Elsa Leromain, économiste à BSI, chercheuse à l’Université Catholique de Louvain et au Centre for Economic Performance répond à 3 questions sur l’état des relations commerciales entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni depuis le Brexit.
BSI Economics – Quelle est désormais la nature des relations commerciales entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni?
Elsa Leromain : Le 23 juin 2016 le Royaume-Uni a voté par référendum la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, il s’en est suivi une très longue série de négociations qui a finalement abouti à la signature d’un accord de commerce et de coopération le 30 décembre 2020. Le Royaume-Uni ne fait donc plus partie du marché unique et de l’union douanière. Depuis le 1er Janvier 2021, c’est l’accord de commerce et de coopération qui régit les relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Il établit, entre autres, des régimes préférentiels pour le commerce de marchandises et de services, la propriété intellectuelle, les marchés publics, les secteurs de l’aviation et du transport, l’énergie, la pêche, et prévoit la coordination de la sécurité sociale. Les contrôles aux frontières ont été rétablis pour les marchandises mais aussi pour les personnes car aucun ne peut désormais circuler librement.
Est-il aussi facile d’échanger des biens qu’avant ?
Il serait bien illusoire de penser qu’il est toujours aussi facile d’échanger des biens entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Alors que normalement les accords de libre-échange visent à faciliter l’échange de biens entre pays, cet accord a augmenté les barrières commerciales par rapport à la situation pré-Brexit. Il conduit à un degré d’intégration bien plus poussé que les accords de libre-échange traditionnels mais nettement inférieur à celui qu’impliquait le marché unique et l’union douanière.
Les formulaires de douanes ont été rétablis et les biens doivent être inspectés à la frontière. Les échanges de biens ne sont néanmoins pas soumis à des droits de douane et à des quotas dans la mesure où ils respectent la règle d’origine. En d’autres termes, les entreprises doivent prouver que le bien échangé provient du marché domestique. Définir l’origine d’un bien n’est pas une mince affaire surtout si beaucoup de composantes ont été utilisées pour sa fabrication.
Il y a plusieurs règles complexes et variées pour établir l’origine d’un bien. Pour qu’un bien soit considéré comme produit localement il peut être requis : un minimum sur la part de la valeur ajoutée domestique dans la valeur totale du bien, un minimum sur le poids des composantes domestiques dans le poids total du bien, un degré de transformation sur place, ou l’emploi d’un processus de production spécifique. Selon les secteurs une ou plusieurs de ces règles peuvent être en vigueur.
Est-ce que ceci a affecté les entreprises ?
Les règles d’origine et le processus de certification d’origine étant particulièrement coûteux, beaucoup d’entreprises choisissent de payer des droits de douane alors même qu’elles pourraient potentiellement bénéficier d’une exemption.
Un rapport publié par le UK Trade Policy Observatory donne une idée de l’ampleur du phénomène de Janvier à Avril 2021 pour les entreprises britanniques. Ils estiment que la valeur des exportations du Royaume-Uni vers l’Union Européenne qui sont encore sujettes à des droits de douane s’élève entre 5,2 et 6,9 milliards d’euros. 70 % des exportations éligibles à une exemption des droits de douane en ont effectivement bénéficié, c’est-à-dire que dans 30 % des cas des exportateurs qui auraient pu bénéficier de zéro droit de douane ont préféré en payer plutôt que d’avoir à prouver l’origine de leur bien ou n’était pas en mesure de la certifier. Cette part est non négligeable, elle masque cela dit une importante hétérogénéité entre secteurs. Les secteurs de l’aviation et l’habillement semblent particulièrement touchés, alors que des secteurs comme le poisson, les produits laitiers, et le fer et l’acier semblent l’être beaucoup moins. Pour 1657 produits définit au niveau le plus fin de la nomenclature du Système Harmonisé – soit un tiers des codes répertoriés dans la nomenclature – le taux préférentiel est utilisé dans moins de 50 % des cas. Les entreprises sont donc encore loin d’être toutes exemptes de payer des droits de douane.