Utilité de l’article : Dans cet article, nous cherchons à identifier les acteurs du réemploi et de la réutilisation solidaire, leur rôle pour le développement d’une économie circulaire et leur modèle économique. Nous tentons de décrypter les enjeux actuels pour le développement de leur activité : la concurrence avec les marchés de l’occasion, le développement des partenariats avec les acteurs publics et privés, et la nouvelle loi économie circulaire.
Résumé
- Les principaux acteurs du réemploi solidaire identifiés dans cet article sont : Emmaüs, les ressourceries et les recycleries, les diverses structures d’insertion œuvrant pour le réemploi et la réutilisation, et certaines œuvres caritatives comme la Croix Rouge ;
- Ces acteurs ont des modèles économiques variés, mais tous sont dépendants d’un accès aux gisements de marchandises pour leur projet social et environnemental ;
- Sur cet accès, les structures de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) peuvent se retrouver en concurrence entre elles, mais surtout avec les marchés de l’occasion, dont les plateformes internet, qui peuvent capter les biens de meilleure qualité ;
- Néanmoins, les acteurs de l’ESS peuvent bénéficier de partenariats importants : les éco-organismes et les pouvoirs publics, dont les collectivités territoriales ;
- La nouvelle loi économie circulaire du gouvernement contient des mesures qui pourraient augmenter l’approvisionnement potentiel de ces structures de l’ESS ; via un accès aux déchèteries et en interdisant la destruction des produits neufs.
- Enfin, une mesure inscrit le réemploi solidaire au cœur de la responsabilité élargie des producteurs, ce qui pourrait conduire à un soutien du réemploi/réutilisation solidaire par des acteurs privés responsables de la gestion de leurs produits en fin de vie.
Un des mouvements emblématiques de l’Économie Sociale et Solidaire en lien avec l’économie circulaire, est le mouvement Emmaüs, créé en 1949 au début des Trente Glorieuses par l’abbé Pierre, qui accueille inconditionnellement des personnes en situation de précarité et leur propose de travailler autour d’activités de récupération et de réemploi (Fayard, 2019). Ainsi, les premières communautés Emmaüs se construisent autour de la récupération de matières (ferrailles et cartons), puis, avec l’avènement de la société de consommation, autour de biens d’occasion (ibidem).
En ce qui concerne les déchets, les structures de l’ESS semblent donc avoir émergé concomitamment avec la société de consommation, et donc du gaspillage, en s’emparant d’un sujet d’intérêt général alors peu pris en compte par les services publics : l’accueil des sans-abris et des plus démunis, et la lutte contre le gaspillage. En effet, historiquement, le « vagabond » et le « mendiant » sont soumis à une répression et au droit pénal, et ce n’est qu’au cours de la deuxième moitié du XXIème siècle qu’ils deviennent peu à peu sujet de droit social, pouvant bénéficier de certaines aides (Damon, 2007).
Aujourd’hui les pouvoirs publics se saisissent de plus en plus de la question du gaspillage et des déchets. La nouvelle loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire promulguée le 10 février 2020[1] va en ce sens.
Dans cet article, nous souhaitons identifier les acteurs de l’ESS en lien avec l’économie circulaire, et plus particulièrement, ceux acteurs du réemploi et de la réutilisation ; appréhender leur modèle et leur environnement économique ; et enfin, comment la progression du périmètre législatif public sur le sujet peut impacter leurs activités.
1. Les acteurs de l’ESS œuvrant en faveur du réemploi et de la réutilisation : une priorité pour la mise en place d’une économie circulaire, accompagnant un projet social
1.1 Le réemploi et la réutilisation solidaire, au croisement de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) et de l’économie circulaire.
Qu’est-ce que l’économie solidaire et sociale (ESS) ? Le concept d’ESS peut être globalement défini comme un ensemble d’entreprises dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d’utilité sociale.[2] Deux précédents articles de BSI de Liza Lizarzaburu et Myriam Dahman-Saïdi traitent de la vision polysémique de l’ESS.[3] Les activités économiques de l’ESS représentent 10% du PIB et 12,7% des emplois privés en métropole et outre-mer selon les chiffres du Ministère de l’Économie, publiés en 2016[4].
