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2025, l’année de tous les dangers pour les cryptomonnaies en France ? (Note)

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En France, le secteur des cryptomonnaies[1], dont le lancement intervient en 2017 avec la phase haussière du Bitcoin en 2017, a réellement pris son essor en 2019 avec la loi PACTE[2] avec la création de l’enregistrement et l’agrément[3]pour les prestataires de services d’actifs numériques (PSAN) avant de se renforcer en 2020 et 2021. Aujourd’hui, la France compte plus d’une centaine de PSAN[4]. La place de Paris est à ce titre en Europe continentale la plus développée en matière de cryptoactifs.

Ceci n’est pas étranger au fait que l’écosystème peut compter sur un soutien, voire une forme de bienveillance de la part des autorités de régulation (AMF, ACPR). Ce soutien s’est notamment traduit par le choix de la plateforme de cryptomonnaies Binance, longtemps courtisée par ces mêmes autorités, de choisir la France comme quartier général européen en 2022[5]. Les représentants d’intérêt comme l’ADAN (Association pour le développement des actifs numériques)[6] ou la Ligue pour la cybersécurité dans le Web 3 (LCW3)[7] témoignent également de l’effort de coopération entre l’écosystème et les autorités.

Néanmoins, malgré ces points forts, l’évolution du cadre réglementaire relatif aux cryptomonnaies en 2025 devrait considérablement rebattre les cartes. La France et l’Europe s’apprêtent en effet à remplacer toutes les réglementations existantes par un régime européen unique, MiCA (Section A.). La Commission souhaite ainsi mettre à niveau les acteurs du secteur tout en créant un marché unique attractif (Section B.). Ceci devrait néanmoins conduire à la fuite, la faillite ou la vente d’un grand nombre de PSAN incapables de se mettre à niveau (Section C.). Les exigences de cybersécurité vont également augmenter dans le secteur, même si la finance décentralisée continuera d’échapper à tout type de réglementation (Section D.). Malgré le gain attendu en termes de confiance dans les cryptoactifs dans ce cadre, les grands établissements financiers européens ne vont pas engager ou accélérer leurs investissements dans les cryptoactifs tant qu’une monnaie de gros de banque centrale jugée totalement sûre ne sera pas disponible et que la cybersécurité des technologies ne se sera pas améliorée (Section E.). Au total, la France et l’Europe restent très bien positionnée dans la compétition à venir, mais ne devront pas baisser les bras face à une offensive américaine (Section D.).

A. Une transition vers MiCA jusqu’à l’été 2026

L’environnement des cryptomonnaies est amené à connaitre une évolution non négligeable en 2025. En effet, le règlement « Markets in Crypto-Assets » (MiCA, marchés de cryptoactifs en français), adopté en mai 2023[8], entre en vigueur à partir du 30 décembre 2024[9], après un premier volet exclusivement dédié aux stablecoins[10] le 30 juin 2024[11].

Dans ce cadre, les nouveaux venus ne pourront plus obtenir l’enregistrement ou l’agrément PSAN à partir de cette date. Ils ne pourront obtenir que la licence PSCA (prestataire de services de cryptoactifs)[12] européenne instaurée par la réglementation MiCA, puisque ce régime sera bientôt le seul en vigueur. Par ailleurs, la centaine de PSAN susmentionnée est en train de migrer ce nouveau régime réglementaire européen, très exigent. Cette migration doit se terminer au plus tard le 30 juin 2026[13], date à laquelle les établissements ne disposant pas de licence PSCA seront dans l’illégalité pour échanger des cryptoactifs.

Graphique 1 : Calendrier d’application du règlement MiCA

Cryptomonnaies

Source : AMF.

D’ici là, les PSAN peuvent emprunter plusieurs chemins. S’ils ne disposent pas de l’enregistrement renforcé proposé par l’Etat français comme passerelle vers MiCA depuis 2023[14], ni de l’agrément PSAN[15], autrement dit, s’ils ne disposent que d’un simple enregistrement, ou ne disposent d’aucun statut légal, ils devront suivre la procédure normale[16]. S’ils disposent de l’enregistrement renforcé ou l’agrément, ils peuvent en revanche faire l’objet d’une procédure simplifiée dans la mesure où l’enregistrement renforcé et encore plus l’agrément PSAN présentent des exigences réglementaires similaires au régime de PSCA[17].

