Cette courte note propose de décrypter un graphique marquant, en lien avec l’actualité économique. D. Trump, le Président des Etats-Unis, a déclaré que les droits de douane allaient passer à 25 % sur la totalité des importations d’acier et d’aluminium au 12 mars 2025. Ce Killer Chart permet d’identifier les économies les plus touchées par cette mesure et établit un court diagnostic des répercussions potentielles à l’échelle mondiale.
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Pourquoi c’est intéressant ?
Cette annonce est historique dans le sens où elle concerne l’ensemble des partenaires à l’import des Etats-Unis. En 2017, lorsque les Etats-Unis avaient passé les droits de douane à 10 % sur l’aluminium et à 25 % sur l’acier, certains pays avaient bénéficié d’exemptions (Australie, Brésil, Canada, Mexique notamment) et l’objectif semblait davantage de se protéger des importations chinoises.
Malgré l’impressionnante réduction des importations d’acier chinois[1], le redressement de l’industrie sidérurgique américaine n’a pas été au rendez-vous. A titre d’illustration, le taux d’utilisation des capacités dans l’industrie de transformation des métaux primaires est toujours bas et largement inférieur à sa moyenne historique[2] et le volume d’importations a continué de progresser. Les Etats-Unis ciblent donc clairement les pays avec qui leur déficit commercial est très creusé (cf. barres sur le Killer Chart), notamment leur voisin canadien et l’Union Européenne (UE).
Le Canada sera clairement affecté par ces droits de douane, les Etats-Unis captant 87 % de ses exportations d’acier et d’aluminium (cf. points bleus sur le Killer Chart), à l’instar du Brésil avec 28 % de ses exportations (principalement pour l’acier). Si les Etats-Unis importent d’importants volumes d’acier depuis l’Allemagne et la Corée du Sud, ou d’aluminium depuis la Chine et les Emirats Arabes Unis, ces pays ont néanmoins une dépendance moins élevée vis-à-vis du géant américain (entre 4 % et 16 %).
Qu’en penser ?
Les mesures américaines ne resteront probablement pas sans réponse et impliqueront vraisemblablement des répliques de la part de ses partenaires commerciaux. C’est en tout cas la voie sur laquelle semble s’engager l’UE, où des contre-mesures sont évoquées (sur les importations américaines de véhicules et de boissons) ainsi qu’au Canada. Difficile à ce stade de conclure que ces mesures vont soit mener à une montée globale du protectionnisme soit à des nouveaux cycles de négociations bilatérales, comme cela fut le cas entre l’UE et les Etats-Unis en 2018. Selon le degré de « riposte » et leurs conséquences, les trajectoires d’inflation seront très sensiblement différentes.
Mécaniquement, les droits de douane vont mener à des poussées inflationnistes : soit via la répercussion des barrières douanières sur les prix à la production[3], soit via un renchérissement des prix domestiques des métaux dans un contexte de réduction des importations. Plusieurs secteurs seraient ainsi directement affectés : l’automobile, la construction, le secteur naval, la défense, etc. Il semblerait que l’impact serait moindre pour l’acier car le pays dispose de capacités de production[4] qui limiteraient l’effet sur les prix d’une réduction de l’approvisionnement à l’étranger. En revanche pour l’aluminium, les capacités de production actuelle et future demeurent limitées et la dépendance aux importations est très élevée[5], ce qui laisse à penser que l’écart de prix entre le prix pratiqué aux Etats-Unis et sur les marchés internationaux pourrait se creuser[6].
A l’échelle mondiale, l’impact inflationniste est ambigu. Ses débouchés devenus contraints sur le marché américain, la Chine a eu tendance à déverser ses surcapacités de production d’acier et d’aluminium dans le reste du monde[7]. Que cela soit une stratégie de réorganisation des chaines de valeur ou de quête de parts de marché, ce déversement a finalement mené à une baisse tendancielle des prix de l’aluminium[8]. Cela s’explique par la pression baissière : i) directe via un dumping chinois agressif, ii) indirecte par la hausse de la production mondiale, où les principaux producteurs auraient tendance à produire davantage et exporter des volumes plus importants afin de maintenir leurs recettes[9]. La quête de parts de marchés de substitution aux Etats-Unis par certains pays[10] pourrait conduire à des pressions à la baisse sur les prix. Autre élément désinflationniste : si la montée globale des droits de douane est suivie d’un ralentissement plus fort qu’attendu de l’activité, surtout en Chine et aux Etats-Unis, la demande de métaux pourrait se replier et impliquer une baisse des cours mondiaux.