Le périmètre légal de l’ESS est défini par la loi du 21 juillet 2014 « loi Économie Sociale et Solidaire ». L’article premier définit l’ESS comme un mode d’entreprendre et de développement économique, caractérisé par une gouvernance démocratique et des bénéfices majoritairement consacrés au développement de l’entreprise, elle-même poursuivant un but autre que le partage des bénéfices. Ces organisations prennent la forme de coopératives, de mutuelles, de fondations, d’associations. Les organisations commerciales sont aussi considérées comme faisant parties de l’ESS si elles respectent les conditions précédentes et aspirent explicitement à une utilité sociale : aider des personnes en situation de fragilité, lutter contre l’exclusion et les inégalités, concourir au développement durable.
Dans cet article nous allons nous concentrer sur les acteurs de l’ESS œuvrant en faveur du réemploi et de la réutilisation solidaire, et donc de l’économie circulaire. Pour cela, nous commençons par définir le concept d’économie circulaire, puis de réemploi/réutilisation solidaire.
Le concept d’économie circulaire est aujourd’hui défini par le Ministère de la transition écologique et solidaire comme « un modèle économique dont l’objectif est de produire des biens et des services de manière durable, en limitant la consommation et les gaspillages de ressources (matières premières, eau, énergie) ainsi que la production des déchets ».[5] De façon pratique, il s’agit de réduire le gaspillage des ressources en respectant la hiérarchie des modes de traitement des déchets (réduire, réutiliser, recycler), afin de favoriser l’option la plus favorable pour l’environnement à la moins favorable. Il n’est donc pas uniquement question de recyclage.
- La hiérarchie des modes de traitement des déchets
La Directive Européenne 2008/98/CE définit un ordre de priorité des politiques de déchets en matière de prévention et de gestion des déchets, adapté dans le droit français comme :
- Prévention (dont réemploi)
- Préparation en vue de la réutilisation
- Recyclage
- Autre valorisation (dont valorisation énergétique)
- Élimination
Notamment, le réemploi est défini comme toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus (ADEME, 2015). Alors que le processus de réutilisation permet de réutiliser des produits qui sont déjà devenus des déchets. L’opération à effectuer est donc une « préparation » en vue de la réutilisation qui consiste à contrôler, nettoyer, ou réparer un objet pour être réutilisé (ibidem).
Les acteurs du réemploi et de la réutilisation solidaire sont donc des acteurs avec des activités de réemploi et de réutilisation qui rentrent dans le cadre juridique de l’ESS (exemples : but non lucratif, activité de réinsertion par l’emploi, dons aux plus démunis). Ces acteurs contribuent au développement d’une économie circulaire, en œuvrant pour les priorités du concept (réduire et réutiliser). En effet, le réemploi et laréutilisation sont définis dans la hiérarchie comme plus prioritaires en matière de protection de l’environnement que le recyclage, car moins polluantes.
- La Responsabilité Élargie des Producteurs (REP)
Une politique d’économie circulaire importante, ayant été mise en place en France pour différentes catégories de produits est l’application du principe de Responsabilité Élargie des Producteurs (REP), qui énonce que les producteurs (les metteurs en marché) sont responsables (partiellement ou totalement) du financement ou de l’organisation de la gestion des déchets issus de leurs produits en fin de vie. La première filière REP mise en place en France a été celle des emballages ménagers en 1993. Il y a en 15 aujourd’hui (exemples : objets électriques et électroniques ; textiles, linge et chaussures…).
Les producteurs choisissent la plupart du temps de s’organiser collectivement pour assurer leurs obligations autour d’éco-organismes à but non lucratif, agréés par les pouvoirs publics. Il est généralement demandé aux éco-organismes de contribuer à des objectifs de collecte, de réutilisation et de recyclage ; et, de plus en plus, de favoriser le réemploi et la réutilisation afin de respecter la hiérarchie des modes de traitement en matière de déchet. Ainsi dans le cadre de la REP, les éco-organismes vont être susceptibles de créer des partenariats de collecte avec les structures de l’ESS ou les soutenir financièrement.