B. Un règlement ciblant une mise à niveau du secteur comparable à celle du reste des activités financière, et la création d’un marché unique

Pourquoi le règlement MiCA vient-il remplacer tous les régimes européens existants en matière de cryptoactifs et de stablecoins ? Tout d’abord parce qu’il souhaite garantir chez les émetteurs de cryptoactifs et de stablecoins un niveau d’exigence financière et réglementaire comparable à celui des banques et autres établissements financiers régulés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est facile pour les établissements bancaires d’obtenir la licence PSCA.

Compte tenu de leur conformité avérée, notamment en termes de fonds propres et de liquidité, avec la réglementation européenne, un simple de système de notification leur permet d’obtenir la licence. Ce processus est bien plus léger que tous les autres.[18] Par ailleurs, le règlement MiCA permet également de créer un véritablement marché unique européen des cryptoactifs et des stablecoins, ce qui constitue une opportunité de croissance facilitée sans précédent dans le monde pour ce secteur.

Il est pour l’heure néanmoins trop tôt pour savoir si la demande européenne sera au rendez-vous. En effet, si les consommateurs n’adoptent pas massivement ces nouveaux instruments par le biais, en théorie, de nouveaux cas d’usage spécifiques au secteur, il se peut que le marché européen reste étroit, avec au passage une fuite des innovateurs vers des territoires moins régulés, comme les Etats-Unis ou l’Asie.

Néanmoins, même si les acteurs innovants ne se localisent pas en Europe, ils devront tout de même disposer d’une entité européenne pour pouvoir effectuer leurs opérations sur le continent en toute légalité. Ainsi, aucune fuite de capital européen vers d’autres territoires, liée à la consommation de cryptoactifs, ne devrait être observée dans le cadre de l’instauration de MiCA.

En revanche, si cette mise en œuvre, en raison des barrières à l’entrée qu’elle instaure, incite les acteurs économiques à investir davantage hors de l’Union européenne dans le secteur des cryptoactifs, ce sont autant d’avantages comparatifs – ici avérés –, d’emplois et de création de richesse afférentes qui ne reviendraient plus au Vieux Continent. Dans ce cadre, la Commission européenne a des incitations à réduire les exigences liées au règlement MiCA, mais ceci ne devrait pas intervenir avant un premier bilan de sa mise en œuvre, soit dans plusieurs années.

C. Une grande rationalisation à venir parmi les PSAN incapables de se mettre à niveau

Ainsi, dans le cadre de ce passage à MiCA – qui implique comme explicitée plus haut une hausse des exigences réglementaires -, des spécialistes du secteur estiment qu’une grande rationalisation aura bel et bien lieu en France[19]. Sur la centaine d’acteurs enregistrés PSAN sur le territoire national, seuls environ dix à quinze pourraient à termes obtenir la licence PSCA, dont seulement deux ou trois véritablement français, puisque sont aussi comptées les entreprises de cryptomonnaies étrangères qui ont choisi la France comme siège européen, comme Binance. Le reste est condamné à fuir, disparaitre, ou faire l’objet d’une vente.

En effet, les PSAN font actuellement face à de très grandes difficultés pour répondre aux exigences de la licence PSCA. La plupart ne sont pas du tout prêts, et n’auront probablement pas les capacités en interne pour mettre à niveau leur organisation, ne serait-ce qu’en termes d’exigences en termes de liquidité[20]. Par ailleurs, ces PSAN ont également des difficultés à collaborer avec le secteur financier traditionnel. Dans la mesure où certains PSAN n’arrivent pas à ouvrir un compte bancaire en France, ils ne peuvent en retour par exemple pas obtenir l’assurance demandée par la licence PSCA sur leurs actifs détenus[21].

D. Un contexte réglementaire qui se durcit en termes de cybersécurité, mais la DeFi restent totalement non régulée en Europe

Au-delà de MiCA, les PSAN français doivent également remplir les exigences de cybersécurité[22] qui auront valeur légale avec l’entrée en vigueur du Digital Operational Resilience Act (DORA) le 17 janvier 2025 prochain[23]. Ce règlement européen se destine à atteindre des objectifs similaires à ceux du règlement MiCA : élever le niveau de cybersécurité du secteur des cryptoactifs tout en créant un marché européen en la matière. Néanmoins, la mise à niveau induite en termes de cybersécurité constitue tout comme le règlement MiCA un coût important pour tous les acteurs du marché, et beaucoup ne sont toujours pas prêts. Après le 17 janvier, ils pourront faire l’objet de sanctions répressives s’ils ne répondent pas aux critères de DORA[24].

