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Quand le changement de paradigme commercial est synonyme d’impasse sociale (Note)

Depuis le début 2025, l’administration Trump durcit sa politique commerciale avec de droits de douane controversés : 15 % sur les produits européens et japonais, 50 % sur les exportations brésiliennes et indiennes, etc. D’autres pays, comme la Chine, le Canada et le Mexique en sont encore au stade de négociations. Selon l’Organisation Mondiale du commerce, le taux effectif moyen des droits de douane américains a atteint 19,2 % mi-novembre 2025, son plus haut niveau depuis 1933.

Malgré ces tensions, l’économie mondiale fait preuve de résilience à ce stade. Selon les dernières prévisions de  l’OCDE, la croissance ne devrait connaître qu’un léger ralentissement, passant de +3,3 % en 2024 à +3,2 % en 2025, supérieure aux +2,9 % estimés en juin. Les entreprises ont absorbé une partie du choc en sacrifiant leurs marges et en constituant des stocks de sécurité. Toutefois, les effets des droits de douane devraient s’intensifier en 2026, en pesant sur le commerce international et sur l’investissement. La croissance devrait ainsi ralentir pour s’établir à +2,9 % en 2026, avant de se redresser légèrement pour atteindre +3,1 % en 2027.

Incertitude prolongée, risque sur la croissance, coûts alourdis… mais qu’en est-il du social ?

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Le commerce mondial : de l’ouverture à la défiance, mais à quel prix social ?

Le nationalisme protectionniste de D. Trump renverse le paradigme d’ouverture du commerce international vers une logique de repli. Si la libéralisation des échanges commerciaux a souvent soutenu croissance et réduction de la pauvreté, le protectionnisme, en renchérissant le prix des biens importés, freine la croissance. Si le choc sur les prix est absorbé par les entreprises, il aura tendance à entamer leur capacité à investir et à embaucher ; s’il est répercuté sur les prix à la consommation, la menace portera sur le pouvoir d’achat des ménages.

Aux États-Unis, le coût social des droits de douane serait probablement le plus sévère. Ils alimenteraient une hausse de l’inflation, qui atteindrait près de +3 % en 2026 selon les anticipations, contre une cible de +2 % par la Banque Centrale. En juin 2025, les consommateurs supportaient 22 % de la hausse de ces coûts et cette part aurait grimpé à 67 % au dernier trimestre, voire 100 % si l’on inclut les effets indirects sur les prix nationaux selon les estimations de Goldman Sachs. Par ailleurs, le secteur agricole est fortement touché : la guerre commerciale avec la Chine a fait chuter les importations chinoises, provoquant un pic de faillites agricoles inédit depuis cinq ans, et ce malgré les subventions. Dans le même temps, les chiffres de l’emploi hors secteur agricole sont plus dégradés depuis l’été (cf. graphique ci-dessous). Le risque d’appauvrissement de la population s’accroît, particulièrement dans les zones rurales déjà fragilisées.

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De plus, la hausse des droits de douane se répercute dans le monde : elle pénaliserait les principaux exportateurs vers les États-Unis et menacerait la compétitivité des pays confrontés à un afflux accru de produits étrangers, perturbant chaînes de production et emploi. Parallèlement, un ralentissement de l’activité américaine et les restrictions migratoires fragiliseraient les économies dépendantes des envois des fonds des expatriés (cf. carte ci-dessous), tout en exerçant une pression inflationniste aux États-Unis via une raréfaction de l’offre de travail.  Enfin, la diminution de l’aide publique au développement américaine renforcerait la vulnérabilité des économies dépendantes de ces flux pour leurs investissements sociaux et en infrastructures (cf. graphique ci-dessous).

 

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Commerce et enjeux sociaux : une vision multidimensionnelle

Une nation ne se limite pas à une entité commerciale. Le commerce international affecte non seulement la croissance économique, mais aussi les conditions de vie et le bien-être social, influençant le quotidien des populations et les dynamiques sociales.

Les décideurs disposent aujourd’hui d’outils d’évaluation plus complets, combinant indicateurs économiques classiques, comme le PIB, et mesures non financières, telles que les indices multidimensionnels de pauvreté et bien-être. L’enjeu est clair : concilier croissance et productivité avec un progrès social durable. Or, le paradigme commercial et le progrès social doivent avancer de concert : ignorer les effets sociaux du commerce, c’est mettre en péril la cohésion sociale et l’équité économique dans un monde interdépendant.

Louisiana Teixeira est économiste chez BSI Economics et coordinatrice de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement.

L'auteur

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