1.2 Les acteurs du réemploi et de la réutilisation solidaire : qui sont-ils ?
Dans le cadre du réemploi et de la réutilisation, les structures de l’ESS permettent généralement aux consommateurs de s’équiper à un coût économique et environnemental faible, tout en favorisant l’insertion de personnes éloignées de l’emploi. Nous présentons ici les principaux acteurs de l’ESS identifiés :
- Une ressourcerie est une association[6] collectant tout type d’objet sans les sélectionner, en respectant quatre fonctions : collecter, revaloriser, redistribuer et sensibiliser (Bobel, 2019). La sensibilisation peut consister en des ateliers zéro déchet tout comme des conférences environnementales. Les ressourceries se structurent autour de chartes d’engagement portant sur l’environnement, la solidarité et la sensibilisation des citoyens à ces enjeux et sont soumises à un cahier des charges précis. Elles sont regroupées autour du Réseau des Ressourceries. Une ressourcerie est en règle générale ancrée dans un territoire (ressourcerie de quartier, village, ville), en cherchant à se placer comme partenaire de la collectivité en charge de la gestion des déchets (ONR, 2016).
A la différence d’une ressourcerie, une recyclerie se spécialise généralement dans la récupération d’une filière particulière (exemples : jouets, livres, textiles). Bien qu’il n’y ait pas de cahier des charges pour définir ce qu’est une recyclerie (Bobel, 2019), ces structures portent la plupart du temps des objectifs environnementaux et/ou sociaux.
Une ressourcerie étant une marque déposée, certaines structures s’apparentant à des ressourceries, s’appellent tout de même « recyclerie », ce terme pouvant être utilisé génériquement (ADEME, 2015).
- Les structures Emmaüs. Le mouvement Emmaüs a émergé autour des communautés Emmaüs. Le réseau Emmaüs vise en premier lieu à offrir une situation décente aux personnes en situation de précarité en leur fournissant un travail et un logement (communautés et structures d’accueil).
- Certaines organisations caritatives, comme la Croix Rouge, fournissant des biens à moindre coût ou gratuitement (ADEME, 2017).
- Des structures d’insertion[7] œuvrant pour le réemploi et la réutilisation. Ces réseaux proposent un emploi et un accompagnement professionnel à des personnes éloignées de l’emploi dans un contexte juridique encadré par une convention avec l’État (Ministère du Travail, 2020). Ces structures bénéficient d’aides publiques. Un réseau emblématique est Envie, qui collecte, répare et nettoie les appareils d’électroménager. Les ressourceries, Emmaüs et la Croix Rouge sont aussi souvent elles-mêmes des structures d’insertion et/ou en ont recours (ADEME, 2017).
1.3 Poids économique, environnemental et social de ces acteurs et modèle économique
La Tableau 1 liste les données des principaux acteurs identifiés, il est donc non-exhaustif des acteurs du réemploi solidaire présents sur le sol français.
Tableau 1 :Principaux acteurs de l’ESS identifiés comme acteurs du réemploi et de la réutilisation
Organisme |
Emplois (ETP) |
% emploi de réinsertion |
Chiffre d’affaire (lié au réemploi/réutilisation) |
Tonnes d’objets collectés |
% des tonnages utilisés en réemploi /réutilisation |
Année Et source |
Réseau des Ressourceries |
3 079 |
76% |
16,4 M€ |
40 800 |
36% |
2016 * |
Envie |
3 000 |
75% |
86 M€ |
200 000 |
2,5% |
2017*** |
Structures Emmaüs |
4 369 |
22% ° |
215 M€ |
270 000 |
47% |
2015** |
Croix Rouge Française |
130 |
55% |
15M€ |
13 000 |
32% |
2015** |
Sources : * ONR (2017) ; ** ADEME (2017) ; *** Envie (2017)
Notes : ° 22% de salariés en insertion, et 52% de compagnons[8]
ETP : équivalent temps plein
Nous distinguons deux types de ressources pour les acteurs de l’ESS :
Différentes sources de financement sont mobilisées, qu’elles soient monétaires ou « en nature » (dons d’objet). Les ressourceries ayant fortement recours à l’emploi d’insertion, sont dépendantes de l’aide à l’emploi pour leur fonctionnement (ONR, 2017). La part d’autofinancement des ressourceries (ventes, rémunérations pour prestation de collecte et de sensibilisation) oscille entre 30 et 70% (ibid.). Ces chiffres ne sont pas disponibles pour les autres structures.
