’inférieure à celle des autres nouveaux émergents, est relativement importante (47 millions d’habitants) et, surtout, plus de 70% d’entre elle appartient à la classe moyenne. Aussi, à l’instar des autres pays évoqués, la consommation y est dynamique et permet de soutenir le développement du secteur privé, dont les investissements sont largement financés par le système bancaire. Par ailleurs, les flux d’IDE, investissements dits « durables », sont particulièrement importants en Colombie, dans le secteur minier (pétrole) qui en concentre les deux tiers, mais également dans des secteurs aussi divers que l’automobile, les cosmétiques, le textile ou l’agro-industrie. A cet égard, la relative détente dans les relations avec la guérilla devrait permettre un rebond de l’investissement minier et de la production pétrolière, particulièrement sensibles à la situation sécuritaire en Colombie. Les gisements de pétrole colombiens, étant situés à terre, sont bien plus exposés aux attaques que les gisements offshores.
Le déficit d’infrastructures, tant routières que portuaires, est toutefois susceptible d’entraver l’émergence du pays. Dans cette optique, le gouvernement colombien a lancé en 2012 et 2013 plusieurs projets de grande envergure, avec le soutien financier de la Banque Interaméricaine de développement (IBRD), afin d’améliorer et développer son réseau routier et maritime. Par ailleurs, la part de l’économie informelle est très importante, et estimée à 45% du PIB, soit un niveau bien supérieur à la Turquie. Les incitations à la déclaration des revenus mises en place par les autorités devraient néanmoins produire rapidement des effets positifs à cet égard. L’issue des négociations de paix entre la guérilla et le gouvernement et l’évolution de la situation sécuritaire représentent l’enjeu majeur pour l’émergence de la Colombie.
Conclusion
L’Indonésie, le Nigéria, le Mexique, la Turquie et la Colombie possèdent des atouts considérables, qui devraient leur permettre de poursuivre leur émergence et prendre le relai des BRICS pour tirer la croissance mondiale. Tant par leur formidable potentiel démographique, le développement de leur classe moyenne, le dynamisme de leur secteur privé que par leurs ressources naturelles exceptionnelles, ces pays ont toutes les cartes en main pour devenir les géants de demain.
Toutefois, l’émergence d’un pays est nécessairement porteuse de tensions, notamment politiques et sociales, pouvant déstabiliser durablement une économie. Par ailleurs, la diversification de l’économie et leur montée en gamme seront nécessaires afin de les rendre moins vulnérables, tant aux cours des matières premières qu’à l’épuisement de leurs ressources, et de leur permettre d’être davantage créatrices de valeur ajoutée. Ces nouveaux émergents, à l’image de l’essentiel des pays en développement, connaissent un déficit d’infrastructures et des problèmes persistants de gouvernance, notamment d’une forte corruption. D’importants efforts ont néanmoins été réalisés par les autorités afin d’y remédier, comme en Colombie ou au Mexique. Aussi, l’émergence définitive de ces géants en devenir semble imminente.
Bibliographie :
Kathryn Koch, « Après les BRICS, voici les « Next Eleven », juin 2012
Laurence Daziano, « Pays émergents : après les BRICS, l’essor des BENIVM », février 2013
Céline Jeancourt-Galignani , « Colombie, nouvel eldorado pour les investisseurs, notamment français », mai 2011
Laurent Kretz, « L’Afrique sub-saharienne en 2013 : quels développements ?»
Publications économiques COFACE
Julien Moussavi et Samuel Delepierre, « Après les BRICS, quels autres pays prometteurs ? », BSI Economics, février 2014 .