En revanche, pour tout un pan de l’activité liée aux cryptomonnaies, la finance décentralisée, aussi appelée « DeFi », et qui inclut toutes les activités financières tokenisées (emprunts, placements d’épargne, investissements, achats de produits dérivés, etc.) hors échange de cryptoactifs et de stablecoins, aucune réglementation n’est à l’ordre du jour au-delà du cadre existant. Jan Kerstens, chargé de ces questions au sein de la DG FISMA de la Commission européenne, a ainsi affirmé le 14 octobre 2024 à l’occasion du Forum Fintech, que l’époque avait changé et que si la Commission pouvait éviter de réguler en la matière elle le ferait[25]. Compte tenu du retour de Donald Trump à la Présidence, lui qui a prévu de faire des Etats Unis la nation numéro une en matière de cryptomonnaies, cette absence de contraintes réglementaire sur la DeFi à long-terme n’est probablement pas une mauvaise idée pour capter ou maintenir l’innovation dans l’Union européenne, tant que le secteur ne se massifie pas subitement.

E. Malgré le gain de confiant induit par MiCA, les grands établissements financiers attendent une monnaie numérique de banque centrale tokenisée et une meilleure technologie pour lancer leurs investissements dans les cryptoactifs

Enfin, une dernière tendance à garder en tête est le développement de la tokenisation des actifs du monde réel (« Real World Assets »)[26]. Pour mémoire, la tokenisation d’actifs du monde réel correspond à la création d’une représentation numérique d’un actif du monde réel, tel qu’un actif immobilier ou une obligation souveraine, afin de pouvoir l’échanger ou l’investir sur les marchés de cryptoactifs, jugés par ses promoteurs comme étant plus efficients et comptant moins d’intermédiaires que les structures traditionnelles d’échanges d’actifs.[27] Ce phénomène de tokenisation pourrait être facilité par l’instauration d’une nouvelle infrastructure d’échanges d’actifs numériques institutionnels, soutenue dans le cadre du régime pilote européen par de grands établissements financiers[28].

Néanmoins, il y a peu de chance que ce projet avance rapidement tant que la Banque Centrale Européenne (BCE) n’aura pas mis sur pied une infrastructure de base pour l’échange d’une monnaie numérique de banque centrale de gros tokenisée, qui servirait d’étalon à l’échange des cryptoactifs sur une telle plateforme institutionnelle, puisqu’il s’agirait d’un actif complètement sûr car soutenu par la banque centrale. Ceci n’est pas le cas des stablecoins, dont le risque d’effondrement de la parité n’est jamais totalement nul s’ils ne sont pas soutenus par une banque centrale qui peut les renflouer, notamment en cas de cessions massives par les consommateurs[29]. Cette monnaie numérique de banque centrale est en projet[30]. Tant qu’elle ne sera pas disponible pour le secteur financier traditionnel, le développement de produits et d’infrastructures de cryptomonnaies par ces acteurs restera très limitée.

Autrement dit, tant que les échanges tokenisés n’inspireront pas plus confiance que ceux opérant sur les infrastructures utilisées aujourd’hui, il n’y aura pas de progrès considérables dans l’adoption des cryptoactifs par une large gamme de consommateurs. C’est le rôle de la réglementation européenne et de la BCE de construire cette confiance. Et c’est aussi le rôle de l’innovation technologique, comme ce que proposent par exemple les Zero Knowledge Proofs performantes[31] qui garantissent l’anonymat des transactions sur blockchain tout en présentant un niveau de sécurité exceptionnel.

F. La France et l’Europe ont une belle carte à jouer en matière de cryptoactifs, et devront se défendre bec et ongle contre l’offensive américaine à venir

Finalement, les secteurs français et européen des cryptoactifs disposent désormais de beaucoup d’avantages pour renforcer leur position : réglementation aux standards européens et peut-être bientôt mondiaux pour les cryptoactifs et leurs infrastructures, taille de marché très conséquente, écosystème d’innovation développé, et système de soutien aux entreprises innovantes[32] – bientôt à l’échelle européenne avec le « 28ème régime pour les jeunes entreprises innovantes »[33].