Ces acteurs ont des modèles économiques variés, mais tous sont dépendants d’un accès aux gisements de marchandises, pour pouvoir mener à bien leur projet social : les revendre à bas prix (autofinancement), ou les donner. C’est donc sur cet accès que les acteurs de l’ESS peuvent se retrouver en concurrence, entre eux, mais surtout avec les marchés de l’occasion où les consommateurs vont pouvoir revendre leurs biens plutôt que les donner.
Plusieurs flux d’approvisionnement sont identifiés :
- Dons des particuliers
- Dons des entreprises et des distributeurs, dans le cadre de la REP ou non
- Déchèteries et partenariats de collecte avec les collectivités locales
Emmaüs s’approvisionne majoritairement auprès des particuliers, mais aussi dans les déchèteries et auprès d’entreprises, plus marginalement (ADEME, 2017). Les plus gros tonnages du réseau Envie se font via un partenariat avec l’éco-organisme Éco-systèmes : les enseignes de distribution sont obligées de reprendre les vieux équipements électriques et électroniques dans le cadre de la REP, et Éco-Systèmes donne accès à ces gisements à Envie. En 2013, ce flux a représenté 92% du flux d’approvisionnement du réseau Envie (ADEME, 2017). Pour Emmaüs, ces flux sont plus ponctuels (ibidem). Les ressourceries s’approvisionnent majoritairement auprès des ménages, via l’apport volontaire et l’apport sur rendez-vous, et également via les déchèteries (ONR, 2016). En comparaison, les flux d’objets provenant des professionnels sont moindres (ibidem).
2. Quelles sont les opportunités et les menaces pour le modèle économique des acteurs du réemploi solidaire ?
- Un nouveau regard sur les biens d’occasion pouvant favoriser une demande pour les biens d’occasion
Une étude de l’ADEME montre que les français sont de plus en plus concernés par leur production de déchets et que la notoriété du réemploi grandit depuis dix ans (ADEME, 2014). Ils sont de plus en plus nombreux à trouver le réemploi « à la mode » et de moins en moins nombreux à estimer que les biens d’occasion peuvent poser des problèmes d’hygiène, de qualité ou de fiabilité (ibidem). Ainsi, la demande semble propice à l’extension des activités des structures du réemploi solidaire ; et des marchés de l’occasion en général.
- Développer les partenariats avec les collectivités territoriales et les éco-organismes
Le développement des ressourceries/recycleries est favorisé par les partenariats avec les collectivités locales. Beaucoup de ressourceries ont été créées à l’initiative des collectivités territoriales dans le cadre des plans de prévention départementaux, qui peuvent prendre en charge la construction ou la réhabilitation de bâtiments mis ensuite à la disposition des ressourceries (ADEME, 2017). La collectivité a ainsi donc ici le rôle de porteur de projet, et peut inclure la recyclerie/ressourcerie dans son plan global de gestion des déchets. La structure peut également être rémunérée par la ville en tant que prestataire de collecte. Un partenariat avec la collectivité peut également permettre d’accéder à un gisement de marchandise (collecte en déchèterie, collecte sur rendez-vous ; ONR, 2016). Néanmoins, l’ONR (2017) note qu’une dépendance accrue aux marchés publics fragilisent les ressourceries, notamment en cas de non renouvellement du partenariat.
Enfin, développer des partenariats avec des éco-organismes permet de sécuriser un approvisionnement et éventuellement, un financement pour leurs activités. En effet dans le cadre de la REP, les producteurs, représentés par les éco-organismes ont la responsabilité de financer ou organiser la gestion de leurs produits en fin de vie. Dans le cadre de cette responsabilité, les acteurs du réemploi et de la réutilisation solidaire peuvent établir des partenariats avec les éco-organismes afin d’avoir accès au gisement des biens en fin de vie de ces producteurs, et des soutiens financiers.