En revanche, il existe un cas de figure plus inflationniste dans le cas d’une montée mondiale des droits de douane. Cela pourrait être le cas de pays qui redresseraient leurs droits de douane, craignant de voir la compétitivité-prix de leur production domestique d’acier ou d’aluminium menacée par une invasion de produits étrangers bons marchés. L’UE pourrait adopter ce type de réflexe à l’instar d’économies émergentes (cf. les cas de la Turquie et du Brésil face à l’acier chinois).
Le creusement du déficit commercial américain sur d’autres biens (les produits chimiques et pharmaceutiques, l’automobile ou encore les machines et équipements industriels[11]) laisse imaginer que les Etats-Unis préparent d’autres salves de mesures. D. Trump a notamment évoqué l’application de « tarifs douaniers réciproques[12] » ce qui pourrait marquer un nouveau coup déterminant de son mandat. Ces droits de douane posent probablement la question plus large de la pertinence et de la viabilité des accords internationaux de l’Organisation Mondiale du Commerce.
Article rédigé le 11/02/2024
[1] Sur la première moitié des années 2010, les exportations chinoises d’acier vers les Etats-Unis représentaient en moyenne plus de 1,7 Md USD contre près de la moitié en moyenne sur la période 2019-2023.
[2] Un TUC de 68 % au T4 2024 contre un TUC moyen de 75 % sur les vingt-cinq dernières années et de 80 % sur le dernier quart du siècle dernier.
[3] L’indice de prix à la production (IPP) pour l’aluminium « mill shapes » a enregistré une hausse de + 4,5 % en évolution annuelle au deuxième semestre 2024, mais l’IPP pour l’acier s’est replié de -11,7 % sur cette période.
[4] Selon l’American Iron & Steel Institute, les importations d’acier représentait le quart de la consommation américaine en 2023.
[5] Selon JP Morgan, « dans les secteurs de l’emballage, la construction, les transports, les importations nettes représentent environ 82 % des besoins américains ».
[6] Ce phénomène s’observe déjà à très court terme, avec une hausse de +25 % de cet écart entre le 7 et le 11 février 2025.
[7] Les importations d’acier chinois ont notamment explosé depuis 2018 au Brésil, en Inde, en Turquie, dans l’ASEAN5. Ce constat est moins évident pour l’aluminium car les exportations vers les Etats-Unis sont restées soutenues, mais les importations d’aluminium chinois ont aussi significativement augmenté en Asie.
[8] Cette baisse s’observe sur la période juin 2018- décembre2019 (-21 %) et également sur la période de mars 2022 jusqu’aux élections américaines en 2024 (-27 %).
[9] L’idée sous-jacente pour les producteurs non chinois est d’augmenter le volume de la production à destination de l’export, de telle sorte que cet effet volume « positif » compense l’effet prix « négatif » (induit par le dumping chinois qui pèse sur les prix internationaux) et permette de maintenir les marges.
[10] Parmi les plus exportateurs les plus compétitifs à l’export : pour l’aluminium, E.A.U ou Inde par exemple, pour l’acier Brésil, Indonésie ou Corée du Sud par exemple.
[11] Le déficit commercial américain pour les produits chimiques et pharmaceutiques est passé de -11,6 Mds USD entre 2009 et 2013 à -111,9 Mds USD entre 2019 et 2023, et de -82,6 Mds à 208,3 Mds USD pour les machines et équipements industriels et de -92,6 Mds à -181,5 Mds USD dans l’automobile.
[12] Actuellement, le taux de droit de douane moyen pondéré aux Etats-Unis vis-à-vis du reste du monde est de 2,2 % (10 % avec la Chine) selon l’Organisation Mondiale du Commerce. Ce niveau est certes proche de celui pratiqué par la France ou l’Allemagne (2,7 %) mais nettement inférieur au taux moyen pratiqué par le Viet Nam (5,1 %), le Brésil (6,7 %) ou l’Inde (12 %). La réciprocité impliquerait un ajustement du taux à la hausse, soit une menace très forte pour les exportations des pays au plus fort taux.