Néanmoins, si la Commission et les Européens ne se tiennent pas prêts à l’offensive américaine destinée à attirer les talents du secteur, ils pourraient perdre gros à long-terme. Comme dans le cadre de la guerre commerciale à venir avec les Etats-Unis, les autorités françaises et européennes devront donc agir si le gouvernement outre-Atlantique veut porter atteinte à la croissance du secteur et du marché en Europe.

 Si nous parvenons à rester compétitifs dans ce secteur – à l’aide de subventions et/ou de barrières douanières s’il le faut –, que les Etats-Unis le sont également, et que les produits des uns et des autres sont disponibles sur les deux continents, ceci aura des répercussions positives en termes d’innovation, d’emplois et de croissance des deux côtés de l’Atlantique.

[1]  Ce terme sera utilisé dans ce texte de manière interchangeable avec « cryptoactifs » et « actifs numériques » pour parler de la même catégorie d’actifs financiers. Pour une définition précise : AMF, Qu’est-ce qu’une « cryptomonnaie » ?

[2]  AMF, Prestataire de services sur actifs numériques : le dispositif PACTE en détail, 19.12.2019.

[3]  AMF, Obtenir un enregistrement / un agrément PSAN, 09.09.2024.

[4]  AMF, Liste des PSAN enregistrés.

[5]  Le Figaro, Binance fait de la France la capitale européenne des cryptomonnaies, 04.05.2022.

[6]  ADAN, Notre mission.

[7]  LSW3, Home.

[8]  EUR-Lex, Regulation (EU) 2023/1114 on markets in crypto-assets, 31.05.2023.

[9]  AMF, Marchés de crypto-actifs ; publication du règlement européen MiCA, 12.06.2023.

[10] Un stablecoin est en général un cryptoactif assurant une parité unitaire avec une monnaie fiduciaire, via un système de réserves monétaires lui permettant de faire correspondre l’offre à la demande. Ce type de stablecoin adossé à une monnaie fiduciaire (euro et dollar essentiellement) est le seul autorisé par la réglementation européenne. Coinbase, Qu’est-ce qu’un Stablecoin ?

[11] Cryptoast, Réglementation MiCA : quel avenir pour les stablecoins dans l’Union européenne ?, 29.07.2024.

[12] AMF, Règlement MiCA : le dépôt auprès de l’AMF des demandes d’agrément comme PSCA est désormais possible, 02.08.2024.

[13]  AMF, Marchés de cryptoactifs ; publication du règlement européen MiCA, 12.06.2023.

[14]  AMF, Actifs numériques : l’AMF modifie sa doctrine sur les PSAN pour clarifier les dispositions transitoires vers l’enregistrement PSAN « renforcé », 19.07.2023.

[15]  Seul SG-Forge dispose aujourd’hui (AMF, Liste des PSAN agréés).

[16]  ACPR, Support de présentation du Forum Fintech du 14 octobre 2024, p. 29.

[17]  Ibid.

[18]  ACPR, Support de présentation du Forum Fintech du 14 octobre 2024, p. 29.

[19]  Propos anonymes recueillis à l’occasion du Forum Fintech 2024.

[20]  ACPR, Support de présentation du Forum Fintech du 14 octobre 2024, p. 15.

[21]  Revue des Professions Financières, Dans quelle mesure la sécurité et la régulation des blockchains peuvent-elles générer des coûts financiers ? 05.2023.

[22]  Ibid.

[23]  ACPR, Support de présentation du Forum Fintech 2024, p. 6.

[24]  Ibid., p. 37.

[25]  Propos recueillis à l’occasion du Forum Fintech 2024.

[26]  Cyptoast, Que sont les RWA (Real-World Assets) dans l’industrie blockchain ? 18.06.2024.

[27]  Ibid.

[28]  ACPR, Régime pilote pour les infrastructures de marché DLT, 07.04.2023.

[29]  Friedrich Naumann Foundation, Organising the Coexistence of Central Bank Digital Currencies and Private Stablecoins, 01.03.2023.

[30]  ECB, Exploratory work on new technologies for wholesale central bank money settlement.

[31]  Cryptoast, les zero-knowledge proofs (ZKP) : principes et applications, 26.01.2023.

[32]  Bpifrance, JEI – Jeune entreprise innovante.

[33]  European Commission, Political Guidelines for the Next European Commission 2024-2029, p. 7.

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