- Baisse de la qualité des produits collectés : hypothèse d’une concurrence accrue avec les marchés de l’occasion
Le Réseau des Ressourceries (ONR, 2017) et Emmaüs France (Fayard, 2019) notent une baisse du réemploi au profit du recyclage, malgré une hausse de la collecte. Valérie Fayard, directrice générale déléguée Emmaüs France, parle d’une dégradation de la qualité des produits collectés ayant pour conséquence une baisse de la part du réemploi, qui est passée en 10 ans de 60% des tonnages à 47% aujourd’hui (Fayard, 2019). Selon elle, cette dégradation s’expliquerait par une baisse de la qualité des produits achetés d’une part (exemple : Fast Fashion) et le recours aux marchés de seconde main par les consommateurs pour les produits de plus grande qualité d’autre part. Notamment, les plateformes internet qui pourraient capter les produits de meilleure qualité (ADEME, 2017, p.111), représentent une très forte menace pour les acteurs de l’ESS selon Valérie Fayard (Fayard, 2019).
On notera une adaptation de certains acteurs de l’ESS au numérique et un développement de leurs marchés par des stratégies de diversification.Par exemple, Emmaüs développe sa boutique en ligne le Label. Le projet « Les Résilientes X Emmaüs Alternatives » vise à développer l’artisanat du réemploi (Fayard, 2019) : une approche d’upcycling par le design et la créativité. Le réseau Envie lui, développe son offre vers le petit électroménager (ADEME, 2017), ainsi que les smartphones et tablettes (Envie, 2017). Le réseau Envie se développe également sur internet, sur son propre site ou via le Bon Coin (ADEME, 2017).
- La nouvelle loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire: que peut-elle changer pour les acteurs du réemploi/réutilisation solidaire ?
- Favoriser l’accès au gisement des marchandises neuves et issues de déchèteries pour les acteurs de l’ESS
L’Article 35[9] interdit l’élimination des invendus non alimentaires. Les producteurs, importateurs et distributeurs des produits non alimentaires sont désormais tenus de réemployer leurs invendus : par le don à des associations de lutte contre la précarité et des structures de l’ESS ; ou de réutiliser ou de recycler leurs invendus, dans le respect de la hiérarchie des modes de traitement. Ainsi le réemploi est défini comme prioritaire, devant le recyclage, pour les entreprises souhaitant se séparer de leurs invendus. L’accès aux invendus neufs constitue un vrai enjeu pour les structures de l’ESS se plaignant d’avoir difficilement accès à des biens de qualité. A noter que ces biens neufs permettraient uniquement un travail de vente ou de don, pour les salariés et bénévoles.
L’Article 57 demande aux collectivités territoriales responsable de la collecte de permettre aux structures de l’ESS d’utiliser les déchèteries comme lieu de récupération d’objets en bon état ou réparable. Cette garantie de l’accès pourrait représenter une augmentation de l’approvisionnement pour les acteurs de l’ESS, qui n’auraient pas eu cet accès auparavant.
- Une REP redirigée en faveur du réemploi : des partenariats entre éco-organismes et structures de l’ESS favorisés
Les types de biens concernés par les activités de réemploi/réutilisation des acteurs de l’ESS sont principalement ceux concernés par une filière REP (ADEME, 2015). Il est donc important pour ces acteurs de s’inscrire pleinement dans la REP. Que prévoit la nouvelle loi ?
- Le réemploi solidaire s’inscrit dans le principe de REP, et des objectifs de réemploi pour les éco-organismes
L’article 62 de la nouvelle loi, relatif aux filières de Responsabilité Élargie des Producteurs inscrit le réemploi solidaire dans le principe même de la REP. Les producteurs soumis à la REP peuvent désormais avoir l’obligation de soutenir les réseaux de réemploi, de réutilisation et de réparation tels que ceux gérés par les structures de l’ESS ou favorisant l’insertion par l’emploi. L’article énonce également que les éco-organismes auront des objectifs explicites de réduction des déchets, de réemploi, réutilisation et de réparation (lorsque la nature des produits le justifie). Ces obligations seront définies spécifiquement pour chaque filière (exemple : pour la filière meuble, la filière textile, etc.). Avec ces objectifs, les éco-organismes seront incités à augmenter leurs partenariats avec les opérateurs du réemploi et de la réutilisation, dont ceux faisant parties de l’ESS. En parallèle, il est prévu que lorsque les éco-organismes passeront des marchés avec des opérateurs de traitement des déchets, ils devront prendre en compte le principe de proximité et le recours à l’emploi de de réinsertion ; les structures de l’ESS concernées seront donc favorisées.
- Création d’un fonds dédié au financement du réemploi et de la réutilisation
Ce fonds sera alimenté par les contributions10 payées par les producteurs à l’éco-organisme. Les acteurs de l’ESS seront susceptibles de faire partie des bénéficiaires de ces fonds, au titre de leur activité de réemploi et de réutilisation.
- Paradoxe d’une politique de réduction du gaspillage : n’est-ce pas finalement mettre en difficulté les structures de l’ESS qui en vivent ?
C’est souvent le paradoxe adressé aux acteurs de l’économie circulaire des produits en fin de vie : leur activité repose sur un gisement de déchets, ou de biens qui ne sont « plus désirés ».
Une politique de lutte contre le gaspillage efficace peut donc signifier une baisse des quantités de marchandises récupérées pour les plus démunis. Cependant, une baisse du gaspillage peut également signifier une meilleure qualité des produits et des activités de récupération à plus forte valeur ajoutée. Des produits de basse qualité, qui ne peuvent être que recyclés, génère des ressources moindres et plus corrélées au cours internationaux des matières premières que ceux utilisés en réemploi selon Emmaüs France (Fayard, 2019).
Toute la difficulté résidera ensuite de favoriser un accès à ces biens de meilleure qualité aux acteurs de l’ESS, alors même que les consommateurs auront d’autant plus intérêt à les revendre pour leur compte.
Conclusion
Depuis le début de la société de consommation, les acteurs de l’ESS se sont emparés du sujet du gaspillage, en en faisant une opportunité pour les plus démunis pour la réinsertion par le travail de récupération, et le don ou les ventes à bas prix.Ces acteurs ont des modèles économiques variés, mais tous sont dépendants d’un accès aux marchandises pour leur projet social, et peuvent se retrouver en concurrence sur cet accès avec les marchés de l’occasion, dont les plateformes internet qui se développent fortement.
Aujourd’hui, l’État s’empare du sujet du gaspillage et intègre ces acteurs préexistants à sa politique de lutte anti-gaspillage à certains égards. Certaines mesures de la loi économie circulaire du gouvernement vont dans le sens d’un soutien aux structures de l’ESS en favorisant l’approvisionnement en marchandises de ces structures, via un accès aux déchèteries ; en interdisant la destruction des produits neufs qui peuvent augmenter les marchandises potentiellement reçues ; et en inscrivant le réemploi solidaire au cœur de la politique publique de responsabilité élargie des producteurs.
Terminologie et définition utiles
Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) :Le principe de REP énonce que les fabricants, distributeurs pour les produits de leurs propres marques, importateurs, qui mettent sur le marché des produits générant des déchets, doivent prendre en charge, notamment financièrement, la gestion de ces déchets.
Pour en savoir plus : Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, « Cadre général des filières à responsabilité élargie des producteurs », actualisé le 31/01/2020
http://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/cadre-general-des-filieres-responsabilite-elargie-des-producteurs
Éco-organisme : les producteurs soumis à la REP se regroupent généralement autour d’un éco-organisme, qui assure pour le compte des producteurs leur responsabilité. En France, un éco-organisme prend la forme d’une structure à but non lucratif, agréée par les pouvoirs publics. Un éco-organisme financier récolte des contributions financières auprès des producteurs pour les redistribuer aux collectivités locales qui organisent la collecte et le tri des déchets. Un éco-organisme organisationnel utilise les contributions pour organiser directement avec des prestataires la collecte et le traitement des déchets.
Pour en savoir plus : Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, « Cadre général des filières à responsabilité élargie des producteurs », actualisé le 31/01/2020
http://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/cadre-general-des-filieres-responsabilite-elargie-des-producteurs
Compagnon Emmaüs : personne accueillie dans une communauté Emmaüs et qui y exerce une activité, généralement dans la récupération, la réparation et la revente de biens, sans contrat de travail (ADEME, 2017).
Structures d’insertion par l’activité économique : L’insertion par l’activité économique (IAE) permet à des personnes éloignées de l’emploi de bénéficier d’un accompagnement renforcé visant à faciliter leur insertion professionnelle. En 2018, on dénombrait 3 803 structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE). Il existe divers statuts pour ces structures : par exemple, les entreprises d’insertion, les ateliers et chantiers d’insertion, l’association intermédiaire… Chaque statut correspond à une aide et un cadre juridique différents.
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/leconomie-circulaire